Point de presse de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, avec la presse française, sur le soutien de la France et de l'Union européenne à la libéralisation en Birmanie et sa rencontre avec l'opposante Aung San Suu Kyi, Rangoun le 14 janvier 2012.

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Circonstance : Voyage d'Alain Juppé au Japon et en Birmanie du 13 au 16 janvier 2012 : déplacement en Birmanie du 14 au 16

Texte intégral

Q - Pourquoi, dès votre arrivée, avez-vous souhaité rencontrer ces détenus libérés ?
R - Parce que nous vivons, je crois, un moment historique, sans galvauder ce mot. Des libérations de prisonniers ont déjà eu lieu depuis quelques semaines mais nous attendions tous la libération complète de tous les prisonniers politiques, comme le demandait depuis fort longtemps Aung San Suu Kyi. Cette libération a eu lieu hier et en arrivant ici, à Rangoun, j’ai tenu à saluer plusieurs de ces prisonniers qui viennent de rejoindre la ville. C’est évidemment un moment de très grande émotion.
J’ai salué leur courage, j’ai essayé de comprendre comment ils avaient vécu cette détention qui, souvent, a été très longue - plus de dix années pour certains d’autres eux. J’ai envisagé avec eux l’avenir, c’est une première étape, et je les ai assurés du soutien de la France dans le combat qu’ils mènent pour la démocratie et la liberté.
Q - À votre avis le compte est bon maintenant, il ne reste plus de prisonniers politiques ?
R - D’après tout ce que j’ai entendu depuis mon arrivée, d’après les informations dont l’ambassadeur s’est fait l’écho, il semble effectivement que la totalité des prisonniers politiques aient été relâchés.
J’en parlerai demain avec Aung San Suu Kyi bien sûr.
Q - Comment analysez-vous ces changements en Birmanie ?
R - Je crois que le chemin parcouru est déjà long et plusieurs facteurs peuvent expliquer cette évolution.
D’abord, et je crois qu’il faut le noter parce que le principe-même des sanctions est souvent critiqué, mais le fait d’imposer ces sanctions, de faire en sorte que ce pays se soit finalement senti isolé de tout l’environnement international a fini par faire évoluer les mentalités.
L’aspiration populaire est également extrêmement forte et je crois que les principaux responsables du régime ont bien compris qu’aujourd’hui il fallait évoluer. Ce processus est en cours, il est loin d’être achevé. Il y a cette première étape de la libération des prisonniers mais il y a ensuite le processus électoral. Nous serons très attentifs à ce que les prochaines élections partielles soient des élections transparentes, loyales et libres. La question des relations avec les minorités ethniques est extrêmement sensible, elle n’est pas encore résolue.
Nous allons donc accompagner ce processus. L’Union européenne et la France ont toujours été très attentives, nous verrons comment adapter nos relations avec les autorités ici et, notamment comment faire progresser le dispositif de sanctions au fur et à mesure que nous constaterons des progrès dans la démocratisation du régime.
Q - Il semble que l’on soit proche de la levée de ces sanctions ?
R - Nous allons y réfléchir en regardant ce qui se passe effectivement. Cette libération quasi complète est un premier pas extrêmement important mais il y en a d’autres à franchir.
Q - Quel est le rôle que peut jouer la France dans le soutien à la libéralisation en Birmanie ?
R - Nous avons déjà joué un rôle très important, d’abord en étant présents ici sur le terrain par l’intermédiaire de notre ambassade. Nous allons continuer à apporter une aide et j’annoncerai demain que nous allons tripler cette aide au développement, à l’éducation, à la santé.
Nous avons également apporté une politique et nous continuerons, avec nos partenaires de l’Union européenne, à accompagner ce mouvement qui est extrêmement prometteur.
Q - N’y a-t-il pas une certaine méfiance qui s’impose, compte tenu du fait que les dirigeants actuellement au pouvoir sont les mêmes que ceux qui étaient là il y a deux ans ?
R - Je ne dirai pas méfiance, je dirai vigilance. Bien sûr, il faut regarder comment les choses vont évoluer. Il y a apparemment une volonté de changements qui s’exprime au pouvoir. J’essaierai de le vérifier en allant à Nay Pyi Daw lundi prochain. Comme nos partenaires qui se sont déjà rendus ici, nos amis britanniques en particulier, nous regarderons aux actes et aux résultats.
Q - Ici comme ailleurs, la perte du triple A, est-ce mauvais pour l’image de la France ?
R - On revient à des considérations non birmanes, mais je m’y attendais. Vous savez, il y a quelques semaines, j’avais dit que si nous devions être dégradés, puisque c’est le mot, ce ne serait pas une bonne nouvelle mais ce ne serait pas un cataclysme. J’en suis toujours là.
Je voudrais insister sur le fait que cette agence a dégradé, non pas la France, mais elle a pris en considération la situation de la zone euro et sa fragilité actuelle. D’ailleurs, ce sont neuf pays de la zone euro qui ont fait l’objet d’une décision identique. Ce n’est pas un cataclysme et il faut donc réagir avec sang-froid. Ce n’est pas en dramatisant que l’on servira les intérêts du pays et je regrette que certains s’affolent. Je crois que la bonne réponse n’est pas dans le changement de cap mais au contraire dans la persévérance dans les réformes.
Ce qui est un peu paradoxal, c’est que, à la différence des deux autres, Fitch a maintenu le triple A jusqu’en 2013, sauf faits nouveaux et Moody’s n’a pas non plus modifié sa notation. Je disais donc que ce qui est un peu paradoxal, c’est au moment-même où les décisions qui s’imposent pour redresser la situation sont en train de se mettre en place, que cette décision intervient. Il faut donc continuer à mettre en œuvre ce qui a été décidé au niveau européen, conclure d’ici la fin du mois les deux traités qui sont en cours de négociation et nous allons y parvenir et je crois que c’est aussi la confirmation des efforts que fait la France. Nous avons mis en place une trajectoire de réduction de nos déficits que nous tenons. Les résultats de 2011 sont même un peu meilleurs que ce à quoi nous nous attendions, nous allons atteindre nos objectifs en 2012 et en 2013 avec le retour au 3 % de déficit par rapport à la richesse nationale. C’est donc en restant ferme sur nos objectifs et sans perdre notre sang-froid que nous pourrons relever ce qui est un défi il faut bien le dire.
Q - Demain, vous allez rencontrer Aung San Suu Kyi, est-ce la première fois ?
R - Oui, c’est la première fois que je la verrai.
Q - Que représente-t-elle pour vous ?
R - Une image de courage, de ténacité tout à fait extraordinaire. Plus de vingt ans d’un parcours qu’elle a consacré tout entier au service de ses idées, de la liberté, de la démocratie en traversant des périodes extrêmement difficiles. Je sais aujourd’hui, par ses déclaration et par le contact que notre ambassadeur a avec elle qu’elle est heureuse de voir ce premier pas franchi, de voir la totalité des prisonniers politiques enfin libres.
Ce sera donc pour moi un moment de grande émotion et un grand honneur de la rencontrer et de lui remettre la Légion d’Honneur qui lui a été attribuée par le président de la République. Vous savez que le président lui a parlé hier, me semble-t-il. Nous aurons donc un entretien qui va se dérouler dans un contexte assez extraordinaire.
Beaucoup de visiteurs commençaient ces derniers mois par aller à Nay Pyi Daw d’abord et voir Aung San Suu Kyi ensuite.
Q - Vous avez fait un choix différent, faut-il y voir un message politique ?
R - Non, c’est une question d’itinéraire et d’agenda.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 janvier 2012