Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur le calendrier des commémorations culturelles pour 2012, Paris le 4 janvier 2012.

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Circonstance : Lancement du recueil des Commémorations nationales 2012 à Paris le 4 janvier 2012

Texte intégral


Avant toutes choses, je voudrais rendre hommage aux personnalités éminentes du Haut-Comité pour les Commémorations nationales, pour la qualité de leur travail, de leur expertise, ainsi qu’aux Archives de France. Tous auront démontré, une fois de plus, tout ce que cet exercice mémoriel auquel les Français sont très attachés peut apporter à la construction d’une histoire partagée.
Mes amitiés et mes souhaits de rétablissements vont tout d’abord à Jean Favier, dont je connais les difficultés de santé, et qui a su présider ce Haut-Comité avec la clairvoyance et la sagacité qu’on lui connaît.
Et je suis convaincu qu’Alain Corbin, avec toute l’érudition qui est la sienne et son talent hors pair pour explorer les pistes anthropologiques et sensorielles de l’histoire contemporaine, va en assurer une présidence intérimaire remarquable.
Je souhaite également saluer la mémoire de deux membres du Haut-Comité qui nous ont quitté : MM. Emmanuel Poulle et Jacques Thuillier, éminents savants, tous deux grandement appréciés pour leur exigence intellectuelle et leur engagement pour la transmission du savoir et de la culture. Un grand archiviste, paléographe et historien des sciences, ainsi qu’un des plus grands historiens de l’art français se sont éteints cette année. Nous leur rendons hommage aujourd’hui, et je tiens à saluer leurs proches, ainsi que les familles scientifiques auxquelles ils appartenaient, pour lesquelles ils incarnaient l’excellence.
Je remercie également, très chaleureusement, ceux qui quittent cette année le Haut-Comité, ainsi que les personnalités éminentes qui ont donné un accord de principe enthousiaste pour remplacer les « partants » : vous assurez ainsi une transition qui permet au Haut-Comité pour les Commémorations nationales de maintenir tout le prestige et la compétence dont il a besoin.
En amont du foisonnement d’événements qui sont chaque année organisés en France dans le cadre des commémorations nationales, il y a un recueil, toujours très attendu, qui est le fruit de votre travail. Il attire l’attention de publics extrêmement divers : collectivités territoriales, journalistes, sociétés savantes, bibliothécaires, enseignants, réseau culturel français à l’étranger (Alliances françaises, Institut français), mais aussi centres pénitentiaires, maisons de retraite, ce recueil est l’outil d’un patrimoine commun et d’une mémoire mieux partagée. Il est d’ailleurs complété, depuis l’année dernière, par une application smartphone qui a remporté dès ses débuts un vif succès.
Marguerite Yourcenar prête ces propos à l’Empereur Hadrien : « Le véritable lieu de naissance est celui où l’on a porté pour la première fois un coup d’oeil intelligent sur soi-même : mes premières patries ont été les livres ». Publié et distribué gratuitement par le ministère, cet ouvrage, de très haut niveau, qui bénéficie de la contribution des meilleurs spécialistes, honore pleinement cette tradition civique que Marc Fumaroli désigne, dans une belle expression où l’on reconnaît le grand spécialiste de l’art oratoire, comme une « mnémotechnique nationale ».
Le recueil des Commémorations nationales est une incarnation de papier du cabinet de curiosités. Chaque lecteur vient y puiser, au gré de ses inclinations et de ses références propres, les multiples récits qui constituent la trame institutionnelle et politique, littéraire et artistique, scientifique et technique, économique et sociale, d’un patrimoine commun.
Commémorer, et non pas célébrer. Si j’ai tenu à cette inflexion sémantique, c’est parce qu’elle nous permet de suspendre les jugements de valeur, afin de préserver la réflexion critique sur ce qui est constitutif de notre mémoire collective. Il y a six siècles, Jeanne d’Arc naissait à Domrémy, où je me rendrai avec le président de la République ce vendredi. Il y a cinquante ans, la guerre Algérie s’achevait. Faire cohabiter, dans un même recueil, ces deux points mémoriels majeurs de notre histoire, c’est précisément rappeler que commémorer, ce n’est pas convoquer des vignettes du repli sur soi, mais des fragments d’universel où les blessures et les mythologies doivent s’effacer devant l’exigence et le temps de la compréhension.
