Texte intégral
INTERVIEW A FRANCE 2 :
RACHID ARAB
Invité de ce journal, Alain Richard, ministre de la Défense. Merci dêtre avec nous. La position particulière de la France à propos de laccueil des réfugiés ne mérite-t-elle pas quelques explications ?
ALAIN RICHARD
Allons dabord à lessentiel. Nous nous sommes mobilisés au Kosovo pour obtenir le plus vite possible lamélioration du sort des personnes déplacées près des frontières, et qui sont en situation durgence absolue. Nous déployons lobjectif defficacité et de fonctionnalité maximales. Vous avez vu que les hélicoptères français sont arrivés les premiers près de la frontière du Kosovo et de lAlbanie, où il ny a encore aucune aide mise en place. Nous allons continuer ainsi. Nous nous réjouissons de voir que plusieurs de nos alliés européens et que nos alliés américains vont également sinvestir dans cette mobilisation.
RACHID ARAB
Et sur la question de laccueil des réfugiés en France ?
ALAIN RICHARD
Deuxième point central sur lequel je veux insister : tout doit être fait en respectant les règles. Cela signifie que des institutions internationales légitimes vont prendre en charge lensemble de ces actions. Nous nous montrerons ardents dans laction, tout en nous plaçant sous la responsabilité des Nations Unies et du Haut Commissariat aux Réfugiés. Nous travaillerons étroitement avec les Européens et lAlliance. Il faut aussi travailler en partenaires avec la République de Macédoine et la République dAlbanie qui sont confrontées au problème des déportés : ce sont des pays très pauvres. Il nous faut nous concerter avec eux et les soutenir. Ils jouent un rôle particulièrement délicat dans ce nouvel équilibre européen : il est nécessaire de ne pas les abandonner.
RACHID ARAB
Le président albanais vient de dire que la position française sur le retour des réfugiés est juste.
ALAIN RICHARD
Cette position nest pas une position française. Vous venez de lentendre à propos de nos partenaires britanniques : chacun sinterroge. Cest une responsabilité majeure que les Européens ont prise. Nous voulons arrêter le mouvement de déportation et dépuration ethnique que le pouvoir yougoslave a entrepris par la violence et la terreur. On accueille les réfugiés, on les soutient, mais on doit aussi préparer leur retour. Dans la conciliation des différents objectifs, il faut accueillir dans les pays européens, voire non européens, un certain nombre de réfugiés pour lesquels il sagit de la meilleure solution. La France ne ferme pas ses portes. Mais nous voulons discuter entre alliés : les ministres des Affaires étrangères et les chefs de Gouvernement et dEtat travailleront pour apprécier les objectifs. Nous ne voulons pas prendre une position particulière : nous voulons que lensemble du partenariat de lEurope et de lAlliance prenne une position cohérente, avec lobjectif de rétablir au Kosovo une cohabitation qui soit commune et sure entre plusieurs communautés.
RACHID ARAB
Le message est clair, mais vous dites également que la France ne fermerait pas ses portes ?
ALAIN RICHARD
Absolument. Vous avez vu que Jean-Pierre Chevènement a fait publier un communiqué dès hier après-midi, disant que les réfugiés ne seraient pas écartés en fonction des documents provisoires de séjour dont ils bénéficieraient, sils avaient un point daccueil.
RACHID ARAB
Sur le plan militaire, les Etats-Unis par la voix du président Clinton ont annoncé la nuit dernière le déploiement en Albanie de 24 hélicoptères Apache. Comme nous lévoquions en début de ce journal, ces appareils surnommés « tueurs de tanks « seront accompagnés dun contingent de 2 000 soldats. Pour le porte-parole du Pentagone américain, ces hélicoptères devraient permettre délargir la campagne aérienne. Il faut préciser que les hélicoptères Apache doivent voler à basse altitude et à faible vitesse pour être efficaces contre les blindés. Larrivée de ces hélicoptères ne signifie-t-elle pas un premier pas vers loffensive terrestre ?
ALAIN RICHARD
Elle signifie surtout que, depuis le début de notre engagement, une action graduée a été prévue pour affaiblir et paralyser progressivement les moyens offensifs et dagression de larmée yougoslave, afin de la réduire au Kosovo.
RACHID ARAB
Ces hélicoptères vont donc intervenir ?
