Texte intégral
Avant toutes choses, je voudrais rendre hommage aux personnalités éminentes du Haut-Comité pour les Commémorations nationales, pour la qualité de leur travail, de leur expertise, ainsi quaux Archives de France. Tous auront démontré, une fois de plus, tout ce que cet exercice mémoriel auquel les Français sont très attachés peut apporter à la construction dune histoire partagée.
Mes amitiés et mes souhaits de rétablissements vont tout dabord à Jean Favier, dont je connais les difficultés de santé, et qui a su présider ce Haut-Comité avec la clairvoyance et la sagacité quon lui connaît.
Et je suis convaincu quAlain Corbin, avec toute lérudition qui est la sienne et son talent hors pair pour explorer les pistes anthropologiques et sensorielles de lhistoire contemporaine, va en assurer une présidence intérimaire remarquable.
Je souhaite également saluer la mémoire de deux membres du Haut-Comité qui nous ont quitté : MM. Emmanuel Poulle et Jacques Thuillier, éminents savants, tous deux grandement appréciés pour leur exigence intellectuelle et leur engagement pour la transmission du savoir et de la culture. Un grand archiviste, paléographe et historien des sciences, ainsi quun des plus grands historiens de lart français se sont éteints cette année. Nous leur rendons hommage aujourdhui, et je tiens à saluer leurs proches, ainsi que les familles scientifiques auxquelles ils appartenaient, pour lesquelles ils incarnaient lexcellence.
Je remercie également, très chaleureusement, ceux qui quittent cette année le Haut-Comité, ainsi que les personnalités éminentes qui ont donné un accord de principe enthousiaste pour remplacer les « partants » : vous assurez ainsi une transition qui permet au Haut-Comité pour les Commémorations nationales de maintenir tout le prestige et la compétence dont il a besoin.
En amont du foisonnement dévénements qui sont chaque année organisés en France dans le cadre des commémorations nationales, il y a un recueil, toujours très attendu, qui est le fruit de votre travail. Il attire lattention de publics extrêmement divers : collectivités territoriales, journalistes, sociétés savantes, bibliothécaires, enseignants, réseau culturel français à létranger (Alliances françaises, Institut français), mais aussi centres pénitentiaires, maisons de retraite, ce recueil est loutil dun patrimoine commun et dune mémoire mieux partagée. Il est dailleurs complété, depuis lannée dernière, par une application smartphone qui a remporté dès ses débuts un vif succès.
Marguerite Yourcenar prête ces propos à lEmpereur Hadrien : « Le véritable lieu de naissance est celui où lon a porté pour la première fois un coup doeil intelligent sur soi-même : mes premières patries ont été les livres ». Publié et distribué gratuitement par le ministère, cet ouvrage, de très haut niveau, qui bénéficie de la contribution des meilleurs spécialistes, honore pleinement cette tradition civique que Marc Fumaroli désigne, dans une belle expression où lon reconnaît le grand spécialiste de lart oratoire, comme une « mnémotechnique nationale ».
Le recueil des Commémorations nationales est une incarnation de papier du cabinet de curiosités. Chaque lecteur vient y puiser, au gré de ses inclinations et de ses références propres, les multiples récits qui constituent la trame institutionnelle et politique, littéraire et artistique, scientifique et technique, économique et sociale, dun patrimoine commun.
Commémorer, et non pas célébrer. Si jai tenu à cette inflexion sémantique, cest parce quelle nous permet de suspendre les jugements de valeur, afin de préserver la réflexion critique sur ce qui est constitutif de notre mémoire collective. Il y a six siècles, Jeanne dArc naissait à Domrémy, où je me rendrai avec le président de la République ce vendredi. Il y a cinquante ans, la guerre Algérie sachevait. Faire cohabiter, dans un même recueil, ces deux points mémoriels majeurs de notre histoire, cest précisément rappeler que commémorer, ce nest pas convoquer des vignettes du repli sur soi, mais des fragments duniversel où les blessures et les mythologies doivent seffacer devant lexigence et le temps de la compréhension.
Chaque année, notre kaléidoscope nous offre une combinatoire nouvelle, où se croisent des découvertes scientifiques et des publications douvrages révolutionnaires, la naissance dartistes et de penseurs majeurs, des événements plus ou moins lointains, toujours constitutifs du visage de la société française telle quelle se présente aujourdhui. Ce disparate a toujours le goût de la surprise ; et le recueil des commémorations nous offre à nouveau son lot de capsules de mémoire, dans un formidable assemblage digne dun catalogue chinois à la Borges, dune pionnière de la psychanalyse et grande lectrice dEdgar Allan Poe comme Marie Bonaparte au peintre Yves Klein, la disparition de Gaston Bachelard et la sortie du premier numéro de Salut les copains !, le début de la réalisation du retable dIssenheim et la sortie de Jules et Jim de Truffaut, la découverte de la mesure de la vitesse de la lumière par Léon Foucault, la mort du grand mathématicien Henri Poincaré et la naissance de labbé Pierre - dont les archives et celles dEmmaüs ont été déposées aux Archives du monde du Travail à Roubaix, où je me suis rendu hier.
