Texte intégral
L'Europe, notre Europe, est une idée qui s'inscrit aujourd'hui pleinement dans la réalité.
Dans moins de huit mois, cette réalité prendra pour trois cents millions de citoyens européens la figure de l'euro.
La construction de l'Union européenne a progressé par étapes successives et pragmatiques ces cinquante dernières années avec une méthode originale d'intégration économique et monétaire:
- approche économique (18 avril 1951, CECA ; communauté économique européenne, 25 mars 1957 ; achèvement de l'union douanière, le 1er juillet 1968 ; réalisation du marché unique) ;
- approche monétaire (plan BARRE, le 12 février 1969 et sommet de La Haye, décembre 1969 ; création du serpent monétaire, mise en place du SME, 1978 - 1979) ;
- élargissement progressif de 6 à15 ;
- le tout couronné par le traité de Maastricht avec la mise en place de la troisième phase de l'union économique et monétaire qui va s'achever pour onze des pays de la communauté.
Cette méthode de construction originale fait que certains ne voient dans la construction européenne que règlements, directives et contentieux et réduisent le projet européen à la constitution d'un marché, condamné à se diluer dans la mondialisation.
Or l'Europe ne se résume pas à une simple association d'intérêts. Depuis ses origines, la construction européenne est un processus politique. L'intégration économique est perçue d'emblée comme un instrument "l'Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait" (Robert SCHUMANN, 9 mai 1950).
Le choix de l'intégration dans une même communauté marque pour tous les Etats membres l'abandon d'un destin national solitaire pour un futur partagé. Or ce choix, que nos deux pays ont été parmi les premiers à faire n'a été possible que parce que nous partageons des valeurs communes qui constituent le véritable ferment de notre union.
La démocratie et les droits de l'homme mais aussi une conception commune de la solidarité, du progrès social, une certaine idée de l'homme fondée sur le respect de la personne, voilà les principes fondateurs de la civilisation européenne consacrés par la Charte des droits fondamentaux dont vient de se doter l'UE.
Mais pour que l'Europe puisse s'affirmer comme porteuse de ces valeurs, il fallait que notre continent, si souvent déchiré par des conflits internes, devienne une terre de paix. Dans le contexte de la guerre froide qui a marqué la deuxième partie du 20ème siècle, c'est d'abord la solidité du lien constitué par l'Alliance atlantique qui a préservé la paix. Mais c'est aussi le processus d'intégration par l'échange et le partage, promu par les "pères fondateurs" qui fait aujourd'hui de l'Union européenne un espace pacifié, de prospérité et de stabilité.
Ce modèle, l'Union européenne a vocation selon moi à le faire vivre et à le porter dans le cadre de la redéfinition actuelle de l'ordre mondial. L'Union européenne a ainsi à défendre la paix et la démocratie dans le monde, conditions indispensables à la prospérité et à la solidarité.
Pour assurer sa sécurité, mais aussi pour contribuer au maintien de la paix dans le monde, l'Europe a besoin d'une défense commune ; ses fondations ont été jetées ; la France et l'Allemagne y ont, comme dans les autres domaines de la construction européenne, fortement contribué par leurs initiatives communes (création d'une brigade franco-allemande le 29 septembre 1989, mise en place d'un corps européen au premier semestre 1992). L'Union est en passe de se doter d'une force de réaction rapide. Elle doit bâtir une doctrine globale d'intervention et d'emploi de cette force et définir une stratégie de défense à long terme.
Mais l'Europe de la défense doit se construire dans le respect de nos alliances et des intérêts de sécurité que nous partageons avec nos partenaires de l'Alliance Atlantique, c'est pourquoi, je voudrais aujourd'hui présenter les principes qui ont guidé les membres de l'Union européenne dans la construction, entreprise voici deux ans et demi, de l'Europe de la défense et qui concourent à consolider l'Alliance atlantique, comme c'est notre vu à Paris et à Berlin.
