Déclaration de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur la préparation de la 3ème conférence de Barcelone sur l'aide européenne aux pays méditerranéens, la place des ONG dans le processus et l'importance de la coopération interrégionale, Paris le 12 avril 1999.

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Circonstance : Table ronde Euromed à Paris le 12 avril 1999

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Permettez-moi, au nom dHubert Védrine et en mon nom personnel, de vous souhaiter la bienvenue dans ce Centre de conférences internationales où vous allez débattre des relations de lUnion européenne avec les pays tiers méditerranéens.
Vous le savez bien, parmi toutes les fenêtres maritimes de la France, lespace méditerranéen nous est particulièrement proche et familier. Ce sont en effet des liens millénaires, faits dapports réciproques, déchanges commerciaux, culturels, spirituels qui nous y rattachent. Cest dans ce creuset, au centre de deux océans et de trois continents, que sest épanouie ce que jappellerai une véritable « grammaire » des empires et des civilisations : jose ce terme de grammaire parce que, trop longtemps, nous avons, nous autres Européens, considéré que la Méditerranée était la matrice de toute civilisation. Ceux qui, comme moi, sont familiers désormais de lAfrique subsaharienne, de lAsie et des Amériques, savent bien que cest là une prétention exagérée, mais son existence même souligne bien la relation dintimité qui nous unit à cette zone.
Les civilisations et les constructions politiques nées sur le pourtour méditerranéen nont pas toujours - cest un euphémisme - entretenu des relations apaisées. Aujourdhui encore, la paix et la prospérité dans le bassin méditerranéen demeurent sujettes à de nombreuses incertitudes. Lunité de Chypre, les droits culturels des Kurdes, la souveraineté du Liban, lintégrité territoriale de la Syrie, la sécurité dIsraël, le droit du peuple palestinien à sautodéterminer, la réintégration de la Libye dans la communauté internationale, la violence en Algérie, lorganisation dun référendum au Sahara occidental et la stabilité des Balkans, avec le drame actuel du Kosovo, sont autant de préoccupations lancinantes pour les responsables et les opinions des pays concernés.
Mais laissez-moi vous dire que je ne suis pas un adepte des thèses développées par quelques ouvrages à la mode aux Etats-Unis sur le prétendu « choc des civilisations ». Au-delà des ruptures, je suis avant tout sensible à lhéritage que tous les riverains de la Méditerranée ont en commun, surtout maintenant que lépisode douloureux de la décolonisation est derrière nous. La Méditerranée a donc vocation à être un espace déchanges et de convergences pour les idées, les marchandises et finalement pour les hommes.
Encore faut-il rappeler que cet objectif sinscrit dans un contexte de profonde inégalité : le rapport des populations vivant sur les rivages nord et sud de la Méditerranée sest rigoureusement inversé en un demi-siècle, et, sur 450 millions de riverains, les deux tiers vivent aujourdhui au Sud, avec un PIB moyen par habitant de lordre de 600 dollars par an dans le pays le plus pauvre, ce qui est bien peu si on le rapporte au 20 000 dollars du pays le plus riche.
La France le sait bien, qui entretient une relation particulière à la Méditerranée et inscrit comme axe stratégique de sa politique extérieure laide au développement des pays du Sud. Comment sétonner dès lors que notre pays, lors de sa dernière présidence de lUnion en 1995, ait fait de la relance de la politique méditerranéenne une priorité ? De fait, depuis les années soixante-dix, la Méditerranée avait évolué, lUnion avait approfondi sa construction interne et souvrait à lEst. En un mot, les relations euro-méditerranéennes devaient être rénovées et rééquilibrées par rapport à lEst européen, et sinscrire dans une vision politique à long-terme.
Lancé à Barcelone en novembre 1995, le processus euro-méditerranéen a été conçu comme un partenariat global, politique, économique, commercial, culturel et humain. Les mots clés en sont « dialogue », « multiplication des échanges » et « participation des sociétés civiles.