Sans céder au vertige de la liste, je voudrais revenir sur quatre événements.
2012 sera lannée Rousseau, avec la commémoration, en France et en Europe, du tricentenaire de sa naissance et du 250ème anniversaire de la parution de deux ouvrages fondamentaux de la pensée occidentale : Du Contrat social et Emile ou de léducation. Ces anniversaires seront loccasion de manifestations coordonnées dans le domaine du livre, pour la recherche universitaire, dans le domaine patrimonial, dans le champ du spectacle vivant, dans le domaine de la langue française aussi avec lopération conduite sous légide de la Délégation générale à la langue française « Dis-moi dix mots ». Je tiens à saluer la mobilisation de la région Rhône-Alpes pour commémorer cette figure contrastée des Lumières, qui sut se garder de ces « deux excès » que condamnait Pascal : « exclure la raison, nadmettre que la raison ». À la fois newtonien dans sa pratique de la raison, révolutionnaire dans sa philosophie politique et pré-romantique dans lécriture du « moi », Rousseau, « juge de Jean-Jacques » aura marqué à jamais notre modernité. Je me réjouis à lavance de me rendre au lancement de lannée Rousseau, le 20 janvier à Chambéry, et dont la création musicale de Philippe Hersant, Les Rêveries, inaugurera un cycle remarquable de manifestations nationales et transfrontalières.
Parmi les personnalités mises en lumière cette année, il y aura aussi la plus grande figure de la démocratisation et de la décentralisation du théâtre : Jean Vilar. Pape du théâtre en son Palais dAvignon et au théâtre de Chaillot à Paris qui abritait le TNP fondé en 1920 par Firmin Gémier, Jean Vilar fut lui-même le « poète de son engagement », et de son ambition : « faire respirer un art qui s'étiole dans des antichambres, dans des caves, dans des salons ; réconcilier enfin, architecture et poésie dramatique ». À lheure où la fréquentation des salles de spectacle ne cesse de saccroître, les manifestations qui accompagnent lanniversaire de sa naissance notamment à Sète et à loccasion du prochain festival dAvignon - vont permettre de souligner tout ce quon lui doit, et linfluence considérable quil aura eue sur la politique culturelle en France.
Après lAnnée des Outre-mer, qui nous a permis, grâce notamment à son commissariat assuré par Daniel Maximin et son équipe, douvrir une nouvelle page de notre politique culturelle ultramarine, comme lont notamment attesté à Cayenne les Etats généraux du multilinguisme dans les Outre-mer à Cayenne auxquels je me suis rendu le mois dernier, 2012 marque le centième anniversaire de la naissance de Léon-Gontran Damas. « Trois fleuves coulent dans mes veines », écrivait lauteur de Black Label : la mémoire du poète guyanais est à mes yeux dautant plus actuelle pour comprendre lapport culturel inestimable que les Outre-mer apportent à la France comme « pays-monde ».
Vous connaissez enfin mon attachement à lhistoire de lart, à léducation artistique et culturelle, à laquelle jai voulu donner une meilleure visibilité à travers le Festival de lhistoire de lart lancé à Fontainebleau lan dernier et qui a rencontré demblée un succès indéniable. Je me réjouis davance de la qualité des manifestations en cours de préparation pour le centenaire dun très grand savant, dun homme qui aura tant apporté à cette discipline, notamment par ses ouvrages majeurs sur lItalie de la Renaissance, mais aussi dun homme engagé dans les débats de la Cité, notamment sur les enjeux du patrimoine, je veux parler dAndré Chastel.
Voilà pour ces quelques exemples sur lesquels je souhaitais revenir brièvement. Je reviendrai tout à lheure sur lAnnée Liszt, que nous allons clore pour loccasion ce soir.
Certains esprits critiques ont tôt fait de se défier du succès des commémorations nationales, en y voyant une sorte de fièvre mémorielle improductive, propre aux nations de la vieille Europe. Jy vois au contraire une multitude de manifestations qui traduisent autant de désirs de mémoire, celui dune mémoire vivante, à laquelle contribuent tous les scientifiques, les artistes, les amateurs dhistoire, les associations, et surtout les publics de ces innombrables événements, au service didentités en partage.
Je vous remercie.
Source http://www.culturecommunication.gouv.fr, le 5 janvier 2012