ALAIN RICHARD
Nous savons que chacun souhaiterait que ceci aille encore plus vite. Il est inévitable que dans nos démocraties, certaines opinions fassent preuve de nervosité. Il faut simplement comprendre que si lon veut ne pas faire de victimes dans la population civile, ce qui a été le principe suivi jusquà maintenant et que si lon ne veut pas exposer de façon exagérée nos soldats, il est nécessaire dagir progressivement. Les forces militaires yougoslaves situées au Kosovo seront touchées par des frappes de plus en plus intenses, comme cela a été le cas aujourdhui.
RACHID ARAB
Alain Richard, vous dites quil y a plusieurs phases : loffensive terrestre est-elle toujours totalement exclue ?
ALAIN RICHARD
Nous travaillons pour réduire les forces qui agissent aujourdhui, qui tuent et qui favorisent les expulsions par la terreur. Nous préparons ce quil faut pour pouvoir arrêter ces forces.
PHILIPPE ROCHOT
Monsieur le ministre, on a limpression que loffensive aérienne sur Belgrade et sur toute la Yougoslavie a été bien préparée, mais que lon na pas préparé lintervention humanitaire. Cela veut-il dire que lon ne prévoyait ni la réaction de Milosevic, ni les événements actuels ?
ALAIN RICHARD
Cette impression ne serait pas exacte, si vous alliez au bout de votre raisonnement : il serait inimaginable que les principaux pays de lAlliance naient pas préparé cela. Ce qui est vrai, cest que lon ne pouvait pas établir des points daccueil de réfugiés avant le déclenchement de laction. Un régime autoritaire agresse sa propre population au moyen de son armée, régime auquel nous nous sommes opposés par des moyens politiques pendant des mois. Le voyant développer ses préparatifs, nous engageons donc laction. Si une critique me paraît utile, ce serait plutôt celle qui demanderait si nous naurions pas dû agir militairement plus tôt. Cette action vise maintenant à réduire de plus en plus la capacité de nuisance et dagression des forces yougoslaves. Les réfugiés arrivent au bout de quelques jours, voire de quelques heures : les moyens se mettent en place afin de les accueillir, de les soutenir et de rendre leur séjour acceptable pour les pays daccueil.
PHILIPPE ROCHOT
Mais ne pensait-on pas faire plier Milosevic plus rapidement ?
ALAIN RICHARD
Cest impossible à prévoir lorsque lon entre dans une telle opération. Il y a forcément une marge dincertitude durant cette période. Ce que nous continuons à dire, cest que cette démarche demande de la ténacité et quil ne faut surtout pas changer davis en quelques jours. Cette action a besoin de continuité et de régularité. Dans nos démocraties, le débat est permanent, vous le savez mieux que personne. Milosevic, lui, a fait disparaître tous les médias indépendants du territoire yougoslave dans son ensemble, dès le déclenchement des opérations, parce quil a beaucoup à cacher, y compris sur la réalité de ce qui se passe dans ce pays. Nous, nous devons en permanence expliquer et montrer la progression de laction. Je demande simplement que lon tienne compte du délai normal de réalisation de ces objectifs militaires.
RACHID ARAB
Une dernière question, si vous le permettez. La France, on laura compris, prône le retour des réfugiés kosovars chez eux : quand et comment cela sera-t-il possible ?
ALAIN RICHARD
Quand les conditions dune solution politique seront établies. Je rappelle que la négociation qui avait abouti à laccord avec les représentants des Kosovars sétait faite sous la pression de lemploi de la force et que les actes dengagements avaient été délibérés par les gouvernements au mois doctobre. Nous savons quil faut poursuivre. Le rapport de force est en train de changer : Milosevic peut compter tous les jours les unités et les moyens de mouvements quil perd ainsi que la réduction de sa capacité. Il va forcément se passer un moment où le dialogue politique pourra se faire dans le respect de nos impératifs, cest-à-dire remettre au Kosovo plusieurs communautés qui vivront ensemble dans la sécurité.
RACHID ARAB
La voie diplomatique nest donc pas fermée ?
ALAIN RICHARD
Elle souvrira dès linstant où elle ne se fera pas aux conditions de Milosevic.
(Source http ://www.defense.gouv.fr, le 8 avril 1999)
INTERVIEW A RTL :
OLIVIER MAZEROLLE
Bonjour Alain Richard.