Cest la raison pour laquelle nous avons pensé, à lapproche de la troisième Conférence euro-méditerranéenne des ministres des Affaires étrangères - dite Barcelone III - qui doit se tenir à Stuttgart les 15 et 16 avril et du forum civil qui laccompagne, quil fallait engager une réflexion de fond entre pouvoirs publics et ONG françaises participant à des échanges avec leurs homologues du sud de la Méditerranée.
La tradition de la diplomatie de notre pays a longtemps limité lengagement de la société civile française à ses aspects techniques ou à sa dimension de solidarité humanitaire. Lidée sest cependant progressivement imposée dune complémentarité des rôles et dune communauté dintérêts. Laction des ONG présentes dans le monde entier, et spécialement dans cette région qui nous est chère, apporte très certainement un vent de liberté, une ouverture sur ce que Fernand Braudel, en parlant de la Méditerranée, appelait « la vraie vie, féconde et drue, au-delà des bureaux de chancellerie ». Elle est aussi un acte invitant la société civile partenaire à sorganiser et à créer un espace propre, et donc un acte politique, en faveur du développement de la région.
En vous invitant à débattre et à partager à nos expériences, nous souhaitons tout dabord affirmer clairement que nous reconnaissons la qualité de votre apport et, en conséquence, nous mettre à votre écoute.
Demain, les réunions spécifiques organisées par nos postes de Rabat, Alger et Jérusalem témoigneront du soutien actif que la coopération française apporte depuis un certain nombre dannées aux processus dorganisation des sociétés civiles.
Dici quelques jours, je présiderai les Rencontres nationales de la coopération décentralisée. Les relations de coopération entre collectivités locales, qui favorisent, au delà de leur aspect technique, lapprentissage de la démocratie participative, sont un autre élément indispensable de ces échanges avec le Sud. Le ministère des Affaires étrangères encourage et soutient pour cette raison ces initiatives qui, si elles sont juridiquement dessence publique, ressortissent également à la sphère privée en ce quelles entraînent dans leur sillage des échanges entre associations. Vos réflexions dans ce domaine ne pourront quenrichir les recommandations de ces rencontres.
Plusieurs dentre vous savent quavant dêtre ministre, jai longtemps présidé le Conseil général des Côtes dArmor, et lai engagé dans une coopération en Pologne, au Vietnam, au Niger et en Tunisie. Cest ce qui mincite à vous parler aujourdhui ce langage : la plupart des élus qui participent à des coopérations apparemment techniques, avec des pays du Sud de la Méditerranée, ont parfaitement conscience également de participer au développement de la démocratie. Et les associations, les syndicats, les mutuelles, les structures hospitalières et universitaires, tous les types juridiques dONG, ont leur place dans ou en complément de ces partenariats.
Hubert Vedrine et moi-même avons souhaité constituer un « comité de pilotage » afin dorganiser une concertation entre le monde associatif et syndical sur le bilan du Processus de Barcelone et surtout de tracer des pistes pour lavenir. Lagenda diplomatique étant celui que jindiquais, il a donc rapidement été décidé de tenir une Table ronde, qui permettrait une première expression publique collective française sur le sujet. Cest elle qui nous réunit ici. Sept groupes de travail bénévolement animés par des responsables associatifs, se sont réunis depuis quelques mois, fournissant les notes dorientation qui figurent dans le dossier qui vous a été distribué au moment de votre inscription. Ces notes - dont je veux remercier les auteurs - nont dautre ambition que dalimenter le débat, mais je remarque dores et déjà quelles soulèvent une série de questions très importantes :
- sur larticulation entre la coopération bilatérale française et la coopération européenne : je salue au passage la présence parmi nous de deux représentants de la Commission. Notre objectif est clairement daller vers une plus grande complémentarité, à condition toutefois que les programmes européens prennent réellement leur rythme de croisière... ce qui nest pas encore tout-à-fait le cas de ceux qui concernent la Méditerranée !. Soyez assurés que la France semploie à en obtenir la relance.
- sur une prise en compte accrue des acteurs locaux du développement, dans chacun des pays partenaires, en vue dune meilleure appréciation des besoins des populations et, surtout, dune appropriation des programmes par leurs bénéficiaires : vous le savez, nous nous efforçons de faire évoluer notre coopération bilatérale en ce sens, en donnant un rôle croissant aux acteurs de la société civile. Nous ferons tout pour que les programmes communautaires évoluent également dans ce sens.
