Interview de M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative à LCI le 27 octobre 2011, sur la crise économique européenne, la réforme des collèges et l'évaluation des élèves en maternelle.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral


 
 
 
JULIEN ARNAUD Merci d’être là. Avant de parler d’école, parlons un petit peu d’Europe. Un accord a été trouvé hier soir à Bruxelles, est-ce que ça y est, cette fois l’euro est sauvé pour de bon et on n’aura pas, dans 15 jours, un autre « sommet » de la dernière chance ?
 
LUC CHATEL Ecoutez, en tout cas il y a un accord, c'est quelque chose de très important.
 
JULIEN ARNAUD Oui.
 
LUC CHATEL Je crois que l’on peut dire ce matin que les dirigeants européens ont été à la hauteur des enjeux, des évènements, et c’était essentiel, parce que nous sommes dans une crise sans précédent, qui est bien sûr une crise de la monnaie, de l’endettement, mais qui touche chacun de nos concitoyens.
 
JULIEN ARNAUD A la hauteur mais dans le fonds, il y aura mille milliards, alors que les marchés demandaient 2 000 et sur les banques, le FMI demandait 200 milliards, et finalement 100 milliards.
 
LUC CHATEL Ecoutez, chacun ira de ses commentaires pour dire que l’on a été trop loin pour certains, pas assez pour d’autres. Ce que je constate, c'est qu’il y a un accord, et encore hier, beaucoup d’observateurs doutaient de la capacité des dirigeants européens à se mettre d’accord, donc il y a eu une vraie volonté politique, moi je ne peux que m’en féliciter, les dirigeants européens ont montré que lorsque l’Europe est capable de parler d’une seule voix, lorsqu’il y a une volonté politique, lorsqu’il y a de la détermination, eh bien ça marche, on obtient des résultats, et c'est ça qu’il faut retenir.
 
JULIEN ARNAUD Nicolas SARKOZY sera à la télévision ce soir, il y aura sans doute des nouvelles annonces économiques. Souhaitez-vous une hausse de la TVA ?
 
LUC CHATEL Moi, je n’ai pas à souhaiter ou ne pas souhaiter, je ne suis pas ministre du Budget, je ne suis pas ministre de l’Economie. Le président de la République s’expliquera d’abord devant les Français pour replacer en perspective cette crise qui peut paraitre lointaine, quand on parle de Fonds de recapitalisation des banques, quand on parle d’annulation d’une partie de la dette grecque, c'est vrai qu’à Chaumont, ça peut paraitre un peu lointain, or, ça touche...
 
JULIEN ARNAUD En revanche, la TVA, à Chaumont, ça parle.
 
LUC CHATEL Absolument, parce que cette crise, elle a des conséquences sur l’activité économique française, sur le budget de la Nation, et donc le président de la République replacera en perspectives tout cela, en rappelant l’effort de maitrise de la dépense publique que nous avons engagé, qui est très important. Aujourd'hui, nos Etats sont endettés, et nous devons, coûte que coûte, contenir cet endettement, réduire la dépense publique, pour sortir de cette zone de turbulences.
 
JULIEN ARNAUD Alors, vous n’êtes pas ministre de l’Economie, effectivement, mais les sujets sont transversaux et le chômage, par exemple, il a augmenté hier, parlons du chômage des jeunes. Un récent reportage aux Pays Bas, montrait qu’il y avait beaucoup moins de chômage des jeunes aux Pays- Bas qu’en France parce que l’orientation arrivait de façon beaucoup plus précoce à l’école, dès le collège, dès 12 ou 13 ans, en France, on n’y est pas du tout. Est-ce qu’il faut aller dans cette direction-là, d’après vous ?
 