ALAIN RICHARD
Bonjour.
OLIVIER MAZEROLLE
Vous avez dit hier soir sur TF1 être convaincu que les pays de lAlliance Atlantique parviendraient à harmoniser leurs positions sur la question des réfugiés, mais sur quelles bases ?
ALAIN RICHARD
Je crois quil faudra tenir compte de deux réalités. Dune part, ces réfugiés, quoique jhésite à les appeler réfugiés, sont des personnes déportées par la violence hors de leur province dappartenance. Ces personnes ont donc pour vocation de revenir dans un Kosovo pluri-éthnique et sécurisé. La gestion de leur situation et le soutien que lon doit leur apporter tiennent dabord compte de cela. Tout le monde en est daccord. Deuxièmement, pendant la période où lon doit les soutenir, il faut que leurs conditions de vie soient correctes et que nous fassions correctement face à lurgence humanitaire. Nous pensons quen apportant laide massive que nous développons en Albanie et en Macédoine, dans une relation de confiance avec les dirigeants de ces deux pays, nous avons la meilleure solution. Nous avons des partenaires : lItalie et la Grande-Bretagne partagent notre approche. Dautres partenaires pensent quil faut, pour aider les pays daccueil, emmener des personnes déplacées hors de la zone. Nous ne désirons pas cette solution.
OLIVIER MAZEROLLE
Mais arrivera-t-on à se mettre daccord ?
ALAIN RICHARD
Oui, on se partagera les rôles.
OLIVIER MAZEROLLE
Allez-vous pouvoir tenir longtemps face aux critiques des organisations humanitaires qui appartiennent pour une bonne partie à la gauche politique ?
ALAIN RICHARD
Non, il y a des organisations qui ont eu pour thème, en politique intérieure française, de défendre limmigration et qui ne sont pas favorables à notre position. Mais les organisations humanitaires qui soccupent de réfugiés et de personnes déplacées comprennent et soutiennent notre position.
OLIVIER MAZEROLLE
Comment les Kosovars pourraient-ils rentrer chez eux ?
ALAIN RICHARD
Les militaires français, comme dans beaucoup de crises, sont les premiers et les plus efficaces pour mettre en place le soutien humanitaire. On retrouve ce rapport de partenariat confiant entre les militaires et les organisations humanitaires.
OLIVIER MAZEROLLE
Avec des rotations davions notamment. Mais comment les Kosovars vont-ils pouvoir rentrer chez eux si leurs maisons sont détruites ?
ALAIN RICHARD
Sil ne restait que ce problème, nous serions contents : lobjectif, depuis le début, est darrêter la violence dirigée par les autorités serbes contre leur propre population pour expulser ces gens. Nous menons laction militaire, nous réduisons et paralysons progressivement tout loutil de répression de Monsieur Milosevic.
OLIVIER MAZEROLLE
Mais sils nont plus de maison, ils ne pourront pas rentrer.
ALAIN RICHARD
Ce nest pas un problème. Ne vous cantonnez pas à ce problème strictement matériel. Si nous parvenons, comme nous le souhaitons, à un règlement politique qui comporte la réinstallation des Kosovars, il y aura une action de reconstruction que vous trouverez normale à ce moment.
OLIVIER MAZEROLLE
Faire stopper la violence, soit : on dirait que le constat est simple et facile à faire. Mais cette violence saccomplit sous les yeux de militaires de lOTAN qui se trouvent juste de lautre coté de la frontière en Macédoine, parmi lesquels il y a 2 500 soldats français : ny a-t-il pas un décalage ? Dun coté, on dit que lon va arrêter la violence et de lautre, celle-ci saccomplit sous les yeux des militaires.
ALAIN RICHARD
Oui, mais si on improvisait une opération terrestre avec des moyens insuffisants alors que les conditions ne sont pas préparées, vous seriez fondé à critiquer limprovisation. La réalité est que ces frappes aériennes doivent être « phasées » pour réduire la capacité agressive de la Serbie, sans toucher la population civile. Vous imaginez bien quil naurait pas été possible de déclencher une offensive terrestre avant des semaines et sil y avait une offensive terrestre, alors quil reste énormément de populations civiles réparties au Kosovo, on aurait forcément rencontré des pertes dramatiques dans la population civile. La procédure qui a été prise est naturellement critiquée parce que cela fait partie de la vie des démocraties. Observez au passage que les Serbes nont pas de problèmes de ce type puisquil ny a plus aucun observateur indépendant. Notre méthode est la plus rationnelle et la moins coûteuse en vies humaines pour arrêter la démarche doppression des autorités serbes.
