Texte intégral
J'aimerais remercier mon collègue Rudolf Scharping ainsi que Joschka Fischer de leur invitation à ce colloque consacré à l'avenir de la politique de défense européenne.
Permettez-moi de vous offrir trois remarques liminaires.
Je constate avec intérêt que cette manifestation est placée sous le double patronage des ministères des affaires étrangères et de la défense, reflétant ainsi l'association étroite des deux facettes de la PESD : la diplomatie, qui définit le cadre politique indispensable à toute action cohérente ; la défense sans laquelle ce cadre et cette action manqueraient d'un élément central de crédibilité dès lors que l'on traite de la prévention des conflits et de la gestion des crises.
Je constate ensuite qu'il s'agit ici de débattre sur la base de nos perspectives nationales. C'est un point très important car, quels que soient les rapprochements à venir, quelles que soient les possibilités d'intégration envisagées, je crois qu'il est sage de partir d'une évidence - qui est aussi à nos yeux un principe : la PESD s'inscrit avant tout dans une démarche intergouvernementale. Cela restera vrai pour l'avenir prévisible. Exposer nos forces armées dans des situations à hauts risques implique une volonté politique très forte de nos autorités nationales respectives.
Je constate enfin que le moment est particulièrement bien choisi pour l'organisation de cette manifestation. Nous avons en effet vécu depuis deux ans sur la lancée des choix adoptés en juin 1999 à Cologne. Le Sommet de Nice s'est bâti sur ces principes ; celui de Göteborg vient d'en développer les ultimes potentialités ; nous abordons maintenant la dernière ligne droite avant l'étape cruciale, celle où l'Union européenne devrait pouvoir, au Sommet de Laeken, se déclarer opérationnelle.
Depuis le sommet de Cologne nous avons accompli des progrès très significatifs. Ceux-ci n'ont été possibles que grâce au très fort soutien politique de nos quinze capitales au projet énoncé à Saint-Malo et amplifié à Cologne.
Ce projet, pourtant éminemment politique, a trouvé sa place sans difficulté excessive dans la construction européenne au moment même où celle-ci se trouvait confrontée à un débat de fond portant sur sa nature et son avenir. Je salue au passage la contribution de l'Allemagne à ce débat, reposant sur une cohérence intellectuelle et politique qui mérite d'être relevée.
Notre démarche s'appuie sur une volonté délibérée de progresser, et sur une méthode pragmatique et concrète. C'est là l'une des clés essentielles, à mon sens, des progrès accomplis et à venir. Nous ne nous payons pas de formules, mais uvrons à l'émergence de réalités indiscutables en termes de capacités de décision et d'action. Celles-ci devront être efficaces et crédibles. Ne le perdons jamais de vue : au bout du compte, face aux situations de tension ou de crise, notre projet établira sa crédibilité sur des faits et non sur des constructions théoriques.
D'ores et déjà, la PESD possède une dynamique et une démarche qui lui sont propres dans le développement de ses capacités :
- C'est à quinze que nous définissons des besoins en fonction d'exigences, de critères et d'ambitions que l'Union se donne ;
- C'est à quinze que nous fixons les diverses implications techniques de ces besoins ;
- C'est à quinze, encore, que nous apportons les moyens dont nous disposons déjà afin de pourvoir aux besoins définis ;
- C'est à quinze que nous évaluons l'écart entre les besoins et les moyens fournis ;
- Et c'est à quinze, enfin, que nous uvrons à améliorer les offres d'ici 2003 ou au-delà.
A chacune de ces étapes, nous veillons bien entendu à la transparence, la consultation et au dialogue avec l'OTAN.
Telle est la méthode appliquée avec succès au sein du HTF au cours des douze derniers mois. Elle a été avalisée à Nice. Elle peut être affinée, mais elle a fait ses preuves. La question des capacités nécessaires à l'Union européenne pour mener des opérations de Petersberg était nouvelle et originale par rapport aux problématiques purement nationales et par rapport aux missions de l'Alliance ; elle méritait une formule adaptée. J'ajoute un autre facteur, propre à l'Union européenne dans son processus de mise sur pied de capacité : la responsabilisation des Etats membres, du niveau des experts en planification, à celui des Ministres, et des Chefs d'Etat et de Gouvernement. C'est une garantie de succès plus solide qu'une procédure complexe et génératrice de délais.