Chaque année, notre kaléidoscope nous offre une combinatoire nouvelle, où se croisent des découvertes scientifiques et des publications d’ouvrages révolutionnaires, la naissance d’artistes et de penseurs majeurs, des événements plus ou moins lointains, toujours constitutifs du visage de la société française telle qu’elle se présente aujourd’hui. Ce disparate a toujours le goût de la surprise ; et le recueil des commémorations nous offre à nouveau son lot de capsules de mémoire, dans un formidable assemblage digne d’un catalogue chinois à la Borges, d’une pionnière de la psychanalyse et grande lectrice d’Edgar Allan Poe comme Marie Bonaparte au peintre Yves Klein, la disparition de Gaston Bachelard et la sortie du premier numéro de Salut les copains !, le début de la réalisation du retable d’Issenheim et la sortie de Jules et Jim de Truffaut, la découverte de la mesure de la vitesse de la lumière par Léon Foucault, la mort du grand mathématicien Henri Poincaré et la naissance de l’abbé Pierre - dont les archives et celles d’Emmaüs ont été déposées aux Archives du monde du Travail à Roubaix, où je me suis rendu hier.
Sans céder au vertige de la liste, je voudrais revenir sur quatre événements.
2012 sera l’année Rousseau, avec la commémoration, en France et en Europe, du tricentenaire de sa naissance et du 250ème anniversaire de la parution de deux ouvrages fondamentaux de la pensée occidentale : Du Contrat social et Emile ou de l’éducation. Ces anniversaires seront l’occasion de manifestations coordonnées dans le domaine du livre, pour la recherche universitaire, dans le domaine patrimonial, dans le champ du spectacle vivant, dans le domaine de la langue française aussi avec l’opération conduite sous l’égide de la Délégation générale à la langue française « Dis-moi dix mots ». Je tiens à saluer la mobilisation de la région Rhône-Alpes pour commémorer cette figure contrastée des Lumières, qui sut se garder de ces « deux excès » que condamnait Pascal : « exclure la raison, n’admettre que la raison ». À la fois newtonien dans sa pratique de la raison, révolutionnaire dans sa philosophie politique et pré-romantique dans l’écriture du « moi », Rousseau, « juge de Jean-Jacques » aura marqué à jamais notre modernité. Je me réjouis à l’avance de me rendre au lancement de l’année Rousseau, le 20 janvier à Chambéry, et dont la création musicale de Philippe Hersant, Les Rêveries, inaugurera un cycle remarquable de manifestations nationales et transfrontalières.
Parmi les personnalités mises en lumière cette année, il y aura aussi la plus grande figure de la démocratisation et de la décentralisation du théâtre : Jean Vilar. Pape du théâtre en son Palais d’Avignon et au théâtre de Chaillot à Paris qui abritait le TNP fondé en 1920 par Firmin Gémier, Jean Vilar fut lui-même le « poète de son engagement », et de son ambition : « faire respirer un art qui s'étiole dans des antichambres, dans des caves, dans des salons ; réconcilier enfin, architecture et poésie dramatique ». À l’heure où la fréquentation des salles de spectacle ne cesse de s’accroître, les manifestations qui accompagnent l’anniversaire de sa naissance – notamment à Sète et à l’occasion du prochain festival d’Avignon - vont permettre de souligner tout ce qu’on lui doit, et l’influence considérable qu’il aura eue sur la politique culturelle en France.
Après l’Année des Outre-mer, qui nous a permis, grâce notamment à son commissariat assuré par Daniel Maximin et son équipe, d’ouvrir une nouvelle page de notre politique culturelle ultramarine, comme l’ont notamment attesté à Cayenne les Etats généraux du multilinguisme dans les Outre-mer à Cayenne auxquels je me suis rendu le mois dernier, 2012 marque le centième anniversaire de la naissance de Léon-Gontran Damas. « Trois fleuves coulent dans mes veines », écrivait l’auteur de Black Label : la mémoire du poète guyanais est à mes yeux d’autant plus actuelle pour comprendre l’apport culturel inestimable que les Outre-mer apportent à la France comme « pays-monde ».
Vous connaissez enfin mon attachement à l’histoire de l’art, à l’éducation artistique et culturelle, à laquelle j’ai voulu donner une meilleure visibilité à travers le Festival de l’histoire de l’art lancé à Fontainebleau l’an dernier et qui a rencontré d’emblée un succès indéniable. Je me réjouis d’avance de la qualité des manifestations en cours de préparation pour le centenaire d’un très grand savant, d’un homme qui aura tant apporté à cette discipline, notamment par ses ouvrages majeurs sur l’Italie de la Renaissance, mais aussi d’un homme engagé dans les débats de la Cité, notamment sur les enjeux du patrimoine, je veux parler d’André Chastel.
Voilà pour ces quelques exemples sur lesquels je souhaitais revenir brièvement. Je reviendrai tout à l’heure sur l’Année Liszt, que nous allons clore pour l’occasion ce soir.
Certains esprits critiques ont tôt fait de se défier du succès des commémorations nationales, en y voyant une sorte de fièvre mémorielle improductive, propre aux nations de la vieille Europe. J’y vois au contraire une multitude de manifestations qui traduisent autant de désirs de mémoire, celui d’une mémoire vivante, à laquelle contribuent tous les scientifiques, les artistes, les amateurs d’histoire, les associations, et surtout les publics de ces innombrables événements, au service d’identités en partage.
Je vous remercie.
Source http://www.culturecommunication.gouv.fr, le 5 janvier 2012