OLIVIER MAZEROLLE
Et pourtant, certains vous diront quen Bosnie par exemple, les soldats, particulièrement les soldats français, ont fait preuve de leur savoir-faire lorsquil sagissait de sinterposer.
ALAIN RICHARD
Mais il nest pas question dinterposition. Nous en sommes à la période où il nous faut arrêter un processus de terreur.
OLIVIER MAZEROLLE
On ne peut pas sinterposer ?
ALAIN RICHARD
Non. Il faut avoir déjà arrêté la marche offensive dune des parties : cest ce que nous sommes en train de faire à lencontre de la Serbie. Il faut que les représentants des médias indépendants reconnaissent quil y a un rythme et quon ne peut pas faire preuve en permanence dimpatience parce que ce serait la voie de la myopie.
OLIVIER MAZEROLLE
Mais sil y a un accord avec les Serbes, un déploiement des forces dinterposition pourrait navoir jamais lieu ?
ALAIN RICHARD
Ce quil faut, cest retrouver laccord de la Yougoslavie dans un autre rapport de force. Chacun a compris, Monsieur Mazerolle, que nous sommes depuis le début en face dune action de force. La guerre sévissait au Kosovo avant les frappes et lobjet de lintervention des Européens et des Américains est darrêter cette guerre. Nous sommes aujourdhui face à une force brute quil faut casser : cest ce que nous sommes en train de faire. Je me permets de vous recommander un tout petit peu de patience parce que si les démocraties sont fébriles, si elles changent dopinion toutes les 24 heures à la suite dun épisode, les dictatures ont alors gagné.
OLIVIER MAZEROLLE
Le porte-parole de lOTAN disait quà ce rythme, dans 10 ou 20 jours, le Kosovo sera totalement vidé de ses habitants de souche albanaise ?
ALAIN RICHARD
Je crois quil sest prononcé un peu vite.
OLIVIER MAZEROLLE
Vous croyez que cela natteindra pas ce stade ?
ALAIN RICHARD
Je ne fais pas de pronostic.
OLIVIER MAZEROLLE
La guerre pourrait encore durer dans 10 ou 20 jours ?
ALAIN RICHARD
Les frappes aériennes se poursuivront jusquà paralyser lappareil militaire et répressif serbe : cest indispensable si lon veut que lautorité serbe change de position. Si quelquun a une solution plus rapide ou que la persuasion et la dialogue amical avec lautorité serbe peut savérer utile, même si personne ny est parvenu depuis un an, il peut toujours sy essayer. Mais la réalité est un rapport de force.
OLIVIER MAZEROLLE
Le 23 avril, cest-à-dire dans un peu plus de deux semaines, lAlliance Atlantique doit célébrer son 50ème anniversaire à Washington. Est-il possible denvisager quelle le célèbre sans avoir atteint au moins lun de ces deux objectifs.
ALAIN RICHARD
LEurope est ce qui est important à nos yeux. LOTAN nest quun outil technique dans lequel nous souhaitons que les Européens jouent un rôle plus important. Je pense dailleurs que cela sera discuté au sommet de Washington. Mais très franchement, si un tel anniversaire était célébré à un moment où lon a une action en cours, menée de façon solidaire et réfléchie, je ne vois pas où serait le problème.
OLIVIER MAZEROLLE
Quattendez-vous exactement ? Que Milosevic cède brusquement ?
ALAIN RICHARD
Non, vous savez aussi bien que moi en me posant cette question que ce nest pas ainsi que cela se passera. Au moment où Milosevic considérera que la situation menace trop son pouvoir, car cest de cette manière que pense Milosevic, ainsi que linfluence internationale de son pays, il cherchera un compromis qui tiendra compte des valeurs des Européens. Parlons de temps en temps des valeurs des Européens : il sagit de permettre aux Kosovars de vivre au Kosovo dans la sécurité de telle sorte quil ny ait plus dapartheid organisée par la terreur sur notre continent ! Je crois que Milosevic y viendra, mais hélas, nous sommes obligés de constater rationnellement quil ny viendra que par la force.
