Déclaration de M. François Baroin, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur les conclusions du Sommet européen du 9 décembre 2011 et les mesures de soutien à la zone euro, à l'Assemblée nationale le 13 décembre 2011.

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Circonstance : Audition du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie devant la Commission des affaires économique de l'Assemblée nationale, le 13 décembre 2011 (extraits)

Texte intégral

Monsieur le Président, je suis très heureux d’être pour la première fois devant vous. Je rappelle d’ailleurs que le gouvernement est à la disposition du Parlement, quelle que soit la pression de l’actualité internationale. Je m’efforcerai donc d’être le plus exhaustif possible dans les réponses que j’apporterai à vos questions.
Je dirai tout d’abord quelques mots sur l’architecture de l’accord de vendredi dernier, bien que le sujet ait été évoqué par le Premier ministre pendant les questions d’actualité.
Cet accord s’articule autour de trois principes.
Premièrement, une discipline budgétaire plus stricte.
Le pacte de stabilité et de croissance sera durci : des sanctions automatiques s’appliqueront chaque fois que le déficit excédera 3 % du PIB, et seule une majorité qualifiée d’États pourra faire obstacle au constat du non-respect de cette règle et de la trajectoire qui doit y conduire.
Les États s’engagent par ailleurs à adopter une «règle d’or» sur la définition de laquelle il faudra s’entendre d’ici au mois de mars 2012. Il appartiendra ensuite à la Cour de justice de l’Union de valider la règle d’or qui sera ainsi votée dans chacun des pays.
Le Parlement a débattu d’un texte.
(…)
La France aura de toute façon à faire face à ce rendez-vous, quels que soient les résultats des élections de la fin du premier semestre.
Deuxième principe : une solidarité effective.
Un mécanisme européen de stabilité (MES) va se substituer au Fonds européen de stabilité financière (FESF). Ce mécanisme permanent, doté de 500 milliards d’euros, sera géré par l’administration de la Banque centrale européenne, ce qui est un gage de solidité, de crédibilité et de cohérence. En outre, les États membres de la zone euro se sont fixé pour objectif de mettre des ressources supplémentaires - pouvant aller jusqu’à 200 milliards d’euros - à la disposition du FMI.
Troisième principe : la nécessité de restaurer progressivement la confiance dans la gouvernance de la zone euro, pour supprimer une des principales causes de la situation actuelle.
Il y a dix jours, la Banque centrale européenne (BCE) et les banques centrales ont coordonné leur action pour favoriser l’accès aux liquidités. De fait, depuis l’été, les banques étaient soumises à deux problèmes : l’un de solvabilité - elles devront donc augmenter leurs fonds propres d’ici au mois de juin -, l’autre de liquidité - d’où les inquiétudes des acteurs économiques pour leur accès au crédit.
Le retrait des fonds américains a rapidement rendu plus difficile l’accès au dollar pour une partie des banques européennes, notamment pour les banques françaises. Il y avait là un risque de « credit crunch », qui a conduit ces établissements à privilégier le crédit au sein de leur zone nationale en délaissant un peu l’investissement international. Cependant, il y a dix jours, la coordination des actions des banques centrales - canadienne, américaine, japonaise et BCE - pour les échanges de lignes de liquidité a nettement fait baisser la pression sur le financement de l’économie à l’international. Puis, la semaine dernière, la décision de la BCE d’ouvrir une ligne de crédit illimité à trois ans - ce qui constitue une première - a assuré aux banques la garantie d’accéder sans difficulté aux liquidités dont elles auraient besoin pour remplir leur mission. Le faible taux de ce crédit - 1 % - leur permettra en outre d’échapper à la très forte pression exercée par les marchés. Le problème de liquidité semble donc être durablement écarté.
Pour ce qui est de la solvabilité, les besoins des banques européennes en fonds propres ont été estimés par l’Autorité bancaire européenne à un montant de 115 milliards environ ; ceux des banques françaises ont été, quant à eux, évalués à 7,3 milliards, soit un peu moins que les 8,8 milliards initialement prévus.
Les quatre banques françaises d’importance systémique ayant réalisé 11 milliards de bénéfices à la fin du premier semestre, elles seront largement en mesure d’augmenter leurs fonds propres en respectant le calendrier fixé sans avoir à faire appel à des capitaux publics, ce qu’elles ne demandent d’ailleurs pas.
Cette augmentation des fonds propres ne se fera pas au détriment de l’accès au crédit. Et, pour répondre à votre question, monsieur le président, je vous précise que, sur les douze derniers mois, l’encours des crédits distribués aux entreprises françaises a augmenté d’un peu plus de 5 %, contre 1,5 ou 1,6 % en moyenne dans la zone euro. Les quelques signes de tension constatés en certains endroits du territoire s’expliquent par l’inquiétude éprouvée par les banquiers quant à leur accès aux liquidités, mais tout devrait revenir à la normale.
