Texte intégral
Jai eu la grande chance et le grand honneur de rencontrer Mme Aung San Suu Kyi ce matin durant un peu plus dune heure. Cétait mon premier contact avec elle, jai été très impressionné par son charisme, sa sérénité et sa détermination. Je lui ai exprimé, à la fois ladmiration et le soutien du gouvernement et du peuple français. Vous savez que le président de la République avait eu loccasion de lappeler au téléphone il y a 48 heures. Je lui ai donc remis la lettre que le président mavait prié de lui transmettre et qui confirme linvitation qui lui a adressée à se rendre en France.
Vous savez également que je la décorerai ce soir de la Légion dHonneur, elle sera faite Commandeur de notre Ordre national.
Cet après-midi, jai eu loccasion de rencontrer les responsables de plusieurs partis politiques et lors du déjeuner, un certain nombre de représentants de la société civile, économistes, universitaires, spécialistes du développement durable et nous avons longuement et très franchement échangé nos points de vues et nos idées.
Je retiendrai de ces différents entretiens trois points :
La première question est bien sûr celle de la libération des prisonniers politiques.
Le président U Thein Sein a donc décidé il y a 24 heures den libérer 651 parmi lesquels beaucoup de prisonniers très connus. Vous en avez rencontré plusieurs, moi-même jai rencontré Min Ko Naing, leader de la Génération 88, Khun Htun Oo président de la Ligue de la minorité shan pour la démocratie. Jai été, là aussi, très impressionné par leur courage et leur détermination.
La question qui se pose est de savoir si lon peut considérer quaujourdhui, tous les prisonniers politiques ont été libérés. Les points de vues exprimé ne convergent pas tous et on espère que, du dialogue entre les autorités et les différents partis et associations, une clarification complète pourra intervenir sur ce point.
Je demanderai demain aux autorités gouvernementales dautoriser la Croix Rouge à revenir dans les prisons, comme elle le faisait avant 2008 puisque, au-delà-même des prisonniers politiques, se pose la question de savoir comment sont traités, de façon plus générale, les prisonniers dans les geôles de Birmanie.
La deuxième grande question est celle des élections partielles qui vont se tenir le 1er avril prochain et qui vont permettre de renouveler quarante sièges à lAssemblée nationale (lower house), plusieurs dans la Haute Assemblée et également des sièges dans les gouvernements provinciaux. Bien sûr, pour nous, il est très important que ces élections soient transparentes, parfaitement libres et loyales, nous observerons la façon dont elles se déroulent, en liaison bien sûr avec notre ambassade.
Enfin, la troisième question qui est sans doute la plus difficile dans ce processus de démocratisation, de libéralisation et de pacification de la Birmanie, cest celle des relations avec les nationalités ethniques. Des accords de cessez-le-feu ont déjà été conclus tout récemment avec lethnie Karen mais, daprès tous les interlocuteurs que jai rencontrés, ces cessez-le-feu ne sont quune première étape. Ils doivent déboucher ensuite sur une négociation plus globale, vraisemblablement sur une modification de la Constitution permettant de garantir légalité des droits à lensemble de ces populations et sur un accord politique plus global.
Il y a donc encore du chemin à faire. Ce que jai entendu de façon générale est plutôt une manifestation de confiance dans la volonté du président daller de lavant, mais il y a, bien évidement, comme dans tout processus de ce type, des freins, des hésitations et des tentatives de retour en arrière.
Cest la raison pour laquelle, avant de lever complètement et définitivement les sanctions de lUnion européenne, nous allons observer la façon dont le processus se déroule. Nous en parlerons bien sûr avec nos partenaires européens au cours des prochaines réunions des ministres des Affaires étrangères, pour voir comment organiser cette levée des sanctions.
Je pense personnellement quil faut envoyer des signaux dencouragement aux autorités qui sont engagées dans ce processus, tout en gardant des incitations pour quelles puissent achever ce qui mérite de lêtre et qui ne lest pas encore.