(Source http ://www.defense.gouv.fr, le 8 avril 1999)
RACHID ARAB
Invité de ce journal, Alain Richard, ministre de la Défense. Merci dêtre avec nous. La position particulière de la France à propos de laccueil des réfugiés ne mérite-t-elle pas quelques explications ?
ALAIN RICHARD
Allons dabord à lessentiel. Nous nous sommes mobilisés au Kosovo pour obtenir le plus vite possible lamélioration du sort des personnes déplacées près des frontières, et qui sont en situation durgence absolue. Nous déployons lobjectif defficacité et de fonctionnalité maximales. Vous avez vu que les hélicoptères français sont arrivés les premiers près de la frontière du Kosovo et de lAlbanie, où il ny a encore aucune aide mise en place. Nous allons continuer ainsi. Nous nous réjouissons de voir que plusieurs de nos alliés européens et que nos alliés américains vont également sinvestir dans cette mobilisation.
RACHID ARAB
Et sur la question de laccueil des réfugiés en France ?
ALAIN RICHARD
Deuxième point central sur lequel je veux insister : tout doit être fait en respectant les règles. Cela signifie que des institutions internationales légitimes vont prendre en charge lensemble de ces actions. Nous nous montrerons ardents dans laction, tout en nous plaçant sous la responsabilité des Nations Unies et du Haut Commissariat aux Réfugiés. Nous travaillerons étroitement avec les Européens et lAlliance. Il faut aussi travailler en partenaires avec la République de Macédoine et la République dAlbanie qui sont confrontées au problème des déportés : ce sont des pays très pauvres. Il nous faut nous concerter avec eux et les soutenir. Ils jouent un rôle particulièrement délicat dans ce nouvel équilibre européen : il est nécessaire de ne pas les abandonner.
RACHID ARAB
Le président albanais vient de dire que la position française sur le retour des réfugiés est juste.
ALAIN RICHARD
Cette position nest pas une position française. Vous venez de lentendre à propos de nos partenaires britanniques : chacun sinterroge. Cest une responsabilité majeure que les Européens ont prise. Nous voulons arrêter le mouvement de déportation et dépuration ethnique que le pouvoir yougoslave a entrepris par la violence et la terreur. On accueille les réfugiés, on les soutient, mais on doit aussi préparer leur retour. Dans la conciliation des différents objectifs, il faut accueillir dans les pays européens, voire non européens, un certain nombre de réfugiés pour lesquels il sagit de la meilleure solution. La France ne ferme pas ses portes. Mais nous voulons discuter entre alliés : les ministres des Affaires étrangères et les chefs de Gouvernement et dEtat travailleront pour apprécier les objectifs. Nous ne voulons pas prendre une position particulière : nous voulons que lensemble du partenariat de lEurope et de lAlliance prenne une position cohérente, avec lobjectif de rétablir au Kosovo une cohabitation qui soit commune et sure entre plusieurs communautés.
RACHID ARAB
Le message est clair, mais vous dites également que la France ne fermerait pas ses portes ?
ALAIN RICHARD
Absolument. Vous avez vu que Jean-Pierre Chevènement a fait publier un communiqué dès hier après-midi, disant que les réfugiés ne seraient pas écartés en fonction des documents provisoires de séjour dont ils bénéficieraient, sils avaient un point daccueil.
RACHID ARAB
Sur le plan militaire, les Etats-Unis par la voix du président Clinton ont annoncé la nuit dernière le déploiement en Albanie de 24 hélicoptères Apache. Comme nous lévoquions en début de ce journal, ces appareils surnommés « tueurs de tanks « seront accompagnés dun contingent de 2 000 soldats. Pour le porte-parole du Pentagone américain, ces hélicoptères devraient permettre délargir la campagne aérienne. Il faut préciser que les hélicoptères Apache doivent voler à basse altitude et à faible vitesse pour être efficaces contre les blindés. Larrivée de ces hélicoptères ne signifie-t-elle pas un premier pas vers loffensive terrestre ?
ALAIN RICHARD
Elle signifie surtout que, depuis le début de notre engagement, une action graduée a été prévue pour affaiblir et paralyser progressivement les moyens offensifs et dagression de larmée yougoslave, afin de la réduire au Kosovo.
RACHID ARAB
Ces hélicoptères vont donc intervenir ?
