Texte intégral
Je vous remercie, Mesdames et Messieurs les Membres de la Commission, de me permettre de mexprimer, comme je lai souhaité, devant vous pour évoquer le déplacement que jai effectué en Afghanistan et répondre autant que faire se peut à vos interrogations.
Ce déplacement répond à une tradition : cest le rôle du ministre de la Défense que dêtre au côté des combattants et de partager avec eux, pour les comprendre, mais aussi en être compris, un certain nombre de moments, parmi lesquels ces périodes de fin dannée où ils peuvent avoir le sentiment dêtre isolés, voire oubliés.
Je remercie votre collègue Christophe Guilloteau, ainsi que le président de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat, M. Jean-Louis Carrère, de mavoir accompagné dans ce déplacement. Leur présence a permis de montrer avec force à nos interlocuteurs militaires, à nos compatriotes ou encore à nos interlocuteurs afghans et aux membres de la coalition à quel point dans notre pays le Parlement est associé à lengagement de nos forces.
Je confirme, Monsieur le Président, que lévénement qui a endeuillé cette fin dannée doit bien être considéré comme un assassinat.
Nous sommes, en Afghanistan, dans une période de transition. Comme nous lavions souhaité et demandé, le président Karzaï a intégré le district de Surobi dans la deuxième tranche de transition ; aujourdhui, 50 % de la population afghane habite des zones dont la sécurité est assurée par larmée nationale afghane (ANA). Le district de Surobi, dont nous avions la charge, est le dernier district de la province de Kaboul à bénéficier de ce transfert, dont nous engageons aujourdhui le processus.
Lors de ma visite en Afghanistan, jai rencontré dabord le président de la République, M. Karzaï, qui, vous le savez, sera à Paris le 27 janvier prochain pour la signature du traité bilatéral entre la France et lAfghanistan, actuellement en cours de négociation.
Jai aussi rencontré le ministre de la Défense, le général Wardak, dans des conditions évidemment différentes de celles de ma rencontre précédente, où son bureau avait été lobjet, quelques heures auparavant, dun attentat ; jai rencontré un ministre de la Défense mieux installé dans sa fonction.
Jai rencontré le nouveau commandant de lISAF - International Security Assistance Force ou encore Force internationale dAssistance et de Sécurité - le général Allen, qui, à défaut dêtre francophone, est francophile - son épouse descend dailleurs du général de Rochambeau.
Jai également échangé avec notre ambassadeur, M. Bernard Bajolet, qui connaît remarquablement le terrain et a lhabitude des moments difficiles, ainsi quavec le général de Bavinchove, Français et chef détat-major de lISAF, dont la vision est dautant plus intéressante quelle sarticule entre celle des Français et celle des alliés.
Ont fait aussi partie de mes interlocuteurs le responsable de laction civile, un diplomate, M. Lesecq, le général Palasset, qui assume, dans toutes ses dimensions, le commandement de la force La Fayette depuis sa nomination, cet été, après avoir commandé lopération Licorne à Abidjan dans sa phase finale au début de lannée 2011, et enfin le général Nazar. Ce général afghan commande la troisième brigade de lANA ; à ce titre, il est notre principal partenaire : cest en effet lui qui commande les unités chargées de la relève, en Surobi comme en Kapisa.
Sur le plan militaire, il faut dabord souligner que, dans le secteur dont nous avons la responsabilité, les forces militaires afghanes sont en première ligne. Pour reprendre le jargon de lAlliance, nous sommes dans la formule «ANA first», autrement dit larmée nationale afghane dabord. Nos troupes interviennent en appui.
Cet appui est dabord lappui-feu. Cétait la mission confiée aux deux sous-officiers du 2e REG, qui travaillaient à consolider une position dappui-feu dominant laxe Vermont et permettant par des tirs soit de tireurs délite, soit de mortier, de soutenir les troupes nationales afghanes en mission de contrôle des itinéraires et du territoire de la vallée.
Nous appuyons aussi larmée afghane en matière dévacuation sanitaire : notre système, assez remarquable et qui nous a été présenté, est étendu aux éventuels blessés de celle-ci.
Nous appuyons également larmée afghane en matière de connaissance et de renseignement, ainsi que, in fine, dans lorganisation des opérations, même si celles-ci sont désormais proposées par lANA elle-même.
La situation en Surobi est désormais une situation de transition. Ce district contrôle litinéraire routier majeur qui assure la liaison entre Kaboul et le Pakistan, plus exactement la ville de Peschawar.
Alors quil aurait été imaginable que cet itinéraire fasse lobjet dembuscades et de contrôles, il peut, pour des raisons complexes et vraiment révélatrices du théâtre afghan, être parcouru sans attentats, ni blocages ; autrement dit, chacune des parties, insurgées ou non, trouve son compte dans cette situation.
La Surobi est stratégique aussi du fait de son usine hydroélectrique, qui assure la quasi-totalité de lalimentation non thermique de Kaboul, et des activités minières qui y sont implantées.
Au Nord de ce district, la province de Kapisa, que nous contrôlons également, représente environ, en surface, léquivalent dun petit département français ; cest un désert de montagnes de cailloux parsemé de quelques oasis à la population très dense. Ces caractéristiques rendent son contrôle extrêmement difficile. Elle comporte trois districts où larmée française nintervient quasiment pas, et où nous sommes de fait dans une situation de transition, et deux autres extrêmement difficiles, ceux de Tagab et Alasay, où a lieu lessentiel de nos accrochages : ils constituent en effet un point de rencontre entre deux vallées provenant de lEst, qui servent de point de ralliement pour les talibans.
La situation des talibans dans lEst, dont nous avons la charge, est assez comparable à celle qui est la leur dans lensemble du pays ; ils ny sont pas en mesure de menacer dans un rapport de force les forces militaires de la coalition. Quant à laxe Vermont, axe routier dont nous avons la responsabilité et qui permet de contourner Kaboul et daccéder, par la base de Bagram, au nord de lAfghanistan, cest-à-dire à la partie tadjike - essentielle du fait quelle souvre sur les républiques musulmanes de lancienne URSS, notamment lOuzbékistan et le Tadjikistan - nous le contrôlons. Il reste que la sécurité y demande un effort de tous les instants ; alors quau printemps dernier, je pensais que la circulation y était rétablie, force est aujourdhui de reconnaître que la pression des talibans y est forte. La sécurité ny est pas aussi assurée que sur la route principale n° 7, entre Kaboul et le Pakistan.
Nous y disposons de trois bases, Nijrab au nord, siège de la brigade et située dans un district maîtrisé, Tagab au centre, dans un district exposé, et Surobi ou Tora au sud, en cours de transition. Les actions des unités présentes à Tagab sont désormais menées en tant quappui à des actions de lANA et non plus en tant quactions de larmée française avec participation éventuelle de lANA.
À cet égard, le contact avec le général Nazar, qui est un Tadjik, et dont lun des fils a été tué par les talibans, a été assez rassurant quant à la volonté de la troisième brigade, dont les effectifs ont été portés à 4.000 hommes, dêtre un partenaire fiable. Le général Nazar a ainsi tenu à être présent lors des hommages rendus à nos deux légionnaires et à présenter les regrets et les excuses de ses troupes.
Au cours de lannée 2011, dix attentats de soldats infiltrés ont eu lieu ; lattentat contre le général Wardar au sein de son ministère a ainsi été conduit par un taliban revêtu de luniforme de larmée nationale afghane. Si ces dix attentats sont tous de trop et insupportables, il faut en comparer le nombre avec les 280.000 soldats de lANA, hors forces de sécurité. Leur raison dêtre est liée à une nouvelle tactique des talibans. Ceux-ci, sils ne peuvent développer de contrôle massif du territoire, nen sont pas moins imaginatifs, réactifs et pourvus dun réel sens de la communication. Ils utilisent ces actions déclat comme supports de leur action politique. Ils se mettent ainsi en devoir dinstiller le doute sur la coopération entre les forces de la coalition et lANA. Il reste que ce type daction reste marginal. Notre partenariat avec la troisième brigade est relativement prometteur.
Présenter la Kapisa à la transition en juin 2012 est notre objectif. Je reste néanmoins prudent. La réalisation de ce projet dépendra en effet de la montée en puissance de lANA et du climat des six prochains mois. Si la demande est présentée - dans ce cas, elle sera favorablement examinée du fait des bonnes relations entre les armées afghane et française - il nous faut souhaiter quaucun élément extérieur, et notamment aucun déplacement dunités de talibans chassées du Sud et de lOuest du pays - où le ressaut américain a été particulièrement fort, alors quil nen a pas été conduit dans les provinces de lEst dont nous avons la charge - ne vienne la contrarier. Pour autant nous présentons cette demande, qui sinscrit dans la perspective que nous voulons construire pour 2014.