La France, comme elle le fait depuis longtemps se tiendra bien sûr aux côtés du peuple birman. Nous sommes ici depuis longtemps, notamment dans nos institutions culturelles, lInstitut français de Rangoun notamment que jai eu loccasion de visiter. Cest un bel Institut où se déroulait, même un dimanche après-midi, des cours de langue très fréquentés. Il y a aussi lInstitut de Mandalay et nous allons donc poursuivre cette action. Jai annoncé que la France triplerait sa coopération et la ciblerait. Il y a bien sûr un certain nombre dobjectifs prioritaires :
- laide humanitaire et durgence,
- laction culturelle,
- lappui à laction des ONG et le soutien à la société civile birmane.
Et puis, nous allons examiner en France, la possibilité pour lAgence française de Développement dopérer en Birmanie avec là aussi, des priorités qui paraissent claires. Lagriculture est un secteur qui mérite dêtre modernisé et développé, le tourisme sans aucun doute et dautres priorités que nous déterminerons en fonction de la décision qui sera prise sur lintervention de lAgence française de Développement.
Voilà lessentiel des conversations. Je ne peux pas encore anticiper sur les échanges que jaurai demain avec le président Thein Sein, avec le président de la Chambre Haute, le président de la Chambre basse et mon homologue le ministre des Affaires étrangères. Ce sont donc les entretiens de Nay Pyi Daw puisque je quitterai Rangoun de bonne heure.
Q - Quel sera votre message au président Thein Sein ? Avez-vous des choses concrètes à lui demander ?
R - Je viens de vous le dire : dabord, clarifier complètement la libération des prisonniers politiques, autoriser le comité international de la Croix Rouge à intervenir à nouveau dans les prisons ; cest le premier volet. Le second volet, cest sassurer que les élections en avril seront libres et transparentes. Le troisième volet, cest daller de lavant dans la résolution de ce problème difficile quest la relation avec les minorités ethniques.
Ce sont les trois messages principaux que jaurai à adresser aux autorités. Plusieurs des prisonniers libérés que jai rencontrés ont demandé aussi de faire passer le message selon lequel ils ne sont pas là dans un état desprit de confrontation. Au contraire, ils souhaitent une coopération constructive pour faire avancer le processus de démocratisation et je ferai aussi passer ce message.
Q - Concernant le pays, à un certain moment, la France utilisera-t-elle Myanmar plutôt que Birmanie quand le processus sera bien engagé ?
R - Je parlerai de Myanmar demain, je vous rassure, mais ce nest pas le problème le plus difficile à régler.
Q - Quel soutien la France aujourdhui peut-elle apporter à Aung San Suu Kyi ?
R - Dabord, un soutien moral et politique. Il ne lui a pas fait défaut tout au long de ces années. Je lai encore renouvelé de manière assez spectaculaire aujourdhui puisque je suis le premier ministre des Affaires étrangères français à visiter ce pays et donc à la voir dans sa maison.
Ensuite, la France peut apporter un soutien politique auprès des autorités gouvernementales. Nous encourageons à avancer sur le processus de démocratisation et de libéralisation. Nous allons donc, là aussi, dans le sens de Aung San Suu Kyi. Par ailleurs, une fois quelle occupera des responsabilités, ce que jespère, je lai dit, lun des grands enjeux est daider aussi la Birmanie ou Myanmar à sortir de létat de sous-développement dans lequel elle se trouve aujourdhui. Cest un pays qui a des ressources mais qui est dune extrême pauvreté ; dabord parce que ces ressources nont pas été investies dans le développement et dans le bien-être de la population ; ensuite, parce quil est vrai que les sanctions ont sans doute rendues difficiles lessor économique.
Là aussi, jai été très frappé dans lentretien que jai eu lors de mon déjeuner avec les représentants de la société civile de limportance quils attachent au développement économique. Lutter contre les inégalités, favoriser la réconciliation nationale, permettre le règlement des problèmes des minorités ethniques, cela passe en grande partie par le développement économique de ce pays et la France aidera aussi dans ce sens.
