Conférence de presse de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, sur l'appui de la France et de l'Union européenne au processus de démocratisation, de libéralisation et de pacification en Birmanie et l'organisation de la levée des sanctions, Rangoun le 15 janvier 2012.

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Circonstance : Voyage d'Alain Juppé au Japon et en Birmanie du 13 au 16 janvier 2012 : déplacement en Birmanie du 14 au 16

Texte intégral

J’ai eu la grande chance et le grand honneur de rencontrer Mme Aung San Suu Kyi ce matin durant un peu plus d’une heure. C’était mon premier contact avec elle, j’ai été très impressionné par son charisme, sa sérénité et sa détermination. Je lui ai exprimé, à la fois l’admiration et le soutien du gouvernement et du peuple français. Vous savez que le président de la République avait eu l’occasion de l’appeler au téléphone il y a 48 heures. Je lui ai donc remis la lettre que le président m’avait prié de lui transmettre et qui confirme l’invitation qui lui a adressée à se rendre en France.
Vous savez également que je la décorerai ce soir de la Légion d’Honneur, elle sera faite Commandeur de notre Ordre national.
Cet après-midi, j’ai eu l’occasion de rencontrer les responsables de plusieurs partis politiques et lors du déjeuner, un certain nombre de représentants de la société civile, économistes, universitaires, spécialistes du développement durable et nous avons longuement et très franchement échangé nos points de vues et nos idées.
Je retiendrai de ces différents entretiens trois points :
La première question est bien sûr celle de la libération des prisonniers politiques.
Le président U Thein Sein a donc décidé il y a 24 heures d’en libérer 651 parmi lesquels beaucoup de prisonniers très connus. Vous en avez rencontré plusieurs, moi-même j’ai rencontré Min Ko Naing, leader de la Génération 88, Khun Htun Oo président de la Ligue de la minorité shan pour la démocratie. J’ai été, là aussi, très impressionné par leur courage et leur détermination.
La question qui se pose est de savoir si l’on peut considérer qu’aujourd’hui, tous les prisonniers politiques ont été libérés. Les points de vues exprimé ne convergent pas tous et on espère que, du dialogue entre les autorités et les différents partis et associations, une clarification complète pourra intervenir sur ce point.
Je demanderai demain aux autorités gouvernementales d’autoriser la Croix Rouge à revenir dans les prisons, comme elle le faisait avant 2008 puisque, au-delà-même des prisonniers politiques, se pose la question de savoir comment sont traités, de façon plus générale, les prisonniers dans les geôles de Birmanie.
La deuxième grande question est celle des élections partielles qui vont se tenir le 1er avril prochain et qui vont permettre de renouveler quarante sièges à l’Assemblée nationale (lower house), plusieurs dans la Haute Assemblée et également des sièges dans les gouvernements provinciaux. Bien sûr, pour nous, il est très important que ces élections soient transparentes, parfaitement libres et loyales, nous observerons la façon dont elles se déroulent, en liaison bien sûr avec notre ambassade.
Enfin, la troisième question qui est sans doute la plus difficile dans ce processus de démocratisation, de libéralisation et de pacification de la Birmanie, c’est celle des relations avec les nationalités ethniques. Des accords de cessez-le-feu ont déjà été conclus tout récemment avec l’ethnie Karen mais, d’après tous les interlocuteurs que j’ai rencontrés, ces cessez-le-feu ne sont qu’une première étape. Ils doivent déboucher ensuite sur une négociation plus globale, vraisemblablement sur une modification de la Constitution permettant de garantir l’égalité des droits à l’ensemble de ces populations et sur un accord politique plus global.
Il y a donc encore du chemin à faire. Ce que j’ai entendu de façon générale est plutôt une manifestation de confiance dans la volonté du président d’aller de l’avant, mais il y a, bien évidement, comme dans tout processus de ce type, des freins, des hésitations et des tentatives de retour en arrière.
C’est la raison pour laquelle, avant de lever complètement et définitivement les sanctions de l’Union européenne, nous allons observer la façon dont le processus se déroule. Nous en parlerons bien sûr avec nos partenaires européens au cours des prochaines réunions des ministres des Affaires étrangères, pour voir comment organiser cette levée des sanctions.
Je pense personnellement qu’il faut envoyer des signaux d’encouragement aux autorités qui sont engagées dans ce processus, tout en gardant des incitations pour qu’elles puissent achever ce qui mérite de l’être et qui ne l’est pas encore.