En termes politiques, le président Karzaï affronte le début de lannée 2012 dans une situation plus solide que celle de lan dernier à la même période. Certes, des échecs ont été rencontrés : lassassinat de Burhanuddin Rabbani a certainement ralenti les tentatives de conciliation internes entre le gouvernement et les éléments qui pouvaient être ralliés. Cependant, en matière de dialogue politique, Le président Karzaï a réussi à réunir à Kaboul une assemblée traditionnelle de 1.200 à 1.500 notables locaux - qui, sils doublent lAssemblée nationale, représentent la vérité du réseau social local - pendant près de trois jours sans que les talibans aient été en mesure dempêcher les réunions de celle-ci ou de leur porter de graves atteintes : seuls deux tirs de roquettes, dont les auteurs ont été identifiés et arrêtés, ont eu lieu.
De plus, le président Karzaï a aussi accepté que souvre à Doha, au Qatar, une sorte de lieu de rencontre entre les talibans et ceux qui veulent les rencontrer. Il nétait pourtant pas favorable à ce projet ; il se positionne en effet dans une sorte dattitude nationaliste où il se présente comme pris entre les talibans quil combat et la coalition quil subit. Le président Karzaï voue une admiration à une forme de tradition nationale tiers-mondiste - avec des références au général de Gaulle, quil aime bien citer et dont il a lu les uvres - ainsi que pour le régime turc de lactuel Premier ministre Erdogan. Cependant, même sil pensait que le dispositif douverture à Doha était contrôlé par les États-Unis, il la accepté dans lidée quil y avait peut-être là loccasion de diviser le monde taliban entre ses trois principaux réseaux, qui ne présentent pas le même niveau de dépendance envers le Pakistan.
La visite du président Karzaï à Paris le 27 janvier prochain a pour objet la conclusion et la signature dun traité damitié et de coopération avec la France. Ce traité sera le premier à être conclu entre un partenaire de premier plan de la coalition et lAfghanistan.
Lidée des deux parties est de préparer une coopération de long terme, comportant certes un volet consacré à la défense, mais aussi dautres consacrés à la coopération culturelle, politique et économique. Il reconnaîtra lindépendance de lAfghanistan, consacrera lengagement de la France à participer à la défense internationale de ce pays - sur le plan politique - et permettra un soutien en termes de formation à lémergence dune armée afghane dont le président Karzaï et le ministre Wardak ne veulent pas faire simplement une armée de contre-insurrection, mais bien une armée nationale.
Cette position exprime du reste, de la part du président Karzaï et de son ministre, le sentiment que les difficultés de lAfghanistan liées à la coalition et aux relations de celle-ci avec le Pakistan sont dabord politiques, et quelles constituent sur le plan militaire une affaire surmontable qui ne remet pas en cause lautorité de lÉtat. En revanche, pour eux, lAfghanistan, entre ses voisins puissants que sont lIran et le Pakistan, a le devoir de se doter dune armée traditionnelle pour protéger son indépendance.
Cest cette analyse - sur laquelle je porte un jugement nuancé - qui explique la divergence entre le président Karzaï et la coalition et notamment le commandement militaire de celle-ci, dont la vision est beaucoup plus celle dune armée destinée à la lutte antiterroriste, et donc organisée non pas en vue de laffrontement dunités régulières mais au profit de la sécurité de populations prises entre le faible violent et sans scrupule et le fort doté de la force militaire dun État traditionnel.
Cette différence entre les points de vue de lAfghanistan et de la coalition explique toute la difficulté de la préparation de laprès 2014 : ni larmée envisagée, ni les financements ne sont les mêmes.
Cela dit, le président Karzaï et son entourage partent dun principe simple : alors que la coalition consacrerait plus dune centaine de milliards deuros par an à lAfghanistan, à 10 % de ce prix lÉtat afghan se sent capable dassurer sa sécurité. Pour autant, ledit État nest pas capable de payer ces 10 %. Le gouvernement afghan cherche donc à obtenir de la coalition un engagement de long terme.
La coalition a un rendez-vous, dans le cadre de lOTAN, à Chicago, en mai 2012, au cours duquel doivent être examinés les différents scénarios de soutien et de solidarité à lindépendance afghane au lendemain du calendrier qui court jusquà 2014. Quel volume de forces sera maintenu ? Quels moyens financiers seront mis à la disposition de lÉtat afghan pour assurer sa défense, et quelle en sera la clé de répartition ? Même si, aujourdhui, aucun de ces points nest très clairement traité, ils sont au cur des échanges entre les partenaires, et ont éclairé les entretiens que nous avons eus au cours de ce bref voyage.
Monsieur le Président, vous avez évoqué lidée dun départ dans lhonneur. Si nos militaires sont en effet très attachés à donner du sens à leur engagement et aux sacrifices de leurs camarades, ils appliquent et mettent en uvre une politique, celle de la France. Cest donc les décisions de la France et la façon dont notre pays envisage son partenariat de long terme avec lAfghanistan qui commandent leur comportement, et notamment le rythme du retrait, ainsi que les besoins permanents qui devront être satisfaits par une capacité de coopération. Aujourdhui cependant, les limites de cette coopération ne sont pas fixées : le débat, sil est ouvert, nest absolument pas tranché. Cette question, je pense, sera traitée lors de la visite à Paris du président Karzaï.
La dimension internationale de lAfghanistan commande la solution. Les réunions dIstanbul et de Bonn, la perspective de celle de Chicago montrent que la situation évolue. Même si, à mon avis, le régime du président Karzaï appréhende 2014 avec un peu trop de confiance en lui-même, il nest pas dans une situation où il pourrait être soumis à la critique. Manifestement, une armée nationale émerge ; la police locale afghane réussit à remplir le rôle qui lui a été fixé consistant à absorber les jeunes gens dynamiques et turbulents disponibles pour leur éviter la tentation dun engagement dune autre nature. Le général Nazar nous a clairement exposé que, dans un district critique, monter une police locale permettait au moins dencadrer et dabsorber des personnes qui, au moment où elles sont intégrées, nont pas de projet.
Si le développement économique de lAfghanistan doit être notre objectif de long terme, il nest envisageable que si les conditions de sécurité sont réunies ; or, celles-ci ne peuvent lêtre que dans le cas dune certitude de développement de long terme : cest la dialectique de la poule et de luf. Cest pourquoi tout ce qui est réflexion de partenariat de long terme avec lAfghanistan est indispensable : malgré des désaccords culturels, malgré des conflits possibles sur la mise en uvre de la force, en particulier par les États-Unis, dont les méthodes sont assez énergiques, malgré les frictions, les grandes nations ont du prestige dans ce pays. Les Afghans savent que cest grâce à cette solidarité quils ont pu échapper à un régime dont ils ne veulent pas le retour. Ils souhaitent simplement savoir quelle est la visibilité de cette coopération. Celle-ci est le préalable à toute coexistence permettant denvisager une période de développement.
Q - (à propos du budget de lopération et de la coopération avec larmée afghane)
R - Dans limmédiat, lallègement de son dispositif ne rapportera pas beaucoup à larmée française, pour la bonne raison que les coûts logistiques de rapatriement du matériel seront relativement élevés ; le budget des opérations extérieures (OPEX) consacré à lAfghanistan est de 522 millions deuros en 2011. En 2012, malgré la diminution des effectifs, son montant, du fait de ces coûts de rapatriement, sera comparable.
Il faut ajouter à ce budget celui de la coopération dans le secteur dont nous avons la charge, soit 17 millions deuros environ - nous y avons consacré 50 millions deuros en trois ans. Même sil nest pas comparable à celui de lOPEX, ce budget représente un effort significatif, dautant quil faut y ajouter les fonds que nous versons pour la coopération au titre de lUnion européenne. Celle-ci a coûté chaque année 180 millions deuros environ ; notre part y a été en moyenne de 29 millions deuros. Les montants consacrés à la coopération civilo-militaire sont donc significatifs. Cette coopération porte ses fruits essentiellement dans le domaine du développement rural, des infrastructures communautaires réalisées localement, de lagriculture, de linfrastructure électrique - notamment dans la vallée de la Kapisa à partir du barrage hydroélectrique que jai évoqué. Cette action ne pourra être alimentée ni cette année ni dans les deux années qui viennent par les budgets aujourdhui consacrés aux OPEX ; et dès lors que ces budgets diminueront, cest sur les budgets consacrés au développement et à la coopération quil faudra retrouver ces financements.
