Conférence de presse de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, sur les sujets d'actualité internationale, notamment le dialogue OTAN-Russie, les opérations de l'OTAN en Afghanistan, la Libye et l'Iran, Bruxelles le 7 décembre 2011.

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Circonstance : Session ministérielle du Conseil de l'Atlantique Nord à Bruxelles le 7 décembre 2011

Texte intégral

Je ferai quelques brèves remarques avant de répondre à vos questions. Nous avons évoqué l’opération Protecteur Unifié en Libye pour constater qu’elle avait été un beau succès de l’Alliance, qu’elle nous a permis d’éviter un bain de sang en Libye et qu’elle a été conduite dans des conditions qui nous ont évité tout dommage collatéral dans le respect du mandat prévu par la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies.
Nous avons ensuite évoqué la situation en Afghanistan pour nous réjouir du succès de la Conférence de Bonn qui a permis d’élaborer la «feuille de route» - si je puis dire -, avec d’abord la mise en œuvre de la transition. Vous savez que la France était très directement concernée puisque la Surobi a été incluse dans la dernière vague de régions dans lesquelles la sécurité est transférée aux autorités afghanes. Ceci va nous permettre de mettre en œuvre les annonces du président de la République, en particulier le retrait d’un millier de soldats français. Nous poursuivrons jusqu’en 2013.
À Bonn, nous nous sommes aussi projeté dans l’après-2014. La France, je l’espère, va pouvoir signer avec l’Afghanistan un Traité de coopération et d’amitié qui permettra de nous projeter dans les vingt prochaines années avec un plan d’action sur les cinq premières années traitant de sujets divers comme la sécurité mais aussi l’éducation, l’agriculture et la santé. C’est donc dans un partenariat de long terme avec l’Afghanistan, dans lequel l’OTAN sera impliquée, que nous sommes engagés.
Nous avons également beaucoup parlé des Balkans occidentaux qui ont vocation à s’intégrer dans l’espace euro-atlantique. Nous avons condamné les attaques inadmissibles dont la KFOR a été l’objet au Kosovo. J’ai rendu hommage aux personnels de cette force qui ont réagi avec sang-froid et beaucoup de professionnalisme. Nous continuons donc à soutenir la KFOR pour qu’elle exerce son mandat en coordination avec la mission européenne EULEX. J’ai aussi indiqué que cette volonté de partenariat avec les Balkans occidentaux concernait les différents pays de la région, dont la Serbie qui fait des progrès dans son processus de réforme. L’accord passé le 2 décembre sur les contrôles douaniers permet aussi d’avancer. Dans la mesure où le dialogue entre Belgrade et Pristina se confortera, nous souhaitons aussi que la Serbie soit partie prenante de ce partenariat.
Et puis, nous avons commencé à évoquer la question de la Russie. Nous en reparlerons demain avec le Conseil OTAN-Russie. Pour la France, la Russie est un partenaire important. Nous souhaitons que l’élan qui a été donné au Sommet de Lisbonne pour resserrer ce partenariat ne se perde pas, même si parfois cette coopération est difficile. Elle avance dans de nombreux domaines. Je pense à l’Afghanistan, à la lutte contre le terrorisme et la piraterie.
Nous sommes en revanche, pour l’instant, dans une situation de quasi-blocage concernant la défense anti-missile. Comme d’autres délégations, en particulier celle de Mme Clinton, j’ai indiqué que cette défense anti-missile n’était pas dirigée contre la Russie et que nous souhaitions y travailler avec elle dans la perspective du Sommet de Chicago. Certaines déclarations, notamment celles du président Medvedev sur la défense anti-missile, semblaient marquer un refroidissement des relations entre l’OTAN et la Russie. Mais nous souhaitons ne pas sur-réagir à cette déclaration et la porte reste ouverte à la discussion. La discussion de demain sera, j’en suis sûr, très riche et très franche.
Voilà les principaux sujets évoqués.
Q - Ce refroidissement de la Russie, vous l’attribuez uniquement à la période électorale que la Russie vient de connaître ou à des raisons plus fondamentales ?
R - Sans doute la période électorale est-elle propice à un certain durcissement. D’ailleurs, à ce sujet, je voudrais faire part de la préoccupation de la France sur la façon dont ces élections se sont déroulées. L’OSCE a déjà fait des constats sévères sur l’organisation de ces élections. Je souhaite aussi rappeler que, dans notre coopération étroite avec la Russie, nous sommes attachés à un certain nombre de principes fondamentaux, notamment la liberté de manifester. Nous sommes préoccupés par les arrestations et les interpellations qui se multiplient depuis que le résultat des élections est connu.
Ceci crée un contexte qui peut expliquer ces durcissements. Néanmoins, ceci ne remet pas en cause l’objectif qui est le nôtre, celui de considérer la Russie comme un partenaire privilégié de l’Union européenne, de l’OTAN et de la France. Je n’ai pas oublié les déclarations du président Obama au président Medvedev qui lui a dit : «You are not only a partner, you are also a friend». J’espère que ceci pourra se concrétiser dans les mois qui viennent.