La France, comme elle le fait depuis longtemps se tiendra bien sûr aux côtés du peuple birman. Nous sommes ici depuis longtemps, notamment dans nos institutions culturelles, l’Institut français de Rangoun notamment que j’ai eu l’occasion de visiter. C’est un bel Institut où se déroulait, même un dimanche après-midi, des cours de langue très fréquentés. Il y a aussi l’Institut de Mandalay et nous allons donc poursuivre cette action. J’ai annoncé que la France triplerait sa coopération et la ciblerait. Il y a bien sûr un certain nombre d’objectifs prioritaires :
- l’aide humanitaire et d’urgence,
- l’action culturelle,
- l’appui à l’action des ONG et le soutien à la société civile birmane.
Et puis, nous allons examiner en France, la possibilité pour l’Agence française de Développement d’opérer en Birmanie avec là aussi, des priorités qui paraissent claires. L’agriculture est un secteur qui mérite d’être modernisé et développé, le tourisme sans aucun doute et d’autres priorités que nous déterminerons en fonction de la décision qui sera prise sur l’intervention de l’Agence française de Développement.
Voilà l’essentiel des conversations. Je ne peux pas encore anticiper sur les échanges que j’aurai demain avec le président Thein Sein, avec le président de la Chambre Haute, le président de la Chambre basse et mon homologue le ministre des Affaires étrangères. Ce sont donc les entretiens de Nay Pyi Daw puisque je quitterai Rangoun de bonne heure.
Q - Quel sera votre message au président Thein Sein ? Avez-vous des choses concrètes à lui demander ?
R - Je viens de vous le dire : d’abord, clarifier complètement la libération des prisonniers politiques, autoriser le comité international de la Croix Rouge à intervenir à nouveau dans les prisons ; c’est le premier volet. Le second volet, c’est s’assurer que les élections en avril seront libres et transparentes. Le troisième volet, c’est d’aller de l’avant dans la résolution de ce problème difficile qu’est la relation avec les minorités ethniques.
Ce sont les trois messages principaux que j’aurai à adresser aux autorités. Plusieurs des prisonniers libérés que j’ai rencontrés ont demandé aussi de faire passer le message selon lequel ils ne sont pas là dans un état d’esprit de confrontation. Au contraire, ils souhaitent une coopération constructive pour faire avancer le processus de démocratisation et je ferai aussi passer ce message.
Q - Concernant le pays, à un certain moment, la France utilisera-t-elle Myanmar plutôt que Birmanie quand le processus sera bien engagé ?
R - Je parlerai de Myanmar demain, je vous rassure, mais ce n’est pas le problème le plus difficile à régler.
Q - Quel soutien la France aujourd’hui peut-elle apporter à Aung San Suu Kyi ?
R - D’abord, un soutien moral et politique. Il ne lui a pas fait défaut tout au long de ces années. Je l’ai encore renouvelé de manière assez spectaculaire aujourd’hui puisque je suis le premier ministre des Affaires étrangères français à visiter ce pays et donc à la voir dans sa maison.
Ensuite, la France peut apporter un soutien politique auprès des autorités gouvernementales. Nous encourageons à avancer sur le processus de démocratisation et de libéralisation. Nous allons donc, là aussi, dans le sens de Aung San Suu Kyi. Par ailleurs, une fois qu’elle occupera des responsabilités, ce que j’espère, je l’ai dit, l’un des grands enjeux est d’aider aussi la Birmanie ou Myanmar à sortir de l’état de sous-développement dans lequel elle se trouve aujourd’hui. C’est un pays qui a des ressources mais qui est d’une extrême pauvreté ; d’abord parce que ces ressources n’ont pas été investies dans le développement et dans le bien-être de la population ; ensuite, parce qu’il est vrai que les sanctions ont sans doute rendues difficiles l’essor économique.
Là aussi, j’ai été très frappé dans l’entretien que j’ai eu lors de mon déjeuner avec les représentants de la société civile de l’importance qu’ils attachent au développement économique. Lutter contre les inégalités, favoriser la réconciliation nationale, permettre le règlement des problèmes des minorités ethniques, cela passe en grande partie par le développement économique de ce pays et la France aidera aussi dans ce sens.