Notre approche doit donc rester animée par la volonté politique des Etats, et chaque pays peut y apporter sa contribution pour soutenir la dynamique collective. La France, pour sa part, comme vous le savez, met aujourd'hui la dernière main à sa prochaine " loi de programmation militaire ", qui couvrira les années 2003 à 2008. Elle la conçoit dans une perspective résolument européenne, s'agissant notamment des capacités stratégiques. Notre effort national se conçoit désormais - et se concevra de plus en plus - comme une contribution à l'Europe de la défense.
Chacun des partenaires européens, avec ses particularismes, doit pouvoir contribuer à sa mesure, en veillant à une prise de responsabilités répartie de façon appropriée. Nos deux pays, la France et l'Allemagne, notamment, ne peuvent s'affranchir de leur indispensable rôle moteur dans ce processus. Sans notre engagement convaincu, il n'y aurait pas d'Europe de la défense crédible.
J'en viens maintenant aux autres défis qui nous attendent collectivement au cours des mois à venir.
Le premier de ces défis découle de l'épreuve de vérité que constituera, d'ici la fin de l'année en cours, la déclaration " d'opérationnalité " de l'Union européenne. Cette échéance correspond en fait au rythme que nous nous étions imposé dès le début. Nous avons su mettre en place les structures permanentes de la PECSD et engager la validation de ces structures et des procédures de gestion de crises dans les délais fixés. J'aimerais rendre hommage à l'excellent travail accompli à cet égard par la présidence suédoise. C'est un premier succès, nécessaire à l'opérationnalité de l'Union.
Nous savons tous que les accords de mise à disposition des moyens et capacités de l'OTAN, dits " Berlin plus ", constituent un élément important de cette opérationnalité. Il est donc essentiel que l'Alliance puisse remplir les engagements qu'elle a souscrits au Sommet de Washington il y a maintenant deux ans. Les travaux au sein de l'OTAN demeurent, en dépit des efforts récents déployés, bloqués par un allié. Il faudra continuer de convaincre la Turquie qu'il est de son intérêt, de celui de l'Alliance, et de celui de la coopération UE/OTAN qu'elle y mette fin, car il n'y a pas d'autre solution.
Une fois déclarée " opérationnelle ", l'Europe de la défense sera face à ses responsabilités. Cela ne signifie certes pas que l'Union sera en mesure de gérer dès la fin 2001 des crises sur l'ensemble du registre des missions de Petersberg. Cela signifie simplement, mais concrètement, que l'Union sera en mesure, dès lors que ses membres en auront décidé ainsi, de gérer une crise, dans ses différents aspects. Cette " opérationnalité " s'améliorera avec le développement de notre politique d'exercices, et l'amélioration de nos capacités militaires. D'ores et déjà, nous devons nous y préparer, militairement cela va sans dire, mais aussi politiquement et peut-être, devrais-je dire, psychologiquement. Voilà pourquoi le développement des outils militaires doit s'accompagner inévitablement, à mon sens, de celui d'une " culture de la décision ".
Ce travail est déjà à l'uvre, dans les travaux au jour le jour au sein des instances de l'Union européenne, notamment le COPS, où se traite désormais la politique étrangère et de sécurité commune, mais aussi le comité militaire et l'état-major de l'Union.
Il faudra également être capable de décider, de décider vite, en réduisant au maximum la marge d'erreur possible. Or, dans la décision aussi, le rôle des pays plus peuplés sera fondamental : parce qu'ils sont les mieux renseignés sur les situations et qu'ils investiront davantage sur le terrain, en moyens civils et militaires. La décision appartient à qui est prêt à prendre des risques : on l'a vu encore récemment dans toutes les opérations qui se sont déroulées, au sein de l'Alliance atlantique comme des Nations Unies, en Europe comme ailleurs.
A ce propos, je souhaite souligner que la question de la prééminence de la gestion civile des crises est très clairement réglée par la pratique. Aux yeux de tous nos pays, la gestion militaire est un outil au service de l'action politique et ne saurait en aucun cas la précéder ou la contraindre ; notre préoccupation ne doit pas être de réaffirmer la subordination du militaire au politique, parce qu'elle est évidente, mais de faire du militaire un outil efficace du politique - et non un outil incertain.
Les capacités elles-mêmes font l'objet d'un effort de longue haleine pour lequel un calendrier de moyen terme a été défini sur la base de l'année 2003. Encore une fois, cela ne signifie nullement que l'Union disposera de toutes ses capacités à cette échéance, ni, inversement, qu'elle en sera totalement dépourvue avant. Je suis optimiste quant à notre capacité de progresser et notre volonté de le faire. J'en veux pour témoignages la force de l'engagement du Corps européen au Kosovo et, dans un autre registre, la signature récente du MoU sur l'Airbus A400M au salon du Bourget.
