Audition de M. François Baroin, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur les conclusions du Sommet européen du 9 décembre 2011, à l'Assemblée nationale le 15 décembre 2011.

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Circonstance : Audition du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie devant la Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire de l'Assemblée nationale le 15 décembre 2011 (extraits)

Texte intégral

Q - (à propos de la règle d’or)
R - S’agissant de la règle d’or, il est prématuré d’affirmer qu’il faudra modifier le texte qui a été adopté par l’Assemblée nationale et par le Sénat. La Commission européenne se penchera sur le sujet. Nous ne sommes pas certains que le projet de loi organique soit conforme aux souhaits des pays signataires de l’accord de Bruxelles. De plus, une demande collective, visant à fixer une date, comme l’ont fait les Allemands, est possible, ce qui impliquerait de revoir le texte. C’est la norme constitutionnelle qui servira de référence pour la CJE, non la loi organique. Il est donc prématuré, je le répète, de se prononcer sur la nécessité, ou non, de modifier le texte adopté en France.
Q - (à propos de la notion de loi de programmation pluriannuelle)
R - J’ai eu un échange sur le sujet avec Mme Élisabeth Guigou. La loi de programmation pluriannuelle ne suffira probablement pas. La Commission fera des propositions dans le courant du mois de janvier. Il faudra, à mon sens, fixer un cadre constitutionnel à la règle d’or. S’agissant du MES, il sera doté de 80 milliards d’euros, la part française s’élevant à 20 %, soit à 16 milliards. L’argent sera probablement versé en plusieurs fois. Un collectif budgétaire sera nécessaire en janvier 2012, non tant pour le décaissement que pour adapter le cadre juridique. Ce sont les circonstances qui l’exigent.
La France souhaitait cumuler le montant du FESF - 280 milliards d’euros - à celui du MES, pour augmenter l’effet de levier, sans oublier la part additionnelle du FMI, ce qui nous aurait permis d’atteindre sans difficulté les 1 000 milliards d’euros prévus dans le précédent accord des chefs d’État et de gouvernement. Les Allemands ne l’ont pas souhaité : le MES disposera donc d’une dotation en capital de 80 milliards d’euros pour un plafond de 500 milliards, avec une contribution supplémentaire au FMI de 200 milliards d’euros, sous la forme de prêts bilatéraux, afin d’inciter d’autres pays à contribuer, via le FMI, à l’effet de levier et donc à participer à ce fonds.
Q - (à propos du plafond des 500 milliards d’euros du MES)
R - C’est la raison pour laquelle nous souhaitions que le MES puisse fonctionner comme une banque. La question de la licence bancaire pour le fonds européen se pose de la même manière. La BCE a elle-même proposé de le gérer - c’est important de le souligner.
Q - (à propos du rôle de la BCE)
R - C’est un geste de la part de la BCE vis-à-vis du MES en vue de lui donner de la crédibilité. La BCE aura un rôle technique de conseil auprès des dirigeants du mécanisme pour le rendre efficace sur les marchés.
S’agissant de la BCE, on s’aligne sur la jurisprudence de Strasbourg et l’accord Monti-Merkel-Sarkozy. On laisse le soin à la Banque centrale européenne de mener sa politique en toute indépendance, sans livrer ses décisions au débat public.
J’observe qu’en décidant d’étendre à trois ans la maturité maximale de ses opérations de liquidité, la BCE a fait un geste en direction des banques qui devrait, conformément à notre souhait, alléger la pression de manière significative. Je souhaite évidemment que les banques continuent d’acheter des obligations de dette françaises.
Je me suis battu pour que la Grèce soit un élément prioritaire de la négociation. Le virus s’est immiscé dans le cadre de l’accord de Deauville, sous la forme de la participation du secteur privé, qui est à l’origine de la défiance progressive et profonde vis-à-vis de l’euro. Les Allemands en général, le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, et la Bundesbank en particulier, souhaitaient maintenir cette implication. La bataille a été rude mais c’est une vraie victoire qui permettra de rassurer les marchés sur le long terme.
Est-ce à dire que seuls les États, c’est-à-dire les contribuables, participeront aux efforts ? Le message, c’est que les États, quel que soit leur niveau d’endettement, rembourseront leurs dettes. Les banques, du reste, participeront à ce remboursement au travers des dispositifs qui les relient aux États. Il importait avant tout de garantir aux épargnants et aux investisseurs le remboursement, à plus ou moins long terme - cinq, dix ou vingt ans - de l’argent qu’ils ont placé dans la zone euro. La fin de l’implication du secteur privé est le début de la renaissance d’un processus vertueux de confiance.
Q - (à propos d’une défaillance possible de la Grèce, du dossier Dexia, de la compatibilité de la règle d’or allemande avec l’accord de Bruxelles, des conditions de prêt du système bancaire aux États, de la compatibilité du calendrier de l’accord avec l’évolution des marchés et du lien entre FESF et MES)
