Interview de M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative à Canal Plus le 30 novembre 2011, sur les propositions de l'UMP pour l'école, notamment le port de l'uniforme et la responsabilité pénale des jeunes dès l'âge de douze ans.

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Média : Canal Plus

Texte intégral


 
 
MAÏTENA BIRABEN Son projet pour l’école de l’après 2012 se dessine : moins de profs, évalués par leur chef d’établissement, et un organisme indépendant pour l’évaluation des élèves. Vincent PEILLON, monsieur éducation de l’autre côté, au PS, veut faire tout le contraire. Le débat est donc lancé alors que ressortent parfois quelques vieilles lunes, n’est-ce pas Luc CHATEL ?
 
CAROLINE ROUX Bonjour. Alors, dans la catégorie les vieilles lunes, l’uniforme. LUC CHATEL Je suis très impressionné, là.
 
MAÏTENA BIRABEN Y’a de quoi !
 
CAROLINE ROUX Donc, 2003, Xavier DARCOS en avait parlé ; 2004, François BAROIN ; 2009, re-Xavier DARCOS ; 2011, voilà que l’UMP le remet dans ses propositions pour l’école, repris par François FILLON qui défend ardemment cette proposition. Est-ce que cette proposition vous la défendez et est-ce qu’il faut qu’elle figure dans le projet présidentiel ?
 
LUC CHATEL Ce que vous dites montre que c’est une idée qui a fait son chemin, donc, oui, elle est dans le programme de l’UMP. Il faut bien expliquer aux téléspectateurs de quoi il s’agit. Il s’agit de proposer à des établissements scolaires qui sont volontaires d’expérimenter le port d’un uniforme ou d’un vêtement commun. Il faut bien expliquer que ça existe aujourd’hui, ça existe dans les établissements scolaires de l’Outre-Mer. Promenez-vous dans nos départements d’Outre-Mer, et vous verrez qu’il y a un uniforme pour les élèves des établissements scolaires. Ca existe aussi dans les lycées français de l’étranger, on a un vêtement unique. Et ça existe dans un certain nombre d’établissements privés sous contrat. Donc, c’est pas quelque chose qui arrive d’une autre planète.
 
CAROLINE ROUX Non, au contraire, c’est pas quelque chose qui arrive d’une autre planète, et puis c’est quelque chose dont vous parlez depuis très très longtemps. Est-ce que cette fois-ci vous considérez qu’il faut que ça figure, je vous repose ma question, dans le projet présidentiel ? Est-ce que vous y tenez ?
 
LUC CHATEL Mais je vous ai répondu, oui. Ca figure dans le projet de l’UMP. Ensuite, ça sera au candidat de se prononcer, comme sur tous les sujets. Le parti majoritaire il est là pour faire un certain nombre de propositions, pour organiser le débat, et il le fait, nous l’avons fait hier soir à Lyon dans le cadre d’une convention sur tous les thèmes régaliens. Dans le programme de l’UMP figure cette proposition. Ensuite, ça sera à notre candidat de se prononcer sur chaque proposition.
 
CAROLINE ROUX Alors, au-delà des expérimentations, généraliser, quoi, dans le primaire, au collège ou au lycée ?
 
LUC CHATEL Non, ce n’est pas la proposition. La proposition c’est bien l’expérimentation sur la base du volontariat. Donc, l’idée c’est que par exemple conseil d’administration du lycée se réunisse et dise oui ou non il est d’accord pour l’expérimenter.
 
CAROLINE ROUX Pourquoi vous y croyez à cette proposition, au fond ? Est-ce que vous trouvez qu’il y a moins de différences entre Maïtena et moi parce qu’on est en uniforme ?
 
LUC CHATEL Parce que je pense qu’aujourd’hui c’est une vraie préoccupation des parents. Je ne sais pas si vous avez des adolescents, moi j’ai des adolescentes. Aujourd’hui, vous avez un phénomène qui s’appelle la dictature des marques, où les jeunes filles, et même les garçons, sont obsédés par le vêtement du voisin, par le vêtement de marque et autres, et je pense...
 
CAROLINE ROUX … et en quoi ça les empêche, pardonnez-moi de vous couper, de bien apprendre à l’école ? Pourquoi c’est un problème ?
 
