Conférence de presse de MM. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie des finances et de l'industrie et Charles Josselin, ministre délégué à la coopération, sur la nécessité de poursuivre la convergence et la surveillance multilatérale des économies de la zone franc, la réduction de la dette, la suspension de la coopération française au Niger et sur le conflit commercial opposant les Etats Unis et l'UE sur la banane, Dakar le 22avril 1999.

Prononcé le

Circonstance : Réunion interministérielle des pays de la zone franc à Dakar le 22 avril 1999

Texte intégral

Q - Deux questions pour M. Strauss-Kahn. A l'ouverture ce matin, vous avez parlé d'instruments de surveillance multilatérale, au moins aussi forts que ceux qui sont en vigueur en Europe. L'UMOA en particulier a déjà défini ses critères de convergence. Va-t-on aller vers des critères comme ceux appliqués actuellement en Europe, ou bien y a-t-il une autre formule ? A propos de l'initiative française de réduction de la dette, il y a eu depuis un mois au moins, trois initiatives qui se sont ajoutées. L'initiative américaine, annoncée par le président Clinton lors de la Conférence Afrique-Etats-Unis, celle du gouvernement canadien et l'initiative française qui vient d'arriver. Il y avait aussi eu auparavant l'initiative allemande. Comment les pays endettés vont-ils s'y retrouver parmi toutes ces initiatives ?
R - Dominique Strauss-Kahn - Sur votre premier point, ce que j'ai constaté ce matin, c'est que la zone franc allait bien, que sa croissance était forte, autour de 5 % et que la mise en place de l'euro avait protégé les pays qui y sont rattachés par le franc CFA, comme elle avait protégé l'Europe elle-même. En ce sens, les conséquences de la crise asiatique ont été estompées sur l'Europe, comme sur la zone franc. J'ai remarqué que si nous étions arrivés à ce degré d'intégration monétaire, à ces taux d'intérêts les plus faibles qu'il y ait dans le monde à part le Japon, et dont vous bénéficiez aussi dans la zone franc, puisque les taux d'intérêt y sont plus faibles que dans beaucoup de pays avoisinants, c'est parce que nous avions su mettre en place des institutions librement acceptées, qui sont des institutions de coopération, mais aussi de surveillance. La règle commune, que chacun respecte, est un élément de la confiance des marchés et de la confiance des investisseurs. Si j'ai voulu tracer ce parallèle, c'est pour vous dire que ce qui avait été possible pour nous, même si cela avait entraîné des débats, des discussions, devait de mon point de vue être aussi suivi au sein de la zone franc, et en ce sens, les progrès réalisés par l'UMOA récemment sont des progrès très importants. La convergence, c'est la convergence fiscale, c'est plus de circulation des marchandises, tous sujets que l'on connaît sur l'intégration douanière, mais ce sont aussi des institutions que l'on respecte et le fait que l'on sache que les voisins vont respecter les règles de ces institutions est un élément majeur de la confiance. Je pense donc qu'il est indispensable qu'en effet, ces procédures dites de surveillance mutuelle, ou en tous cas d'information collective et d'appréciation sur ce que font les voisins, que ces dispositifs, que nous avons su mettre en place en Europe, puissent petit à petit se mettre en place aussi au niveau de la zone franc.
