Résumé
Q - La loi qui pénalise la négation du génocide arménien a été votée par l’Assemblée nationale. Est-ce que vous souhaitez qu’elle le soit aussi par le Sénat ou qu’on en reste là ?
R - Pour l’instant, ce n’est pas à l’ordre du jour. Je suis un républicain et je crois au rôle du Parlement ; si le Sénat décide de s’en saisir, c’est sa prérogative.
Ce qui me parait essentiel dans cette affaire, c’est la désescalade. Je crois qu’il y a eu des propos très durs tenus par nos partenaires turcs. Ce que fait la France depuis dix ans, puisque la première loi a été votée en 2001 - et je l’ai votée -, c’est simplement de rendre hommage aux victimes et affirmer notre voix en matière de droits de l’Homme. On ne construit pas l’avenir sur la base de la négation de ce qui s’est passé. Voilà, à partir de là, le gouvernement turc actuel n’a rien à voir avec ce qui s’est passé en 1915
Q - Mais vous, clairement, vous souhaitez qu’on en reste-là ?
R - Il faut trouver les voies d’une sortie de crise. Nous avons des intérêts stratégiques majeurs, communs entre la France et la Turquie. Nous avons aussi beaucoup d’intérêts économiques qui ne sont pas négligeables.
Q - Il y aura une facture à payer pour la France si cette loi est votée ?
R - Je pense que non. Je ne souhaite pas que les Turcs s’engagent dans une action de ce genre parce que ce serait proprement illégal. Les Turcs sont membres de l’Organisation mondiale du Commerce. Ils ont un accord de libre échange avec l’Union européenne et il est hors de question pour qui que ce soit de discriminer les sociétés françaises.
Q - Donc, vous ne craignez pas de représailles aujourd’hui ?
R - J’espère et je pense qu’il n’y en aura pas. Je compte sur la sagesse des dirigeants turcs que je connais bien. J’ai même enseigné à l’université de Galatasaray ; nous avons une université française à Istanbul. Je suis donc favorable à de bonnes relations avec ce grand pays. Cela dit, il y a ce point d’histoire qui n’est pas négligeable. Quand on est sur le continent européen, il est bon de regarder l’histoire en face, sans donner de leçons à qui que ce soit et sans aller vers l’escalade. Je crois que l’apaisement en Europe passe par un peu de calme et de retenue. Encore une fois, nos intérêts stratégiques et la complémentarité de nos économies sont très importants.
Q - La France vient de pulvériser un record, celui du déficit du commerce extérieur, 75 milliards, je crois, pour l’année qui s’achève. Alors si la France n’est pas compétitive, est-ce que c’est parce que le coût du travail y est trop élevé ?
R - Il y a plusieurs choses. Il y a les raisons structurelles, dont le coût du travail qui est plus élevé qu’en Allemagne (
). Plus généralement, la fiscalité du travail, la fiscalité sur les entreprises font que nous avons bien du mal. Mais il y a plus important encore : c’est le fait que notre pays s’est appauvri en matière industrielle. Quand l’Allemagne a 400 000 entreprises à l’export et l’Italie 200 000, nous en avons moins de 100 000, 91 000 précisément.
La bonne nouvelle - parce qu’on travaille beaucoup à la ré-industrialisation en région -, c’est que pour la première fois cette année, le nombre de primo exportateurs, c’est-à-dire de PME qui partent à l’export, a augmenté de 10 %. Il y a énormément de talents dans nos régions. Il y a beaucoup de demandes internationales de produits français. Il faut que cette production française reprenne, c’est là le sujet.
Il y a donc les éléments de compétitivité, de coût du travail, de fiscalité. Et puis, surtout, il faut encourager nos PME à grossir et à exporter. C’est pour cela que l’on a lancé des actions avec OSEO et le Fonds stratégique d’investissement. Je viens d’ailleurs de mettre en place un commissaire de l’internationalisation de nos PME.
Nous avons des «success stories» formidables. Aujourd’hui même, on parle dans un de nos quotidiens de l’histoire de M. Holder, un fils de boulanger que j’ai vu la semaine dernière à Lille et qui dirige aujourd’hui une multinationale du pain : il vend des millions de macarons en Australie par exemple ; je trouve cela génial.
Q - On parle souvent des grands contrats. Vous, vous dites que la solution passe plutôt par les PME.
