Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur la diplomatie culturelle le réseau culturel à l'étranger et le rayonnement culturel, Paris le 12 décembre 2011.

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Circonstance : Colloque sur la diplomatie culturelle à Paris le 12 décembre 2011

Texte intégral

La carte de la diplomatie culturelle est en train de changer en profondeur.
Elle n'est plus seulement le fait de quelques vieilles nations, dont la nôtre, soucieuses de promouvoir une attractivité symbolique ; elle est désormais rejointe par des puissances que l'on s'obstine encore, par commodité, par habitude voire peut-être par déni de réalité, à appeler « émergentes ». Les vieilles puissances n'ont plus le monopole du « soft », et c'est tant mieux.
Soumise aux contraintes budgétaires, notre diplomatie culturelle doit désormais prendre en compte le développement des réseaux numériques, qui multiplient les points d'accès à notre offre culturelle, les modalités de la prescription, celles de la médiation.
La France dispose d'avantages considérables pour renouveler sa diplomatie culturelle. La taille et la qualité de son réseau culturel à l'étranger en sont une : ses services culturels, les Alliances, les Instituts, et désormais un nouvel établissement qui est en train de leur donner un nouveau souffle, l'Institut Français. Notre autre longueur d'avance, c'est l’importance que l’État accorde en France à la Culture. En proie à la crise économique et financière, la France, à la différence de bon nombre de ses partenaires européens, a fait le choix de ne pas traiter le budget de la Culture et de la Communication comme une variable d'ajustement. Si nous participons nous aussi à l'effort de rigueur budgétaire, nous avons maintenu l'essentiel de nos moyens, au service de domaines que nous considérons comme essentiels à la transmission de nos valeurs, à l'attractivité de nos territoires, au développement aussi de nos industries culturelles.
Dans des domaines dits « classiques » de notre action culturelle, comme la muséographie, l’architecture, la restauration du patrimoine, l’ingénierie culturelle, le spectacle vivant, j'ai pu mesurer, lors de mes nombreux déplacements internationaux, combien la France demeurait une référence. Les déclinistes de tout poil auront tôt fait d'y voir les restes éparts d'un capital symbolique acquis, à l'heure où la francophonie serait menacée, et où le mainstream des industries créatives prendraient le dessus... Seulement voilà, je ne crois pas aux queues de comète.
Ces dernières années, l’action internationale de nos grands établissements publics s'est considérablement développée. Nos scènes nationales et nos grands orchestres sont ainsi plus que jamais amenés à travailler à l’étranger, les collections de nos grands musées circulent dans le monde entier, la Bibliothèque Nationale de France multiplie les partenariats avec ses homologues. L’Institut National de l’Audiovisuel est aujourd’hui une référence internationale ; le Centre National de la Cinématographie et de l’image animée développe les accords de coproduction ; le Louvre d’Abu Dhabi est un projet sans précédent. J'y vois difficilement les traces d'un déclin annoncé.
Le Président de la République l’a encore exprimé avec vigueur récemment à Avignon : la place de la culture dans notre société n’est pas négociable, elle est un bien de première nécessité - parce qu'elle est la colonne vertébrale de la vie de la Cité, qu'elle constitue la part de rêve et d’imaginaire, de créativité, d’identité que chacun peut s’approprier ; parce qu'elle joue aussi un rôle d’indiscutable cohésion sociale, et qu'elle participe pleinement du champ économique. L’image culturelle de notre pays dans le monde est largement empreinte de cette perception de l’engagement ancien et du sens de la responsabilité des pouvoirs publics dans le domaine culturel - engagement qui s’est perpétué, et cela est très heureux, au fil des évolutions politiques.
Je voudrais revenir avec vous sur ce qui, à mes yeux, pourrait constituer quatre grandes priorités de notre diplomatie culturelle : la part des créations françaises sur les scènes artistiques internationales et le marché des industries culturelles ; la capacité de la France à accueillir et mettre en valeur les cultures étrangères ; la promotion des perspectives françaises en matière de politique culturelle, à une heure où les modèles économiques et les usages connaissent une transformation majeure avec le numérique ; la place de la culture dans les programmes d'aide au développement.