Sur votre deuxième question, il est vrai qu'il existe plusieurs propositions en matière de dette, la proposition française n'arrive pas aujourd'hui : je l'ai formulée il y a deux mois au G7 de Bonn en Allemagne ; mais c'est la première fois que j'ai l'occasion de la développer sur la terre africaine. Ce qui est important, et c'est un peu ce qui est sous-jacent dans votre question, c'est que rapidement nous convergeons vers une proposition unique qui va être mise en oeuvre, je pense, au G7 qui se tiendra à Cologne au mois de juin. J'ai tendance à trouver que la proposition française est plus intéressante, c'est normal, mais je pense que mes amis anglais pensent que la proposition anglaise est meilleure, etc. Tout cela est bien normal. Il faut laisser de côté ce genre de fierté nationale qui ne ferait que retarder le processus, pour arriver à quelque chose qui soit collectif et qui se mette en place. Les caractéristiques particulières de la proposition française, c'est d'abord qu'elle couvre toutes les créances d'aide publique au développement, la seconde c'est qu'elle réclame un effort important dans la répartition de la charge : il est facile à des pays qui n'ont rien prêté de dire qu'il faut tout annuler ! Ce qu'il faut, c'est que tout le monde contribue à proportion de sa richesse, par exemple de son PIB, à l'effort nécessaire pour financer ces annulations de dette. La troisième caractéristique de la proposition française, c'est une caractéristique qui touche à la responsabilité, c'est-à-dire l'idée que, dans les pays qui bénéficieront de cet abandon de créance, les capacités ainsi dégagées servent directement aux besoins de la population, dans tout ce qu'il y a de fondamental : dans la mise en oeuvre d'infrastructures, de programmes d'éducation, de santé, etc. Donc les trois termes sont : solidarité (aller très loin), équité (répartir convenablement la charge), et responsabilité, dans les pays dans lesquels ces procédures seront mises en oeuvre. Mon espoir, c'est que nous ayons très rapidement, vers le début du mois de mai, une proposition européenne commune et que nous ayons ainsi fait une partie de chemin du regroupement. A ce moment-là nous pourrons avoir à Cologne, je l'espère, une proposition collective regroupant tout le monde : les Américains, les Japonais, les Européens bien sûr, et prendre une décision qui, à ce moment-là, pourra être mise en oeuvre dans les délais les plus brefs. Un des points, qui a été abordé cet après-midi et qui est très important, c'est l'idée qu'il ne faut pas que les seuls pays que je viens de citer soient concernés, mais tous les créanciers, et en particulier ceux qui n'appartiennent pas au G7, au Club de Paris, à savoir les créanciers arabes. Nous avons donc reconnu le bien-fondé de cette proposition et je vais faire en sorte que le Club de Paris, qui a déjà des contacts avec les créanciers arabes, puisse étendre ces contacts et les associer à la mise en oeuvre de cette proposition.
Q - Est-ce que le fait pour la France de sanctionner le Niger ne va pas contribuer à aggraver la situation économique déjà inquiétante de ce pays ? Les militaires se sont engagés dans un échéancier, ils disent qu'ils vont remettre le pouvoir aux civils le 31 décembre 1999, cela ne peut-il pas pousser la France à revoir un peu sa position et à aider ce pays, l'un des plus faibles d'Afrique de l'Ouest ?
R - Charles Josselin - La France a condamné l'assassinat du président Baré au Niger et a suspendu de ce fait sa coopération militaire et sa coopération civile, y compris celle de l'Agence française de développement, pour la part de coopération civile qui ne bénéficie pas directement aux populations. Il est des éléments de cette coopération civile en terme de santé ou d'éducation qui bénéficient directement aux populations et que nous n'avons pas voulu suspendre. Cela répond en partie à votre question. Le départ effectif de ces personnels civils et militaires se fera en moins d'un mois et nous réclamons en effet, et de ce point de vue-là nous rejoignons les phrases du communiqué que mon collègue, le ministre de l'Economie et des finances sénégalais, évoquait tout à l'heure, nous réclamons que des procédures républicaines et démocratiques soient mises en place au Niger. Bien entendu ces requêtes formulées et éventuellement satisfaites pourront nous conduire, comme les autres pays qui se sont exprimés aujourd'hui d'ailleurs, à reconsidérer notre position, mais, pour le moment, la position est celle que je viens de vous décrire.
Q - La question de la banane, telle qu'elle a été réglée récemment par l'OMC, un petit peu en faveur des Américains, pose le problème de la poursuite des relations privilégiées entre l'Afrique et la France en particulier, et l'Europe en général. Comment maintenir des relation privilégiées avec la France, sans transgresser les règles érigées par l'OMC ?