Q - Comment réchauffer ce dialogue s’il est bloqué depuis quasiment un an ?
R - En le poursuivant. Vous savez qu’à Honolulu le président Obama et le président Medvedev ont désigné des médiateurs pour continuer le dialogue sur la défense anti-missile. Aucune porte n’est fermée.
Q - Certaines personnes font le lien entre cette situation et la situation au Pakistan où des lignes de ravitaillement sont bloquées et pensent que l’OTAN se trouve peut-être dans une situation moins aisée pour négocier vu qu’elle a peut-être besoin de passer par la Russie pour le ravitaillement. Y voyez-vous un lien ?
R - Non, il n’y a pas de lien. Je crois que la coopération avec la Russie, s’agissant de l’Afghanistan, est satisfaisante. Là-dessus, il n’y a pas de changement. La difficulté, en l’espèce, c’est le Pakistan, pas la Russie.
Q - Ce sujet a-t-il été discuté aussi ?
R - Oui, nous avons évoqué la situation avec le Pakistan. C’est un interlocuteur difficile et pourtant incontournable. Là encore, il faut retisser tous les liens qui permettent d’avoir un dialogue.
Q - Comment contourner les difficultés nées des derniers incidents et la mort des gardes-frontaliers pakistanais qui restent un sujet sensible ?
R - C’est un sujet sensible. J’ai vu les réactions que cela avait provoqué. Le président Karzaï - c’était d’ailleurs une des conclusions de la Conférence de Bonn - reste tout à fait convaincu qu’il n’y aura pas de retour à la stabilité et à la paix en Afghanistan sans un dialogue constructif avec le Pakistan. La France avait lancé cette idée de «sécurité collective», avec les voisins de l’Afghanistan, qui a été reprise à la Conférence d’Istanbul. C’est désormais ce qu’on appelle le Processus d’Istanbul. Nous allons donc travailler dans cette direction sans sous-estimer les difficultés actuelles.
Q - L’OTAN a annoncé plusieurs fois qu’elle souhaite renforcer sa relation avec les pays arabes et notamment la Libye. Comment voyez-vous la relation de la France avec ces pays et comment perçoit-elle la montée des mouvements islamiques ?
R - Vous savez que l’OTAN développe deux cadres de partenariat avec les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient : le Dialogue méditerranéen, d’un coté, et l’Initiative de Coopération d’Istanbul avec les pays du Golfe. Il nous semble que la Libye a sa place dans le Dialogue méditerranéen. Nous sommes tout à fait favorables à une mise en place du Dialogue.
S’agissant de la France et des pays du Printemps arabe, l’aspiration à la démocratie des peuples arabes doit être prise en compte. Quand il y a des élections qui se déroulent dans de bonnes conditions, comme cela a été le cas au Maroc, en Tunisie et apparemment en Égypte, on ne peut contester le résultat de celles-ci. Nous en prenons acte. C’est la volonté des peuples concernés. Dans le même temps, nous sommes également en droit de rester ferme sur nos principes et de rappeler qu’il y a certaines lignes rouges sur lesquelles nous serons vigilants. Je suis moi-même attentif aux déclarations de certaines formations politiques égyptiennes - je pense notamment au parti al-Nour -, sur lesquelles il faudrait des clarifications de la part de ceux qui participeront au prochain gouvernement.
Q - Concernant le cas libyen, on parle beaucoup de la présence incontrôlée d’armes sur le territoire. S’agit-il d’un sujet de préoccupation actuel aujourd’hui ?
R - C’est un sujet de préoccupation. Nous souhaitons aider le nouveau gouvernement libyen à mieux maîtriser la situation. Ce qui nous préoccupe le plus, ce sont les armes qui sont en dehors du territoire libyen et qui sont parties dans le Sahel. La situation est en train de se dégrader. J’ai rencontré ce matin mon homologue algérien et nous avons évoqué la nécessité de renforcer la coopération régionale au Sahel entre la Mauritanie, le Mali, le Niger et l’Algérie. Vous le savez, l’Union européenne est prête à aider. Nous avons obtenu la mise en place d’un Plan Sahel qui apportera un soutien en matière de formation et de sécurité pour faire face à ce défi.
Q - Sur l’Iran, vous avez indiqué, après la rencontre avec vos collègues de l’Union européenne, qu’un embargo serait une possibilité. Où en est le travail sur ce thème et s’agit-il d’un thème de discussion à l’OTAN ?
R - Nous y travaillons. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une question pour l’OTAN, c’est une question pour les Nations unies ou l’Union européenne. Cette dernière a déjà pris des sanctions.
Lors du dernier Conseil Affaires étrangères, il a été décidé de travailler sur les deux propositions françaises, qui sont le gel des avoirs de la Banque centrale et l’embargo sur les exportations pétrolières de l’Iran. Nous sommes en train de travailler et de voir comment éviter que certains pays européens ne soient pénalisés par l’embargo sur les exportations pétrolières. Il y a des possibilités de compensation avec d’autres pays producteurs.