ALAIN RICHARD
Nous savons que chacun souhaiterait que ceci aille encore plus vite. Il est inévitable que dans nos démocraties, certaines opinions fassent preuve de nervosité. Il faut simplement comprendre que si lon veut ne pas faire de victimes dans la population civile, ce qui a été le principe suivi jusquà maintenant et que si lon ne veut pas exposer de façon exagérée nos soldats, il est nécessaire dagir progressivement. Les forces militaires yougoslaves situées au Kosovo seront touchées par des frappes de plus en plus intenses, comme cela a été le cas aujourdhui.
RACHID ARAB
Alain Richard, vous dites quil y a plusieurs phases : loffensive terrestre est-elle toujours totalement exclue ?
ALAIN RICHARD
Nous travaillons pour réduire les forces qui agissent aujourdhui, qui tuent et qui favorisent les expulsions par la terreur. Nous préparons ce quil faut pour pouvoir arrêter ces forces.
PHILIPPE ROCHOT
Monsieur le ministre, on a limpression que loffensive aérienne sur Belgrade et sur toute la Yougoslavie a été bien préparée, mais que lon na pas préparé lintervention humanitaire. Cela veut-il dire que lon ne prévoyait ni la réaction de Milosevic, ni les événements actuels ?
ALAIN RICHARD
Cette impression ne serait pas exacte, si vous alliez au bout de votre raisonnement : il serait inimaginable que les principaux pays de lAlliance naient pas préparé cela. Ce qui est vrai, cest que lon ne pouvait pas établir des points daccueil de réfugiés avant le déclenchement de laction. Un régime autoritaire agresse sa propre population au moyen de son armée, régime auquel nous nous sommes opposés par des moyens politiques pendant des mois. Le voyant développer ses préparatifs, nous engageons donc laction. Si une critique me paraît utile, ce serait plutôt celle qui demanderait si nous naurions pas dû agir militairement plus tôt. Cette action vise maintenant à réduire de plus en plus la capacité de nuisance et dagression des forces yougoslaves. Les réfugiés arrivent au bout de quelques jours, voire de quelques heures : les moyens se mettent en place afin de les accueillir, de les soutenir et de rendre leur séjour acceptable pour les pays daccueil.
PHILIPPE ROCHOT
Mais ne pensait-on pas faire plier Milosevic plus rapidement ?
ALAIN RICHARD
Cest impossible à prévoir lorsque lon entre dans une telle opération. Il y a forcément une marge dincertitude durant cette période. Ce que nous continuons à dire, cest que cette démarche demande de la ténacité et quil ne faut surtout pas changer davis en quelques jours. Cette action a besoin de continuité et de régularité. Dans nos démocraties, le débat est permanent, vous le savez mieux que personne. Milosevic, lui, a fait disparaître tous les médias indépendants du territoire yougoslave dans son ensemble, dès le déclenchement des opérations, parce quil a beaucoup à cacher, y compris sur la réalité de ce qui se passe dans ce pays. Nous, nous devons en permanence expliquer et montrer la progression de laction. Je demande simplement que lon tienne compte du délai normal de réalisation de ces objectifs militaires.
RACHID ARAB
Une dernière question, si vous le permettez. La France, on laura compris, prône le retour des réfugiés kosovars chez eux : quand et comment cela sera-t-il possible ?
ALAIN RICHARD
Quand les conditions dune solution politique seront établies. Je rappelle que la négociation qui avait abouti à laccord avec les représentants des Kosovars sétait faite sous la pression de lemploi de la force et que les actes dengagements avaient été délibérés par les gouvernements au mois doctobre. Nous savons quil faut poursuivre. Le rapport de force est en train de changer : Milosevic peut compter tous les jours les unités et les moyens de mouvements quil perd ainsi que la réduction de sa capacité. Il va forcément se passer un moment où le dialogue politique pourra se faire dans le respect de nos impératifs, cest-à-dire remettre au Kosovo plusieurs communautés qui vivront ensemble dans la sécurité.
RACHID ARAB
La voie diplomatique nest donc pas fermée ?
ALAIN RICHARD
Elle souvrira dès linstant où elle ne se fera pas aux conditions de Milosevic.
(Source http ://www.defense.gouv.fr, le 8 avril 1999)
INTERVIEW A RTL :
OLIVIER MAZEROLLE
Bonjour Alain Richard.
ALAIN RICHARD
Bonjour.