Q - On parle beaucoup, de l’extérieur, de Aung San Suu Kyi comme leader de l’opposition. Vous avez aussi rencontré cet après-midi les partis des minorités ethniques, ainsi que d’autres partis pro-démocratie pour lesquels les relations avec Aung San Suu Kyi ne sont pas toujours très simples. N’avez-vous pas la sensation qu’il y a une opposition générale qui est plus complexe que la vision que nous en avons actuellement ?
Comment la France peut-elle jouer un rôle d’aide ?
R - Certes, c’est complexe, mais enfin nous n’avons pas de leçons à donner sur la clarification de la vie des partis politiques. C’est peut-être d’ailleurs le prix à payer pour la démocratie. J’ai simplement interrogé ces partis pour savoir s’ils allaient tenter de se regrouper dans la perspective des prochaines élections partielles ou au-delà.
J’ai reçu des réponses contrastées. J’ai en effet tenu à les voir à peu près tous ; ils étaient très nombreux lors de la réunion qui s’est tenue à l’Institut culturel. C’est évidemment à eux de prendre des décisions dans ce domaine.
Q - Et sur la levée des sanctions, ils ne sont pas tous d’accord ?
R - J’ai quand même, au cours de la table ronde à l’Institut français, trouvé qu’il existait une assez large unanimité. Aung San Suu Kyi elle-même souhaite que nous soyons vigilants et que nous établissions un calendrier de levée des sanctions au fur et à mesure que le processus avancera. Je crois qu’il faut aussi que nous nous concertions entre partenaires européens. Il faudra également tenir compte de l’attitude des Américains puisque beaucoup de sanctions dépendent de décisions américaines. Il y a tout un mouvement à coordonner et à adopter à la lumière de ces deux préoccupations : envoyer des signaux pour encourager à la poursuite du processus et, en même temps, garder en réserve des incitations à aller plus loin.
Q - Avez-vous trouvé que tout le monde était sur la même longueur d’onde entre ceux qui sont très optimistes dans le processus et ceux qui sont plus sceptiques, ou bien y avait-il de vraies divergences ?
R - Bien sûr qu’il y a des différences, vous l’avez dit vous-même. Ce sont des qualités qui sont largement distribuées ; ce serait miraculeux qu’il y ait unanimité. Mais là où il y a, me semble-t-il une unanimité, c’est pour aller plus loin dans le processus de démocratisation. Il y a aussi globalement l’unanimité pour faire confiance à ceux qui dans le régime actuel jouent cette carte-là, tout en ayant bien conscience qu’il y a des résistances et des risques de retour en arrière avec des degrés de vigilance et d’optimisme divers. Mais c’est assez normal.
Q - Le soutien de la France est un soutien de valeurs portant sur la scène internationale. En focalisant son soutien sur Aung San Suu Kyi, ne prenez-vous pas le risque de jouer le jeu de l’une des parties qui bénéficie davantage que d’autres du soutien international et d’une image d’icône.
Ne portez-vous pas une part de la complexité du jeu politique birman ?
R - Et vous ? J’ai cru comprendre que les caméras étaient focalisées sur Mme Aung San Suu Kyi. Justement, je n’ai pas fait cela. J’ai vu Mme Aung San Suu Kyi et les autres. Je pense qu’au contraire, jusqu’à présent, j’ai passé plus de temps avec les autres qu’avec elle.
Q - Oui mais vous ne vous êtes affiché publiquement qu’avec elle.
R - Non, mais avec les autres non plus. Certains de vos confrères ont participé à l’échange que j’ai eu avec les partis politiques. Ne déformez pas le sens du message.
Q - Ce soir, n’avez-vous pas l’envie de récompenser d’autres personnes ?
R - Cela viendra. Je pense que vis-à-vis du peuple birman - si je suis bien informé -, la figure de Aung San Suu Kyi a quand même une valeur symbolique plus forte me semble-t-il. Je rappelle que cela fait 22 ou 23 ans qu’elle est soit libérée, soit en résidence surveillée et je pense que la force de son combat mérite une attention particulière, pas exclusive mais particulière.
Q - en 2007, le président avait demandé à Total de ne plus faire de nouveaux investissements en Birmanie. Cette interdiction sera-t-elle levée dans les prochains mois ?
R - Nous en parlerons, pour l’instant, aucune décision n’est prise.
Q - Cela fera-t-il partie de l’objet des discussions ?