Q - On parle beaucoup, de lextérieur, de Aung San Suu Kyi comme leader de lopposition. Vous avez aussi rencontré cet après-midi les partis des minorités ethniques, ainsi que dautres partis pro-démocratie pour lesquels les relations avec Aung San Suu Kyi ne sont pas toujours très simples. Navez-vous pas la sensation quil y a une opposition générale qui est plus complexe que la vision que nous en avons actuellement ?
Comment la France peut-elle jouer un rôle daide ?
R - Certes, cest complexe, mais enfin nous navons pas de leçons à donner sur la clarification de la vie des partis politiques. Cest peut-être dailleurs le prix à payer pour la démocratie. Jai simplement interrogé ces partis pour savoir sils allaient tenter de se regrouper dans la perspective des prochaines élections partielles ou au-delà.
Jai reçu des réponses contrastées. Jai en effet tenu à les voir à peu près tous ; ils étaient très nombreux lors de la réunion qui sest tenue à lInstitut culturel. Cest évidemment à eux de prendre des décisions dans ce domaine.
Q - Et sur la levée des sanctions, ils ne sont pas tous daccord ?
R - Jai quand même, au cours de la table ronde à lInstitut français, trouvé quil existait une assez large unanimité. Aung San Suu Kyi elle-même souhaite que nous soyons vigilants et que nous établissions un calendrier de levée des sanctions au fur et à mesure que le processus avancera. Je crois quil faut aussi que nous nous concertions entre partenaires européens. Il faudra également tenir compte de lattitude des Américains puisque beaucoup de sanctions dépendent de décisions américaines. Il y a tout un mouvement à coordonner et à adopter à la lumière de ces deux préoccupations : envoyer des signaux pour encourager à la poursuite du processus et, en même temps, garder en réserve des incitations à aller plus loin.
Q - Avez-vous trouvé que tout le monde était sur la même longueur donde entre ceux qui sont très optimistes dans le processus et ceux qui sont plus sceptiques, ou bien y avait-il de vraies divergences ?
R - Bien sûr quil y a des différences, vous lavez dit vous-même. Ce sont des qualités qui sont largement distribuées ; ce serait miraculeux quil y ait unanimité. Mais là où il y a, me semble-t-il une unanimité, cest pour aller plus loin dans le processus de démocratisation. Il y a aussi globalement lunanimité pour faire confiance à ceux qui dans le régime actuel jouent cette carte-là, tout en ayant bien conscience quil y a des résistances et des risques de retour en arrière avec des degrés de vigilance et doptimisme divers. Mais cest assez normal.
Q - Le soutien de la France est un soutien de valeurs portant sur la scène internationale. En focalisant son soutien sur Aung San Suu Kyi, ne prenez-vous pas le risque de jouer le jeu de lune des parties qui bénéficie davantage que dautres du soutien international et dune image dicône.
Ne portez-vous pas une part de la complexité du jeu politique birman ?
R - Et vous ? Jai cru comprendre que les caméras étaient focalisées sur Mme Aung San Suu Kyi. Justement, je nai pas fait cela. Jai vu Mme Aung San Suu Kyi et les autres. Je pense quau contraire, jusquà présent, jai passé plus de temps avec les autres quavec elle.
Q - Oui mais vous ne vous êtes affiché publiquement quavec elle.
R - Non, mais avec les autres non plus. Certains de vos confrères ont participé à léchange que jai eu avec les partis politiques. Ne déformez pas le sens du message.
Q - Ce soir, navez-vous pas lenvie de récompenser dautres personnes ?
R - Cela viendra. Je pense que vis-à-vis du peuple birman - si je suis bien informé -, la figure de Aung San Suu Kyi a quand même une valeur symbolique plus forte me semble-t-il. Je rappelle que cela fait 22 ou 23 ans quelle est soit libérée, soit en résidence surveillée et je pense que la force de son combat mérite une attention particulière, pas exclusive mais particulière.
Q - en 2007, le président avait demandé à Total de ne plus faire de nouveaux investissements en Birmanie. Cette interdiction sera-t-elle levée dans les prochains mois ?