En revanche, il se construit une forme assez judicieuse déchange de savoir-faire en matière de coopération entre larmée afghane et les moyens modernes de la coalition. LAfghan est un combattant. Cependant, il nest pas toujours un combattant discipliné et a du mal à sintégrer dans un système. En réalité, cest un combattant «par vallée» : dans la vallée qui est la sienne, cest un combattant formidable ; mais dans une autre vallée, il ne connaîtra pas les points dappui ni les itinéraires. Nous essayons donc de faire accéder les cadres de larmée afghane à des moyens modernes dont la pertinence est tout à fait justifiée ; tout ce qui est surveillance aérienne, par des drones, des avions voire des satellites ou encore des ballons doit être mis à disposition de larmée afghane. Ces moyens donnent aux forces de la coalition la supériorité dans les conditions de combat de nuit, ce qui est assez nouveau dans ce type de conflit !
Si elle est rustique, larmée afghane a besoin de soutien. Lévacuation médicale aussi doit être la plus moderne possible. Si nous ne lui donnons pas des moyens de soutien modernes, nous affaiblirons larmée afghane face à un adversaire qui se situe dans la logique du faible au fort, cest-à-dire qui choisit le lieu et le moment de laffrontement, alors que larmée afghane est obligée dassurer la continuité de la protection sur lensemble du territoire, mission qui lui est coûteuse.
Q - (à propos dune action européenne)
R - Le tuilage entre une action européenne de nature civile, comme au Kosovo, et une action militaire nest pas aujourdhui à lordre du jour en Afghanistan. Je ne suis pas sûr moi-même quil sagisse dune priorité. Lordre du jour, cest laide à linstitutionnalisation de larmée et lélaboration dune coopération bilatérale sur les questions que nous identifions. Dans une coopération européenne, peut-être serons-nous un peu dilués Le débat politique, dont le Parlement sera saisi, nest pas encore ouvert.
Q - (à propos dun partenariat franco-afghan)
R - La visite du président Karzaï fait suite à une initiative du président de la République française prise le 12 juillet 2011 lors de sa visite en Afghanistan, au cours de laquelle il a annoncé le principe dune proposition française dun traité de partenariat et damitié, lequel comporte essentiellement un volet civil, dans des domaines qui nous sont familiers tels que lagriculture, le développement rural, léducation, la culture, notamment en matière darchéologie - la France dispose en Afghanistan, de longue date, dune école archéologique et les Afghans sont attentifs à leur histoire, laquelle les libère dun passé immédiat -, et la santé ; le ministre des Affaires étrangères afghan est dailleurs un médecin formé en France et qui parle parfaitement notre langue.
Restait à traiter, pour signer ce texte, un point difficile et classique : le statut juridique et judiciaire des coopérants militaires. Nous lavons réglé en réactualisant une convention ancienne. Ce traité, qui vaut pour vingt ans, avec un plan de coopération sur cinq ans (de 2012 à 2016), va donc pouvoir être signé. La durée prévue montre quil sagit dun engagement de long terme mais qui ne crée pas pour autant un partenariat définitif.
Le volet défense prévoit la mise en place de coopérants auprès du ministre de la Défense afghan ainsi quau profit de lenseignement militaire supérieur de lAfghanistan. Il inclut un appui à la formation des cadres et des sous-officiers, des jumelages décoles, et surtout un enseignement de la langue française ainsi que la mise en place de bourses détude en France au profit de militaires afghans.
Il nous faut aussi examiner, dans le cadre du retrait français, les modalités selon lesquelles nos armées pourraient remettre certaines infrastructures et certains matériels aux forces afghanes.
Telles sont les raisons de la visite du président Karzaï. Celui-ci souhaite aussi, je le crois - et je men réjouis - rendre hommage aux soldats français.
Q - (à propos de laction de talibans infiltrés)
R - Laction des talibans infiltrés doit être analysée en détail. En effet, une partie des morts que jai évoqués est décédée à la suite daltercations entre militaires de la coalition et militaires afghans. Tel nest bien sûr pas le cas de nos deux sous-officiers, qui ont, quant à eux, été froidement assassinés, dans une logique dinfiltration destinée à déstabiliser notre coopération. Pour répondre à cette logique, il faut utiliser les moyens de contre-terrorisme : identifier, suivre, former. Nous ne sommes hélas pas à labri dactions terroristes : lors de la guerre dAlgérie, par exemple, les sections administratives spécialisées (SAS) et les officiers daction indigène ont toujours été beaucoup plus exposés que les autres forces du fait quils vivaient au contact de populations qui, à un moment, pour une raison ou une autre, retournaient leurs armes contre leurs cadres.
Q - (à propos du Pakistan)
R - Nous sommes dans une situation de perplexité totale face à lévolution du Pakistan : ce pays cherche ses marques. Il est finalement profondément schizophrène, entre sa méfiance vis-à-vis de lInde, qui justifie une armée démesurée et un fort pouvoir des militaires, et une volonté dappartenir à une communauté internationale sans en accepter les disciplines. Des officiers de la coalition, notamment américains, ont aussi fait remarquer que de plus en plus dofficiers pakistanais sont formés localement, sans lien avec ni le Royaume-Uni, ni les États-Unis, qui étaient leurs partenaires traditionnels. Cette évolution produit des officiers beaucoup plus renfermés sur une culture locale et moins ouverts à la coopération. En même temps, la situation politique du Pakistan est totalement déstabilisée ; bien malin serait qui pourrait prédire les événements à venir. Il reste que malheureusement, linstabilité du Pakistan est lun des facteurs de risques majeurs dune prolongation des tensions en Afghanistan. Ce pays est par ailleurs doté de la bombe atomique et en situation de guerre virtuelle avec lInde. Nous ne maîtrisons pas les évolutions auxquelles il peut donner lieu. Cest dans le cadre de lOrganisation des Nations unies et des alliances auxquelles la France appartient que notre pays sefforce de lamener à évoluer. Le Royaume-Uni est quant à lui dans une situation très difficile : ses liens avec le Pakistan sont très anciens et la communauté pakistanaise y est très nombreuse, avec les risques daction terroristes que cela comporte.
La seule bonne nouvelle relative au Pakistan est la participation de ce pays à la Conférence dIstanbul, qui sest achevée par une déclaration commune aux termes de laquelle les États voisins et riverains de lAfghanistan le reconnaissent comme un État indépendant. Pour convenues quelles puissent sembler, les déclarations de ce type finissent par être contraignantes pour leurs signataires. Plus le Pakistan sinsérera dans des dispositifs de reconnaissance de son voisin, mieux nous nous porterons. Nous ne devons pas oublier que la frontière entre le Pakistan et lAfghanistan est une frontière coloniale ; cest la ligne Durand, héritée des Anglais. Est-elle vraiment reconnue par le Pakistan ? En tout état de cause, en participant à ce type de réunions internationales, le Pakistan va se retrouver prisonnier de ses propres déclarations.
Pour le reste, je suis plutôt pessimiste. Avec plus de 180 millions dhabitants, le Pakistan ne peut en aucun cas être considéré comme comparable à lAfghanistan, ou la Libye. Cest aussi un voisin de lInde, pays encore plus peuplé
Q - (à propos des forces de sécurité afghane)
R - La vraie réponse à la question que vous posez sur larmée serait que lAfghanistan se dote dune vraie gendarmerie, ou encore de forces locales. Cette question rejoint celle de la drogue. Dans un pays en guerre civile depuis trente ans et très compartimenté, lexistence de forces de proximité, très adaptées à un territoire et qui en connaissent aussi bien les contraintes militaires que les aspects humains paraît indispensable pour contrôler les populations. Nous pourrions donc conseiller aux Afghans de se doter certes dune armée professionnelle mais aussi, en effet, de constituer une armée mixte, comportant des unités locales de proximité dotées dun encadrement stable, qui exerceraient un certain ascendant sur les populations et éviteraient la création dadministrations parallèles, comme tel est le cas dans certaines régions.
Q - (à propos du trafic de drogue dans les pays de la région)
R - Assez curieusement, ce sont les Tadjiks qui mont le plus parlé de la drogue, lors de mon escale de retour à Douchambé. Mon homologue ministre de la Défense du Tadjikistan est extrêmement préoccupé par la perspective dun retrait de la coalition dAfghanistan et ma indiqué que lexportation de drogue se poursuivait.
