Interview de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, à Europe 1 le 9 décembre 2011, sur l'état d'avancement des négociations sur le changement climatique à la conférence de Durban.

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Média : Europe 1

Texte intégral

BRICE TOUSSAINT Vous êtes ministre de l’Ecologie, du Développement durable, des Transports et du Logement, et vous êtes à Durban, en Afrique du Sud actuellement où sont réunis plus de 190 pays sous l’égide de l’ONU, avec un objectif : tenter de trouver un accord sur le climat et, notamment, limiter la hausse de la température de la planète à 2 degrés. Dites-le nous ce matin sans langue de bois, le sommet le plus important ce n’est pas celui de Bruxelles, c???est celui de Durban où vous vous trouvez !
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET A long terme sans aucun doute, à court terme – notamment quand on regarde les médias – ce n’est pas l’impression qu’on a, c’est peut-être un des problèmes à Durban d’ailleurs.
 
BRICE TOUSSAINT Eh oui ! On ne parle que de l’Europe, et une fois de plus le climat est relégué au 2ème plan. Vous le regrettez ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Les deux sujets sont liés, c’est dommage qu’on sépare les choses comme ça parce qu’il est question de changer le mode de production et de consommation, de changer nos économies. Le système est épuisé, alors ça trouve des formes bancaires, financières, monétaires et on en parle beaucoup avec l’euro. Mais ça trouve aussi d’autres formes dans l’économie et on essaie finalement de renouveler le système, et de lui donner des perspectives de long terme, des perspectives plus solides avec la lutte contre le changement climatique.
 
BRICE TOUSSAINT Alors en fait le sommet a commencé il y a plusieurs jours, le 28 novembre précisément, cette 17ème conférence de l’ONU. Il faut dire les choses ce matin, ça ne se présente pas très bien !
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Non, ça ne se présente pas bien, ça ne se présente pas bien mais ce n’est pas perdu, il y a encore une journée. On a négocié toute la nuit, jusqu’à 4 h 00 du matin…
 
BRICE TOUSSAINT Vous aussi, vous avez passé la nuit à négocier ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Oui, avec moins de succès jusqu’à maintenant et j’espère que ce sera meilleur ce soir.
 
BRICE TOUSSAINT Alors on explique concrètement de quoi il s’agit, pourquoi est-ce que ça ne marche pas pour l’instant, pourquoi est-ce que ça achoppe ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Concrètement le Protocole de Kyoto, qui est aujourd’hui le seul Protocole de lutte contre le changement climatique, s’achève pour sa période d’engagement en 2012.
 
BRICE TOUSSAINT Oui.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Et donc il s’agit de trouver une suite, de trouver une suite au Protocole de Kyoto. Mais le Protocole de Kyoto, il regroupe trop peu de pays, il représente trop peu d’émissions dans le monde, donc il s’agit aussi de trouver un accord global pour que tout le monde s’engage sur la lutte contre le changement climatique. Et c’est là que ça achoppe.
 
BRICE TOUSSAINT Qui est-ce qui bloque, c’est les Etats-Unis par exemple ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Mais pas seulement les Etats-Unis, les Etats-Unis ont tendance à se dissimuler un peu derrière les pays émergents, la Chine, l’Inde qui eux-mêmes sont assez peu désireux de prendre dès maintenant des engagements pour réduire leurs émissions. Et puis il y a des petits pays, les pays les moins avancés, les pays africains ou alors les pays les plus exposés au changement climatique, ceux qu’on appelle (inaudible), les petites îles qui risquent la submersion qui regardent tout ça en disant « ça urge, ça urge ».
 
BRICE TOUSSAINT Mais Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, vous devriez vous inspirer de ce qui s’est passé à Bruxelles cette nuit, c’est au fond une Europe à 2 vitesses est née, pourquoi pas un monde à 2 vitesses avec un accord avec moins de pays ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Parce qu’il n’y a qu’une seule planète, parce qu’une tonne de carbone émise à l’autre bout de la Chine a exactement le même impact sur le climat que 1 tonne émise dans l’Union européenne. L’Union européenne en matière de changement climatique est extrêmement vertueuse, elle a des programmes d’action, la France remplit ses engagements au regard du changement climatique et de l’aide internationale en matière de changement climatique. Et de toute façon, ces actions-là seront menées, mais c’est le paquet « climat énergie ». Mais si vous regardez les émissions de gaz à effet de serre que représente l’Europe, c’est 11 % des émissions mondiales. Donc même en faisant son travail, et l’Europe le fera, elle y est de toute façon engagée. Vous comprenez, 11 % des émissions mondiales ça ne sauvera pas le monde, et donc on a besoin que tous les autres pays s’engagent, même si c’est sur un niveau différent parce qu’il y a des niveaux de développement différents dans la lutte contre le changement climatique. Et c’est ça pour le moment qu’on n’a pas encore obtenu.
 
BRICE TOUSSAINT Donc là, vous vous battez pour que la hausse de la température ne soit pas de plus de 2 degrés, s’il n’y a pas d’accord il y aura sûrement hausse de 3, 4, ça peut aller jusqu’à 6 degré. Là on le sait, les conséquences… elles sont terribles les conséquences climatiques.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Oui, et attention ! Ces chiffres sont une moyenne mondiale, mais c’est évidemment différent suivant les régions du monde. Imaginez si la hausse moyenne est de 3,5, en Europe les climatologues nous disent que ça pourrait être plutôt plus, c’est très grave, c’est tout notre système agricole qui est modifié, ce qu’on appelle « les maladies à vecteur », celles qui sont portées par des insectes qui remontent. Ça peut être ce qu’on appelle « des surprises climatiques », par exemple on ne sait pas très bien si le Gulf Stream, ce courant qui réchauffe l’Ouest de la France pourrait continuer à exister en l’Etat. Ce sont des régions entières du monde qui risquent de devenir en fait impraticables, impropres à la culture avec toutes les migrations, les déstabilisations qu’on peut imaginer.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 9 décembre 2011