Un autre type de défi tient à la nécessité de poursuivre sur la voie déjà tracée en définissant avec l'OTAN une relation sans complexe, fondée sur l'intérêt réciproque bien compris. Cette relation est d'ores et déjà mise en uvre. Nos actions concertées en Serbie du sud et en Macédoine ainsi que les missions conjointes des deux Secrétaires Généraux montrent la parfaite coordination entre les deux organisations.
L'Union et l'OTAN, il ne faut jamais l'oublier, ont 11 membres en commun, et des intérêts et des valeurs pour l'essentiel partagés.
La mise en place d'une Europe de la défense est d'abord une extension du champ de responsabilité proprement politique de l'UE sur les questions internationales. Elle vient aussi élargir les options de notre partenariat transatlantique, en offrant des nouvelles possibilités d'action là où, pour une raison ou pour une autre, l'Alliance en tant que telle n'est pas engagée.
L'Union et l'Alliance ont aussi beaucoup à s'apporter. L'Union bénéficiera des acquis et de l'expérience de l'Alliance, de son sens des responsabilités et cette culture de la décision que j'évoquais tout à l'heure. L'Alliance, de son côté, doit bénéficier de la PECSD, dans l'adaptation interne qu'elle a engagée aux nouveaux enjeux de la gestion de crise. Notre ambition est bien que l'amélioration des capacités mise en uvre dans le cadre européen renforce les moyens mis à la disposition de l'Alliance.
J'ai confiance en la capacité des Européens à inventer de nouvelles formes de travail en commun, plus souples et plus anticipatrices. C'est dans cet esprit que nous devons nous engager dans un processus de rapprochement de nos programmations militaires nationales. Comme l'a déclaré le Premier ministre récemment, " il paraît souhaitable que la loi de programmation (à venir) soit la dernière élaborée dans un cadre strictement national ".
L'engagement pris le 19 juin sur l'A400M est, à cet égard, une étape est très importante. La capacité de projection qu'obtiendront les Européens grâce à une flotte de plus de 200 appareils constituera un socle essentiel à notre aptitude à gérer des crises de manière autonome. Je forme le vu que le Bundestag souscrive au projet prôné par le gouvernement fédéral.
D'autres choix, bilatéraux, ont connu un début de concrétisation au Bourget, notamment sur les projets Meteor et sur le Tigre. La capacité franco-allemande d'entraînement, dont elle témoigne, devra aussi jouer dans le domaine crucial du renseignement stratégique : les projets Hélios et SAR Lupe doivent converger et être complémentaires.
La capacité de commandement et de contrôle est aussi essentielle : la France et le Royaume Uni sont prêts à ouvrir leurs QG stratégiques au degré de " multi-nationalisation " que requièrent des opérations européennes. L'Allemagne nourrit un projet semblable, dont je me réjouis car il manque un choix clair de prise de responsabilité autonome, et renforce les moyens propres des Européens. Il y a toute une gamme d'échanges possibles entre ces trois structures de planification opérationnelle, et je crois utile de les étudier.
De la sorte, nous inventons déjà de nouveaux partages de capacités, avec le meilleur rendement possible pour nos dépenses. Nous montrons aussi la voie en créant une cellule de coordination du transport stratégique, sans doute appelée à se renforcer en fonction de nos besoins respectifs.
Il nous faut dès maintenant réfléchir à de nouvelles étapes. Nos processus de planification et de programmation militaire devront, à terme, converger. Pas question ici de légiférer ou de forcer une démarche qui relèvera, encore pour longtemps, de la pleine souveraineté nationale. Mais renforçons nos consultations sur les méthodes de programmation. Et, sans attendre, travaillons à élaborer un socle doctrinal commun dans le domaine de la défense. Le Livre blanc européen sur la défense et la sécurité en sera une première étape.
Maintenant que nous avons ouvert la voie, nous devons être conscients du fait que nous avons une responsabilité devant l'Histoire. Nos représentants et nos opinions publiques nous reprocheraient - justement - un échec ou un abaissement du projet engagé à Cologne. Nous leur devons de réussir. Et notre responsabilité existe également à l'égard de nos partenaires de l'Alliance atlantique. Nous devons faire la preuve, dans les années qui viennent, que nous traduisons nos paroles en actes et en décisions concrètes. C'est par ce chemin que passe la rénovation du partenariat transatlantique que nous appelons tous de nos vux.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 10 juillet 2001)
Permettez-moi de vous offrir trois remarques liminaires.