Pour des raisons climatiques et de terroir, les secteurs que nous contrôlons sont peu producteurs de drogue. En revanche, la drogue y circule.
Tant que la drogue sera la ressource économique la plus simple à produire, elle sera évidemment privilégiée.
Un autre pays est très préoccupé par la production afghane de drogue, lIran. Si les Afghans produisent et vendent la drogue, ils nen consomment que fort peu. Au contraire, les réfugiés afghans qui reviennent dIran en deviennent, comme les jeunes Iraniens, des usagers et reviennent drogués, ce qui déstabilise la vie locale.
La Russie est aussi, au fond, très préoccupée par le retrait de la coalition en 2014. Les Russes savent parfaitement que ce retrait comporte un risque dislamisation militante des républiques du sud de lex-URSS et daccroissement de la diffusion dune drogue dont ils sont les clients naturels du fait dun pouvoir dachat plus élevé que celui des ressortissants des pays immédiatement riverains de lAfghanistan.
Il y a donc - et cest un phénomène un peu nouveau - une prise de conscience de grands pays, lIran, la Russie, lInde aussi, voire de la Chine - pour dautres raisons, économiques notamment - de la nécessité dune situation stable en Afghanistan. LInde a même conclu un traité avec lAfghanistan. De ce fait, sur le long terme, la coalition se sent un peu moins isolée.
Q - (à propos de léquipement des forces de sécurité afghanes)
R - Nous pouvons craindre que le départ de la coalition laisse face aux talibans une armée afghane un peu rustique dont léquipement ne sera pas plus performant que le leur. La solution serait alors de maintenir à son service des moyens sophistiqués, en matière de renseignement, dappui-feu et dévacuation sanitaire. Mais un tel maintien signifie une présence relativement forte, en moyens technologiques et en militaires, de la coalition. Le maintien dune telle présence est-il envisagé ?
Par ailleurs, un bilan pourrait-il nous être présenté des apports du système FELIN utilisé depuis quelques mois, en termes de communication, de vision nocturne et de précision de feu ?
Q - (à propos des difficultés du théâtre dopération afghan)
R - LAfghanistan est un théâtre difficile. Nous ne lavons pas créé ; nous avons essayé dy apporter un peu de rigueur et dordre. La coalition y parvient, en particulier pendant ce deuxième mandat du président Karzaï, aux caractéristiques très différentes de son mandat précédent.
Q - (à propos du système FELIN)
R - Le premier bilan du FELIN est positif. Le 1er régiment dinfanterie, aujourdhui présent à Tora, en est équipé. Il amène les combattants à rechercher les conditions les plus difficiles de combat afin doptimiser leur avantage. Ainsi, il permet la nuit une manuvre beaucoup plus souple, une liaison immédiate entre les groupes de combat, une identification des points dappui beaucoup plus simple ; il est très bien maîtrisé par nos soldats.
Nous sommes passés dun système composé aux trois quarts de Français et dun quart dAfghans à un système inverse. Aujourdhui, les opérations de soutien que nous menons comportent un Français pour trois Afghans. Répondre à des demandes bien identifiées dévacuation médicale ne réclame que des effectifs assez faibles. Répondre à des demandes dappui-feu constant ou dappui aérien suppose une proportion dun à dix : la coalition devrait pouvoir affecter sur le terrain le dixième de leffectif quy consacrera larmée afghane. Ce nest pas complètement impensable : larmée afghane est composée denviron 280.000 hommes ; un appui durable suppose un effectif correspondant à 10 % ou 15 % de cet effectif pour lensemble de la coalition, sur lensemble du territoire. Il reste que, aujourdhui, le chiffre na pas été fixé. Nous savons simplement que les Américains veulent conserver les deux bases de Bagram et Kandahar pour pouvoir continuer à assurer un appui aérien sur lensemble des secteurs exposés, autrement dit, pour lessentiel lEst et le Sud-Est.
Q - (à propos de la contribution à la coalition militaire)
R - Si notre pays est un contributeur significatif de la coalition, il nest pas le premier après les États-Unis. Le deuxième contributeur est le Royaume-Uni, avec 9.500 militaires ; avec 4.800 militaires, lAllemagne contribue à un niveau légèrement supérieur au nôtre ; avec 4.000 militaires, la contribution italienne est comparable à la nôtre.
Autrement dit, les grands pays européens contribuent de façon comparable aux forces de la coalition et progressent ensemble. Si des retraits unilatéraux peuvent être annoncés par certains États, les mouvements des grands pays sont coordonnés. Nous ne prendrons aucune décision sans régler notre pas sur celui de la coalition.
Q - (à propos du rôle de la Turquie)
R - Le rôle de la Turquie dans la coalition est avant tout symbolique. Certes, des entreprises turques, composées de musulmans sunnites, interviennent. Il existe une volonté turque dexister dans tous les pays pantouraniens, dont lAfghanistan fait partie. Le président Karzaï souhaite le soutien de la Turquie, qui représente pour lui - et pour beaucoup dautres musulmans - lexemple dun État musulman qui a su réussir sa mutation vers la modernité en restant fidèle à ses bases culturelles. De ce fait, la Turquie peut jouer un rôle. Mais la réalité nous montre le caractère relativement limité de celui-ci sur le plan militaire ; les effectifs turcs ne sont que de 1.800 militaires ; de plus, ils interviennent peu, y compris en matière de soutien rapide. Donc il y a contraste entre une image turque favorable et une absence pratique de la Turquie sur le terrain.
Q - (à propos du rôle de lIran)
R - La situation de lIran est presque inverse. Limage de ce pays nest pas favorable en Afghanistan - cest un pays chiite. Les très nombreux Afghans qui sont réfugiés en Iran ny sont pas très bien traités. Enfin, il sest finalement produit des attentats en Afghanistan, à loccasion dune grande fête chiite ; il ny a pas datomes crocus entre lIran et lAfghanistan.
Q - (à propos de léquipement des forces françaises)
R - Le 27ème bataillon de chasseurs alpins, qui accomplit un travail formidable, va bénéficier de la décision «post-Uzbin» de moderniser léquipement des forces, notamment en les équipant des VHM que vous avez évoqués. Depuis le 1er janvier de cette année, dix de ces véhicules sont en opération sur le théâtre dont le 27e BCA a la charge. Les commandes ayant été lancées fin 2009, le temps de réalisation, de 18 mois, paraît raisonnable.
Q - (à propos du rôle des réseaux traditionnels en Afghanistan)
R - Vous posez un problème majeur. Pour un pouvoir politique, la solution de facilité est de sappuyer sur les structures sociales traditionnelles. Tel est manifestement le choix du président Karzaï. Ce choix sest traduit par la réunion de la Loya Jirga, la Grande Assemblée traditionnelle. Une telle décision permet la mobilisation par le président de réseaux traditionnels à qui il promet la sécurité en échange dune grande indulgence sur les conditions dans lesquelles ces réseaux sécurisent son pouvoir.
Il existe donc en Afghanistan dune part une réalité juridique - le président de la République est élu au suffrage universel - et de lautre une réalité sociologique, celle dun accord entre lui et la société locale traditionnelle contre les éléments qui pourraient apparaître susceptibles de déstabiliser celle-ci, au prix dun regard distrait sur ses défauts.
Pour autant, un effort, qui a commencé dès le départ des talibans, porte ses fruits : il sagit de la scolarisation des jeunes filles. Même si celle-ci nest aujourdhui pas remise en cause, elle est largement contradictoire avec les supports sociologiques sur lesquels sappuie le président Karzaï. À titre personnel et politique, je reste convaincu que lalphabétisation et la scolarisation des filles sont des éléments moteurs et équilibrants pour la société. Cest le meilleur investissement que nous puissions effectuer sur le long terme, et ce dabord pour la maîtrise de la démographie. Celle-ci, qui va de pair avec lalphabétisation, change le rapport de lhomme à la femme et donc la société. Si le traité de coopération ne devait comporter pour la France quune seule exigence à imposer, ce serait celle de la scolarisation - en général, bien sûr. En Afghanistan 7 millions denfants sont scolarisés, dont plus dun tiers de filles. Les filles et les garçons représentant respectivement 50 % de la jeunesse, le chemin nest donc parcouru quaux deux tiers. Cela dit, en Afghanistan, 70 % des Afghans se déclarent satisfaits de la scolarité.