R - Ce sera traité dans le même esprit que les sanctions.
Q - Si les sanctions étaient levées, la Birmanie pourrait être un marché intéressant pour les entreprises françaises ?
R - Oui, c’est certain et nous n’avons pas honte de le dire. Nous ne sommes pas les seuls à nous y intéresser. Les Chinois sont déjà très présents et comme les sanctions ne les bloquent pas….
J’ai cru comprendre - je ne sais pas si ce sera le cas chez les autorités gouvernementales que je verrai demain - que chez tous mes interlocuteurs d’aujourd’hui, il y avait une volonté de diversification de la présence économique. La présence de l’Europe, de la France étaient donc souhaitée. Dans beaucoup de domaines, j’ai parlé de la filière agro-alimentaire où nous sommes bons. Ce pays a besoin de beaucoup d’aide sans oublier le tourisme.
Cet après-midi - cela m’a beaucoup frappé -, à l’Institut français, il y avait beaucoup de jeunes Birmans ou Birmanes qui apprennent le français. Pourquoi ? Parce qu’ils travaillent dans des hôtels, dans des restaurants, dans des agences de voyage et que, comme le tourisme français se développe, ils ont besoin d’apprendre notre langue.
Vous voyez que nous avons aussi une carte à jouer dans ce domaine.
Q - Hier, vous avez évoqué l’efficacité des sanctions dans la façon dont vous avez poussé le régime à évoluer. En même temps, un certain nombre d’experts estiment que les sanctions ont permis à la Chine d’accroître énormément son influence. Vous êtes en train de parler de diversification, alors, que pensez-vous de l’influence chinoise ici et de ce que l’Union européenne peut faire pour contre balancer les choses ?
R - S’il y avait une baguette magique et s’il y avait des sanctions absolument parfaites qui ne pénalisent pas les populations, qui obligent les gouvernements autoritaires à céder et qui n’ait pas d’effet secondaire sur d’autres pays, ce serait merveilleux. Ce que je constate, c’est que les sanctions, avec du temps, ont joué un rôle ici. Parmi les raisons qui expliquent l’évolution du pouvoir militaire, il y a notamment celui-là ; pas seulement sans doute, mais il y a celui-là. Cela donc me confirme dans l’idée que nous avons aussi raison d’utiliser ce moyen de pression dans d’autres situations. Cela ne donne pas des résultats immédiatement mais cela y contribue.
Pour le reste, je pense que c’est l’ouverture de la Birmanie à l’Occident aussi qui permettra à chacun de jouer sa carte ici et d’éviter un monopole qui ne serait bon pour personne et en tout cas pas pour la Birmanie elle-même.
C’est aussi pour moi l’occasion, puisque vous êtes tous là, de vous dire un mot sur la Syrie. Le massacre continue et le silence du Conseil de sécurité continue aussi et vous savez ce que j’en pense, j’ai eu l’occasion de m’exprimer à plusieurs reprises à ce sujet.
Cette situation devient intolérable, je souhaite, comme d’autres, que la Ligue arabe ne s’enlise pas dans sa mission d’observation qui, apparemment ne fait pas bouger le régime. L’armée n’est pas revenue dans les casernes, la répression n’a pas cessé, bien au-delà, la violence est toujours à l’œuvre. Certes, il y a une certaine ouverture aux médias mais on voit dans quelles conditions cela s’est fait. Je crois que la Ligue arabe s’était donné jusqu’au 19 janvier pour apprécier la situation, je souhaite fortement qu’elle fasse un constat aussi objectif que possible et qu’elle puisse communiquer ce constat au Conseil de sécurité pour que les différents membres de ce Conseil notamment ses membres permanents soient tous mis devant leurs responsabilités.
Q - Avez-vous eu des éclaircissements sur ce qui est arrivé à notre confrère ?
R - Non. Vous savez que des plaintes ont été déposées, une instruction judiciaire est en cours et j’espère que toute la lumière sera prochainement faite. J’ai lu un certain nombre de considérations qui ont été portées sur les conditions dans lesquelles cela s’est passé et qui sont effectivement curieuses et qui méritent que la clarté soit faite.
Q - Mais aucune communication officielle du gouvernement syrien là-dessus !
R - Ils ont annoncé une commission d’enquête si je suis bien informé, nous verrons si ceci se déroule aussi dans la transparence, j’ai quelques raisons d’en douter.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 janvier 2012