Je pourrais commencer par vous dire que je connais évidemment les intentions ou le rôle prêtés à la France par ceux qui ne connaissent pas ou ne veulent pas connaître ni la réalité de l'Union européenne d'aujourd'hui, ni celle de l'OTAN. De manière pragmatique, nous apportons sur le terrain une réponse explicite en participant à toutes les opérations de l'OTAN, cet engagement vient d'être une fois encore apprécié au plus haut point par la désignation d'un Général français pour commander la KFOR 6 à partir de l'automne prochain. Je n'oublie pas que c'est dans la réalité des opérations, des responsabilités sur le théâtre que l'on mesure pleinement le sens de la solidarité entre alliés.
Pour commencer mon propos sur l'Europe de la défense, je pose d'entrée une question à ceux qui voient dans l'entreprise européenne un risque de découplage : à quoi ressemblerait le lien transatlantique aujourd'hui si les Européens, dépourvus de volonté et de projet, s'étaient contentés d'une participation hésitante, symbolique, conditionnelle, à l'action diplomatique et militaire mise en uvre par l'Alliance dans les Balkans ?
Quels choix aurions-nous donné à nos partenaires américains si nous étions restés sans initiative face à ces nouveaux défis pour l'Europe ? Quelle vision du partage du fardeau aurions-nous donnée au peuple américain et au Congrès si nous étions restés passifs ?
Cela signifie concrètement que la capacité européenne que nous souhaitons mettre sur pied vient enrichir la gamme des outils dont dispose la communauté transatlantique et internationale pour la gestion des crises. Nos alliés pourront ainsi se prononcer sur leur participation à la gestion d'une crise sans être contraints à assumer seuls le choix de l'action ou de l'abstention du fait de l'impuissance européenne. En outre, l'Union européenne peut mettre à la disposition de la communauté ses capacités propres d'action dans les domaines civils, adaptées au caractère multiforme des crises que nous connaissons aujourd'hui. Le Ministre de la Défense vient d'exposer à la représentation nationale, les enjeux des actions civilo-militaires menées par les personnels de la défense dans les Balkans et en Afrique.
Il faut être clair : aucun pays européen et l'Allemagne en premier lieu, n'aurait accepté de participer à la construction de l'Europe de la défense si elle avait dû se traduire par un affaiblissement de l'Alliance Atlantique. Nous avons progressé parce chacun de nous a compris que notre entreprise renforçait, en réalité, le lien transatlantique en l'adaptant à la construction de l'Union européenne qui est un fait politique majeur.
L'Europe de la défense à laquelle nous aspirons donc n'est pas et ne sera pas une alternative à l'Alliance Atlantique. Elle vise à donner aux Quinze Etats membres une capacité autonome de gestion de crises, c'est-à-dire de maintien ou de rétablissement de la paix, d'opérations humanitaires ou d'évacuation de ressortissants. Ce sont les missions de Petersberg, qui figurent depuis 1992 dans nos accords publics, ni plus, ni moins. Sur ce terrain aussi, la coopération franco-allemande se renforce. Du Timor-est aux Balkans, en passant par l'exercice Tanzanite le mois dernier, nous nous entraînons en commun, nous agissons en commun.
La construction de l'Europe de la défense n'en demeure pas moins une dimension nouvelle, majeure et entière de la construction européenne et pour notre coopération bilatérale. C'est cela la force irrésistible de la construction européenne : elle se poursuit, elle avance au rythme de l'aspiration des peuples et de la volonté politique des dirigeants de l'Union. Par exemple, il y a dix ans, la monnaie unique était une utopie, aujourd'hui, c'est une réalité qui influence en profondeur la marche économique du monde.
Nous avons mis deux ans et demi à bâtir à Quinze, tous ensemble et non pas à quelques uns, le dispositif d'Europe de la défense tel qu'il existe aujourd'hui. Trente mois de travail rythmé, tous les semestres, par les décisions au plus haut niveau du Conseil des Chefs d'Etat et de Gourvernement de l'Union européenne. Trente mois de progression régulière et constante menée en totale transparence avec nos alliés et avec les Européens non membres de l'Alliance.