OLIVIER MAZEROLLE
Vous avez dit hier soir sur TF1 être convaincu que les pays de lAlliance Atlantique parviendraient à harmoniser leurs positions sur la question des réfugiés, mais sur quelles bases ?
ALAIN RICHARD
Je crois quil faudra tenir compte de deux réalités. Dune part, ces réfugiés, quoique jhésite à les appeler réfugiés, sont des personnes déportées par la violence hors de leur province dappartenance. Ces personnes ont donc pour vocation de revenir dans un Kosovo pluri-éthnique et sécurisé. La gestion de leur situation et le soutien que lon doit leur apporter tiennent dabord compte de cela. Tout le monde en est daccord. Deuxièmement, pendant la période où lon doit les soutenir, il faut que leurs conditions de vie soient correctes et que nous fassions correctement face à lurgence humanitaire. Nous pensons quen apportant laide massive que nous développons en Albanie et en Macédoine, dans une relation de confiance avec les dirigeants de ces deux pays, nous avons la meilleure solution. Nous avons des partenaires : lItalie et la Grande-Bretagne partagent notre approche. Dautres partenaires pensent quil faut, pour aider les pays daccueil, emmener des personnes déplacées hors de la zone. Nous ne désirons pas cette solution.
OLIVIER MAZEROLLE
Mais arrivera-t-on à se mettre daccord ?
ALAIN RICHARD
Oui, on se partagera les rôles.
OLIVIER MAZEROLLE
Allez-vous pouvoir tenir longtemps face aux critiques des organisations humanitaires qui appartiennent pour une bonne partie à la gauche politique ?
ALAIN RICHARD
Non, il y a des organisations qui ont eu pour thème, en politique intérieure française, de défendre limmigration et qui ne sont pas favorables à notre position. Mais les organisations humanitaires qui soccupent de réfugiés et de personnes déplacées comprennent et soutiennent notre position.
OLIVIER MAZEROLLE
Comment les Kosovars pourraient-ils rentrer chez eux ?
ALAIN RICHARD
Les militaires français, comme dans beaucoup de crises, sont les premiers et les plus efficaces pour mettre en place le soutien humanitaire. On retrouve ce rapport de partenariat confiant entre les militaires et les organisations humanitaires.
OLIVIER MAZEROLLE
Avec des rotations davions notamment. Mais comment les Kosovars vont-ils pouvoir rentrer chez eux si leurs maisons sont détruites ?
ALAIN RICHARD
Sil ne restait que ce problème, nous serions contents : lobjectif, depuis le début, est darrêter la violence dirigée par les autorités serbes contre leur propre population pour expulser ces gens. Nous menons laction militaire, nous réduisons et paralysons progressivement tout loutil de répression de Monsieur Milosevic.
OLIVIER MAZEROLLE
Mais sils nont plus de maison, ils ne pourront pas rentrer.
ALAIN RICHARD
Ce nest pas un problème. Ne vous cantonnez pas à ce problème strictement matériel. Si nous parvenons, comme nous le souhaitons, à un règlement politique qui comporte la réinstallation des Kosovars, il y aura une action de reconstruction que vous trouverez normale à ce moment.
OLIVIER MAZEROLLE
Faire stopper la violence, soit : on dirait que le constat est simple et facile à faire. Mais cette violence saccomplit sous les yeux de militaires de lOTAN qui se trouvent juste de lautre coté de la frontière en Macédoine, parmi lesquels il y a 2 500 soldats français : ny a-t-il pas un décalage ? Dun coté, on dit que lon va arrêter la violence et de lautre, celle-ci saccomplit sous les yeux des militaires.
ALAIN RICHARD
Oui, mais si on improvisait une opération terrestre avec des moyens insuffisants alors que les conditions ne sont pas préparées, vous seriez fondé à critiquer limprovisation. La réalité est que ces frappes aériennes doivent être « phasées » pour réduire la capacité agressive de la Serbie, sans toucher la population civile. Vous imaginez bien quil naurait pas été possible de déclencher une offensive terrestre avant des semaines et sil y avait une offensive terrestre, alors quil reste énormément de populations civiles réparties au Kosovo, on aurait forcément rencontré des pertes dramatiques dans la population civile. La procédure qui a été prise est naturellement critiquée parce que cela fait partie de la vie des démocraties. Observez au passage que les Serbes nont pas de problèmes de ce type puisquil ny a plus aucun observateur indépendant. Notre méthode est la plus rationnelle et la moins coûteuse en vies humaines pour arrêter la démarche doppression des autorités serbes.