I. Notre action internationale, celle du ministère des Affaires étrangères et européenne et l'Institut Français, celle du ministère de la Culture et de la Communication et ses établissements publics, vise à accroître la part qu'occupent les créations françaises sur les scènes artistiques et sur le marché des industries culturelles à l'étranger.
En matière musicale, la présence d'artistes français sur les grands festivals internationaux de musiques actuelles atteignent des niveaux records, notamment au Japon, en Grande Bretagne et aux États-Unis. La volonté de développer un réseau de relais spécialisés du spectacle vivant et des arts plastiques dans les pays prescripteurs, portée par le milieu professionnel dans la suite des Entretiens de Valois et des Entretiens des Arts Plastiques, peut s'appuyer sur l’expérience positive du Bureau export de la musique française et de ses cinq antennes. L'objectif de ces bureaux, qui ont vocation à fonctionner en réseau, est d'offrir de nouveaux débouchés aux artistes français et de favoriser la mobilité des productions.
Pour sa part, mon ministère poursuit son soutien aux dispositifs existants à Berlin (danse et théâtre, arts plastiques) et à New York (arts visuels et spectacle vivant), ainsi qu’aux nouveaux bureaux crées en 2011, à Londres pour les arts plastiques et à Rome pour le théâtre et la musique. À titre d'exemple, la mise en place d’une structure légère au sein de l’Institut français de Rome doit faciliter, sur le modèle berlinois, les programmations croisées. Cette année, le nouveau bureau romain a ainsi pu mettre en oeuvre les cycles « Suona francese » et « Suona Italiano », opérations de diffusion croisée entre la France et l’Italie en partenariat avec les structures de diffusion et les conservatoires français, avec le soutien de nos deux ministères, et je viens à ce titre de signer avant-hier à Rome un accord avec mon homologue italien.
D’une façon générale, l’expertise de la France en matière d’ingénierie culturelle constitue une véritable valeur ajoutée au niveau international : des évènements pensés par les pouvoirs publics (État ou Collectivités locales) comme la Fête de la musique, la Nuit Blanche ou la Folle Journée de Nantes sont régulièrement repris, transformés, transposés par nos partenaires étrangers, souvent avec le soutien de l'Institut Français.
Contrairement aux idées reçues, il n’existe pas de déséquilibre entre la diffusion de nos équipes vers l’étranger et l’accueil en France des productions étrangères ; le travail de nos équipes et de nos artistes se diffuse plutôt bien, en particulier vers l’Europe. La formation et l’information des professionnels tout autant qu’une coopération renforcée entre réseaux professionnels français et étrangers sont les clefs d’une meilleure diffusion.
Dans le domaine du cinéma, le CNC, UNIRANCE, en lien avec nos postes oeuvrent à la diffusion de notre cinéma et à son rayonnement international.
Dans le domaine patrimonial, j'ai voulu engager un grand projet d'exposition itinérante dans des pays identifiés comme stratégiques: « Plaisirs de France ». La France se doit d’être présente dans des pays à l'influence croissante comme par exemple l’Azerbaïdjan et le Kazakhstan. Ce sont ces deux pays qui ont été choisis pour organiser au printemps 2012 une exposition itinérante inédite et unique par son envergure, donnant un panorama de la création et les idées françaises de la Renaissance à nos jours, avec des oeuvres issues des collections des plus grands musées français. Elle sera présentée au Musée des Beaux Arts de Bakou puis au Musées des beaux-arts d’Almaty.
En ce qui concerne l'exportation du savoir-faire de nos architectes, depuis 1996, le ministère de la Culture et de la Communication accompagne les efforts de la profession, en veillant au développement et à l'adoption des mécanismes financiers existants. La stratégie de l'association des Architectes français à l'export est de cibler ses actions sur des pays à fort potentiel de développement, comme le Brésil, la Chine ou le Vietnam.