Même si le pouvoir politique afghan joue le système traditionnel pour assurer sa sécurité, nous devons travailler à introduire en Afghanistan un élément de changement qui stabilisera la société de manière durable et en profondeur, lalphabétisation des femmes.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 janvier 2012
Ce déplacement répond à une tradition : cest le rôle du ministre de la Défense que dêtre au côté des combattants et de partager avec eux, pour les comprendre, mais aussi en être compris, un certain nombre de moments, parmi lesquels ces périodes de fin dannée où ils peuvent avoir le sentiment dêtre isolés, voire oubliés.
Je remercie votre collègue Christophe Guilloteau, ainsi que le président de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat, M. Jean-Louis Carrère, de mavoir accompagné dans ce déplacement. Leur présence a permis de montrer avec force à nos interlocuteurs militaires, à nos compatriotes ou encore à nos interlocuteurs afghans et aux membres de la coalition à quel point dans notre pays le Parlement est associé à lengagement de nos forces.
Je confirme, Monsieur le Président, que lévénement qui a endeuillé cette fin dannée doit bien être considéré comme un assassinat.
Nous sommes, en Afghanistan, dans une période de transition. Comme nous lavions souhaité et demandé, le président Karzaï a intégré le district de Surobi dans la deuxième tranche de transition ; aujourdhui, 50 % de la population afghane habite des zones dont la sécurité est assurée par larmée nationale afghane (ANA). Le district de Surobi, dont nous avions la charge, est le dernier district de la province de Kaboul à bénéficier de ce transfert, dont nous engageons aujourdhui le processus.
Lors de ma visite en Afghanistan, jai rencontré dabord le président de la République, M. Karzaï, qui, vous le savez, sera à Paris le 27 janvier prochain pour la signature du traité bilatéral entre la France et lAfghanistan, actuellement en cours de négociation.
Jai aussi rencontré le ministre de la Défense, le général Wardak, dans des conditions évidemment différentes de celles de ma rencontre précédente, où son bureau avait été lobjet, quelques heures auparavant, dun attentat ; jai rencontré un ministre de la Défense mieux installé dans sa fonction.
Jai rencontré le nouveau commandant de lISAF - International Security Assistance Force ou encore Force internationale dAssistance et de Sécurité - le général Allen, qui, à défaut dêtre francophone, est francophile - son épouse descend dailleurs du général de Rochambeau.
Jai également échangé avec notre ambassadeur, M. Bernard Bajolet, qui connaît remarquablement le terrain et a lhabitude des moments difficiles, ainsi quavec le général de Bavinchove, Français et chef détat-major de lISAF, dont la vision est dautant plus intéressante quelle sarticule entre celle des Français et celle des alliés.
Ont fait aussi partie de mes interlocuteurs le responsable de laction civile, un diplomate, M. Lesecq, le général Palasset, qui assume, dans toutes ses dimensions, le commandement de la force La Fayette depuis sa nomination, cet été, après avoir commandé lopération Licorne à Abidjan dans sa phase finale au début de lannée 2011, et enfin le général Nazar. Ce général afghan commande la troisième brigade de lANA ; à ce titre, il est notre principal partenaire : cest en effet lui qui commande les unités chargées de la relève, en Surobi comme en Kapisa.
Sur le plan militaire, il faut dabord souligner que, dans le secteur dont nous avons la responsabilité, les forces militaires afghanes sont en première ligne. Pour reprendre le jargon de lAlliance, nous sommes dans la formule «ANA first», autrement dit larmée nationale afghane dabord. Nos troupes interviennent en appui.
Cet appui est dabord lappui-feu. Cétait la mission confiée aux deux sous-officiers du 2e REG, qui travaillaient à consolider une position dappui-feu dominant laxe Vermont et permettant par des tirs soit de tireurs délite, soit de mortier, de soutenir les troupes nationales afghanes en mission de contrôle des itinéraires et du territoire de la vallée.
Nous appuyons aussi larmée afghane en matière dévacuation sanitaire : notre système, assez remarquable et qui nous a été présenté, est étendu aux éventuels blessés de celle-ci.
Nous appuyons également larmée afghane en matière de connaissance et de renseignement, ainsi que, in fine, dans lorganisation des opérations, même si celles-ci sont désormais proposées par lANA elle-même.
La situation en Surobi est désormais une situation de transition. Ce district contrôle litinéraire routier majeur qui assure la liaison entre Kaboul et le Pakistan, plus exactement la ville de Peschawar.
Alors quil aurait été imaginable que cet itinéraire fasse lobjet dembuscades et de contrôles, il peut, pour des raisons complexes et vraiment révélatrices du théâtre afghan, être parcouru sans attentats, ni blocages ; autrement dit, chacune des parties, insurgées ou non, trouve son compte dans cette situation.
La Surobi est stratégique aussi du fait de son usine hydroélectrique, qui assure la quasi-totalité de lalimentation non thermique de Kaboul, et des activités minières qui y sont implantées.
Au Nord de ce district, la province de Kapisa, que nous contrôlons également, représente environ, en surface, léquivalent dun petit département français ; cest un désert de montagnes de cailloux parsemé de quelques oasis à la population très dense. Ces caractéristiques rendent son contrôle extrêmement difficile. Elle comporte trois districts où larmée française nintervient quasiment pas, et où nous sommes de fait dans une situation de transition, et deux autres extrêmement difficiles, ceux de Tagab et Alasay, où a lieu lessentiel de nos accrochages : ils constituent en effet un point de rencontre entre deux vallées provenant de lEst, qui servent de point de ralliement pour les talibans.
La situation des talibans dans lEst, dont nous avons la charge, est assez comparable à celle qui est la leur dans lensemble du pays ; ils ny sont pas en mesure de menacer dans un rapport de force les forces militaires de la coalition. Quant à laxe Vermont, axe routier dont nous avons la responsabilité et qui permet de contourner Kaboul et daccéder, par la base de Bagram, au nord de lAfghanistan, cest-à-dire à la partie tadjike - essentielle du fait quelle souvre sur les républiques musulmanes de lancienne URSS, notamment lOuzbékistan et le Tadjikistan - nous le contrôlons. Il reste que la sécurité y demande un effort de tous les instants ; alors quau printemps dernier, je pensais que la circulation y était rétablie, force est aujourdhui de reconnaître que la pression des talibans y est forte. La sécurité ny est pas aussi assurée que sur la route principale n° 7, entre Kaboul et le Pakistan.
Nous y disposons de trois bases, Nijrab au nord, siège de la brigade et située dans un district maîtrisé, Tagab au centre, dans un district exposé, et Surobi ou Tora au sud, en cours de transition. Les actions des unités présentes à Tagab sont désormais menées en tant quappui à des actions de lANA et non plus en tant quactions de larmée française avec participation éventuelle de lANA.
À cet égard, le contact avec le général Nazar, qui est un Tadjik, et dont lun des fils a été tué par les talibans, a été assez rassurant quant à la volonté de la troisième brigade, dont les effectifs ont été portés à 4.000 hommes, dêtre un partenaire fiable. Le général Nazar a ainsi tenu à être présent lors des hommages rendus à nos deux légionnaires et à présenter les regrets et les excuses de ses troupes.
Au cours de lannée 2011, dix attentats de soldats infiltrés ont eu lieu ; lattentat contre le général Wardar au sein de son ministère a ainsi été conduit par un taliban revêtu de luniforme de larmée nationale afghane. Si ces dix attentats sont tous de trop et insupportables, il faut en comparer le nombre avec les 280.000 soldats de lANA, hors forces de sécurité. Leur raison dêtre est liée à une nouvelle tactique des talibans. Ceux-ci, sils ne peuvent développer de contrôle massif du territoire, nen sont pas moins imaginatifs, réactifs et pourvus dun réel sens de la communication. Ils utilisent ces actions déclat comme supports de leur action politique. Ils se mettent ainsi en devoir dinstiller le doute sur la coopération entre les forces de la coalition et lANA. Il reste que ce type daction reste marginal. Notre partenariat avec la troisième brigade est relativement prometteur.
Présenter la Kapisa à la transition en juin 2012 est notre objectif. Je reste néanmoins prudent. La réalisation de ce projet dépendra en effet de la montée en puissance de lANA et du climat des six prochains mois. Si la demande est présentée - dans ce cas, elle sera favorablement examinée du fait des bonnes relations entre les armées afghane et française - il nous faut souhaiter quaucun élément extérieur, et notamment aucun déplacement dunités de talibans chassées du Sud et de lOuest du pays - où le ressaut américain a été particulièrement fort, alors quil nen a pas été conduit dans les provinces de lEst dont nous avons la charge - ne vienne la contrarier. Pour autant nous présentons cette demande, qui sinscrit dans la perspective que nous voulons construire pour 2014.