Un tel mouvement ne peut se réaliser que s'il repose sur une profonde aspiration commune et nous savons que celle-ci est partagée à Paris comme à Berlin. Il rassemble les quinze Etats membres et il prend ses racines dans un demi-siècle de construction européenne, construction qui reçoit le soutien politique des Etats-Unis depuis son origine et en particulier du couple franco-allemand dont chacun sait ici l'apport historique.
Après l'acte unique, après Maastricht, après Amsterdam, l'Union européenne a atteint un stade de développement politique qui a rendu possible, puis nécessaire pour elle de se doter d'une capacité de gestion de crise. Les agissements inadmissibles du régime de Milosevic nous ont placés devant nos responsabilités. A ce stade, je constate que jamais les diplomaties des Etats membres n'ont été aussi proches que d'évolutions depuis les premiers symptômes de l'éclatement de la Yougoslavie.
L'appel souvent renouvelé à un partage du fardeau prend tout son sens sous nos yeux, et malheureusement dans des circonstances dramatiques. Les Européens ont été conduits à se donner les moyens d'assumer le rôle politique qui est le leur. Notre démarche pragmatique et réaliste entend réaliser des capacités plutôt que des apparences institutionnelles. Capacités à décider et à agir sur lesquelles je voudrais revenir maintenant.
La décision d'agir appartient aux membres de l'Union européenne et à eux seuls. Cette autonomie de décision des Etats membres résulte de l'essence politique même de l'Union européenne. N'oublions pas pour autant que l'UE et l'OTAN, auxquelles nous sommes communément attachées, ont en commun onze Etats membres. Il est donc évident que l'UE se prononcera le moment venu en toute transparence, en consultation avec l'Alliance, et en tenant pleinement compte des conceptions de nos alliés américains, canadiens et autres partenaires européens. La réalité, c'est ce qui s'est produit dans les Balkans où la consultation et la coopération entre l'Union européenne et les Etats-Unis ont été, toutes ces dernières années, exemplaires. A cette occasion, la coopération plus large dans le cadre du Groupe de contact fut exemplaire.
La réalité, c'est que lorsqu'une crise se présentera, chacune des deux organisations examinera la situation et l'opportunité de lui apporter une réponse de nature militaire. Personne n'imagine une quelconque concurrence entre l'UE et l'OTAN, ni une préemption de la décision de l'une des deux organisations sur la décision de l'autre.
Dans le monde réel, il n'existe pas deux entités étrangères l'une à l'autre. Il existe des Etats qui les composent et qui travaillent ensemble et agissent ensemble tous les jours. C'est sur la base d'un processus de concertation et de relations de confiance entre l'UE et l'OTAN, que sera déterminée la meilleure façon d'assumer les responsabilités qui sont les nôtres. L'Union pourra, en fonction des circonstances, conduire une opération avec les moyens de l'OTAN (une fois que nous disposerons des arrangements nécessaires sur "Berlin plus"), ou bien sans les moyens de l'Alliance.
Le principe de l'autonomie de décision n'exclut pas non plus une consultation approfondie des autres Européens. Les Quinze sont allés dans cette direction aussi loin que le permettent les dispositions du traité d'Union européenne sur les règles de prise de décision. Nos textes prévoient que nous veillerons, en cas d'apparition d'une crise, à intensifier le dialogue et la consultation déjà réguliers avec nos partenaires alliés ou candidats à l'UE avant toute décision d'agir. Nous nous attacherons en particulier à prendre en compte leurs préoccupations lorsqu'ils considèrent que leurs intérêts de sécurité sont en cause. Nous leur offrons des modalités de participation aussi complètes que possible à des opérations conduites par l'UE.
Nous avons adopté au Conseil européen des arrangements substantiels de coopération avec les Etats tiers. Le dialogue intense que nous avons entretenu avec eux tout au long du semestre dernier témoigne de notre ouverture et de nos intérêts communs à renforcer, en particulier, nos coopérations avec les pays d'Europe centrale et orientale.
