Conférence de presse et entretien avec la chaîne de télévision marocaine "2 M" de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur le Forum méditerranéen de Tanger, le processus de Barcelone, la coopération entre l'Union européenne et les pays de la rive Sud de la Méditerranée et la situation au Proche-Orient et au Maghreb, Tanger, le 10 mai 2001.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Forum méditerranéen, réunissant cinq pays méditerranéens et six pays de l'Union européenne, à Tanger le 10 mai 2001

Média : 2 M

Texte intégral

Entretien de M. Hubert Védrine avec la presse
Q - On nous a dit que ce Forum est un Forum d'idées ; les travaux seront à huis clos ; quels en sont les grands projets, les idées, les aspects les plus concrets ?
R - C'est plutôt à la présidence marocaine de le dire en conclusion. Ce que je peux vous dire, c'est que je partage cette conception du Forum. Nous avons le processus de Barcelone qui est très important, très ambitieux, mais qui regroupe beaucoup de pays. Ce sont des échanges, évidemment, qui n'ont pas la liberté et la rapidité et l'aisance qu'on peut avoir dans un groupe plus petit comme celui-ci. Chaque fois que j'ai participé à des réunions de ce Forum, j'ai trouvé que ce qui était justement remarquable, c'était ce côté informel, dans le bon sens du terme : non pas que ce ne soit pas organisé ; informel au sens où ce ne sont pas des réunions dans lesquelles on négocie, mot après mot, le texte d'un communiqué, mais où on a de vrais échanges. Et il y règne en général dans ces réunions, et je suis sûr que ce sera la même chose à Tanger, un climat de confiance, un climat de sympathie mutuelle, un climat de compréhension. L'approche des pays de la rive Sud ne peut pas être la même que celle des pays du sud de l'Europe ; et justement, c'est très important qu'il y ait ce type d'échanges. Donc moi aussi je suis favorable à cette approche, que ce soit sur les questions de sécurité en Méditerranée, les questions de coopération et de développement économique, les questions de mouvements de populations, les grandes questions sur " où va l'Europe " avec cette interrogation constante sur : "l'Europe s'intéresse à son élargissement à l'Est mais pas assez au Sud". Enfin, ce sont des interrogations qui reviennent tout le temps ; à chaque fois ces rencontres ont permis aux ministres présents de mieux se comprendre, ce qui n'aboutit pas forcément à des décisions dans un Forum informel, mais cela fait qu'ensuite le travail qui a lieu dans le processus de Barcelone ou entre l'Union européenne et ses partenaires a lieu plus facilement. Maintenant c'est à la présidence marocaine de diriger les travaux, de nous orienter sur tel ou tel point précis.
Q - Vu que le processus de Barcelone échoue ou fait du sur-place, pour plusieurs raisons, ne faut-il pas plutôt encourager le 5 + 5 ?
R - On ne peut pas dire que le processus de Barcelone échoue ; une des meilleures preuves c'est qu'à l'automne dernier, alors que nous étions dans un contexte très difficile à cause du Proche-Orient, nous avons quand même réussi à tenir la réunion de Marseille. Nous avons réussi à sauver le programme MEDA, et vous ne pouvez pas dire que ce soit un échec puisque nous l'avons sauvé. Et grâce à ça, les pays méditerranéens de l'Union européenne ont pu avoir assez de force et d'influence au sein des Quinze pour qu'on garde des moyens budgétaires importants pour ce programme ; sinon tous les moyens auraient été orientés vers les Balkans ou vers d'autres sujets. Donc on ne peut pas dire qu'il y a un échec. C'est un processus qui est très ambitieux : la coopération avec 27 pays sur autant de sujets ; c'est une ambition qui progresse difficilement à cause de sujets comme le Proche-Orient ; mais aucun des pays membres du processus de Barcelone n'a envie d'y renoncer. Et il ne faut pas opposer cette grande structure et des initiatives plus restreintes : donc le Forum où nous sommes aujourd'hui est très bien, c'est une bonne chose. Le 5 + 5, nous Français, nous étions favorables à la relance de cette structure, qui est aussi une structure de confiance, où on peut se parler. Ce sont des choses qui se complètent, qui ne se contredisent pas.