Je constate avec intérêt que cette manifestation est placée sous le double patronage des ministères des affaires étrangères et de la défense, reflétant ainsi l'association étroite des deux facettes de la PESD : la diplomatie, qui définit le cadre politique indispensable à toute action cohérente ; la défense sans laquelle ce cadre et cette action manqueraient d'un élément central de crédibilité dès lors que l'on traite de la prévention des conflits et de la gestion des crises.
Je constate ensuite qu'il s'agit ici de débattre sur la base de nos perspectives nationales. C'est un point très important car, quels que soient les rapprochements à venir, quelles que soient les possibilités d'intégration envisagées, je crois qu'il est sage de partir d'une évidence - qui est aussi à nos yeux un principe : la PESD s'inscrit avant tout dans une démarche intergouvernementale. Cela restera vrai pour l'avenir prévisible. Exposer nos forces armées dans des situations à hauts risques implique une volonté politique très forte de nos autorités nationales respectives.
Je constate enfin que le moment est particulièrement bien choisi pour l'organisation de cette manifestation. Nous avons en effet vécu depuis deux ans sur la lancée des choix adoptés en juin 1999 à Cologne. Le Sommet de Nice s'est bâti sur ces principes ; celui de Göteborg vient d'en développer les ultimes potentialités ; nous abordons maintenant la dernière ligne droite avant l'étape cruciale, celle où l'Union européenne devrait pouvoir, au Sommet de Laeken, se déclarer opérationnelle.
Depuis le sommet de Cologne nous avons accompli des progrès très significatifs. Ceux-ci n'ont été possibles que grâce au très fort soutien politique de nos quinze capitales au projet énoncé à Saint-Malo et amplifié à Cologne.
Ce projet, pourtant éminemment politique, a trouvé sa place sans difficulté excessive dans la construction européenne au moment même où celle-ci se trouvait confrontée à un débat de fond portant sur sa nature et son avenir. Je salue au passage la contribution de l'Allemagne à ce débat, reposant sur une cohérence intellectuelle et politique qui mérite d'être relevée.
Notre démarche s'appuie sur une volonté délibérée de progresser, et sur une méthode pragmatique et concrète. C'est là l'une des clés essentielles, à mon sens, des progrès accomplis et à venir. Nous ne nous payons pas de formules, mais uvrons à l'émergence de réalités indiscutables en termes de capacités de décision et d'action. Celles-ci devront être efficaces et crédibles. Ne le perdons jamais de vue : au bout du compte, face aux situations de tension ou de crise, notre projet établira sa crédibilité sur des faits et non sur des constructions théoriques.
D'ores et déjà, la PESD possède une dynamique et une démarche qui lui sont propres dans le développement de ses capacités :
- C'est à quinze que nous définissons des besoins en fonction d'exigences, de critères et d'ambitions que l'Union se donne ;
- C'est à quinze que nous fixons les diverses implications techniques de ces besoins ;
- C'est à quinze, encore, que nous apportons les moyens dont nous disposons déjà afin de pourvoir aux besoins définis ;
- C'est à quinze que nous évaluons l'écart entre les besoins et les moyens fournis ;
- Et c'est à quinze, enfin, que nous uvrons à améliorer les offres d'ici 2003 ou au-delà.
A chacune de ces étapes, nous veillons bien entendu à la transparence, la consultation et au dialogue avec l'OTAN.
Telle est la méthode appliquée avec succès au sein du HTF au cours des douze derniers mois. Elle a été avalisée à Nice. Elle peut être affinée, mais elle a fait ses preuves. La question des capacités nécessaires à l'Union européenne pour mener des opérations de Petersberg était nouvelle et originale par rapport aux problématiques purement nationales et par rapport aux missions de l'Alliance ; elle méritait une formule adaptée. J'ajoute un autre facteur, propre à l'Union européenne dans son processus de mise sur pied de capacité : la responsabilisation des Etats membres, du niveau des experts en planification, à celui des Ministres, et des Chefs d'Etat et de Gouvernement. C'est une garantie de succès plus solide qu'une procédure complexe et génératrice de délais.