Après la décision j'en viens aux modalités d'action. Nous connaissons tous ici l'importance de la chaîne de commandement et de la chaîne de la planification dans l'action militaire. En prenant la décision d'agir et en choisissant une option stratégique l'Union européenne désignera un commandant d'opération. Celui-ci sera un général de l'un des Etats membres dans le cas d'une opération sans recours aux moyens de l'OTAN. La réalisation des plans détaillés d'opération que nous appelons, à l'Union, la planification opérationnelle, relève de la responsabilité du commandant d'opération. Cela découle de l'expérience militaire et du bon sens même. Aucun chef militaire n'accepterait de conduire une opération qu'il n'a pas lui-même conçue et fait valider par son autorité politique.
Je voudrais à ce propos revenir sur un principe important qui nous guide depuis l'origine : la "non duplication inutile". Cela est particulièrement vrai en matière de planification opérationnelle. D'où l'importance pour nous tous de la mise en uvre de la décision du sommet de Washington qui prévoit un accès garanti pour l'Union européenne au système de planification de l'OTAN. C'est là un point fondamental. Le dispositif de "Berlin plus" est au cur de la relation opérationnelle entre l'UE et l'OTAN. Il est de notre intérêt à tous que l'OTAN soit en mesure de jouer son rôle d'apporteur d'expertise militaire à l'entreprise européenne. Nous devons, dans les semaines qui viennent, surmonter le blocage qui persiste et qui n'a rien à voir avec les intérêts bien compris de l'Alliance ou de l'Union européenne.
L'autre élément de l'action ce sont les capacités militaires, outil essentiel de notre crédibilité. Les capacités constituent en effet le cur de notre démarche. C'est notre point de départ, puisque notre initiative part du constat que les Européens ne disposaient pas des capacités nécessaires de décision, et surtout d'action, pour prendre en charge la dimension militaire d'une action collective sans contribution massive des Etats-Unis.
C'est notre fil conducteur, puisque le projet retenu par les Chefs d'Etats et de Gouvernements européens engage les ministres de la défense à atteindre les niveaux de capacités définis en commun sur la base d'objectifs politiques. C'est enfin notre point d'arrivée puisque le marqueur du succès de la Politique européenne commune de sécurité et de défense sera essentiellement le renforcement effectif de nos capacités militaires, en vue d'une meilleure contribution des Européens à la sécurité de leur continent.
L'attention que nous portons au thème des capacités est la marque du pragmatisme et du sérieux de notre démarche. Les Européens ont montré leur détermination lors de la conférence d'engagement de capacités du 20 novembre dernier qui a permis de traduire des objectifs politiques en engagements militaires tout à fait concrets. Nous avons su, sans créer de lourde structure inutile, élaborer en quelques mois un catalogue de forces dont la validité a été reconnue par les experts de l'OTAN qui ont participé aux travaux. Notre approche a été réaliste, ne laissant pas de côté les lacunes au lieu d'en faire une charge pour les autres. La meilleure illustration de cette volonté collective est l'accord de huit pays européens pour commander ensemble le programme d'avion de transport militaire A400M, le plus vaste programme militaire jamais réalisé en coopération pour remédier radicalement à un déficit de transport stratégique que nous avions justifié ou encore la coopération franco-italo-allemande pour.
Nous voulons montrer dans la durée notre détermination sur la question des capacités militaires. J'espère qu'une nouvelle session de notre conférence de capacités, à l'automne prochain, nous permettra de vérifier les progrès accomplis et de prendre des dispositions actives pour les efforts qui sont encore nécessaires. Les ministres de la défense européens savent bien que c'est en s'appuyant sur un projet européen cohérent, où chacun doit solidairement apporter sa part, qu'ils convaincront leur gouvernement et leur parlement de consacrer les ressources nécessaires aux efforts d'équipement que nous devons réaliser. C'est pourquoi notre succès en matière de capacités sera un succès commun.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 2 juillet 2001)
Dans moins de huit mois, cette réalité prendra pour trois cents millions de citoyens européens la figure de l'euro.