Q - On a l'impression que les pays de la rive Sud de la Méditerranée tentent un peu de réunir leurs efforts et d'avancer sur le plan économique et politique, mais par le biais d'un partenariat avec l'Union européenne et avec les pays du sud de la Méditerranée. Or de la part de ces pays on constate qu'il y a une hésitation à s'engager très fort dans cette coopération. Qu'en pensez-vous ?
R - Je ne vois pas tout à fait les choses comme ça. Les pays de la rive Sud de la Méditerranée comme tous les autres pays veulent se développer. Dans leur stratégie de développement économique, la coopération avec des pays comme l'Espagne, la France, le Portugal ou l'Italie est naturellement importante ; en plus la coopération avec l'Union européenne en tant que telle est très importante. Elle vient s'ajouter à leurs propres efforts. Plusieurs d'entre eux ont des Accords d'Association ; d'autres sont en train de les négocier. Donc là aussi, au fond, les pays de la rive Sud font quelque chose que je comprends très bien : ils cherchent à mettre le maximum d'atouts de leur côté par rapport à ça. Quand nous négocions les Accords d'association, c'est comme tous les accords, ce n'est pas particulier à la rive Sud de la Méditerranée. Il y a des critères pour négocier ces accords et l'Union européenne peut les signer quand tous les problèmes de la négociation ont été réglés. Du côté de l'Union européenne, il y a un très vif désir de voir le plus grand nombre possible d'accords signés et, une fois qu'ils sont signés, de voir ces accords être utilisés au mieux pour le développement de ces économies. Donc il n'y a pas d'opposition ; mais au bout du compte, ce sont des cadres juridiques, politiques. Quand on en arrive aux décisions économiques, en tous cas dans l'économie moderne, contemporaine, libérale de marché, les décisions des agents économiques, des investisseurs par exemple, ne sont pas prises par les gouvernements. Ceux-ci peuvent favoriser, encourager, garantir, inciter, tout ce qu'on veut ; mais ils ne peuvent pas décider à la place des investisseurs. Donc il faut que cette mécanique politique, volontariste et ambitieuse soit complétée par des politiques économiques adéquates, qui font venir les investissements. Tout le travail, c'est de faire converger tout ça, que ce ne soit pas des oppositions.
Q - Après votre tournée au Moyen-Orient, comment évaluez-vous la situation ? Est-ce qu'il y a une initiative française ? Qu'est-ce que le Forum peut apporter à la situation au Moyen-Orient ?
R - Le Forum, je le répète, est une instance informelle qui est un lieu d'échanges. Mais ce Forum ne peut pas se réunir sans traiter des sujets les plus graves qui concernent cette zone. C'est pour ça que nous aurons un échange pendant le dîner sur la question du Proche-Orient : une situation qui est grave, qui est même la plus grave depuis longtemps, sur laquelle la France à plusieurs reprises a exprimé sa grande inquiétude. J'ai constaté, il n'y a pas longtemps, que les choses sont totalement bloquées entre Israël et la Syrie et donc Israël et le Liban. Mais c'est une conséquence du problème central entre les Israéliens et les Palestiniens et, à cet égard, toute notre action vise à arrêter l'engrenage de la violence et, dès qu'on le pourra, à rétablir une perspective politique, parce qu'il est illusoire de penser que l'on puisse recréer une situation de sécurité pour les uns et pour les autres s'il n'y a pas une perspective politique ; alors nous aurons certainement un échange sur cette grave question et les ministres européens présents à ce dîner pourront expliquer à leurs partenaires de la rive Sud quels ont été les échanges que nous avons eus le week-end dernier en Suède où se s'est tenue une réunion informelle des ministres des Quinze.
Q - Sur le dossier de l'accord de pêche, la France pourrait-elle jouer les bons offices entre le Maroc et l'Espagne pour débloquer ce dossier avant la réunion du Conseil des ministres prévu pour juin ?
R - Je ne pense pas que la France puisse en tant que telle jouer les bons offices parce que la France est membre de l'Union européenne, donc qu'elle a une solidarité avec l'Union, et que dans notre organisation de l'Union européenne, c'est la Commission qui négocie sur ces questions. La France ne peut pas se substituer à la Commission pour faire des va-et-vient et aller négocier à sa place ; ce que nous pouvons faire, c'est dire clairement ce que nous pensons, et nous l'avons dit à plusieurs reprises : nous estimons qu'il faut encore rechercher, si c'est possible, un bon accord de compromis qui tienne compte des intérêts légitimes des uns et des autres ; et dans ces intérêts légitimes, j'inclus les droits légitimes du Maroc sur sa zone de pêche, sur sa zone halieutique. Et on ne peut pas prendre directement en charge cette négociation.