II. La France offre dans le domaine culturel une expertise et une coopération largement reconnues ; elle joue un rôle majeur dans la mise en valeur et la promotion des cultures étrangères. C'est l'une des dimensions essentielles de notre action internationale.
Dans le domaine du cinéma, nous portons une attention particulière aux producteurs et distributeurs étrangers, ou au renouvellement des liens entre nos professionnels, comme l'illustrent le projet d'une nouvelle académie franco-russe du cinéma, la célébration à Cannes du 10ème anniversaire du mini traité franco-allemand en matière de cinéma, le soutien direct aux distributeurs étrangers, l’octroi d’aides financières sélectives aux distributeurs étrangers désirant sortir commercialement des films français, ou encore accords de coproduction cinématographique.
Via l’Institut Français et l’Office national de diffusion artistique, mon ministère soutient les dispositifs d’invitation des professionnels étrangers.
Au coeur de cette mise en valeur des cultures étrangères, le dispositif des Saisons culturelles occupe évidemment, depuis plus de vingt ans, une place majeure. Ce label reconnu et recherché sur le plan international, permet à la France de relancer, par la coopération culturelle, une diplomatie parfois freinée. Les Saisons, qui sont organisées en étroite collaboration avec le ministère des Affaires étrangères et l’Institut français, sont l’occasion de nouer avec les pays accueillis une coopération dans un grand nombre de secteurs, qui dépassent aujourd’hui le seul domaine culturel. La relance du dialogue économique, par l’implication des entreprises mécènes, dont la visibilité est accrue au travers des manifestations est aussi un volet important. Le succès de ces mises à l’honneur ne sont plus à démontrer, et le nombre croissant de pays partenaires se portant candidats pour bénéficier de l’organisation d’une saison, en sont la preuve.
Aujourd’hui, un temps fort avec la Tunisie, ou encore « Estonie tonique » festival estonien jusqu’à fin décembre 2011. Demain la Croatie (2012), la Lituanie avec « un voyage en Lituanie » en 2012, l’Afrique du Sud (2012 – 2013), le Vietnam (2013 – 2014), la Corée (2015 – 2016). Avec l'aide de l'Institut Français de Tunis, et en réponse aux demandes du ministère tunisien de la culture, un programme a été élaboré autour de plusieurs priorités comme le cinéma, le patrimoine, le livre et de la lecture publique, et le soutien aux artistes et créateurs tunisiens en France. Ce plan en faveur de la Tunisie a essentiellement permis la reconnaissance et la visibilité de la richesse culturelle et patrimoniale de la Tunisie, et du dynamisme de sa création. Il est surtout porteur de nombreux échanges entre professionnels de toutes disciplines, favorisant la confrontation des pratiques et préparant la professionnalisation des jeunes générations. Ces mises en réseau auront aussi un impact sur l'attractivité du pays, et sur le tourisme culturel.
Plus généralement, notre action s’appuie sur des programmes connus : « courants du monde », « profession culture » qui accueillent des professionnels étrangers de la culture. fortement qualifiés, sont amenés à exercer de hautes responsabilités dans leur pays d'origine ; il dispose d’un vaste réseau d'établissements d'enseignement supérieur dans le domaine artistique accueillant de nombreux étudiants étrangers qui accueille chaque année environ 4 000 étudiants étrangers (soit 11 % des effectifs environ) dans des domaines aussi variés que les métiers de l'architecture, du patrimoine, des arts plastiques, du spectacle vivant, du cinéma et de l'audiovisuel.
Ce secteur participe de la tradition d'accueil, par la France, de créateurs ou du moins de futurs créateurs, qui trouvent un terrain favorable à l'expression artistique. Le rayonnement culturel de la France en est renforcé à travers cette jeunesse également francophone.