R - Nous en parlerons, pour linstant, aucune décision nest prise.
Q - Cela fera-t-il partie de lobjet des discussions ?
R - Ce sera traité dans le même esprit que les sanctions.
Q - Si les sanctions étaient levées, la Birmanie pourrait être un marché intéressant pour les entreprises françaises ?
R - Oui, cest certain et nous navons pas honte de le dire. Nous ne sommes pas les seuls à nous y intéresser. Les Chinois sont déjà très présents et comme les sanctions ne les bloquent pas .
Jai cru comprendre - je ne sais pas si ce sera le cas chez les autorités gouvernementales que je verrai demain - que chez tous mes interlocuteurs daujourdhui, il y avait une volonté de diversification de la présence économique. La présence de lEurope, de la France étaient donc souhaitée. Dans beaucoup de domaines, jai parlé de la filière agro-alimentaire où nous sommes bons. Ce pays a besoin de beaucoup daide sans oublier le tourisme.
Cet après-midi - cela ma beaucoup frappé -, à lInstitut français, il y avait beaucoup de jeunes Birmans ou Birmanes qui apprennent le français. Pourquoi ? Parce quils travaillent dans des hôtels, dans des restaurants, dans des agences de voyage et que, comme le tourisme français se développe, ils ont besoin dapprendre notre langue.
Vous voyez que nous avons aussi une carte à jouer dans ce domaine.
Q - Hier, vous avez évoqué lefficacité des sanctions dans la façon dont vous avez poussé le régime à évoluer. En même temps, un certain nombre dexperts estiment que les sanctions ont permis à la Chine daccroître énormément son influence. Vous êtes en train de parler de diversification, alors, que pensez-vous de linfluence chinoise ici et de ce que lUnion européenne peut faire pour contre balancer les choses ?
R - Sil y avait une baguette magique et sil y avait des sanctions absolument parfaites qui ne pénalisent pas les populations, qui obligent les gouvernements autoritaires à céder et qui nait pas deffet secondaire sur dautres pays, ce serait merveilleux. Ce que je constate, cest que les sanctions, avec du temps, ont joué un rôle ici. Parmi les raisons qui expliquent lévolution du pouvoir militaire, il y a notamment celui-là ; pas seulement sans doute, mais il y a celui-là. Cela donc me confirme dans lidée que nous avons aussi raison dutiliser ce moyen de pression dans dautres situations. Cela ne donne pas des résultats immédiatement mais cela y contribue.
Pour le reste, je pense que cest louverture de la Birmanie à lOccident aussi qui permettra à chacun de jouer sa carte ici et déviter un monopole qui ne serait bon pour personne et en tout cas pas pour la Birmanie elle-même.
Cest aussi pour moi loccasion, puisque vous êtes tous là, de vous dire un mot sur la Syrie. Le massacre continue et le silence du Conseil de sécurité continue aussi et vous savez ce que jen pense, jai eu loccasion de mexprimer à plusieurs reprises à ce sujet.
Cette situation devient intolérable, je souhaite, comme dautres, que la Ligue arabe ne senlise pas dans sa mission dobservation qui, apparemment ne fait pas bouger le régime. Larmée nest pas revenue dans les casernes, la répression na pas cessé, bien au-delà, la violence est toujours à luvre. Certes, il y a une certaine ouverture aux médias mais on voit dans quelles conditions cela sest fait. Je crois que la Ligue arabe sétait donné jusquau 19 janvier pour apprécier la situation, je souhaite fortement quelle fasse un constat aussi objectif que possible et quelle puisse communiquer ce constat au Conseil de sécurité pour que les différents membres de ce Conseil notamment ses membres permanents soient tous mis devant leurs responsabilités.
Q - Avez-vous eu des éclaircissements sur ce qui est arrivé à notre confrère ?
R - Non. Vous savez que des plaintes ont été déposées, une instruction judiciaire est en cours et jespère que toute la lumière sera prochainement faite. Jai lu un certain nombre de considérations qui ont été portées sur les conditions dans lesquelles cela sest passé et qui sont effectivement curieuses et qui méritent que la clarté soit faite.