LUC CHATEL Ben, c’est un problème pour les parents qui sont dans une logique de parfois de surenchère d’achat de fournitures et autres. Et je pense que c’est bien qu’il y ait une égalité entre l’ensemble des élèves et que on ait un vêtement commun, un vêtement unique. Mais encore une fois, on ne va pas l’imposer à tous les élèves de France. Il y a des parents qui sont pour, il y a des parents qui sont moins pour, eh bien laissons-les décider dans le cadre d’une expérimentation et sur la base du volontariat des établissements scolaires. C’est notre méthode.
 
CAROLINE ROUX Ce que je ne comprends pas c’est en quoi ça peut servir, on parlait du pacte républicain, j’entendais François FILLON dire c’est important pour les valeurs républicaines. On va se rattraper sur les chaussures de marque, sur les montres de marque, sur les stylos de marque. En quoi c’est important d’insister sur ce point, pas pour sauver l’école, mais pour donner des valeurs à l’école ? Pourquoi vous comptez là-dessus, qui paraît être, pardonnez-moi, un gadget ?
 
LUC CHATEL Non, ce n’est pas un gadget. A l’école…d’abord, c’est une proposition parmi une trentaine que nous faisons à l’UMP, et c’est pas la plus importante. Elle est peut-être symbolique. Si vous voulez, l’école c’est évidemment le lieu de transmission des savoirs, et c’est d’abord ça, et c’est pour ça qu’on a réformé l’école primaire pour la recentrer sur les fondamentaux, c’est pour ça qu’on met en place une aide personnalisée pour chaque enfant qui a des difficultés. Mais, en même temps, c’est un lieu de vie où on apprend la vie en société. C’est pour ça que j’ai voulu qu’on revienne à l’instruction morale par exemple, c’est quelque chose de très important, c’est pour ça qu’on a remis en place l’éducation civique, et c’est pour ça que l’uniforme ça peut s’inscrire dans ce cadre-là.
 
CAROLINE ROUX Alors, si vous voulez bien, on va plutôt se tourner vers l’après, vers l’après 2012.
 
LUC CHATEL Ok.
 
CAROLINE ROUX C’est pour ça que vous êtes avec nous ce matin. Une autre proposition défendue par l’UMP, c’est la fin du collège unique, mis en place en 75. Vous défendez cette proposition ? C’est l’idée d’une personnalisation des parcours.
 
LUC CHATEL Alors, il faut bien expliquer de quoi il s’agit. Il ne s’agit pas de supprimer la loi Haby qui fait qu’il y a 100 % d’élèves au collège. C’est plutôt le terme collège unique qui avait été utilisé à l’époque qui ne convient plus à la situation d’aujourd’hui. Puisque aujourd’hui, effectivement, nous avons entamé une politique de personnalisation, chaque enfant est unique. Donc, il faut qu’on ait une réponse adaptée à chaque enfant, et il ne faut pas que tous les enfants aient le même parcours systématique. Donc, oui, il faut 100 % d’une génération au collège, mais il faut sans doute à partir de la 4e différencier davantage les parcours, c’est-à-dire leur proposer, ceux qui ont du mal à suivre dans un certain nombre de matières, leur proposer déjà une orientation vers des filières professionnelles, mais une pré-orientation.
 
CAROLINE ROUX Très tôt ! Dès 14 ans, c’est tôt !
 
LUC CHATEL Mais, une pré-orientation qui doit être réversible. Je suis contre l’orientation précoce de manière irréversible à 12 ans. Je pense qu’il faut diversifier les parcours de formation, mais il faut que le processus d’orientation ne change pas et qu’il y ait bien lieu à la fin du collège.
 
CAROLINE ROUX Alors, une autre question qui a été évoquée et qui fait la Une de l’actualité ce matin, c’était l’idée de sanctionner par des réparations les actes commis dès l’âge de 12 ans. Pas 13 ans, comme c’était le cas, dès l’âge de 12 ans, avec l’accord des parents. Est-ce que vous êtes favorable à cette proposition ? Il y a une partie du gouvernement qui est opposée.
 
LUC CHATEL Oui, il y a un vrai débat, mais tant mieux, si vous voulez. Je pense que la question de la délinquance des mineurs sera au coeur de la campagne, au coeur des…On voit bien, dans les sujets de délinquance aujourd’hui, les jeune ont changé, et donc il faut que nos réponses en matière juridique et pénale changent.
 