Notre approche doit donc rester animée par la volonté politique des Etats, et chaque pays peut y apporter sa contribution pour soutenir la dynamique collective. La France, pour sa part, comme vous le savez, met aujourd'hui la dernière main à sa prochaine " loi de programmation militaire ", qui couvrira les années 2003 à 2008. Elle la conçoit dans une perspective résolument européenne, s'agissant notamment des capacités stratégiques. Notre effort national se conçoit désormais - et se concevra de plus en plus - comme une contribution à l'Europe de la défense.
Chacun des partenaires européens, avec ses particularismes, doit pouvoir contribuer à sa mesure, en veillant à une prise de responsabilités répartie de façon appropriée. Nos deux pays, la France et l'Allemagne, notamment, ne peuvent s'affranchir de leur indispensable rôle moteur dans ce processus. Sans notre engagement convaincu, il n'y aurait pas d'Europe de la défense crédible.
J'en viens maintenant aux autres défis qui nous attendent collectivement au cours des mois à venir.
Le premier de ces défis découle de l'épreuve de vérité que constituera, d'ici la fin de l'année en cours, la déclaration " d'opérationnalité " de l'Union européenne. Cette échéance correspond en fait au rythme que nous nous étions imposé dès le début. Nous avons su mettre en place les structures permanentes de la PECSD et engager la validation de ces structures et des procédures de gestion de crises dans les délais fixés. J'aimerais rendre hommage à l'excellent travail accompli à cet égard par la présidence suédoise. C'est un premier succès, nécessaire à l'opérationnalité de l'Union.
Nous savons tous que les accords de mise à disposition des moyens et capacités de l'OTAN, dits " Berlin plus ", constituent un élément important de cette opérationnalité. Il est donc essentiel que l'Alliance puisse remplir les engagements qu'elle a souscrits au Sommet de Washington il y a maintenant deux ans. Les travaux au sein de l'OTAN demeurent, en dépit des efforts récents déployés, bloqués par un allié. Il faudra continuer de convaincre la Turquie qu'il est de son intérêt, de celui de l'Alliance, et de celui de la coopération UE/OTAN qu'elle y mette fin, car il n'y a pas d'autre solution.
Une fois déclarée " opérationnelle ", l'Europe de la défense sera face à ses responsabilités. Cela ne signifie certes pas que l'Union sera en mesure de gérer dès la fin 2001 des crises sur l'ensemble du registre des missions de Petersberg. Cela signifie simplement, mais concrètement, que l'Union sera en mesure, dès lors que ses membres en auront décidé ainsi, de gérer une crise, dans ses différents aspects. Cette " opérationnalité " s'améliorera avec le développement de notre politique d'exercices, et l'amélioration de nos capacités militaires. D'ores et déjà, nous devons nous y préparer, militairement cela va sans dire, mais aussi politiquement et peut-être, devrais-je dire, psychologiquement. Voilà pourquoi le développement des outils militaires doit s'accompagner inévitablement, à mon sens, de celui d'une " culture de la décision ".
Ce travail est déjà à l'uvre, dans les travaux au jour le jour au sein des instances de l'Union européenne, notamment le COPS, où se traite désormais la politique étrangère et de sécurité commune, mais aussi le comité militaire et l'état-major de l'Union.
Il faudra également être capable de décider, de décider vite, en réduisant au maximum la marge d'erreur possible. Or, dans la décision aussi, le rôle des pays plus peuplés sera fondamental : parce qu'ils sont les mieux renseignés sur les situations et qu'ils investiront davantage sur le terrain, en moyens civils et militaires. La décision appartient à qui est prêt à prendre des risques : on l'a vu encore récemment dans toutes les opérations qui se sont déroulées, au sein de l'Alliance atlantique comme des Nations Unies, en Europe comme ailleurs.
A ce propos, je souhaite souligner que la question de la prééminence de la gestion civile des crises est très clairement réglée par la pratique. Aux yeux de tous nos pays, la gestion militaire est un outil au service de l'action politique et ne saurait en aucun cas la précéder ou la contraindre ; notre préoccupation ne doit pas être de réaffirmer la subordination du militaire au politique, parce qu'elle est évidente, mais de faire du militaire un outil efficace du politique - et non un outil incertain.
Les capacités elles-mêmes font l'objet d'un effort de longue haleine pour lequel un calendrier de moyen terme a été défini sur la base de l'année 2003. Encore une fois, cela ne signifie nullement que l'Union disposera de toutes ses capacités à cette échéance, ni, inversement, qu'elle en sera totalement dépourvue avant. Je suis optimiste quant à notre capacité de progresser et notre volonté de le faire. J'en veux pour témoignages la force de l'engagement du Corps européen au Kosovo et, dans un autre registre, la signature récente du MoU sur l'Airbus A400M au salon du Bourget.