R - Dominique Strauss-Kahn - Les relations privilégiées entre la France et l'Afrique ne reposent pas que sur la banane ! Néanmoins, vous avez raison de dire que c'est un terrain qui a fait couler beaucoup d'encre et qui reste très... glissant. Nous considérons que la condamnation dont ces pratiques ont été l'objet à l'OMC n'est pas satisfaisante, que les conditions d'exploitation de la banane par les trois compagnies américaines en Amérique centrale sont des conditions qui ne sont pas dignes en matière de conditions de travail et de salaire, et que par conséquent le vrai problème n'est pas de savoir s'il y a des pratiques commerciales qui favoriseraient de la part de la France un certain nombre de pays - la Côte d'Ivoire et d'autres qui produisent des bananes -, mais de savoir si nous devons accepter une concurrence faite dans des conditions qui sont celles que je viens de vous décrire. Nous sommes donc très insatisfaits de la voie qui a été choisie et de la condamnation qui a été proférée. Nous avons l'intention de continuer à poursuivre le débat sur cette question, car cela va bien plus loin qu'un problème commercial : cela va jusqu'à un problème de droits de l'Homme dans les pays dans lesquels, en Amérique latine, ces bananes sont produites. Des accords existent entre les pays ACP en général, et les pays africains en particulier, et l'Europe. Charles Josselin voudra peut-être dire quelque chose sur le renouvellement de ces accords, mais il ne faut pas que le problème de la banane - je ne le sous-estime pas, vous l'avez vu, je le mets très haut dans la hiérarchie des priorités - soit tel, qu'il obscurcisse l'ensemble du paysage des relations que nous pouvons avoir.
R - Charles Josselin - Juste pour prolonger le propos de Dominique Strauss-Kahn, je ferais observer que ce conflit commercial autour de la banane nous donne des raisons supplémentaires de vouloir intégrer, d'abord l'existence de l'OMC, au moment où nous renégocions Lomé, de trouver une solution qui permette de concilier la nécessité pour les pays en développement de disposer d'une certaine protection, mais aussi la réalité de l'OMC qui, elle, entend promouvoir un commerce libre. Vous savez, la solution que le mandat donné à la Commission a retenu, c'est précisément l'organisation régionale comme transition vers l'intégration à l'économie mondiale des pays en développement. Nous avons dit aussi que les pays de la zone franc, structurés déjà autour de deux unions régionales, ont une longueur d'avance par rapport aux autres, s'ils savent continuer à consolider cette organisation régionale. La seconde leçon qu'il faut tirer du conflit autour de la banane, c'est, comme vient de le dire le ministre de l'Economie et des finances français, qu'il faut que nous arrivions à intégrer dans les critères de l'OMC la dimension sociale qui n'y existe pas. Je crois aussi que nous avons, les pays ACP et nous, un combat à mener au sein de l'OMC pour y arriver.
Q - Le taux de l'euro connu hier, par rapport au dollar, a été un taux assez bas. Vous avez dit vous-même Monsieur Strauss-Kahn il y a deux jours, je crois, au Wall-Street Journal, que le taux n'avait pas encore atteint son niveau le plus bas par rapport au dollar. Quel est à votre avis le taux le plus raisonnable ? Quelles seraient ses implications surtout par rapport aux pays de la zone franc ?
R - Dominique Strauss-Kahn - Je n'ai pas dit exactement ce que vous rapportez, j'ai dit qu'il me semblait que la parité de l'euro par rapport au dollar atteignait le bas de la fourchette de ses fluctuations traditionnelles. En effet, lorsque l'on regarde sur le long terme, la parité non pas de l'euro, puisqu'il n'existait pas, mais des monnaies qui le composent, on voit que, c'est un simple constat, nous sommes plutôt de ce côté-là de la fourchette. Je ne ferai pas de déclaration sur ce qui me paraît être la parité correcte de l'euro ; aucun ministre des Finances qui se respecte ne fait de déclarations de ce genre, je vous dirai simplement que je suis pour un euro solide, un euro stable et que, aujourd'hui, la parité de l'euro ne me paraît pas inquiétante, même si certains ont pu constater une évolution au cours de ces deux derniers mois, les parités sont des choses qui fluctuent dans le moyen terme et il n'y a pas de raison de s'en inquiéter outre mesure. Il n'y a pas de conséquence à en attendre sur le CFA. Le CFA fluctue, comme l'euro, puisqu'il y a une parité fixe entre le CFA et l'euro et si cela n'est pas un problème inquiétant pour l'euro, ce n'est pas un problème inquiétant pour le CFA.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 avril 1999)