- sur les migrations : vous savez quil sagit dun dossier qui me préoccupe au premier chef. Je remercie les groupes de réflexion de militer en faveur dune plus grande reconnaissance de lapport des associations de migrants, et dune meilleure implication de celles-ci dans les projets de développement de leur région dorigine. Je mefforce de répondre à leur attente, mais il faut au préalable inscrire cette démarche dans un souci de plus grande cohérence des pouvoirs publics français et consulter les pays partenaires, qui ont leur propre vision des choses. Les projets des associations de migrants doivent-ils être individualisés ou être intégrés au sein des ONG de développement déjà existantes ? Voici le type de questions à laquelle je vous invite à réfléchir. Lidée dun Fonds abondé par les migrants et par un apport équivalent des pouvoirs publics a été lancée : nous devons en examiner la faisabilité. Jai également réuni récemment à Paris les responsables européens des questions migratoires pour les sensibiliser à ce dossier, les instances communautaires me semblant encore trop timorées à cet égard. Fin mai, lors de la réunion des ministres en charge du développement au sein des gouvernements de lUnion, jaurai à en rendre compte.
- et puis il y a une question complexe, sur laquelle il ny a pas de réponse simple, mais elle est posée par plusieurs de vos notes : cest celle de la liberté de circulation entre les deux rives de la Méditerranée. La loi Réséda du 11 mai 1998 a notablement amélioré la situation, même si elle na pas encore produit tous ses effets. Je vous mentirais si je vous disais que sur ce dossier, nous allons vous dire : « entièrement daccord ». Mais la France sattache à avoir une politique migratoire respectueuse des Droits de lHomme et soucieuse des échanges entre responsables des sociétés civiles. En collaboration avec la Mission de liaison avec les ONG, des visas sont accordés, selon des modalités accélérées, aux personnes invitées par les ONG françaises qui sont à même de se porter garantes des conditions exigées pour ladmission en France. Nous sommes prêts à étudier autant que faire se peut tous les cas en détail. Et si vous rencontrez des difficultés, nhésitez pas à nous le faire savoir.
- le renforcement des réseaux déchange en Méditerranée, que vous souhaitez, est pour nous une proposition tout à fait intéressante, pour laquelle nous avons besoin de votre aide. Car les réseaux qui existent déjà, grâce aux associations, aux centres de recherche, aux syndicats, sont sûrement plus dynamiques que ceux du secteur public.
- votre analyse, déjà riche, de linterculturalité, nous la partageons, même sil sagit dun véritable défi qui nous est lancé. Les associations qui militent dans ce sens sont nombreuses et ont des besoins dencadrement et de formation. Nous sommes prêts à en parler avec les grandes fédérations de léducation populaire.
- les critiques techniques et précises portées aux différents programmes européens concernant la jeunesse ont attiré notre attention. Lenjeu est de taille, puisquil sagit de la jeunesse, des échanges entre jeunes de sociétés différentes dont nous attendons compréhension, tolérance, mais peut-être quand même une vision du monde voisine.
Je vous ai parlé longuement et avec franchise, pour que vous soyez convaincus du fait que cest un véritable espace de dialogue que nous avons souhaité ouvrir en proposant cette concertation autour du Processus de Barcelone à la plate-forme française du Comité de liaison des ONG auprès de lUnion européenne. Et je veux dores et déjà en remercie tous les participants.
Je suis certain que vos travaux, auxquels vont participer un nombre élevé de responsables du ministère des Affaires étrangères, seront fructueux. Je ne pourrai malheureusement rester parmi vous au delà de cette allocution. Je dois en effet me rendre à Bruxelles pour rencontrer Mme Emma Bonino puis à Genève pour rencontre Mme Ogata, et vous savez pourquoi : cest le dossier du Kosovo qui nous obligent à nous réunir. Croyez pourtant que je compte bien me tenir informé de la suite de cette Table ronde.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 avril 1999)