III. Troisième grand objectif : dans un monde devenu multilatéral et multipolaire, il devient impératif de faire connaître et partager la vision de la France sur les grands défis auxquels est confrontée la culture, notamment le numérique. L’approche française, est soucieuse de préserver la diversité culturelle ainsi que le financement de la création artistique. En partageant notre approche avec mes homologues européens dans les enceintes européennes ou avec et de nombreux autres pays tiers, comme l’a montré le G8 élargi sur la création artistique à l’heure d’Internet, nous pouvons sans relâche faire oeuvre de pédagogie et susciter ainsi l'émergence de préoccupations partagées sur les questions culturelles.
La France a notamment suscité la création, en 2010, d’un Comité des Sages européens qui a formulé des recommandations aux 27 pays européens sur les enjeux de numérisation. Cela a permis de jeter les bases d’une réflexion commune, sur laquelle peuvent venir s’adosser plusieurs dossiers importants: la promotion d’une approche globale de l'écosystème culturel. J’ai proposé à mes homologues européens, en mai dernier, un Décalogue pour l'Europe de la culture = un texte fédérateur rappelant les grands principes auxquels nous sommes attachés pour que vive la création en Europe.
- Nous avons également suscité une réflexion sur les enjeux du livre numérique, qui passe notamment par une régulation des prix ;
- Nous avons enfin engagé une dynamique européenne en faveur de taux de TVA réduits sur les services culturels numériques : la France est pionnière en la matière, elle est soutenue dans sa démarche par le Parlement européen et plusieurs Commissaires. Les gouvernements des pays européens doivent aujourd’hui, eux aussi, malgré les contraintes budgétaires, voir dans la culture un bien de première nécessité, comme l’a rappelé récemment le Président de la république.
La réflexion doit aussi être menée au-delà des frontières de l’Europe, avec ces grands pays partenaires et acteurs mondiaux que sont l’Inde , la Brésil, la Russie. C’est en ce sens qu’a été organisé à Avignon, dans le cadre de la Présidence française du G8, un Sommet culturel consacré aux enjeux de l'avenir de la création à l'ère numérique, les 17 et 18 novembre derniers. Ce Sommet des ministres a permis de poursuivre les échanges engagés entre les chefs d'Etat et de gouvernement, lors du G8 de Deauville des 26 et 27 mai derniers, sur la diffusion des oeuvres et la protection des droits de propriété intellectuelle sur Internet et a permis d'approfondir les débats en croisant les éclairages des Ministres chargés de la Culture et de la Propriété intellectuelle.

IV. dernier grand objectif : Engager la France dans l'aide au développement des pays du sud et dans la promotion des échanges entre culture, dans un esprit de solidarité.
- La France s'y engage pleinement comme l'attestent de nombreux exemples: conscient de la difficulté que connait aujourd'hui le cinéma africain, j'ai voulu engager une action en vue de contribuer à sa redynamisation. Nous avons pu réunir l'ensemble des contributeurs français européens et internationaux afin de repenser nos aides, leur articulation et favoriser ainsi la renaissance d'un cinéma important qui a apporté un regard si important, singulier et poétique sur le monde.
Je voudrai citer notre coopération avec le Cambodge, à travers la réhabilitation et la sauvegarde du site d'Angkor qui est à mes yeux exemplaire sur le site d’Angkor où nous avons oeuvré en concertation avec notre ambassade et le ministère des affaires étrangères et européennes, grâce à un projet de fonds de solidarité prioritaire (FSP) pour restaurer le temple du Baphuon, monument sivaïte du XIème siècle. La fin des travaux de remontage du temple du Baphuon est effective et l'inauguration par le Roi Sihamouni a eu lieu le 3 juillet 2011 en présence de François Fillon, premier-ministre et de moi-même.
La Coopération avec Haïti que nous avons engagé a été remarquable : appui technique et financier pour la sauvegarde du patrimoine national ; aide à l'inventaire, formation des professionnels, restauration du tableau « Le serment des ancêtres » dont l’oeuvre est actuellement présentée au musée du Louvre pour l'exposition (le musée-monde) que l'écrivain Jean-Marie-Gustave Le Clézio, a organisée au Louvre et à l'entrée de laquelle l'oeuvre accueille les visiteurs.

Source http://www.culturecommunication.gouv.fr, le 14 décembre 2011