R - Je crois qu’on a changé de monde. Les contrats pour nos grandes entreprises, on se bat pour les obtenir : on se bat pour AIRBUS, pour ALSTOM, pour le pétrole - j’étais en Lybie il y a dix jours - mais les Français doivent cesser de concevoir le commerce extérieur uniquement sous l’angle de la haute technologie. Ce qui fait gagner beaucoup d’argent et ce qui crée de l’emploi, c’est la consommation. Dans ma circonscription, à Paris, j’ai les grands magasins : en trois ans, la moitié du chiffre d’affaires est généré par les touristes chinois qui viennent acheter des produits français fabriqués en France. Faisons donc des produits de consommation et apprenons à les vendre mieux dans le reste du monde.
Ces centaines de millions de personnes des classes moyennes chinoises, indiennes, brésiliennes, veulent des produits français : ils veulent par exemple du vin dont les exportations sont en plein essor. Nous avons des réservoirs de croissance et d’emplois importants. Il faut savoir qu’en France, sept millions de Français travaillent dans des entreprises qui exportent. Les nouveaux emplois ne sont donc pas dans les mécanismes sociaux d’accompagnement - c’est une chose - mais dans les nouveaux marchés. A nous de soutenir nos PME et de les amener à l’export.
Q - Alors beaucoup, même à droite, prônent un certain retour du protectionnisme.
R - (
) Bien sûr qu’il ne faut pas être naïf avec les Chinois et les Indiens et qu’il faut se battre. Il y a quinze jours, à Genève, à l’OMC, la France a obtenu (
) l’ouverture des marchés publics japonais en réciprocité avec l’Union européenne. C’est le mode de décision trop long au sein de l’Union européenne qui est en cause, pas la naïveté de la France.
La solution, ce n’est pas de fermer les frontières. Si vous fermez les frontières, les autres vont les fermer aussi et on sait ce que cela a donné dans l’histoire. Le protectionnisme conduit tout droit au conflit et à la guerre. Si vous fermez les frontières, que faites-vous de nos sept millions de Français qui vivent de l’export ?
Q - Vous êtes né à Tunis, où siège désormais un gouvernement dirigé par des islamistes, qu’est-ce que ça vous inspire ?
R - C’est le mouvement, une phase de l’histoire. Vous savez, quand nous avons fait la révolution, nous sommes passés par des phases qui n’étaient pas faciles, pendant 150 ans, jusqu’à ce que la République se stabilise. Alors, je souhaite pour mes amis tunisiens que cela ne dure pas 150 ans. Il y a une phase d’apprentissage. Les seuls partis organisés à l’issue de la révolution, comme en Iran
Q - Ce n’est pas un bon exemple parce que, pour l’instant
R - Cela fait plus de trente ans qu’ils y sont. Il faut souhaiter pour ces pays que la phase dure ne s’éternise pas. Il y a beaucoup de forces de liberté et de démocratie en Tunisie, de femmes qui n’ont pas envie d’être voilées, d’intellectuels qui attendaient dans l’opposition, qui ont été brimés pendant des années. Il faut que ceux-là puissent aussi s’exprimer. J’ai confiance dans le peuple tunisien qui va trouver, je l’espère, la voie de la modération.
Q - Le bain de sang continue en Syrie. Les observateurs de la Ligue arabe sont arrivés ; on voit que ce n’est pas une fin en soi. Est-ce que vous pensez que la France doit aller plus loin ? Plus généralement, est-ce que la question d’une intervention militaire ne se posera finalement jamais ?
R - Je ne pense pas qu’on puisse aller faire la guerre partout où il y a des révolutions démocratiques. Cela nous entraînerait, je pense, assez loin.
Q - Donc on ne fait rien ?
R - Si, on fait beaucoup. Il y a des sanctions qui ont été mises en place. Pour la première fois, la Ligue arabe est mobilisée, ce qui en dit long d’ailleurs sur l’évolution du monde arabo-musulman face à ces évolutions démocratiques. La Turquie nous aide aussi, je le disais tout à l’heure. Je crois qu’il faut maintenir la pression fortement, utiliser les leviers politiques et économiques. Je ne vois pas d’option militaire, mais je ne suis pas ministre de la Défense ni président de la République. Je vous donne l’avis de quelqu’un qui connaît un peu la région.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 décembre 2011