La construction de l'Union européenne a progressé par étapes successives et pragmatiques ces cinquante dernières années avec une méthode originale d'intégration économique et monétaire:
- approche économique (18 avril 1951, CECA ; communauté économique européenne, 25 mars 1957 ; achèvement de l'union douanière, le 1er juillet 1968 ; réalisation du marché unique) ;
- approche monétaire (plan BARRE, le 12 février 1969 et sommet de La Haye, décembre 1969 ; création du serpent monétaire, mise en place du SME, 1978 - 1979) ;
- élargissement progressif de 6 à15 ;
- le tout couronné par le traité de Maastricht avec la mise en place de la troisième phase de l'union économique et monétaire qui va s'achever pour onze des pays de la communauté.
Cette méthode de construction originale fait que certains ne voient dans la construction européenne que règlements, directives et contentieux et réduisent le projet européen à la constitution d'un marché, condamné à se diluer dans la mondialisation.
Or l'Europe ne se résume pas à une simple association d'intérêts. Depuis ses origines, la construction européenne est un processus politique. L'intégration économique est perçue d'emblée comme un instrument "l'Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait" (Robert SCHUMANN, 9 mai 1950).
Le choix de l'intégration dans une même communauté marque pour tous les Etats membres l'abandon d'un destin national solitaire pour un futur partagé. Or ce choix, que nos deux pays ont été parmi les premiers à faire n'a été possible que parce que nous partageons des valeurs communes qui constituent le véritable ferment de notre union.
La démocratie et les droits de l'homme mais aussi une conception commune de la solidarité, du progrès social, une certaine idée de l'homme fondée sur le respect de la personne, voilà les principes fondateurs de la civilisation européenne consacrés par la Charte des droits fondamentaux dont vient de se doter l'UE.
Mais pour que l'Europe puisse s'affirmer comme porteuse de ces valeurs, il fallait que notre continent, si souvent déchiré par des conflits internes, devienne une terre de paix. Dans le contexte de la guerre froide qui a marqué la deuxième partie du 20ème siècle, c'est d'abord la solidité du lien constitué par l'Alliance atlantique qui a préservé la paix. Mais c'est aussi le processus d'intégration par l'échange et le partage, promu par les "pères fondateurs" qui fait aujourd'hui de l'Union européenne un espace pacifié, de prospérité et de stabilité.
Ce modèle, l'Union européenne a vocation selon moi à le faire vivre et à le porter dans le cadre de la redéfinition actuelle de l'ordre mondial. L'Union européenne a ainsi à défendre la paix et la démocratie dans le monde, conditions indispensables à la prospérité et à la solidarité.
Pour assurer sa sécurité, mais aussi pour contribuer au maintien de la paix dans le monde, l'Europe a besoin d'une défense commune ; ses fondations ont été jetées ; la France et l'Allemagne y ont, comme dans les autres domaines de la construction européenne, fortement contribué par leurs initiatives communes (création d'une brigade franco-allemande le 29 septembre 1989, mise en place d'un corps européen au premier semestre 1992). L'Union est en passe de se doter d'une force de réaction rapide. Elle doit bâtir une doctrine globale d'intervention et d'emploi de cette force et définir une stratégie de défense à long terme.
Mais l'Europe de la défense doit se construire dans le respect de nos alliances et des intérêts de sécurité que nous partageons avec nos partenaires de l'Alliance Atlantique, c'est pourquoi, je voudrais aujourd'hui présenter les principes qui ont guidé les membres de l'Union européenne dans la construction, entreprise voici deux ans et demi, de l'Europe de la défense et qui concourent à consolider l'Alliance atlantique, comme c'est notre vu à Paris et à Berlin.
