Conférence de presse de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, sur les relations entre la France et la Tunisie, l'accompagnement du processus démocratique dans ce pays et la question du nucléaire iranien, Tunis le 5 janvier 2012.

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Circonstance : Voyage d'Alain Juppé en Tunisie les 5 et 6 janvier 2012 : entretien avec le chef du gouvernement tunisien Madi Jebali, le 5 à Tunis

Texte intégral

Mesdames et Messieurs, j’ai été très honoré d’être reçu par le chef du gouvernement. Nous avons eu un entretien très chaleureux et très constructif que je résumerai en une phrase simple: entre la France et la Tunisie, l’amitié est plus forte que jamais. Nous sommes décidés à faire vivre cette amitié, à en faire un véritable partenariat, d’égal à égal.
Nous soutenons pleinement le processus démocratique qui se déroule ici, en Tunisie, parce qu’il est fondé sur des valeurs qui nous sont communes : l’État de droit, le respect des libertés, les droits de l’Homme, les droits de la femme. Nous nous sommes retrouvés sur tous ces objectifs et c’est donc avec un grand sentiment de confiance que je vois se dérouler ce processus démocratique qui conduira bientôt à l’adoption d’une nouvelle Constitution.
Pour que ce processus réussisse pleinement, il faut aussi que les difficultés économiques et sociales auxquelles la Tunisie est confrontée puissent être surmontées. J’ai assuré le chef du gouvernement et le ministre des Affaires étrangères, tout comme ce matin le président de la République, du plein soutien de la France.
Nous avons augmenté notre aide, comme je l’ai dit à l’occasion de ma visite au mois d’avril dernier. Je suis heureux de voir que ce soutien s’est concrétisé. L’Union européenne est aussi pleinement décidée à soutenir les efforts de la Tunisie et, dans le cadre du Partenariat de Deauville, nous allons mettre en place un plan d’action très ambitieux.
Nous sommes aussi attachés au développement de nos relations culturelles et linguistiques. La France accueille de nombreux étudiants tunisiens, qui sont d’ailleurs très performants dans nos universités, et nous allons continuer à le faire.
Nous avons encouragé nos investisseurs à continuer d’investir en Tunisie. Et puis, je ne manquerai pas de dire à tous les citoyens français que la Tunisie demeure une excellente destination touristique. C’est un beau pays, que les Français apprécient, qui est aujourd’hui stable et sûr et je souhaite donc que la prochaine saison touristique puisse être brillante pour la Tunisie. En tout cas, j’inciterai mes compatriotes à s’y rendre.
Voila, mon voyage se déroule dans les meilleures conditions et je dois dire que la chaleur de l’accueil m’a vraiment beaucoup touché ; d’autant plus que, parmi les personnalités que j’ai rencontrées, j’ai été heureux de saluer des combattants, des résistants de la liberté qui ont payé leur engagement politique au prix de longues années de prison.
Q - Vous avez parlé d’une volonté de la France de soutenir la Tunisie dans cette période transitoire tout en disant que vous seriez vigilant quant au respect des droits de l’Homme. Doit-on comprendre que cette aide est conditionnée ?
R - Je tenais un propos général sur les Printemps arabes, que nous abordons avec confiance et vigilance, vous avez tout à fait raison de le dire, parce nous sommes attachés à un certain nombres de principes sur lesquels les Printemps arabes ont pris eux-mêmes appui : la démocratie, les élections libres et transparentes, le respect des droits de l’Homme, la construction de l’État de droit, le respect de la femme et des droits de la femme ; de ce point de vu la position de la France est constante. Ici, en Tunisie, au terme des entretiens que j’ai eus et en suivant très attentivement l’évolution de la situation, je n’ai pas d’inquiétude sur le respect de ces principes fondamentaux qui nous sont communs. Comme je l’ai dit, c’est donc avec beaucoup de confiance que je vois se dérouler le processus de démocratisation et de construction de l’État de droit.
Q - (Sur le «mépris» de la France, suite à la victoire électorale de la Nahdha)
R - La France a eu du mépris pour la victoire ? Mais où avez-vous péché cette information ?
Q - C’est ce qu’ont retenu certains observateurs…
R - Eh bien, ils observent mal et même très mal. Je me suis empressé de dire, avant même que le résultat définitif des élections ne soit proclamé, que nous nous réjouissions de ce résultat. Nous ne pouvons pas à la fois demander des élections démocratiques et transparentes, comme elles ont eu lieu en Tunisie, et contester le résultat de ces élections. Nous n’avons jamais fait de remarque négative ni désagréable sur ce point. C’est donc un déficit d’observation.
Q - Y a-t-il un consensus européen pour imposer un embargo sur le pétrole iranien et y a-t-il des inquiétudes des pays arabes ?
R - Nous allons vers ce consensus ; nous sommes en train d’en discuter à Bruxelles pour préparer le Conseil qui aura lieu le 30 janvier prochain. Sur les principes, un accord a été conclu. Il faut maintenant discuter des modalités d’application. Comme j’ai eu l’occasion de le dire, le refus de l’Iran de s’engager dans un vrai processus de dialogue - parce que la voie du dialogue est toujours ouverte et l’Iran ne veut pas s’y engager - fait qu’aujourd’hui nous sommes déterminés à accentuer les sanctions, à la fois en gelant les avoirs de la banque centrale et en décrétant un embargo sur les exportations pétrolières de l’Iran. Nous y travaillons.