En termes politiques, le président Karzaï affronte le début de lannée 2012 dans une situation plus solide que celle de lan dernier à la même période. Certes, des échecs ont été rencontrés : lassassinat de Burhanuddin Rabbani a certainement ralenti les tentatives de conciliation internes entre le gouvernement et les éléments qui pouvaient être ralliés. Cependant, en matière de dialogue politique, Le président Karzaï a réussi à réunir à Kaboul une assemblée traditionnelle de 1.200 à 1.500 notables locaux - qui, sils doublent lAssemblée nationale, représentent la vérité du réseau social local - pendant près de trois jours sans que les talibans aient été en mesure dempêcher les réunions de celle-ci ou de leur porter de graves atteintes : seuls deux tirs de roquettes, dont les auteurs ont été identifiés et arrêtés, ont eu lieu.
De plus, le président Karzaï a aussi accepté que souvre à Doha, au Qatar, une sorte de lieu de rencontre entre les talibans et ceux qui veulent les rencontrer. Il nétait pourtant pas favorable à ce projet ; il se positionne en effet dans une sorte dattitude nationaliste où il se présente comme pris entre les talibans quil combat et la coalition quil subit. Le président Karzaï voue une admiration à une forme de tradition nationale tiers-mondiste - avec des références au général de Gaulle, quil aime bien citer et dont il a lu les uvres - ainsi que pour le régime turc de lactuel Premier ministre Erdogan. Cependant, même sil pensait que le dispositif douverture à Doha était contrôlé par les États-Unis, il la accepté dans lidée quil y avait peut-être là loccasion de diviser le monde taliban entre ses trois principaux réseaux, qui ne présentent pas le même niveau de dépendance envers le Pakistan.
La visite du président Karzaï à Paris le 27 janvier prochain a pour objet la conclusion et la signature dun traité damitié et de coopération avec la France. Ce traité sera le premier à être conclu entre un partenaire de premier plan de la coalition et lAfghanistan.
Lidée des deux parties est de préparer une coopération de long terme, comportant certes un volet consacré à la défense, mais aussi dautres consacrés à la coopération culturelle, politique et économique. Il reconnaîtra lindépendance de lAfghanistan, consacrera lengagement de la France à participer à la défense internationale de ce pays - sur le plan politique - et permettra un soutien en termes de formation à lémergence dune armée afghane dont le président Karzaï et le ministre Wardak ne veulent pas faire simplement une armée de contre-insurrection, mais bien une armée nationale.
Cette position exprime du reste, de la part du président Karzaï et de son ministre, le sentiment que les difficultés de lAfghanistan liées à la coalition et aux relations de celle-ci avec le Pakistan sont dabord politiques, et quelles constituent sur le plan militaire une affaire surmontable qui ne remet pas en cause lautorité de lÉtat. En revanche, pour eux, lAfghanistan, entre ses voisins puissants que sont lIran et le Pakistan, a le devoir de se doter dune armée traditionnelle pour protéger son indépendance.
Cest cette analyse - sur laquelle je porte un jugement nuancé - qui explique la divergence entre le président Karzaï et la coalition et notamment le commandement militaire de celle-ci, dont la vision est beaucoup plus celle dune armée destinée à la lutte antiterroriste, et donc organisée non pas en vue de laffrontement dunités régulières mais au profit de la sécurité de populations prises entre le faible violent et sans scrupule et le fort doté de la force militaire dun État traditionnel.
Cette différence entre les points de vue de lAfghanistan et de la coalition explique toute la difficulté de la préparation de laprès 2014 : ni larmée envisagée, ni les financements ne sont les mêmes.
Cela dit, le président Karzaï et son entourage partent dun principe simple : alors que la coalition consacrerait plus dune centaine de milliards deuros par an à lAfghanistan, à 10 % de ce prix lÉtat afghan se sent capable dassurer sa sécurité. Pour autant, ledit État nest pas capable de payer ces 10 %. Le gouvernement afghan cherche donc à obtenir de la coalition un engagement de long terme.
La coalition a un rendez-vous, dans le cadre de lOTAN, à Chicago, en mai 2012, au cours duquel doivent être examinés les différents scénarios de soutien et de solidarité à lindépendance afghane au lendemain du calendrier qui court jusquà 2014. Quel volume de forces sera maintenu ? Quels moyens financiers seront mis à la disposition de lÉtat afghan pour assurer sa défense, et quelle en sera la clé de répartition ? Même si, aujourdhui, aucun de ces points nest très clairement traité, ils sont au cur des échanges entre les partenaires, et ont éclairé les entretiens que nous avons eus au cours de ce bref voyage.
Monsieur le Président, vous avez évoqué lidée dun départ dans lhonneur. Si nos militaires sont en effet très attachés à donner du sens à leur engagement et aux sacrifices de leurs camarades, ils appliquent et mettent en uvre une politique, celle de la France. Cest donc les décisions de la France et la façon dont notre pays envisage son partenariat de long terme avec lAfghanistan qui commandent leur comportement, et notamment le rythme du retrait, ainsi que les besoins permanents qui devront être satisfaits par une capacité de coopération. Aujourdhui cependant, les limites de cette coopération ne sont pas fixées : le débat, sil est ouvert, nest absolument pas tranché. Cette question, je pense, sera traitée lors de la visite à Paris du président Karzaï.
La dimension internationale de lAfghanistan commande la solution. Les réunions dIstanbul et de Bonn, la perspective de celle de Chicago montrent que la situation évolue. Même si, à mon avis, le régime du président Karzaï appréhende 2014 avec un peu trop de confiance en lui-même, il nest pas dans une situation où il pourrait être soumis à la critique. Manifestement, une armée nationale émerge ; la police locale afghane réussit à remplir le rôle qui lui a été fixé consistant à absorber les jeunes gens dynamiques et turbulents disponibles pour leur éviter la tentation dun engagement dune autre nature. Le général Nazar nous a clairement exposé que, dans un district critique, monter une police locale permettait au moins dencadrer et dabsorber des personnes qui, au moment où elles sont intégrées, nont pas de projet.
Si le développement économique de lAfghanistan doit être notre objectif de long terme, il nest envisageable que si les conditions de sécurité sont réunies ; or, celles-ci ne peuvent lêtre que dans le cas dune certitude de développement de long terme : cest la dialectique de la poule et de luf. Cest pourquoi tout ce qui est réflexion de partenariat de long terme avec lAfghanistan est indispensable : malgré des désaccords culturels, malgré des conflits possibles sur la mise en uvre de la force, en particulier par les États-Unis, dont les méthodes sont assez énergiques, malgré les frictions, les grandes nations ont du prestige dans ce pays. Les Afghans savent que cest grâce à cette solidarité quils ont pu échapper à un régime dont ils ne veulent pas le retour. Ils souhaitent simplement savoir quelle est la visibilité de cette coopération. Celle-ci est le préalable à toute coexistence permettant denvisager une période de développement.
Q - (à propos du budget de lopération et de la coopération avec larmée afghane)
R - Dans limmédiat, lallègement de son dispositif ne rapportera pas beaucoup à larmée française, pour la bonne raison que les coûts logistiques de rapatriement du matériel seront relativement élevés ; le budget des opérations extérieures (OPEX) consacré à lAfghanistan est de 522 millions deuros en 2011. En 2012, malgré la diminution des effectifs, son montant, du fait de ces coûts de rapatriement, sera comparable.
Il faut ajouter à ce budget celui de la coopération dans le secteur dont nous avons la charge, soit 17 millions deuros environ - nous y avons consacré 50 millions deuros en trois ans. Même sil nest pas comparable à celui de lOPEX, ce budget représente un effort significatif, dautant quil faut y ajouter les fonds que nous versons pour la coopération au titre de lUnion européenne. Celle-ci a coûté chaque année 180 millions deuros environ ; notre part y a été en moyenne de 29 millions deuros. Les montants consacrés à la coopération civilo-militaire sont donc significatifs. Cette coopération porte ses fruits essentiellement dans le domaine du développement rural, des infrastructures communautaires réalisées localement, de lagriculture, de linfrastructure électrique - notamment dans la vallée de la Kapisa à partir du barrage hydroélectrique que jai évoqué. Cette action ne pourra être alimentée ni cette année ni dans les deux années qui viennent par les budgets aujourdhui consacrés aux OPEX ; et dès lors que ces budgets diminueront, cest sur les budgets consacrés au développement et à la coopération quil faudra retrouver ces financements.