(…)
Je terminerai sur AREVA. L’équipe dirigeante a publié hier une nouvelle feuille de route qui décline une stratégie de moyen terme, à la fois ambitieuse et raisonnable, prenant en compte l’impact de Fukushima, l’annonce par l’Allemagne de son désengagement du nucléaire et la situation d’investissements sur lesquels il y aura naturellement des éclaircissements à apporter le moment venu. Mais, comme nous l’avons demandé, Éric Besson et moi-même, rien ne sera fait là au détriment de l’emploi en France.
Quant aux participations d’AREVA dans Eramet, le gouvernement entend n’envisager que les solutions assurant leur maintien dans la sphère publique. Eramet est notamment implanté en Nouvelle-Calédonie et les chantiers miniers de cette zone du Pacifique ont évidemment une grande importance stratégique.
Q - (à propos de la croissance économique)
R - M. François Brottes m’a demandé si l’on parlait de croissance économique au sein des instances internationales, notamment européennes. Lors des réunions du G20 de Toronto puis de Londres, les participants, qui représentent 85 % de l’économie mondiale, n’avaient chaque fois traité qu’un seul thème : au cours de la première, la consolidation budgétaire par la réduction des déficits publics ; au cours de la seconde, tenue au moment de la crise, la relance économique. En revanche, le G20 de Cannes a accordé à ces deux questions un traitement plus équilibré, grâce à un intense travail diplomatique qui a convaincu des pays comme le Canada, le Brésil et la Chine de la nécessité de s’engager en faveur de normes juridiques et de politiques publiques précises. Dès lors, les pays qui le peuvent mèneront une politique de relance pour soutenir la croissance mondiale, et les pays qui le doivent pratiqueront la consolidation budgétaire. Comme presque tous les autres pays européens à l’exception de l’Allemagne, la France se situe plutôt dans la deuxième catégorie car l’adoption d’une politique de relance impliquerait d’accroître les dépenses publiques, et donc d’aggraver notre déficit, tout en réduisant les recettes.
Nous devons, sans pour autant nous soumettre aux diktats des experts internationaux, procéder à des choix compatibles avec la situation de nos finances publiques. Nous avons ainsi dû abandonner le dispositif dit Scellier, de défiscalisation de certains investissements immobiliers, apparemment connu du monde entier - le FMI m’a interrogé sur le sujet, ce qui démontre d’ailleurs, si besoin était, que nos comptes publics sont scrutés ligne par ligne par les observateurs du monde entier !
Des études d’impact ont bien été menées sur le passage du taux de TVA de 5,5 % à 7 % - je vous les transmettrai. Elles montrent que l’incidence de ce relèvement est relativement marginale. Plus élevé, il aurait provoqué des tensions car ceux qui sont au taux de 19,6 % auraient pu demander à en bénéficier et les assujettis au taux de 5,5 % le refuser en prétextant que la marche à gravir était trop haute. Le choix retenu répond à la fois au souci de convergence fiscale avec l’Allemagne, où le taux intermédiaire de TVA est également de 7 %, et à celui d’une modération du poids de cette taxe indirecte.
(…)
L’Allemagne dépend de l’énergie nucléaire à hauteur de 25 %, alors que nous en dépendons pour près de 80 %. Il est donc normal que nos choix ne soient pas les mêmes. La France ayant opté en faveur du maintien du nucléaire, les tribulations de cette année ne devraient pas entraîner de conséquences sur l’emploi chez Areva. Elles peuvent, en revanche, avoir un impact sur la stratégie de ce groupe qui voit ses activités se réduire, spécialement en Allemagne. On ne peut pas tout demander à une entreprise : une stratégie d’investissement s’accompagne nécessairement d’une adaptation à l’évolution des besoins et des marchés.
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MM. Jean Dionis du Séjour, William Dumas et d’autres ont soulevé la question d’une dégradation éventuelle de la note de la France par les agences financières spécialisées. Mais Moody’s et Standard & Poor’s ont placé toute la zone euro sous le même régime de surveillance, y compris l’Allemagne, pourtant considérée comme le bon élève. Sont concernés la dette publique, les fonds et les établissements publics de tous ces États. Et si, ici, on ne parle que de la France, croyez bien qu’il en est de même ailleurs : aux Pays-Bas ou en Autriche, on ne parle que de la dégradation de la note néerlandaise ou autrichienne ! C’est l’ensemble de la zone qui, fragilisée certes à des degrés divers, risque d’être dégradée en raison de sa trop faible gouvernance. Il revient donc aux États et aux institutions européennes de jouer leur rôle. L’accord intervenu vendredi dernier répond point par point aux interrogations nées de la crise que nous connaissons depuis dix-huit mois, qu’il s’agisse de la gouvernance, des sanctions, de la solidarité ou de la consolidation budgétaire, qui se fera selon un calendrier et des méthodes communs pour tous les pays membres de la zone euro.