LUC CHATEL Il faut aller, et c'est le choix que nous avons fait avec la réforme du lycée, vers une orientation beaucoup plus progressive, réversible, qui accepte d’ailleurs le droit à l’erreur, on a le droit à 12 ans de ne pas savoir ce que l’on va faire dans la vie, on a le droit de se tromper, on a le droit de faire un choix à 14 ans, et puis à 16 ans, de s’apercevoir que ce n'est pas forcément la bonne voie. Donc, tout le système que nous avons mis en place avec la réforme du lycée, vise à une orientation beaucoup plus progressive, accompagnée...
 
JULIEN ARNAUD Mais, à 12 ans, on est au collège.
 
LUC CHATEL Oui, à 12 ans, on est au collège, mais le lycée, vous savez, aujourd'hui, il y avait une pré-orientation à la fin du collège, qui une information importante, et l’idée c’est que, après, au lycée, si on a une erreur d’orientation, eh bien on puisse la corriger, changer de série, changer de filière technologique à filière professionnelle.
 
JULIEN ARNAUD Mais est-ce qu’il faut commencer dès le collège et dire une bonne fois pour toutes : le mythe du collège unique, c'est terminé ?
 
LUC CHATEL Je pense que, plutôt que de collège unique, il nous faut parler de collège pour tous. Ça a été une avancée considérable qu’il y ait 100 % d’une classe d’âge au collège, et il ne faut pas la remettre en cause. Simplement, au moment où nous avons entamé un processus dit de personnalisation des parcours, c'est-à-dire nous adapter, adapter la pédagogie, adapter l’organisation du système éducatif à chaque élève, pour qu’il y ait bien en sortant, une solution pour chacun, et au moment où on fait cela, je pense que c'est important qu’au collège on réfléchisse à des parcours différenciés. Vous avez des élèves qui, dès 13 ans, montrent...
 
JULIEN ARNAUD Donc, hors collège unique.
 
LUC CHATEL Non, l’idée, c'est : tout le monde au collège, mais des parcours différenciés, c'est-à-dire que par exemple, et nous avons commencé à l’expérimenter cette année, dès la 4ème ou en 3ème, eh bien, un parcours qui permet davantage de découverte de l’entreprise, qui permet une pré-orientation vers le professionnel, mais qui doit être réversible. Il ne faut pas, à 12 ans, orienter tout le monde vers une filière dont on ne peut pas sortir.
 
JULIEN ARNAUD Qu’en est-il de l’évaluation dès la maternelle ?
 
LUC CHATEL Alors, juste un mot, il ne s’agit pas d’une évaluation au sens de celle que nous pratiquons en CE1, ou en CM2, évaluation qui nous permet de centraliser des résultats au niveau national, d’effectuer des statistiques, et de mesurer les performances de notre système éducatif. Non, il s’agit d’un repérage précoce de la difficulté scolaire. On ne peut pas s’indigner qu’il y ait environ 15 % d’élèves qui quittent le premier degré, sans maitriser parfaitement la lecture et l’écriture, ce qui est le cas aujourd'hui, et ne pas nous mobiliser totalement sur le repérage précoce de la difficulté. Tous les spécialistes du langage vous expliquent que tout se passe en entrant au cours préparatoire et à la fin de la grande section de maternelle. Donc, c'est important que, à cet âge-là, on mobilise des moyens pour repérer les élèves qui auront des difficultés à lire.
 
JULIEN ARNAUD D’accord.
 
LUC CHATEL C'est ce que nous allons faire.
 
JULIEN ARNAUD Parlons des professeurs. Est-ce que dans le contexte économique actuel, c'est logique d’imaginer que les professeurs sensés être les meilleurs, c'est-à-dire les agrégés, par exemple, travaillent moins d’heures et soient payés plus que les autres ?
 
LUC CHATEL Ecoutez, ce qui est normal c'est qu’il y ait un statut qui correspond au niveau d’études, au niveau de diplômes, de concours, qu’ont passés les professeurs. Maintenant, je crois qu’il sera...
 
JULIEN ARNAUD Oui, mais on peut se dire qu’ils peuvent aussi dispenser plus d’heures de cours que les autres, pour faire profiter plus d’élèves de leur savoir.
 