Q - Mais aucune communication officielle du gouvernement syrien là-dessus !
R - Ils ont annoncé une commission denquête si je suis bien informé, nous verrons si ceci se déroule aussi dans la transparence, jai quelques raisons den douter.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 janvier 2012
Vous savez également que je la décorerai ce soir de la Légion dHonneur, elle sera faite Commandeur de notre Ordre national.
Cet après-midi, jai eu loccasion de rencontrer les responsables de plusieurs partis politiques et lors du déjeuner, un certain nombre de représentants de la société civile, économistes, universitaires, spécialistes du développement durable et nous avons longuement et très franchement échangé nos points de vues et nos idées.
Je retiendrai de ces différents entretiens trois points :
La première question est bien sûr celle de la libération des prisonniers politiques.
Le président U Thein Sein a donc décidé il y a 24 heures den libérer 651 parmi lesquels beaucoup de prisonniers très connus. Vous en avez rencontré plusieurs, moi-même jai rencontré Min Ko Naing, leader de la Génération 88, Khun Htun Oo président de la Ligue de la minorité shan pour la démocratie. Jai été, là aussi, très impressionné par leur courage et leur détermination.
La question qui se pose est de savoir si lon peut considérer quaujourdhui, tous les prisonniers politiques ont été libérés. Les points de vues exprimé ne convergent pas tous et on espère que, du dialogue entre les autorités et les différents partis et associations, une clarification complète pourra intervenir sur ce point.
Je demanderai demain aux autorités gouvernementales dautoriser la Croix Rouge à revenir dans les prisons, comme elle le faisait avant 2008 puisque, au-delà-même des prisonniers politiques, se pose la question de savoir comment sont traités, de façon plus générale, les prisonniers dans les geôles de Birmanie.
La deuxième grande question est celle des élections partielles qui vont se tenir le 1er avril prochain et qui vont permettre de renouveler quarante sièges à lAssemblée nationale (lower house), plusieurs dans la Haute Assemblée et également des sièges dans les gouvernements provinciaux. Bien sûr, pour nous, il est très important que ces élections soient transparentes, parfaitement libres et loyales, nous observerons la façon dont elles se déroulent, en liaison bien sûr avec notre ambassade.
Enfin, la troisième question qui est sans doute la plus difficile dans ce processus de démocratisation, de libéralisation et de pacification de la Birmanie, cest celle des relations avec les nationalités ethniques. Des accords de cessez-le-feu ont déjà été conclus tout récemment avec lethnie Karen mais, daprès tous les interlocuteurs que jai rencontrés, ces cessez-le-feu ne sont quune première étape. Ils doivent déboucher ensuite sur une négociation plus globale, vraisemblablement sur une modification de la Constitution permettant de garantir légalité des droits à lensemble de ces populations et sur un accord politique plus global.
Il y a donc encore du chemin à faire. Ce que jai entendu de façon générale est plutôt une manifestation de confiance dans la volonté du président daller de lavant, mais il y a, bien évidement, comme dans tout processus de ce type, des freins, des hésitations et des tentatives de retour en arrière.
Cest la raison pour laquelle, avant de lever complètement et définitivement les sanctions de lUnion européenne, nous allons observer la façon dont le processus se déroule. Nous en parlerons bien sûr avec nos partenaires européens au cours des prochaines réunions des ministres des Affaires étrangères, pour voir comment organiser cette levée des sanctions.
Je pense personnellement quil faut envoyer des signaux dencouragement aux autorités qui sont engagées dans ce processus, tout en gardant des incitations pour quelles puissent achever ce qui mérite de lêtre et qui ne lest pas encore.
La France, comme elle le fait depuis longtemps se tiendra bien sûr aux côtés du peuple birman. Nous sommes ici depuis longtemps, notamment dans nos institutions culturelles, lInstitut français de Rangoun notamment que jai eu loccasion de visiter. Cest un bel Institut où se déroulait, même un dimanche après-midi, des cours de langue très fréquentés. Il y a aussi lInstitut de Mandalay et nous allons donc poursuivre cette action. Jai annoncé que la France triplerait sa coopération et la ciblerait. Il y a bien sûr un certain nombre dobjectifs prioritaires :
- laide humanitaire et durgence,
- laction culturelle,
- lappui à laction des ONG et le soutien à la société civile birmane.