C’est pour moi l’occasion de rebondir un peu sur la situation régionale au sens large du terme. C’est une conviction qui s’est encore affirmée après mes entretiens d’aujourd’hui. Je pense que la Tunisie a un rôle exemplaire à jouer dans la région au sens large, parce qu’elle offre l’exemple d’un processus de démocratisation qui est en train de réussir.
Je crois donc que la Tunisie est pour nous non seulement un partenaire économique mais aussi un partenaire politique et stratégique, de façon à renforcer la coopération régionale des pays du Maghreb entre eux, autour de la Méditerranée, avec l’Union pour la Méditerranée ou le processus 5+5, mais aussi avec ses voisins orientaux : la Libye et l’Égypte. Nous avons également parlé de la Syrie. Pour nous, la Tunisie est un interlocuteur extrêmement important pour la recherche de solution dans ces crises internationales.
Q - Comment l’Union européenne voit-elle la montée des islamistes, y compris les salafistes, après les élections dans les pays révolutionnaires, plus précisément en Tunisie et en Égypte.
Ma deuxième question se situe sur le plan économique. Vous avez donné des promesses d’investir, mais on sait tous que l’Union européenne est en train de vivre une crise financière. Allez-vous tenir votre promesse ?
R - On n’a pas fait que des promesses : on a tenu une partie de ces promesses. Quand je suis venu au mois d’avril, j’ai indiqué que l’Agence française de Développement investirait 350 millions d’euros en Tunisie sur les années 2011 et 2012. Nous les avons déjà décaissés, c’est-à-dire que l’argent est arrivé : 180 millions, c’est-à-dire un peu plus de la moitié et nous allons décaisser l’autre moitié en 2012. Vous voyez que ce ne sont pas simplement des promesses, ce sont des engagements tenus.
Il en est de même pour l’Union européenne et pour le Partenariat de Deauville que j’évoquais tout à l’heure. Quant à nos investisseurs, ce sont des décisions qui leur appartiennent. Nous les encourageons à venir ici et ils viendront d’autant plus que la Tunisie confirmera sa stabilité et sa sécurité.
Sur la première question : je suis maire de Bordeaux et il y a un grand philosophe et un grand penseur politique qui a vécu à Bordeaux, il s’agit de Montesquieu. Montesquieu explique que la vertu de modération est extrêmement précieuse en politique. Finalement, ce qui est facile c’est l’extrémisme ; la modération, c’est plus difficile. C??est une façon de répondre à votre question sur les mouvements islamistes.
Je ne peux pas admettre que démocratie et islam ne soient pas compatibles. Démocratie et islam sont parfaitement compatibles, bien entendu. L’islam, c’est quelque chose de très divers. Il y a des «modérés», qui partagent pleinement les valeurs démocratiques, et puis il y a les extrémistes. Je n’aime pas les extrémistes car l’extrémisme est dangereux. Il y a partout des extrémistes, dans toutes les religions.
Q - (Sur la Nahdha)
R - Mais, que je sache, Ennahdha n’est pas un parti extrémiste ; c’est donc un interlocuteur. Je crois même que j’étais l’un des tout premiers, au mois de mars dernier, à peine nommé ministre des Affaires étrangères et européennes, à faire venir à Paris, à l’Institut du monde arabe, des représentants de différentes formations ou sensibilités des pays arabes et musulmans du Sud de la Méditerranée ; et il y avait des représentants d’Ennahdha. L’un de ces représentants m’a dit : «Nous allons vous étonner, nous allons faire la démocratie en Tunisie». Je lui ai dit : «Chiche, moi je vais vous étonner car je vais vous faire confiance». Je suis favorable à ce que nous développions un vrai dialogue avec les partis islamiques parce que l’islam est une religion que nous respectons et qui ne nous pose aucun problème en tant que telle.
Q - Sur les relations franco-tunisiennes à la fin du régime de Ben Ali : cette page est-elle définitivement tournée ?
R - Pour ma part, oui. Ce qui me rassure c’est que le Premier ministre vient de me dire que la page était également tournée pour lui. Alors n’en parlons plus ! Si elle est tournée, elle est tournée. Je crois que le fait que je sois - c’est peut être un hasard, je n’en sais rien - l’un des premiers responsables politiques à venir ici après les élections en Tunisie a valeur de symbole ; c’est la volonté exprimée par la France de resserrer ce lien d’amitié qui est profond, qui se fonde sur l’histoire, la géographie, sur le partage de valeurs communes et d’une langue commune.
Pour moi, c’est peut-être plus facile que d’habitude dans mes déplacements. On peut parler français partout en Tunisie, y compris avec M. le ministre des Affaires étrangères. Vous parlez français et cela crée des liens entre nous. Je crois que cette étroitesse de nos relations se manifeste particulièrement aujourd’hui. Nous allons continuer, par amitié mais aussi parce que c’est notre intérêt que l’expérience tunisienne réussisse et que la Tunisie montre qu’un pays attaché à l’islam peut parfaitement construire une démocratie moderne. Cela aura valeur d’exemple tout autour de la Méditerranée.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 janvier 2012