Le message envoyé par les agences n’est qu’un élément à considérer parmi d’autres. À garder l’œil continuellement rivé sur l’évolution des marchés, on se prive de la distanciation nécessaire pour élaborer une stratégie. Je rappelle que nous avons arrêté la nôtre depuis deux ans ; elle comporte des réformes en profondeur : réforme des retraites, RGPP, réduction des dépenses de l’État et de l’assurance maladie, gel des dotations aux collectivités locales, suppression progressive d’un certain nombre de niches fiscales… Mais nous avons besoin de croissance. Les mesures prises à cette fin dans les précédents budgets, notamment pour protéger le pouvoir d’achat, ont donné de bons résultats : ainsi, au dernier trimestre, la consommation a permis un rebond de croissance de 0,4 %, malgré l’effacement de 11 milliards de niches fiscales. Notre dispositif était donc bien calibré mais il faut tenir compte du ralentissement économique général. Nous subirons inévitablement l’effet des incertitudes quant à l’évolution de l’économie américaine et des économies émergentes, pour ne pas parler de l’instabilité de la zone euro. Nous en avons déjà tenu compte en corrigeant notre prévision de croissance pour 2012 et nous faisons le pari que les décisions prises aujourd’hui produiront des résultats à terme. Mais nous connaîtrons d’ici là quelques semaines difficiles.
Nous ne voulons pas nous situer dans la perspective d’une dégradation de la note de la France. Nous pouvons toutefois, comme travail d’école, réaliser une simulation de son incidence sur le service de la dette publique. Dans cette hypothèse, une augmentation d’un point du taux d’intérêt pour les obligations à dix ans représente un surcoût d’environ deux milliards la première année, d’un peu moins de quatre la deuxième, pour atteindre, au bout de huit ans, quatorze milliards par an. Ce qui n’est pas négligeable. Cependant, paradoxalement, alors que la zone euro n’a jamais traversé de crise aussi violente, jamais non plus la France n’a emprunté à des taux aussi bas ! Ils sont aujourd’hui en moyenne de 3,2 %, contre 3,5 % il y a six mois, alors que la crise s’est encore aggravée. Prudemment, nous avons prévu dans la loi de Finances pour 2012 un taux de 3,7 % à dix ans, alors que, comme je viens de le dire, il s’établit aujourd’hui à 3,2 %. Nous disposons donc d’un peu de marge. Même si elle constitue toujours le deuxième poste budgétaire civil de l’État, la charge annuelle de la dette reste de 49 milliards. Cela étant, en cas de décrochage - que nous refusons d’envisager -, nous passerions dans un autre monde : les mesures fiscales se révéleraient insuffisantes et il faudrait en venir à une coordination des politiques publiques à l’échelle européenne.
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Monsieur Daniel Paul, le texte de l’accord intergouvernemental européen sera définitivement fixé en mars prochain. Selon la qualification juridique arrêtée, nous déterminerons alors le cheminement à suivre pour l’intégrer dans notre droit public. S’il s’agit d’un protocole additionnel, une révision constitutionnelle ne sera pas nécessaire. La seule clause pouvant obliger à une telle révision est évidemment la règle d’or et, compte tenu de la position prise par la gauche, nous ne pourrons, hélas, régler cette question qu’après l’élection présidentielle.
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Madame Pascale Got, grâce à l’accord de Strasbourg, dit Monti-Merkel-Sarkozy, on ne prend plus l’opinion publique à témoin des difficultés auxquelles nous exposerait la BCE. Comme vous le savez, la France aurait voulu que celle-ci accorde une licence bancaire au FESF, le Fonds européen de stabilité financière mais, dans la mesure où le mécanisme européen de stabilité constituera un dispositif plus large que la BCE gérera, et dans la mesure aussi où la banque centrale a, de sa propre initiative, pris les décisions nécessaires quant à la baisse des taux d’intérêt et à l’accès aux liquidités, il lui appartient de définir sa politique, conformément à son statut d’institution indépendante. Nous ne la ferons donc plus intervenir dans le champ des décisions intergouvernementales. Elle a beaucoup évolué, elle sait ce qu’elle a à faire, elle joue désormais un rôle important. Mais on ne saurait comparer son action à celle de la Réserve fédérale américaine (FED), de la Banque d’Angleterre ou de la Banque nationale suisse. L’histoire nous dira donc si la BCE doit encore évoluer. Mais nous n’avons pas discuté d’une modification de traité visant à remettre en cause son indépendance.
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Madame Anne Grommerch, l’Autorité bancaire européenne a demandé aux banques de porter leur ratio de fonds propres à 9 % en juin prochain, soit, pour les banques françaises, une recapitalisation à hauteur de 7,3 milliards, sans appel au soutien public - ce qui pourrait être considéré comme une norme «Bâle deux et demi», ou encore «Bâle III moins six ans» puisque cela revient à leur demander d’appliquer maintenant une norme qui n’aurait dû entrer en vigueur qu’en 2017. Mais elles sont en mesure de le faire et, en tout état de cause, elles le doivent, en vertu de l’accord européen.
Cela étant, le problème n’est pas tant l’application de Bâle III à l’intérieur de la zone euro, car les régulateurs y veilleront, que son application à l’extérieur de cette zone, notamment par les Américains, qui n’en sont même pas encore à Bâle II. Nous en discutons donc au sein du G20.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 décembre 2011