En revanche, il se construit une forme assez judicieuse déchange de savoir-faire en matière de coopération entre larmée afghane et les moyens modernes de la coalition. LAfghan est un combattant. Cependant, il nest pas toujours un combattant discipliné et a du mal à sintégrer dans un système. En réalité, cest un combattant «par vallée» : dans la vallée qui est la sienne, cest un combattant formidable ; mais dans une autre vallée, il ne connaîtra pas les points dappui ni les itinéraires. Nous essayons donc de faire accéder les cadres de larmée afghane à des moyens modernes dont la pertinence est tout à fait justifiée ; tout ce qui est surveillance aérienne, par des drones, des avions voire des satellites ou encore des ballons doit être mis à disposition de larmée afghane. Ces moyens donnent aux forces de la coalition la supériorité dans les conditions de combat de nuit, ce qui est assez nouveau dans ce type de conflit !
Si elle est rustique, larmée afghane a besoin de soutien. Lévacuation médicale aussi doit être la plus moderne possible. Si nous ne lui donnons pas des moyens de soutien modernes, nous affaiblirons larmée afghane face à un adversaire qui se situe dans la logique du faible au fort, cest-à-dire qui choisit le lieu et le moment de laffrontement, alors que larmée afghane est obligée dassurer la continuité de la protection sur lensemble du territoire, mission qui lui est coûteuse.
Q - (à propos dune action européenne)
R - Le tuilage entre une action européenne de nature civile, comme au Kosovo, et une action militaire nest pas aujourdhui à lordre du jour en Afghanistan. Je ne suis pas sûr moi-même quil sagisse dune priorité. Lordre du jour, cest laide à linstitutionnalisation de larmée et lélaboration dune coopération bilatérale sur les questions que nous identifions. Dans une coopération européenne, peut-être serons-nous un peu dilués Le débat politique, dont le Parlement sera saisi, nest pas encore ouvert.
Q - (à propos dun partenariat franco-afghan)
R - La visite du président Karzaï fait suite à une initiative du président de la République française prise le 12 juillet 2011 lors de sa visite en Afghanistan, au cours de laquelle il a annoncé le principe dune proposition française dun traité de partenariat et damitié, lequel comporte essentiellement un volet civil, dans des domaines qui nous sont familiers tels que lagriculture, le développement rural, léducation, la culture, notamment en matière darchéologie - la France dispose en Afghanistan, de longue date, dune école archéologique et les Afghans sont attentifs à leur histoire, laquelle les libère dun passé immédiat -, et la santé ; le ministre des Affaires étrangères afghan est dailleurs un médecin formé en France et qui parle parfaitement notre langue.
Restait à traiter, pour signer ce texte, un point difficile et classique : le statut juridique et judiciaire des coopérants militaires. Nous lavons réglé en réactualisant une convention ancienne. Ce traité, qui vaut pour vingt ans, avec un plan de coopération sur cinq ans (de 2012 à 2016), va donc pouvoir être signé. La durée prévue montre quil sagit dun engagement de long terme mais qui ne crée pas pour autant un partenariat définitif.
Le volet défense prévoit la mise en place de coopérants auprès du ministre de la Défense afghan ainsi quau profit de lenseignement militaire supérieur de lAfghanistan. Il inclut un appui à la formation des cadres et des sous-officiers, des jumelages décoles, et surtout un enseignement de la langue française ainsi que la mise en place de bourses détude en France au profit de militaires afghans.
Il nous faut aussi examiner, dans le cadre du retrait français, les modalités selon lesquelles nos armées pourraient remettre certaines infrastructures et certains matériels aux forces afghanes.
Telles sont les raisons de la visite du président Karzaï. Celui-ci souhaite aussi, je le crois - et je men réjouis - rendre hommage aux soldats français.
Q - (à propos de laction de talibans infiltrés)
R - Laction des talibans infiltrés doit être analysée en détail. En effet, une partie des morts que jai évoqués est décédée à la suite daltercations entre militaires de la coalition et militaires afghans. Tel nest bien sûr pas le cas de nos deux sous-officiers, qui ont, quant à eux, été froidement assassinés, dans une logique dinfiltration destinée à déstabiliser notre coopération. Pour répondre à cette logique, il faut utiliser les moyens de contre-terrorisme : identifier, suivre, former. Nous ne sommes hélas pas à labri dactions terroristes : lors de la guerre dAlgérie, par exemple, les sections administratives spécialisées (SAS) et les officiers daction indigène ont toujours été beaucoup plus exposés que les autres forces du fait quils vivaient au contact de populations qui, à un moment, pour une raison ou une autre, retournaient leurs armes contre leurs cadres.
Q - (à propos du Pakistan)
R - Nous sommes dans une situation de perplexité totale face à lévolution du Pakistan : ce pays cherche ses marques. Il est finalement profondément schizophrène, entre sa méfiance vis-à-vis de lInde, qui justifie une armée démesurée et un fort pouvoir des militaires, et une volonté dappartenir à une communauté internationale sans en accepter les disciplines. Des officiers de la coalition, notamment américains, ont aussi fait remarquer que de plus en plus dofficiers pakistanais sont formés localement, sans lien avec ni le Royaume-Uni, ni les États-Unis, qui étaient leurs partenaires traditionnels. Cette évolution produit des officiers beaucoup plus renfermés sur une culture locale et moins ouverts à la coopération. En même temps, la situation politique du Pakistan est totalement déstabilisée ; bien malin serait qui pourrait prédire les événements à venir. Il reste que malheureusement, linstabilité du Pakistan est lun des facteurs de risques majeurs dune prolongation des tensions en Afghanistan. Ce pays est par ailleurs doté de la bombe atomique et en situation de guerre virtuelle avec lInde. Nous ne maîtrisons pas les évolutions auxquelles il peut donner lieu. Cest dans le cadre de lOrganisation des Nations unies et des alliances auxquelles la France appartient que notre pays sefforce de lamener à évoluer. Le Royaume-Uni est quant à lui dans une situation très difficile : ses liens avec le Pakistan sont très anciens et la communauté pakistanaise y est très nombreuse, avec les risques daction terroristes que cela comporte.
La seule bonne nouvelle relative au Pakistan est la participation de ce pays à la Conférence dIstanbul, qui sest achevée par une déclaration commune aux termes de laquelle les États voisins et riverains de lAfghanistan le reconnaissent comme un État indépendant. Pour convenues quelles puissent sembler, les déclarations de ce type finissent par être contraignantes pour leurs signataires. Plus le Pakistan sinsérera dans des dispositifs de reconnaissance de son voisin, mieux nous nous porterons. Nous ne devons pas oublier que la frontière entre le Pakistan et lAfghanistan est une frontière coloniale ; cest la ligne Durand, héritée des Anglais. Est-elle vraiment reconnue par le Pakistan ? En tout état de cause, en participant à ce type de réunions internationales, le Pakistan va se retrouver prisonnier de ses propres déclarations.
Pour le reste, je suis plutôt pessimiste. Avec plus de 180 millions dhabitants, le Pakistan ne peut en aucun cas être considéré comme comparable à lAfghanistan, ou la Libye. Cest aussi un voisin de lInde, pays encore plus peuplé
Q - (à propos des forces de sécurité afghane)
R - La vraie réponse à la question que vous posez sur larmée serait que lAfghanistan se dote dune vraie gendarmerie, ou encore de forces locales. Cette question rejoint celle de la drogue. Dans un pays en guerre civile depuis trente ans et très compartimenté, lexistence de forces de proximité, très adaptées à un territoire et qui en connaissent aussi bien les contraintes militaires que les aspects humains paraît indispensable pour contrôler les populations. Nous pourrions donc conseiller aux Afghans de se doter certes dune armée professionnelle mais aussi, en effet, de constituer une armée mixte, comportant des unités locales de proximité dotées dun encadrement stable, qui exerceraient un certain ascendant sur les populations et éviteraient la création dadministrations parallèles, comme tel est le cas dans certaines régions.
Q - (à propos du trafic de drogue dans les pays de la région)
R - Assez curieusement, ce sont les Tadjiks qui mont le plus parlé de la drogue, lors de mon escale de retour à Douchambé. Mon homologue ministre de la Défense du Tadjikistan est extrêmement préoccupé par la perspective dun retrait de la coalition dAfghanistan et ma indiqué que lexportation de drogue se poursuivait.
Pour des raisons climatiques et de terroir, les secteurs que nous contrôlons sont peu producteurs de drogue. En revanche, la drogue y circule.