Je pourrais commencer par vous dire que je connais évidemment les intentions ou le rôle prêtés à la France par ceux qui ne connaissent pas ou ne veulent pas connaître ni la réalité de l'Union européenne d'aujourd'hui, ni celle de l'OTAN. De manière pragmatique, nous apportons sur le terrain une réponse explicite en participant à toutes les opérations de l'OTAN, cet engagement vient d'être une fois encore apprécié au plus haut point par la désignation d'un Général français pour commander la KFOR 6 à partir de l'automne prochain. Je n'oublie pas que c'est dans la réalité des opérations, des responsabilités sur le théâtre que l'on mesure pleinement le sens de la solidarité entre alliés.
Pour commencer mon propos sur l'Europe de la défense, je pose d'entrée une question à ceux qui voient dans l'entreprise européenne un risque de découplage : à quoi ressemblerait le lien transatlantique aujourd'hui si les Européens, dépourvus de volonté et de projet, s'étaient contentés d'une participation hésitante, symbolique, conditionnelle, à l'action diplomatique et militaire mise en uvre par l'Alliance dans les Balkans ?
Quels choix aurions-nous donné à nos partenaires américains si nous étions restés sans initiative face à ces nouveaux défis pour l'Europe ? Quelle vision du partage du fardeau aurions-nous donnée au peuple américain et au Congrès si nous étions restés passifs ?
Cela signifie concrètement que la capacité européenne que nous souhaitons mettre sur pied vient enrichir la gamme des outils dont dispose la communauté transatlantique et internationale pour la gestion des crises. Nos alliés pourront ainsi se prononcer sur leur participation à la gestion d'une crise sans être contraints à assumer seuls le choix de l'action ou de l'abstention du fait de l'impuissance européenne. En outre, l'Union européenne peut mettre à la disposition de la communauté ses capacités propres d'action dans les domaines civils, adaptées au caractère multiforme des crises que nous connaissons aujourd'hui. Le Ministre de la Défense vient d'exposer à la représentation nationale, les enjeux des actions civilo-militaires menées par les personnels de la défense dans les Balkans et en Afrique.
Il faut être clair : aucun pays européen et l'Allemagne en premier lieu, n'aurait accepté de participer à la construction de l'Europe de la défense si elle avait dû se traduire par un affaiblissement de l'Alliance Atlantique. Nous avons progressé parce chacun de nous a compris que notre entreprise renforçait, en réalité, le lien transatlantique en l'adaptant à la construction de l'Union européenne qui est un fait politique majeur.
L'Europe de la défense à laquelle nous aspirons donc n'est pas et ne sera pas une alternative à l'Alliance Atlantique. Elle vise à donner aux Quinze Etats membres une capacité autonome de gestion de crises, c'est-à-dire de maintien ou de rétablissement de la paix, d'opérations humanitaires ou d'évacuation de ressortissants. Ce sont les missions de Petersberg, qui figurent depuis 1992 dans nos accords publics, ni plus, ni moins. Sur ce terrain aussi, la coopération franco-allemande se renforce. Du Timor-est aux Balkans, en passant par l'exercice Tanzanite le mois dernier, nous nous entraînons en commun, nous agissons en commun.
La construction de l'Europe de la défense n'en demeure pas moins une dimension nouvelle, majeure et entière de la construction européenne et pour notre coopération bilatérale. C'est cela la force irrésistible de la construction européenne : elle se poursuit, elle avance au rythme de l'aspiration des peuples et de la volonté politique des dirigeants de l'Union. Par exemple, il y a dix ans, la monnaie unique était une utopie, aujourd'hui, c'est une réalité qui influence en profondeur la marche économique du monde.
Nous avons mis deux ans et demi à bâtir à Quinze, tous ensemble et non pas à quelques uns, le dispositif d'Europe de la défense tel qu'il existe aujourd'hui. Trente mois de travail rythmé, tous les semestres, par les décisions au plus haut niveau du Conseil des Chefs d'Etat et de Gourvernement de l'Union européenne. Trente mois de progression régulière et constante menée en totale transparence avec nos alliés et avec les Européens non membres de l'Alliance.