LUC CHATEL Je crois que le vrai sujet, c'est que, aujourd'hui, tous les textes qui régissent, qui encadrent le statut des enseignants, datent de 1950. Donc, il n’est pas interdit que, par exemple, au cours de la prochaine campagne présidentielle, qui va être un grand débat devant les Français, on réfléchisse d’abord à l’évolution de l’école, qu'est-ce que l’on attend de l’école aujourd'hui, et une fois que l’on aura répondu à cette question, à l’évolution du métier d’enseignant...
 
JULIEN ARNAUD Et du statut.
 
LUC CHATEL Le travail, le métier d’enseignant et donc de son statut. Le travail de l’enseignant n'est pas le même aujourd'hui, qu’en 1950, lorsque les décrets sont sortis. A l’époque, l’enseignant était avant tout un instructeur, il était là pour transmettre le savoir, et il l’est toujours, mais on attend aussi de l’enseignant qu’il soit là en accompagnement, qu’il effectue du soutien scolaire, qu’il travaille en équipe pédagogique. Donc, c'est de tout ça dont il faut réfléchir, et le candidat que je soutiendrais, je pense, fera un certain nombre de propositions dans ce domaine.
 
JULIEN ARNAUD Un autre candidat, ça sera François HOLLANDE et il a prévu, lui, 60 000 postes dans l’Education nationale, pendant le quinquennat. Est-ce que c'est faisable ?
 
LUC CHATEL C'est une fable. C'est une fable parce que, d’abord c'est impossible techniquement, il faudrait recruter pour aller dans le sens de la proposition de François HOLLANDE, il faudrait recruter chaque année 40 000 enseignants dans l’Education nationale...
 
JULIEN ARNAUD Il ne parle pas que d’enseignants, lui, hein, dans les 60 000 postes, ce n'est pas que enseignants, il est plus large que ça.
 
LUC CHATEL Il est en train de faire un virage sur l’aile, parce qu’il se rend compte de l’absurdité de sa proposition, mais au départ, c’était bien, 60 000 enseignants. Il faudrait recruter 40 000 professeurs par an, si vous voulez en plus remplacer les départs en retraite, c’est exactement le nombre de candidats qui passent le concours aujourd'hui. On ne va pas recruter 100 % des candidats, c'est absurde. Et puis surtout, c'est irresponsable au regard de ce qui s'est passé cette nuit à Bruxelles, 18 milliards de dépenses supplémentaires, c'est irresponsable. Alors, monsieur SAPIN nous explique aujourd'hui : « Mais on va les prendre ailleurs », mais où ? Les Français ont le droit de savoir ! Ils vont retirer 60 000 policiers ?
 
JULIEN ARNAUD Il nous reste 20 secondes...
 
LUC CHATEL 60 000 infirmières ?
 
JULIEN ARNAUD Il nous reste quelques secondes...
 
LUC CHATEL C’est absurde.
 
JULIEN ARNAUD Luc CHATEL, deux réponses, très courtes, s’il vous plait. Sur la théorie du genre, vous avez été interpellé par certains députés, est-ce que cette théorie fera l’objet de questions au baccalauréat, oui ou non ?
 
LUC CHATEL La théorie du genre ne figure pas dans les programmes de Sciences de la vie et de la terre, qui sont dédiés à la sexualité, l’évolution de sa sexualité, à l’âge de l’adolescence c'est important à ce que l’on apprenne un certain nombre de choses dans ce domaine, elles figurent dans certains manuels, mais pas dans les programmes. Vous savez, les examens, ils sont basés sur le contenu des programmes.
 
JULIEN ARNAUD Luc CHATEL qui se prononce donc pour un débat pendant la présidentielle, notamment sur le statut des professeurs. Merci beaucoup.
 
LUC CHATEL Merci à vous.
 
Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement le 18 novembre 2011