Et puis, nous allons examiner en France, la possibilité pour lAgence française de Développement dopérer en Birmanie avec là aussi, des priorités qui paraissent claires. Lagriculture est un secteur qui mérite dêtre modernisé et développé, le tourisme sans aucun doute et dautres priorités que nous déterminerons en fonction de la décision qui sera prise sur lintervention de lAgence française de Développement.
Voilà lessentiel des conversations. Je ne peux pas encore anticiper sur les échanges que jaurai demain avec le président Thein Sein, avec le président de la Chambre Haute, le président de la Chambre basse et mon homologue le ministre des Affaires étrangères. Ce sont donc les entretiens de Nay Pyi Daw puisque je quitterai Rangoun de bonne heure.
Q - Quel sera votre message au président Thein Sein ? Avez-vous des choses concrètes à lui demander ?
R - Je viens de vous le dire : dabord, clarifier complètement la libération des prisonniers politiques, autoriser le comité international de la Croix Rouge à intervenir à nouveau dans les prisons ; cest le premier volet. Le second volet, cest sassurer que les élections en avril seront libres et transparentes. Le troisième volet, cest daller de lavant dans la résolution de ce problème difficile quest la relation avec les minorités ethniques.
Ce sont les trois messages principaux que jaurai à adresser aux autorités. Plusieurs des prisonniers libérés que jai rencontrés ont demandé aussi de faire passer le message selon lequel ils ne sont pas là dans un état desprit de confrontation. Au contraire, ils souhaitent une coopération constructive pour faire avancer le processus de démocratisation et je ferai aussi passer ce message.
Q - Concernant le pays, à un certain moment, la France utilisera-t-elle Myanmar plutôt que Birmanie quand le processus sera bien engagé ?
R - Je parlerai de Myanmar demain, je vous rassure, mais ce nest pas le problème le plus difficile à régler.
Q - Quel soutien la France aujourdhui peut-elle apporter à Aung San Suu Kyi ?
R - Dabord, un soutien moral et politique. Il ne lui a pas fait défaut tout au long de ces années. Je lai encore renouvelé de manière assez spectaculaire aujourdhui puisque je suis le premier ministre des Affaires étrangères français à visiter ce pays et donc à la voir dans sa maison.
Ensuite, la France peut apporter un soutien politique auprès des autorités gouvernementales. Nous encourageons à avancer sur le processus de démocratisation et de libéralisation. Nous allons donc, là aussi, dans le sens de Aung San Suu Kyi. Par ailleurs, une fois quelle occupera des responsabilités, ce que jespère, je lai dit, lun des grands enjeux est daider aussi la Birmanie ou Myanmar à sortir de létat de sous-développement dans lequel elle se trouve aujourdhui. Cest un pays qui a des ressources mais qui est dune extrême pauvreté ; dabord parce que ces ressources nont pas été investies dans le développement et dans le bien-être de la population ; ensuite, parce quil est vrai que les sanctions ont sans doute rendues difficiles lessor économique.
Là aussi, jai été très frappé dans lentretien que jai eu lors de mon déjeuner avec les représentants de la société civile de limportance quils attachent au développement économique. Lutter contre les inégalités, favoriser la réconciliation nationale, permettre le règlement des problèmes des minorités ethniques, cela passe en grande partie par le développement économique de ce pays et la France aidera aussi dans ce sens.
Q - On parle beaucoup, de lextérieur, de Aung San Suu Kyi comme leader de lopposition. Vous avez aussi rencontré cet après-midi les partis des minorités ethniques, ainsi que dautres partis pro-démocratie pour lesquels les relations avec Aung San Suu Kyi ne sont pas toujours très simples. Navez-vous pas la sensation quil y a une opposition générale qui est plus complexe que la vision que nous en avons actuellement ?