Q - Quelle est votre évaluation de la situation au Maghreb, et notamment des relations entre le Maroc et l'Algérie ?
R - Ce n'est pas à moi d'apprécier les relations entre les différents pays du Maghreb ; ce que nous souhaitons, nous, c'est que les pays du Maghreb s'entendent et coopèrent.
Q - Est-ce que vous allez rencontrer votre homologue algérien ?
R - Certainement ; chaque fois que j'ai été présent dans ces Forums, j'ai saisi cette occasion pour avoir des entretiens bilatéraux avec tous les ministres présents.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mai 2001)
Entretien de M. Hubert Védrine avec la chaîne de télévision marocaine "2 M"
Q - Quelle est la position de la France par rapport à ce Forum ? Qu'en attendez-vous ?
R - La France apprécie beaucoup ce Forum ; personnellement, j'ai participé à toutes les réunions du Forum depuis que je suis ministre, parce qu'évidemment nous avons le cadre de Barcelone, très important mais c'est un cadre à vingt-sept. Donc c'est nécessairement lourd, c'est plus compliqué, c'est plus formaliste, pour des raisons d'efficacité ; nous avions besoin d'une entité plus petite, dans laquelle les pays de la rive Sud de la Méditerranée puissent rencontrer de façon plus informelle (et quand je dis cela, c'est positif) les pays du Sud de l'Europe. Nous le faisons, et à chaque fois nous parlons avec beaucoup de franchise et de confiance sur tous les sujets : la sécurité en Méditerranée, les échanges humains, les questions économiques ; alors évidemment, ce ne sont pas des Forums qui prennent des décisions à la place des instances compétentes, mais on se comprend toujours mieux sur les problèmes ; je suis sûr que ce sera encore une fois ce qui va se passer à Tanger.
Q - Quels sont les sujets qui seront le plus abordés, qui sont le plus d'actualité ?
R - La présidence marocaine a prévu plusieurs sujets. On va parler forcément de la situation au Proche-Orient, qui est vraiment mauvaise et très préoccupante ; mais en ce qui concerne la coopération entre les pays membres, on va parler de développement économique, on va parler des échanges humains. Les pays de la rive Sud vont questionner les Européens à propos des développements de la politique de sécurité en Europe et de la défense européenne : pourquoi, comment, qu'est-ce que cela veut dire ? Puis il y a toujours une sorte d'interrogation des pays du Sud : l'Union européenne se préoccupe de son élargissement à l'Est des pays européens candidats à l'entrée ; est-ce que ça veut dire que vous ne vous intéressez plus aux autres ? Et à chaque fois, on répond : il n'y a pas de contradiction : ce sont des politiques complémentaires, et l'Union européenne a une capacité suffisante pour mener de front cette politique d'élargissement, sa politique méditerranéenne et différents programmes, le programme MEDA, par exemple. On peut faire les uns et les autres.
Q - Il y a notamment beaucoup d'attentes par rapport au processus de Barcelone qui tarde à donner ses fruits.
R - Le processus de Barcelone, c'est un processus à long terme, avec beaucoup de choses : il y a des perspectives de négociation d'accord de libre-échange, un grand programme de coopération qui est le programme MEDA, et puis il y a tout simplement l'habitude de travailler en commun : les échanges politiques, les échanges culturels, de très nombreuses initiatives. Nous avons réussi à Marseille, en novembre dernier, à sauver tous ensemble ce processus de Barcelone alors qu'il était véritablement compromis par la situation très grave au Proche-Orient. Et si les uns et les autres ont voulu le sauver alors que ça posait des problèmes sérieux, graves, à certains pays arabes par exemple, c'est parce qu'ils ont vu que, à long terme, l'intérêt de la coopération entre la rive Sud et le sud de l'Europe était plus important que toutes les difficultés que nous pouvons traverser. Donc c'est bien qu'il y a une vision stratégique commune ; alors après, étape après étape, rendez-vous après rendez-vous, soit à vingt-sept, soit dans des forums plus restreints, nous faisons avancer ce grand projet.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mai 2001)