OLIVIER MAZEROLLE
Et pourtant, certains vous diront quen Bosnie par exemple, les soldats, particulièrement les soldats français, ont fait preuve de leur savoir-faire lorsquil sagissait de sinterposer.
ALAIN RICHARD
Mais il nest pas question dinterposition. Nous en sommes à la période où il nous faut arrêter un processus de terreur.
OLIVIER MAZEROLLE
On ne peut pas sinterposer ?
ALAIN RICHARD
Non. Il faut avoir déjà arrêté la marche offensive dune des parties : cest ce que nous sommes en train de faire à lencontre de la Serbie. Il faut que les représentants des médias indépendants reconnaissent quil y a un rythme et quon ne peut pas faire preuve en permanence dimpatience parce que ce serait la voie de la myopie.
OLIVIER MAZEROLLE
Mais sil y a un accord avec les Serbes, un déploiement des forces dinterposition pourrait navoir jamais lieu ?
ALAIN RICHARD
Ce quil faut, cest retrouver laccord de la Yougoslavie dans un autre rapport de force. Chacun a compris, Monsieur Mazerolle, que nous sommes depuis le début en face dune action de force. La guerre sévissait au Kosovo avant les frappes et lobjet de lintervention des Européens et des Américains est darrêter cette guerre. Nous sommes aujourdhui face à une force brute quil faut casser : cest ce que nous sommes en train de faire. Je me permets de vous recommander un tout petit peu de patience parce que si les démocraties sont fébriles, si elles changent dopinion toutes les 24 heures à la suite dun épisode, les dictatures ont alors gagné.
OLIVIER MAZEROLLE
Le porte-parole de lOTAN disait quà ce rythme, dans 10 ou 20 jours, le Kosovo sera totalement vidé de ses habitants de souche albanaise ?
ALAIN RICHARD
Je crois quil sest prononcé un peu vite.
OLIVIER MAZEROLLE
Vous croyez que cela natteindra pas ce stade ?
ALAIN RICHARD
Je ne fais pas de pronostic.
OLIVIER MAZEROLLE
La guerre pourrait encore durer dans 10 ou 20 jours ?
ALAIN RICHARD
Les frappes aériennes se poursuivront jusquà paralyser lappareil militaire et répressif serbe : cest indispensable si lon veut que lautorité serbe change de position. Si quelquun a une solution plus rapide ou que la persuasion et la dialogue amical avec lautorité serbe peut savérer utile, même si personne ny est parvenu depuis un an, il peut toujours sy essayer. Mais la réalité est un rapport de force.
OLIVIER MAZEROLLE
Le 23 avril, cest-à-dire dans un peu plus de deux semaines, lAlliance Atlantique doit célébrer son 50ème anniversaire à Washington. Est-il possible denvisager quelle le célèbre sans avoir atteint au moins lun de ces deux objectifs.
ALAIN RICHARD
LEurope est ce qui est important à nos yeux. LOTAN nest quun outil technique dans lequel nous souhaitons que les Européens jouent un rôle plus important. Je pense dailleurs que cela sera discuté au sommet de Washington. Mais très franchement, si un tel anniversaire était célébré à un moment où lon a une action en cours, menée de façon solidaire et réfléchie, je ne vois pas où serait le problème.
OLIVIER MAZEROLLE
Quattendez-vous exactement ? Que Milosevic cède brusquement ?
ALAIN RICHARD
Non, vous savez aussi bien que moi en me posant cette question que ce nest pas ainsi que cela se passera. Au moment où Milosevic considérera que la situation menace trop son pouvoir, car cest de cette manière que pense Milosevic, ainsi que linfluence internationale de son pays, il cherchera un compromis qui tiendra compte des valeurs des Européens. Parlons de temps en temps des valeurs des Européens : il sagit de permettre aux Kosovars de vivre au Kosovo dans la sécurité de telle sorte quil ny ait plus dapartheid organisée par la terreur sur notre continent ! Je crois que Milosevic y viendra, mais hélas, nous sommes obligés de constater rationnellement quil ny viendra que par la force.
(Source http ://www.defense.gouv.fr, le 8 avril 1999)