Comment la France peut-elle jouer un rôle daide ?
R - Certes, cest complexe, mais enfin nous navons pas de leçons à donner sur la clarification de la vie des partis politiques. Cest peut-être dailleurs le prix à payer pour la démocratie. Jai simplement interrogé ces partis pour savoir sils allaient tenter de se regrouper dans la perspective des prochaines élections partielles ou au-delà.
Jai reçu des réponses contrastées. Jai en effet tenu à les voir à peu près tous ; ils étaient très nombreux lors de la réunion qui sest tenue à lInstitut culturel. Cest évidemment à eux de prendre des décisions dans ce domaine.
Q - Et sur la levée des sanctions, ils ne sont pas tous daccord ?
R - Jai quand même, au cours de la table ronde à lInstitut français, trouvé quil existait une assez large unanimité. Aung San Suu Kyi elle-même souhaite que nous soyons vigilants et que nous établissions un calendrier de levée des sanctions au fur et à mesure que le processus avancera. Je crois quil faut aussi que nous nous concertions entre partenaires européens. Il faudra également tenir compte de lattitude des Américains puisque beaucoup de sanctions dépendent de décisions américaines. Il y a tout un mouvement à coordonner et à adopter à la lumière de ces deux préoccupations : envoyer des signaux pour encourager à la poursuite du processus et, en même temps, garder en réserve des incitations à aller plus loin.
Q - Avez-vous trouvé que tout le monde était sur la même longueur donde entre ceux qui sont très optimistes dans le processus et ceux qui sont plus sceptiques, ou bien y avait-il de vraies divergences ?
R - Bien sûr quil y a des différences, vous lavez dit vous-même. Ce sont des qualités qui sont largement distribuées ; ce serait miraculeux quil y ait unanimité. Mais là où il y a, me semble-t-il une unanimité, cest pour aller plus loin dans le processus de démocratisation. Il y a aussi globalement lunanimité pour faire confiance à ceux qui dans le régime actuel jouent cette carte-là, tout en ayant bien conscience quil y a des résistances et des risques de retour en arrière avec des degrés de vigilance et doptimisme divers. Mais cest assez normal.
Q - Le soutien de la France est un soutien de valeurs portant sur la scène internationale. En focalisant son soutien sur Aung San Suu Kyi, ne prenez-vous pas le risque de jouer le jeu de lune des parties qui bénéficie davantage que dautres du soutien international et dune image dicône.
Ne portez-vous pas une part de la complexité du jeu politique birman ?
R - Et vous ? Jai cru comprendre que les caméras étaient focalisées sur Mme Aung San Suu Kyi. Justement, je nai pas fait cela. Jai vu Mme Aung San Suu Kyi et les autres. Je pense quau contraire, jusquà présent, jai passé plus de temps avec les autres quavec elle.
Q - Oui mais vous ne vous êtes affiché publiquement quavec elle.
R - Non, mais avec les autres non plus. Certains de vos confrères ont participé à léchange que jai eu avec les partis politiques. Ne déformez pas le sens du message.
Q - Ce soir, navez-vous pas lenvie de récompenser dautres personnes ?
R - Cela viendra. Je pense que vis-à-vis du peuple birman - si je suis bien informé -, la figure de Aung San Suu Kyi a quand même une valeur symbolique plus forte me semble-t-il. Je rappelle que cela fait 22 ou 23 ans quelle est soit libérée, soit en résidence surveillée et je pense que la force de son combat mérite une attention particulière, pas exclusive mais particulière.
Q - en 2007, le président avait demandé à Total de ne plus faire de nouveaux investissements en Birmanie. Cette interdiction sera-t-elle levée dans les prochains mois ?
R - Nous en parlerons, pour linstant, aucune décision nest prise.
Q - Cela fera-t-il partie de lobjet des discussions ?
R - Ce sera traité dans le même esprit que les sanctions.
Q - Si les sanctions étaient levées, la Birmanie pourrait être un marché intéressant pour les entreprises françaises ?