Un tel mouvement ne peut se réaliser que s'il repose sur une profonde aspiration commune et nous savons que celle-ci est partagée à Paris comme à Berlin. Il rassemble les quinze Etats membres et il prend ses racines dans un demi-siècle de construction européenne, construction qui reçoit le soutien politique des Etats-Unis depuis son origine et en particulier du couple franco-allemand dont chacun sait ici l'apport historique.
Après l'acte unique, après Maastricht, après Amsterdam, l'Union européenne a atteint un stade de développement politique qui a rendu possible, puis nécessaire pour elle de se doter d'une capacité de gestion de crise. Les agissements inadmissibles du régime de Milosevic nous ont placés devant nos responsabilités. A ce stade, je constate que jamais les diplomaties des Etats membres n'ont été aussi proches que d'évolutions depuis les premiers symptômes de l'éclatement de la Yougoslavie.
L'appel souvent renouvelé à un partage du fardeau prend tout son sens sous nos yeux, et malheureusement dans des circonstances dramatiques. Les Européens ont été conduits à se donner les moyens d'assumer le rôle politique qui est le leur. Notre démarche pragmatique et réaliste entend réaliser des capacités plutôt que des apparences institutionnelles. Capacités à décider et à agir sur lesquelles je voudrais revenir maintenant.
La décision d'agir appartient aux membres de l'Union européenne et à eux seuls. Cette autonomie de décision des Etats membres résulte de l'essence politique même de l'Union européenne. N'oublions pas pour autant que l'UE et l'OTAN, auxquelles nous sommes communément attachées, ont en commun onze Etats membres. Il est donc évident que l'UE se prononcera le moment venu en toute transparence, en consultation avec l'Alliance, et en tenant pleinement compte des conceptions de nos alliés américains, canadiens et autres partenaires européens. La réalité, c'est ce qui s'est produit dans les Balkans où la consultation et la coopération entre l'Union européenne et les Etats-Unis ont été, toutes ces dernières années, exemplaires. A cette occasion, la coopération plus large dans le cadre du Groupe de contact fut exemplaire.
La réalité, c'est que lorsqu'une crise se présentera, chacune des deux organisations examinera la situation et l'opportunité de lui apporter une réponse de nature militaire. Personne n'imagine une quelconque concurrence entre l'UE et l'OTAN, ni une préemption de la décision de l'une des deux organisations sur la décision de l'autre.
Dans le monde réel, il n'existe pas deux entités étrangères l'une à l'autre. Il existe des Etats qui les composent et qui travaillent ensemble et agissent ensemble tous les jours. C'est sur la base d'un processus de concertation et de relations de confiance entre l'UE et l'OTAN, que sera déterminée la meilleure façon d'assumer les responsabilités qui sont les nôtres. L'Union pourra, en fonction des circonstances, conduire une opération avec les moyens de l'OTAN (une fois que nous disposerons des arrangements nécessaires sur "Berlin plus"), ou bien sans les moyens de l'Alliance.
Le principe de l'autonomie de décision n'exclut pas non plus une consultation approfondie des autres Européens. Les Quinze sont allés dans cette direction aussi loin que le permettent les dispositions du traité d'Union européenne sur les règles de prise de décision. Nos textes prévoient que nous veillerons, en cas d'apparition d'une crise, à intensifier le dialogue et la consultation déjà réguliers avec nos partenaires alliés ou candidats à l'UE avant toute décision d'agir. Nous nous attacherons en particulier à prendre en compte leurs préoccupations lorsqu'ils considèrent que leurs intérêts de sécurité sont en cause. Nous leur offrons des modalités de participation aussi complètes que possible à des opérations conduites par l'UE.
Nous avons adopté au Conseil européen des arrangements substantiels de coopération avec les Etats tiers. Le dialogue intense que nous avons entretenu avec eux tout au long du semestre dernier témoigne de notre ouverture et de nos intérêts communs à renforcer, en particulier, nos coopérations avec les pays d'Europe centrale et orientale.