Tant que la drogue sera la ressource économique la plus simple à produire, elle sera évidemment privilégiée.
Un autre pays est très préoccupé par la production afghane de drogue, lIran. Si les Afghans produisent et vendent la drogue, ils nen consomment que fort peu. Au contraire, les réfugiés afghans qui reviennent dIran en deviennent, comme les jeunes Iraniens, des usagers et reviennent drogués, ce qui déstabilise la vie locale.
La Russie est aussi, au fond, très préoccupée par le retrait de la coalition en 2014. Les Russes savent parfaitement que ce retrait comporte un risque dislamisation militante des républiques du sud de lex-URSS et daccroissement de la diffusion dune drogue dont ils sont les clients naturels du fait dun pouvoir dachat plus élevé que celui des ressortissants des pays immédiatement riverains de lAfghanistan.
Il y a donc - et cest un phénomène un peu nouveau - une prise de conscience de grands pays, lIran, la Russie, lInde aussi, voire de la Chine - pour dautres raisons, économiques notamment - de la nécessité dune situation stable en Afghanistan. LInde a même conclu un traité avec lAfghanistan. De ce fait, sur le long terme, la coalition se sent un peu moins isolée.
Q - (à propos de léquipement des forces de sécurité afghanes)
R - Nous pouvons craindre que le départ de la coalition laisse face aux talibans une armée afghane un peu rustique dont léquipement ne sera pas plus performant que le leur. La solution serait alors de maintenir à son service des moyens sophistiqués, en matière de renseignement, dappui-feu et dévacuation sanitaire. Mais un tel maintien signifie une présence relativement forte, en moyens technologiques et en militaires, de la coalition. Le maintien dune telle présence est-il envisagé ?
Par ailleurs, un bilan pourrait-il nous être présenté des apports du système FELIN utilisé depuis quelques mois, en termes de communication, de vision nocturne et de précision de feu ?
Q - (à propos des difficultés du théâtre dopération afghan)
R - LAfghanistan est un théâtre difficile. Nous ne lavons pas créé ; nous avons essayé dy apporter un peu de rigueur et dordre. La coalition y parvient, en particulier pendant ce deuxième mandat du président Karzaï, aux caractéristiques très différentes de son mandat précédent.
Q - (à propos du système FELIN)
R - Le premier bilan du FELIN est positif. Le 1er régiment dinfanterie, aujourdhui présent à Tora, en est équipé. Il amène les combattants à rechercher les conditions les plus difficiles de combat afin doptimiser leur avantage. Ainsi, il permet la nuit une manuvre beaucoup plus souple, une liaison immédiate entre les groupes de combat, une identification des points dappui beaucoup plus simple ; il est très bien maîtrisé par nos soldats.
Nous sommes passés dun système composé aux trois quarts de Français et dun quart dAfghans à un système inverse. Aujourdhui, les opérations de soutien que nous menons comportent un Français pour trois Afghans. Répondre à des demandes bien identifiées dévacuation médicale ne réclame que des effectifs assez faibles. Répondre à des demandes dappui-feu constant ou dappui aérien suppose une proportion dun à dix : la coalition devrait pouvoir affecter sur le terrain le dixième de leffectif quy consacrera larmée afghane. Ce nest pas complètement impensable : larmée afghane est composée denviron 280.000 hommes ; un appui durable suppose un effectif correspondant à 10 % ou 15 % de cet effectif pour lensemble de la coalition, sur lensemble du territoire. Il reste que, aujourdhui, le chiffre na pas été fixé. Nous savons simplement que les Américains veulent conserver les deux bases de Bagram et Kandahar pour pouvoir continuer à assurer un appui aérien sur lensemble des secteurs exposés, autrement dit, pour lessentiel lEst et le Sud-Est.
Q - (à propos de la contribution à la coalition militaire)
R - Si notre pays est un contributeur significatif de la coalition, il nest pas le premier après les États-Unis. Le deuxième contributeur est le Royaume-Uni, avec 9.500 militaires ; avec 4.800 militaires, lAllemagne contribue à un niveau légèrement supérieur au nôtre ; avec 4.000 militaires, la contribution italienne est comparable à la nôtre.
Autrement dit, les grands pays européens contribuent de façon comparable aux forces de la coalition et progressent ensemble. Si des retraits unilatéraux peuvent être annoncés par certains États, les mouvements des grands pays sont coordonnés. Nous ne prendrons aucune décision sans régler notre pas sur celui de la coalition.
Q - (à propos du rôle de la Turquie)
R - Le rôle de la Turquie dans la coalition est avant tout symbolique. Certes, des entreprises turques, composées de musulmans sunnites, interviennent. Il existe une volonté turque dexister dans tous les pays pantouraniens, dont lAfghanistan fait partie. Le président Karzaï souhaite le soutien de la Turquie, qui représente pour lui - et pour beaucoup dautres musulmans - lexemple dun État musulman qui a su réussir sa mutation vers la modernité en restant fidèle à ses bases culturelles. De ce fait, la Turquie peut jouer un rôle. Mais la réalité nous montre le caractère relativement limité de celui-ci sur le plan militaire ; les effectifs turcs ne sont que de 1.800 militaires ; de plus, ils interviennent peu, y compris en matière de soutien rapide. Donc il y a contraste entre une image turque favorable et une absence pratique de la Turquie sur le terrain.
Q - (à propos du rôle de lIran)
R - La situation de lIran est presque inverse. Limage de ce pays nest pas favorable en Afghanistan - cest un pays chiite. Les très nombreux Afghans qui sont réfugiés en Iran ny sont pas très bien traités. Enfin, il sest finalement produit des attentats en Afghanistan, à loccasion dune grande fête chiite ; il ny a pas datomes crocus entre lIran et lAfghanistan.
Q - (à propos de léquipement des forces françaises)
R - Le 27ème bataillon de chasseurs alpins, qui accomplit un travail formidable, va bénéficier de la décision «post-Uzbin» de moderniser léquipement des forces, notamment en les équipant des VHM que vous avez évoqués. Depuis le 1er janvier de cette année, dix de ces véhicules sont en opération sur le théâtre dont le 27e BCA a la charge. Les commandes ayant été lancées fin 2009, le temps de réalisation, de 18 mois, paraît raisonnable.
Q - (à propos du rôle des réseaux traditionnels en Afghanistan)
R - Vous posez un problème majeur. Pour un pouvoir politique, la solution de facilité est de sappuyer sur les structures sociales traditionnelles. Tel est manifestement le choix du président Karzaï. Ce choix sest traduit par la réunion de la Loya Jirga, la Grande Assemblée traditionnelle. Une telle décision permet la mobilisation par le président de réseaux traditionnels à qui il promet la sécurité en échange dune grande indulgence sur les conditions dans lesquelles ces réseaux sécurisent son pouvoir.
Il existe donc en Afghanistan dune part une réalité juridique - le président de la République est élu au suffrage universel - et de lautre une réalité sociologique, celle dun accord entre lui et la société locale traditionnelle contre les éléments qui pourraient apparaître susceptibles de déstabiliser celle-ci, au prix dun regard distrait sur ses défauts.
Pour autant, un effort, qui a commencé dès le départ des talibans, porte ses fruits : il sagit de la scolarisation des jeunes filles. Même si celle-ci nest aujourdhui pas remise en cause, elle est largement contradictoire avec les supports sociologiques sur lesquels sappuie le président Karzaï. À titre personnel et politique, je reste convaincu que lalphabétisation et la scolarisation des filles sont des éléments moteurs et équilibrants pour la société. Cest le meilleur investissement que nous puissions effectuer sur le long terme, et ce dabord pour la maîtrise de la démographie. Celle-ci, qui va de pair avec lalphabétisation, change le rapport de lhomme à la femme et donc la société. Si le traité de coopération ne devait comporter pour la France quune seule exigence à imposer, ce serait celle de la scolarisation - en général, bien sûr. En Afghanistan 7 millions denfants sont scolarisés, dont plus dun tiers de filles. Les filles et les garçons représentant respectivement 50 % de la jeunesse, le chemin nest donc parcouru quaux deux tiers. Cela dit, en Afghanistan, 70 % des Afghans se déclarent satisfaits de la scolarité.
Même si le pouvoir politique afghan joue le système traditionnel pour assurer sa sécurité, nous devons travailler à introduire en Afghanistan un élément de changement qui stabilisera la société de manière durable et en profondeur, lalphabétisation des femmes.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 janvier 2012