R - Oui, cest certain et nous navons pas honte de le dire. Nous ne sommes pas les seuls à nous y intéresser. Les Chinois sont déjà très présents et comme les sanctions ne les bloquent pas .
Jai cru comprendre - je ne sais pas si ce sera le cas chez les autorités gouvernementales que je verrai demain - que chez tous mes interlocuteurs daujourdhui, il y avait une volonté de diversification de la présence économique. La présence de lEurope, de la France étaient donc souhaitée. Dans beaucoup de domaines, jai parlé de la filière agro-alimentaire où nous sommes bons. Ce pays a besoin de beaucoup daide sans oublier le tourisme.
Cet après-midi - cela ma beaucoup frappé -, à lInstitut français, il y avait beaucoup de jeunes Birmans ou Birmanes qui apprennent le français. Pourquoi ? Parce quils travaillent dans des hôtels, dans des restaurants, dans des agences de voyage et que, comme le tourisme français se développe, ils ont besoin dapprendre notre langue.
Vous voyez que nous avons aussi une carte à jouer dans ce domaine.
Q - Hier, vous avez évoqué lefficacité des sanctions dans la façon dont vous avez poussé le régime à évoluer. En même temps, un certain nombre dexperts estiment que les sanctions ont permis à la Chine daccroître énormément son influence. Vous êtes en train de parler de diversification, alors, que pensez-vous de linfluence chinoise ici et de ce que lUnion européenne peut faire pour contre balancer les choses ?
R - Sil y avait une baguette magique et sil y avait des sanctions absolument parfaites qui ne pénalisent pas les populations, qui obligent les gouvernements autoritaires à céder et qui nait pas deffet secondaire sur dautres pays, ce serait merveilleux. Ce que je constate, cest que les sanctions, avec du temps, ont joué un rôle ici. Parmi les raisons qui expliquent lévolution du pouvoir militaire, il y a notamment celui-là ; pas seulement sans doute, mais il y a celui-là. Cela donc me confirme dans lidée que nous avons aussi raison dutiliser ce moyen de pression dans dautres situations. Cela ne donne pas des résultats immédiatement mais cela y contribue.
Pour le reste, je pense que cest louverture de la Birmanie à lOccident aussi qui permettra à chacun de jouer sa carte ici et déviter un monopole qui ne serait bon pour personne et en tout cas pas pour la Birmanie elle-même.
Cest aussi pour moi loccasion, puisque vous êtes tous là, de vous dire un mot sur la Syrie. Le massacre continue et le silence du Conseil de sécurité continue aussi et vous savez ce que jen pense, jai eu loccasion de mexprimer à plusieurs reprises à ce sujet.
Cette situation devient intolérable, je souhaite, comme dautres, que la Ligue arabe ne senlise pas dans sa mission dobservation qui, apparemment ne fait pas bouger le régime. Larmée nest pas revenue dans les casernes, la répression na pas cessé, bien au-delà, la violence est toujours à luvre. Certes, il y a une certaine ouverture aux médias mais on voit dans quelles conditions cela sest fait. Je crois que la Ligue arabe sétait donné jusquau 19 janvier pour apprécier la situation, je souhaite fortement quelle fasse un constat aussi objectif que possible et quelle puisse communiquer ce constat au Conseil de sécurité pour que les différents membres de ce Conseil notamment ses membres permanents soient tous mis devant leurs responsabilités.
Q - Avez-vous eu des éclaircissements sur ce qui est arrivé à notre confrère ?
R - Non. Vous savez que des plaintes ont été déposées, une instruction judiciaire est en cours et jespère que toute la lumière sera prochainement faite. Jai lu un certain nombre de considérations qui ont été portées sur les conditions dans lesquelles cela sest passé et qui sont effectivement curieuses et qui méritent que la clarté soit faite.
Q - Mais aucune communication officielle du gouvernement syrien là-dessus !
R - Ils ont annoncé une commission denquête si je suis bien informé, nous verrons si ceci se déroule aussi dans la transparence, jai quelques raisons den douter.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 janvier 2012