R - Monsieur Bouvard, le dispositif est conçu pour éviter le scénario que vous évoquez ! Le texte se réfère au traitement traditionnel des problèmes de dette par le FMI, sur le modèle argentin.
En ce qui concerne Dexia, la Belgique, comme nous l’avions fait, a notifié sa participation à la Commission européenne hier - plus tard que prévu en raison du changement de gouvernement et du drame de Liège. Le montant est de 45 milliards d’euros conformément à l’accord conclu. Nous attendons la réponse de la Commission.
Monsieur Eckert, la règle d’or allemande est sans doute la plus conforme à ce que peut souhaiter la Commission puisqu’elle chiffre le déficit structurel autorisé et est assortie d’un calendrier. En outre, c’est une norme de niveau constitutionnel.
La BCE ouvre des liquidités à trois ans en prêtant à 1 %, mais n’oublions pas que ce faible taux est compensé par d’importants dépôts de collatéral. Les banques ne dégageront donc certainement pas 1,5 ou 2 % de marge. Il s’agit simplement de leur permettre de fonctionner, de racheter des dettes d’État et de jouer leur rôle institutionnel. En outre, la BCE prête à court terme alors que les banques prêtent à long terme. L’essentiel est que les banques puissent faire leur travail au cours des trois ans à venir, mais ce ne sera pas gratuit !
(…) Monsieur Chartier, je l’ai dit, le MES ne s’ajoutera pas au FESF comme nous le souhaitions, mais va s’y substituer le moment venu. Le FESF était temporaire, le MES sera permanent.
Q - (à propos des montants financiers engagés dans les fonds)
R - Le montant correspond à l’effet de levier, qui varierait entre 3 et 5 selon l’évolution escomptée des marchés, sur une base de 280 milliards d’euros. Ira-t-on assez loin avec un potentiel de 500 milliards ? Il faudrait atteindre au moins 1 000 milliards d’euros, mais tout dépendra de l’état des marchés. Les ressources additionnelles de 200 milliards d’euros du FMI viendront prendre le relais des 500 milliards d’euros de capacité initiale et nous espérons que l’apport de fonds souverains, voire de fonds privés, renforcera l’effet de levier.
Q - (à propos d’un engagement de 1 000 milliards d’euros et de la participation éventuelle de la Chine)
R - Par effet de levier, non par dotation en capital.
Q - (à propos du rôle du Parlement dans les choix budgétaires présents et à venir)
R - En effet, les nouvelles dispositions vont entraîner d’importantes modifications. Je précise que le contrôle ne portera pas sur les choix budgétaires, mais sur la trajectoire ; nous en avions longuement parlé à propos de la règle d’or. Cela étant, le gouvernement va être obligé de travailler différemment. Nous devrions donc créer un groupe de travail commun pour déterminer ensemble - Bercy et la commission des Finances - la méthode la plus efficace de préparation du budget. Peut-être cela passera-t-il par une association en amont. En tout cas, on ne pourra en rester au statu quo. Il suffit de voir la peine que nous avons eue à avancer assez vite en Conseil des ministres pour vous permettre de travailler ne serait-ce que quinze jours sur le texte ! Surtout juste après l’été : le Parlement européen, qui siège en session unique, sera tenté de nous demander à tout moment où nous en sommes, ce que ne pourra faire le Parlement français. Nous devrons commencer à réfléchir à la méthode dès la rentrée des vacances de Noël, car ensuite, tout va aller très vite. Cela nous permettra d’adresser un message collectif sur le rôle de la représentation nationale dans le nouveau dispositif de surveillance budgétaire.
Q - (à propos du contrôle supranational des choix budgétaires nationaux)
R - C’est ce qu’auraient voulu les Allemands, qui souhaitaient confier à la Cour de justice européenne la surveillance des budgets et de l’équilibre. Nous avons obtenu l’accord des Vingt-Six pour limiter le contrôle de la Cour à la transposition de la règle d’or. Il est désormais entendu que la France n’entend pas dépasser cette ligne rouge.
Cela étant, la Commission entre déjà dans le détail des mesures. Elle ne dit jamais aux États ce qu’ils doivent faire ou ne pas faire, mais les prévient quand ce qu’ils proposent ne lui paraît pas compatible avec ses expertises, ses analyses et ses prévisions de croissance. À nous de revoir alors notre copie. Mais la tentation de pousser le contrôle plus loin sera grande. Voilà pourquoi je serais heureux d’en parler avec vous en janvier, après le collectif. Nous allons vers la convergence. Il faut donc s’entendre sur la méthode, le calendrier et les objectifs.
Q - (à propos du degré de souveraineté conservé)
R - Par définition, la convergence limite les choix de politique publique en matière budgétaire. Rappelons qu’en Allemagne, le taux de l’impôt sur les sociétés, au sujet duquel M. Schäuble et moi-même présenterons le 23 janvier nos propositions, est de 14 % pour la part fédérale, de 30 % en comptant les Länder. Encore la comparaison est-elle ici à notre avantage, ce qui n’est pas le cas dans tous les domaines.
(…)
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 décembre 2011