Après la décision j'en viens aux modalités d'action. Nous connaissons tous ici l'importance de la chaîne de commandement et de la chaîne de la planification dans l'action militaire. En prenant la décision d'agir et en choisissant une option stratégique l'Union européenne désignera un commandant d'opération. Celui-ci sera un général de l'un des Etats membres dans le cas d'une opération sans recours aux moyens de l'OTAN. La réalisation des plans détaillés d'opération que nous appelons, à l'Union, la planification opérationnelle, relève de la responsabilité du commandant d'opération. Cela découle de l'expérience militaire et du bon sens même. Aucun chef militaire n'accepterait de conduire une opération qu'il n'a pas lui-même conçue et fait valider par son autorité politique.
Je voudrais à ce propos revenir sur un principe important qui nous guide depuis l'origine : la "non duplication inutile". Cela est particulièrement vrai en matière de planification opérationnelle. D'où l'importance pour nous tous de la mise en uvre de la décision du sommet de Washington qui prévoit un accès garanti pour l'Union européenne au système de planification de l'OTAN. C'est là un point fondamental. Le dispositif de "Berlin plus" est au cur de la relation opérationnelle entre l'UE et l'OTAN. Il est de notre intérêt à tous que l'OTAN soit en mesure de jouer son rôle d'apporteur d'expertise militaire à l'entreprise européenne. Nous devons, dans les semaines qui viennent, surmonter le blocage qui persiste et qui n'a rien à voir avec les intérêts bien compris de l'Alliance ou de l'Union européenne.
L'autre élément de l'action ce sont les capacités militaires, outil essentiel de notre crédibilité. Les capacités constituent en effet le cur de notre démarche. C'est notre point de départ, puisque notre initiative part du constat que les Européens ne disposaient pas des capacités nécessaires de décision, et surtout d'action, pour prendre en charge la dimension militaire d'une action collective sans contribution massive des Etats-Unis.
C'est notre fil conducteur, puisque le projet retenu par les Chefs d'Etats et de Gouvernements européens engage les ministres de la défense à atteindre les niveaux de capacités définis en commun sur la base d'objectifs politiques. C'est enfin notre point d'arrivée puisque le marqueur du succès de la Politique européenne commune de sécurité et de défense sera essentiellement le renforcement effectif de nos capacités militaires, en vue d'une meilleure contribution des Européens à la sécurité de leur continent.
L'attention que nous portons au thème des capacités est la marque du pragmatisme et du sérieux de notre démarche. Les Européens ont montré leur détermination lors de la conférence d'engagement de capacités du 20 novembre dernier qui a permis de traduire des objectifs politiques en engagements militaires tout à fait concrets. Nous avons su, sans créer de lourde structure inutile, élaborer en quelques mois un catalogue de forces dont la validité a été reconnue par les experts de l'OTAN qui ont participé aux travaux. Notre approche a été réaliste, ne laissant pas de côté les lacunes au lieu d'en faire une charge pour les autres. La meilleure illustration de cette volonté collective est l'accord de huit pays européens pour commander ensemble le programme d'avion de transport militaire A400M, le plus vaste programme militaire jamais réalisé en coopération pour remédier radicalement à un déficit de transport stratégique que nous avions justifié ou encore la coopération franco-italo-allemande pour.
Nous voulons montrer dans la durée notre détermination sur la question des capacités militaires. J'espère qu'une nouvelle session de notre conférence de capacités, à l'automne prochain, nous permettra de vérifier les progrès accomplis et de prendre des dispositions actives pour les efforts qui sont encore nécessaires. Les ministres de la défense européens savent bien que c'est en s'appuyant sur un projet européen cohérent, où chacun doit solidairement apporter sa part, qu'ils convaincront leur gouvernement et leur parlement de consacrer les ressources nécessaires aux efforts d'équipement que nous devons réaliser. C'est pourquoi notre succès en matière de capacités sera un succès commun.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 2 juillet 2001)