CAROLINE ROUX Celle-ci c’est la bonne réponse, Luc CHATEL ?
 
LUC CHATEL Donc, moi, je pense que tenir compte de l’évolution de la société aujourd’hui… vous savez, un jeune de 12 ans c’est plus un jeune de 12 ans d’il y a 25 ou 30 ans.
 
CAROLINE ROUX Ah bon ? Il est comment le jeune de 12 ans aujourd’hui ?
 
LUC CHATEL Vous avez des jeunes de 12 ans qui ont l’impression…qui, physiquement, sont de vrais adolescents, et vous avez aujourd’hui des actes graves qui sont commis par des mineurs. 12-13 ans, je pense que c’est bien que l’UMP lance le débat, voilà. En tout cas, le débat il se passe chez nous.
 
CAROLINE ROUX Mais vous, personnellement, vous êtes favorable à cette mesure, c’est ce que j’essaie de savoir ?
 
LUC CHATEL Moi, je ne suis pas opposé à une mesure qui adapte notre code pénal à l’évolution de la société et qui donne de nouvelles armes pour combattre la délinquance des mineurs.
 
CAROLINE ROUX Celle-ci en particulier ?
 
LUC CHATEL Ca va être un sujet, et celle-ci en particulier.
 
CAROLINE ROUX Celle-ci en particulier. Alors, il y a eu une interview que vous avez dû lire avec beaucoup d’attention, c’est celle de Vincent PEILLON qui est en charge des questions de l’éducation auprès de François HOLLANDE. Et il a eu une phrase que nous on a notée, « L’école pour la droite, c’est un coût ; pour nous, c’est un investissement ». Est-ce que vous résumeriez, au fond, le choix qui va se poser, en 2012, sur la question de l’école entre la droite et la gauche ?
 
LUC CHATEL Mais, monsieur PEILLON, qui est lui-même professeur, devrait revenir un peu plus dans nos établissements scolaires, plutôt que de dire, d’affirmer de telles contrevérités. La vérité c’est que, vous savez, aujourd’hui, il y a plus de professeurs qu’il y en avait quand monsieur PEILLON soutenait par exemple monsieur JOSPIN, ministre de l’Education nationale, il y a vingt ans, alors qu’il y a moins d’élèves. Donc, on a un taux d’encadrement qui est plus élevé. Et aujourd’hui, la France elle investit plus dans son système éducatif que la moyenne des pays de l’OCDE, que la moyenne des pays de l’Union européenne. Donc, le sujet c’est pas les moyens. Le sujet c’est la capacité à répartir les moyens au bon endroit. C’est par exemple ce que nous faisons quand nous créons des établissements de réinsertion scolaire. Tout à l’heure, on parlait délinquance des mineurs, on a apporté…
 
CAROLINE ROUX …80 000 suppressions de postes de 2007 à 2012.
 
LUC CHATEL 60…non, dans l’Education nationale, au total on devrait…non remplacement d’un fonctionnaire sur deux, mais Caroline ROUX c’est ça qui nous a permis d’augmenter de 18 % les enseignants en début de carrière.
 
CAROLINE ROUX La question c’est est-ce que vous voulez investir dans l’Education nationale ?
 
LUC CHATEL Oui.
 
CAROLINE ROUX Est-ce qu’en 2012 il faudra investir dans l’Education nationale ?
 
LUC CHATEL Mais nous investissons. L’Education nationale est le premier budget de la nation, c’est 20 % du budget de l’Etat.
 
CAROLINE ROUX Mais quand on vous entend, on dit c’est trop, non ?
 
LUC CHATEL Depuis 1980, le budget par élève a augmenté de 80 %. Donc, nier cela c’est nier l’évidence. Maintenant, il y a deux visions de l’éducation, il y a ceux qui pensent que ce n’est que du quantitatif, monsieur PEILLON et monsieur HOLLANDE, et qui répondent uniquement par la création de nouveaux postes, ce qui est absolument irréaliste ; et il y a de l’autre ceux qui considèrent qu’il faut mieux valoriser, revaloriser les enseignants, ce que nous faisons. Nous venons de passer le cap symbolique des 2 000 € pour la première fiche de paie des enseignants. Ca, c’est un signal très fort pour la revalorisation du métier d’enseignant.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 8 décembre 2011