Entretien de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "France 3" le 14 novembre 2011, sur la libération des trois humanitaires français retenus en otages au Yemen et la pression exercée sur la Syrie pour mettre un terme à la répression.

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Média : France 3

Texte intégral

Q - Bonsoir Monsieur le Ministre, tout le monde attendait ce moment ; quel est le ou les éléments qui ont permis de débloquer la situation ?
R - Chaque fois qu’il y a une prise d’otages, nous explorons tous les canaux de négociation. Nos services sont immédiatement mobilisés, comme ils l’ont été dans le passé pour les deux journalistes détenus en Afghanistan et comme ils continuent à l’être aujourd’hui pour nos quatre otages au Sahel ou pour le fonctionnaire français qui est détenu depuis plus de deux ans en Somalie.
Nous essayons de discuter avec tous ceux qui sont ouverts à la discussion. Et là, je dois saluer, comme ceci vient d’être fait par Pierre Perrot à l’instant, le rôle décisif joué par les autorités omanaises, notamment le sultan d’Oman, puisqu’ils sont passés du Yémen à Mascate.
Ils sont donc en ce moment dans l’avion et je confirme qu’en vous quittant, je me rendrai moi-même à Villacoublay.
Q - Vous l’avez entendu, certaines sources yéménites affirment que le Sultanat d’Oman aurait versé une rançon au nom de la France. Confirmez-vous ?
R - La France a pour principe de ne pas payer de rançon. Je ne ferai pas d’autres commentaires sur ce sujet, pour des raisons d’État bien sûr.
Q - Et si la France avait versé une rançon, le diriez-vous ce soir aux Français ?
R - Je n’ai pas d’autres choses à ajouter que ce que je vous ai dit sur ce point. C’est exactement la position que j’ai prise lors de la libération de M. Ghesquière et de M. Taponier.
Q - Il n’y a pas eu d’intervention militaire ?
R - Il n’y a pas eu d’intervention militaire. Nous avons eu des preuves de vie qui se sont succédé. Ils sont en bonne santé, c’est cela qui compte.
Je voudrais dire aussi que la joie de les voir revenir, que nous partageons avec Triangle, est aujourd’hui malheureusement endeuillée par un chagrin puisqu’un soldat a été tué en Afghanistan, où nous poursuivons progressivement le retrait des troupes françaises.
Q - Cinq personnes sont toujours otages dont quatre au Niger. Peut-on espérer que cette situation se débloque rapidement ?
R - Rapidement, il faut l’espérer. Je me suis fixé un principe qui est de ne pas parler tant que je ne suis pas sûr, parce que l’on suscite des espérances, en particulier auprès des familles, qui risquent encore d’être déçues.
Nous travaillons d’arrache-pied et je voudrais saluer nos services qui, sans tambours ni trompettes et sans apparaître jamais sur les écrans, font le travail nécessaire en explorant tous les canaux de négociation possible.
Q - On l’a entendu, l’option militaire est pour l’instant écartée. Pourquoi ce que l’on a pu faire en Libye, on ne pourrait pas le faire en Syrie aujourd’hui ?
R - Il y a au moins deux raisons. En Libye, dès le départ, des pays arabes ont souhaité l’intervention de la communauté internationale et, par ailleurs, le Conseil de sécurité s’est mis d’accord pour autoriser cette intervention.
Aucune de ces conditions n’étaient réunies jusqu’à présent pour la Syrie. Il y a eu un changement majeur avec la prise de position de la Ligue arabe qui condamne le régime et qui lui demande de partir. Le Conseil de sécurité reste bloqué par la Russie et la Chine, qui sont de plus en plus isolées, il faut bien le dire.
Je voudrais rappeler que la France, depuis des mois, a dit que ce régime ne pourra pas tenir et, aujourd’hui, on s’en rend compte de plus en plus. Ce comportement est inacceptable, la répression est d’une sauvagerie tout à fait inacceptable aussi.
Alors que faire ? D’abord, il faut travailler davantage avec les pays arabes, la Turquie et tous les voisins de la Syrie pour augmenter la pression et vous voyez que c’est en train de monter.
Ensuite, il faut travailler avec l’opposition syrienne. J’ai été moi-même rencontrer certains de ses leaders, M. Ghalioun notamment lorsqu’il est venu à Paris à l’Odéon, pour les aider et les conforter.
Enfin, il faut accentuer les sanctions. Aujourd’hui, à Bruxelles, nous avons mis sur la liste des personnalités sanctionnées, dix-huit noms supplémentaires et nous avons aussi demandé à la Banque européenne d’investissement de cesser ses interventions.
Q - Tout cela va-t-il suffire sachant que cela fait six mois que Bachar El Assad défie la communauté internationale ?
R - Il est de plus en plus isolé. Aujourd’hui la plupart de ses soutiens sont en train de le lâcher. C’est long, bien entendu, et je comprends l’impatience de l’opposition, je comprends le drame qui se déroule dans les villes syriennes mais je pense que nous allons y arriver. Les sanctions donnent des résultats, progressivement certes, mais elles donnent des résultats.
Q - N’est-ce pas trop long alors que tous les jours, il y a des gens qui meurent ?
R - Bien sûr que c’est trop long. Mais vous savez, ceux-là même qui nous ont reproché d’être intervenu en Libye nous demandent aujourd’hui pourquoi nous n’intervenons pas en Syrie. Je vous ai dit pourquoi, les situations sont tout à fait différentes, mais je pense que nous allons y arriver.
Q - Et la France aura-t-elle le leadership sur ce dossier comme elle l’a eu en Libye ?
R - Je suis modeste. Le président de la République prend beaucoup d’initiatives, c’est vrai, mais nous travaillons avec nos alliés et nos amis. Aujourd’hui à Bruxelles, nous étions vingt-sept exactement sur la même ligne pour accentuer cette pression.
Je suis de tout cœur avec la population syrienne qui souffre dans des conditions, vous avez raison de le dire, absolument dramatiques.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 novembre 2011