J’ai vu aussi que le Congrès américain avait pris un certain nombre de décisions sur le gel des avoirs financiers. Nous sommes toujours sur la doctrine de la double piste - «double track» - avec l’Iran. Nous sommes prêts à dialoguer et nous avons fait des propositions en ce sens. Malheureusement, les lettres de Mme Ashton n’ont pas reçu de réponse satisfaisante jusqu’à présent. Simultanément, nous souhaitons durcir les sanctions puisque le dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique nous a confirmé dans la conviction que l’Iran développait un programme de constitution de l’arme nucléaire.
Q - Toute cette question de compensation pétrolière, dont vous parliez déjà à la dernière sortie du Conseil Affaires étrangères, vous avez avancé sur les pistes, les alternatives ?
R - Des alternatives existent. Plusieurs pays producteurs sont prêts à augmenter leur production. La Libye, par exemple, a une production qui augmente sensiblement. Il y a d’autres pays comme l’Arabie saoudite. J’ai évoqué cette question quand j’étais dans le Golfe, il y a deux semaines. L’Union européenne y travaille aussi.
Je vous rappelle que le prochain Conseil Affaires étrangères se tiendra en janvier. On évoquera à nouveau cette question à ce moment-là.
Q - Sur l’Afghanistan, l’incident à la frontière entraîne-t-il des conséquences sur la logistique ?
R - Nous souhaitons surmonter cette difficulté avec le Pakistan. Les derniers attentats perpétrés en Afghanistan compliquent les choses puisque le président Karzaï considère que l’origine de ces attentats est au Pakistan.
Q - Cela complique-t-il les choses pour l’OTAN ?
R - Cela complique les choses. Comme je le disais, il n’y aura pas de solution pour la sécurité et la stabilité de l’Afghanistan si nous n’arrivons pas à impliquer le Pakistan dans un accord de sécurité régionale, qui avait été lancé par la France et qui constitue aujourd’hui le Processus d’Istanbul.
Q - Les autres opérations de l’OTAN ont-elles été évoquées aujourd’hui ? Notamment celle qui concerne la formation des forces de sécurité en Irak et la mission anti-piraterie dans l’Océan indien ? On arrive en effet à terme du mandat de la mission de formation en Irak. Y a-t-il une prolongation en perspective ?
R - On n’en a pas parlé. Ce sera à l’ordre du jour le moment venu.
Q - Sur la question de l’octroi du statut de candidat à la Serbie qui pourrait être décidé vendredi, la France est-elle toujours sur la même position alors que, selon les dernières informations, certains pays vont essayer de bloquer le processus ?
R - Nous pensons toujours que la Serbie a fait des progrès dans la direction que nous souhaitions. Je ne reviens pas sur les arrestations auxquelles elle a procédé à la demande du TPI. Des réformes sont également en cours. Nous considérons donc qu’il faut donner à la Serbie un signal d’encouragement pour, notamment, l’inciter à poursuivre son dialogue avec Pristina. Des accords ont été signés. Nous ne voyons pas de raison pour ne pas avancer dans la reconnaissance du statut de candidat de la Serbie. Ce sera discuté au prochain Conseil européen et dans les semaines qui viennent. Il y a encore des réticences de l’Allemagne mais nous ne désespérons pas de faire avancer le dossier.
Q - L’arrêt de la Cour internationale de Justice change-t-il quelque chose pour la Macédoine ? Le processus va-t-il s’accélérer ?
R - On ne l’a pas évoqué aujourd’hui. On a redit que l’objectif était l’intégration de l’ensemble des pays des Balkans dans la zone euro-atlantique. Nous encourageons la reprise du dialogue entre Athènes et Skopje.
Q - On a voulu donner à la Russie, concernant le bouclier anti-missile, des garanties de participation, d’implication et d’information sur le projet. Cela n’a pas l’air de fonctionner. Que peut-on faire d’autre ?
R - Convaincre la Russie que ce n’est pas dirigé contre elle. Je sais bien que c’est une tâche difficile mais les processus de négociations sont relancés avec l’initiative des présidents Obama et Medvedev. On a encore du chemin à faire d’ici Chicago. J’espère que les choses pourront se débloquer même si l’on reste dans un contexte pré-électoral en Russie.
Q - La situation budgétaire des États va-t-elle influer sur ce projet ? Il est très coûteux, va-t-il être retardé ?
R - Il est effectivement très coûteux, c’est vrai. À présent, la seule décision financière qui ait été prise, c’est de limiter l’implication des pays de l’Alliance au financement du C2. Pour le reste, il s’agit d’un financement national.
J’ai également évoqué la Defense and Deterrence Posture Review (DDPR) pour rappeler que, pour la France, le maintien aujourd’hui d’une capacité de dissuasion nucléaire est absolument essentiel à l’équilibre du monde et à la sécurité de notre pays et de l’Alliance dans son ensemble. Nous ne souhaitons pas que cet exercice aboutisse à affaiblir cette capacité de dissuasion, comme cela a été clairement dit à Lisbonne.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 décembre 2011