Un autre type de défi tient à la nécessité de poursuivre sur la voie déjà tracée en définissant avec l'OTAN une relation sans complexe, fondée sur l'intérêt réciproque bien compris. Cette relation est d'ores et déjà mise en uvre. Nos actions concertées en Serbie du sud et en Macédoine ainsi que les missions conjointes des deux Secrétaires Généraux montrent la parfaite coordination entre les deux organisations.
L'Union et l'OTAN, il ne faut jamais l'oublier, ont 11 membres en commun, et des intérêts et des valeurs pour l'essentiel partagés.
La mise en place d'une Europe de la défense est d'abord une extension du champ de responsabilité proprement politique de l'UE sur les questions internationales. Elle vient aussi élargir les options de notre partenariat transatlantique, en offrant des nouvelles possibilités d'action là où, pour une raison ou pour une autre, l'Alliance en tant que telle n'est pas engagée.
L'Union et l'Alliance ont aussi beaucoup à s'apporter. L'Union bénéficiera des acquis et de l'expérience de l'Alliance, de son sens des responsabilités et cette culture de la décision que j'évoquais tout à l'heure. L'Alliance, de son côté, doit bénéficier de la PECSD, dans l'adaptation interne qu'elle a engagée aux nouveaux enjeux de la gestion de crise. Notre ambition est bien que l'amélioration des capacités mise en uvre dans le cadre européen renforce les moyens mis à la disposition de l'Alliance.
J'ai confiance en la capacité des Européens à inventer de nouvelles formes de travail en commun, plus souples et plus anticipatrices. C'est dans cet esprit que nous devons nous engager dans un processus de rapprochement de nos programmations militaires nationales. Comme l'a déclaré le Premier ministre récemment, " il paraît souhaitable que la loi de programmation (à venir) soit la dernière élaborée dans un cadre strictement national ".
L'engagement pris le 19 juin sur l'A400M est, à cet égard, une étape est très importante. La capacité de projection qu'obtiendront les Européens grâce à une flotte de plus de 200 appareils constituera un socle essentiel à notre aptitude à gérer des crises de manière autonome. Je forme le vu que le Bundestag souscrive au projet prôné par le gouvernement fédéral.
D'autres choix, bilatéraux, ont connu un début de concrétisation au Bourget, notamment sur les projets Meteor et sur le Tigre. La capacité franco-allemande d'entraînement, dont elle témoigne, devra aussi jouer dans le domaine crucial du renseignement stratégique : les projets Hélios et SAR Lupe doivent converger et être complémentaires.
La capacité de commandement et de contrôle est aussi essentielle : la France et le Royaume Uni sont prêts à ouvrir leurs QG stratégiques au degré de " multi-nationalisation " que requièrent des opérations européennes. L'Allemagne nourrit un projet semblable, dont je me réjouis car il manque un choix clair de prise de responsabilité autonome, et renforce les moyens propres des Européens. Il y a toute une gamme d'échanges possibles entre ces trois structures de planification opérationnelle, et je crois utile de les étudier.
De la sorte, nous inventons déjà de nouveaux partages de capacités, avec le meilleur rendement possible pour nos dépenses. Nous montrons aussi la voie en créant une cellule de coordination du transport stratégique, sans doute appelée à se renforcer en fonction de nos besoins respectifs.
Il nous faut dès maintenant réfléchir à de nouvelles étapes. Nos processus de planification et de programmation militaire devront, à terme, converger. Pas question ici de légiférer ou de forcer une démarche qui relèvera, encore pour longtemps, de la pleine souveraineté nationale. Mais renforçons nos consultations sur les méthodes de programmation. Et, sans attendre, travaillons à élaborer un socle doctrinal commun dans le domaine de la défense. Le Livre blanc européen sur la défense et la sécurité en sera une première étape.
Maintenant que nous avons ouvert la voie, nous devons être conscients du fait que nous avons une responsabilité devant l'Histoire. Nos représentants et nos opinions publiques nous reprocheraient - justement - un échec ou un abaissement du projet engagé à Cologne. Nous leur devons de réussir. Et notre responsabilité existe également à l'égard de nos partenaires de l'Alliance atlantique. Nous devons faire la preuve, dans les années qui viennent, que nous traduisons nos paroles en actes et en décisions concrètes. C'est par ce chemin que passe la rénovation du partenariat transatlantique que nous appelons tous de nos vux.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 10 juillet 2001)