Texte intégral
Madame,
Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
Un texte vous a été remis en anglais et en birman. Je vais parler en français, mais je vais quand même prononcer quelques mots en birman.
Min-gala-ba. Je n’irai pas plus loin
C’est dans la langue des Lumières et de Victor Hugo que je suis heureux de m’adresser aujourd’hui à l’avocate inlassable de la démocratie, à la militante des droits de l’Homme, à l’éminente récipiendaire du prix Nobel de la paix, pour lui exprimer, au nom du président de la République et du peuple français, le respect, le soutien et l’affection de la France.
Respect, d’abord, devant l’engagement qui est le vôtre, Madame, depuis plus de 20 ans.
À la source de cet engagement, il y a la fidélité à un homme, votre père, le Bogyoke Aung San, dont le destin trop tôt brisé a porté l’indépendance de la Birmanie et jeté les bases d’une nation riche de sa diversité ethnique et religieuse.
Il y a aussi en vous la foi en une cause universelle, celle des droits de l’Homme et de la démocratie, et la conviction fermement ancrée que la Birmanie a vocation à y apporter sa contribution.
Il y a encore - c’est pour vous la «quintessence» même de votre action - une quête spirituelle, un cheminement qui plonge ses racines dans la sagesse du bouddhisme Theravada, terreau de la culture birmane.
Il y a surtout un amour profond pour votre pays, la Birmanie, et pour son peuple, un peuple dont vous êtes devenue le symbole, au point d’incarner ses souffrances passées et son espoir renaissant. Ce lien intime avec votre patrie, vous n’avez jamais cessé de l’entretenir, avec la certitude absolue que votre destin était lié à celui de la nation birmane. Même quand vous étiez loin de votre terre natale, à New Delhi, à Oxford, à Londres, à New York, au Bhoutan ou au Japon, même quand vous veilliez à cultiver votre ouverture au monde, c’est toujours vers la Birmanie que vous ramenaient vos pensées, vos projets et vos combats.
Cette démarche n’est pas sans rappeler celle qui anima les penseurs français du siècle des Lumières, au premier rang desquels Montesquieu qui, de retour de ses tournées en Europe, conceptualisa en France le principe de la séparation des pouvoirs destiné à devenir le socle des démocraties contemporaines. Elle fait de vous l’incarnation d’un patriotisme qui allie l’universalité des grands principes démocratiques et la singularité des valeurs culturelles, l’unicité de la nation et le respect de ses composantes ethniques et religieuses. Ce sont là des notions fondamentales, auxquelles la France est profondément attachée - vous le savez -, des notions que nous souhaitons promouvoir en Birmanie, en accompagnant tous ceux qui uvrent pour la démocratie, les droits humains et les intérêts du peuple birman.
Ce dévouement au service de votre pays, vous l’avez vécu avec trois exigences :
- L’action - et ce n’est pas un hasard si l’un de vos personnages préférés dans Les Misérables est Enjolras, «officiant et militant ( ), soldat de la démocratie ( ), prêtre de l’idéal».
- La non-violence - une voie qui ne signifie pas l’acceptation passive de l’inacceptable, mais constitue au contraire le meilleur moyen pour promouvoir la liberté et la démocratie.
L’engagement collectif, enfin - un choix qui fait de vous la porte-parole de milliers d’hommes et de femmes engagés à vos côtés. Certains sont parmi nous ce soir. Je voudrais leur rendre hommage, ainsi qu’à tous ceux, connus ou inconnus, qui partagent votre combat depuis tant d’années ou ont été privés de liberté.
Cette vocation au service de votre pays a exigé de vous des sacrifices personnels immenses, un don de soi et un altruisme qui justifient l’adhésion dont vous faites l’objet, dans votre pays comme dans le reste du monde. Ces sacrifices méritent notre respect.
Ils méritent aussi notre soutien.
Aujourd’hui, vous avez décidé de vous engager dans une nouvelle démarche politique, quand certains auraient préféré que vous demeuriez l’icône que vous n’avez jamais souhaité devenir. Vous qui avez toujours pensé que le Parlement serait l’institution capable de donner corps aux aspirations du peuple birman à la démocratie et à la réconciliation nationale, vous serez candidate aux prochaines élections législatives partielles. Vous qui avez à cur de promouvoir la règle de droit et le développement économique dans l’intérêt du peuple birman, vous avez fait un choix courageux, qui ouvre un nouveau chapitre dans l’engagement qui est le vôtre. Ce choix, la France le comprend et y apporte son appui.
Elle le comprend parce qu’il s’inscrit dans le cadre d’une évolution positive de la vie politique birmane.
Je pense à l’émergence de débats au Parlement et à la perspective des élections partielles du 1er avril, que nous souhaitons libres et transparentes.
Je pense au dialogue que le président Thein Sein a souhaité engager avec vous, à l’ouverture du jeu politique à de nouveaux acteurs, notamment à la Ligue nationale pour la Démocratie, et à l’amorce de discussions avec les groupes ethniques.
Je pense enfin à la libération des prisonniers de conscience, dont une étape majeure vient d’être franchie récemment.
Cette évolution, la France souhaite l’encourager. C’est tout le sens de ma visite en Birmanie et des échanges que j’aurai demain à Naypyidaw, notamment avec le président Thein Sein. Cette cérémonie, qui est une grande première, incarne la nouvelle ère dans laquelle la Birmanie est entrée.
La France a invité les autorités birmanes à confirmer rapidement et de manière concrète leur volonté de s’engager définitivement dans un processus de réconciliation nationale et ceci dans tous les domaines. La fin des affrontements dans les zones ethniques constitue à nos yeux une priorité absolue comme l’est la libération de tous les prisonniers de conscience, question que nous devons désormais évaluer à l’aune de la récente amnistie. Ce sont des conditions indispensables pour permettre à la Birmanie de retrouver pleinement sa place sur la scène internationale, ce que nous appelons de nos voeux.
Respect, soutien, et enfin affection.
Vous connaissez bien la France. Vous avez appris notre langue durant vos longues années d’isolement grâce à des cassettes audio, preuve de votre volonté exceptionnelle, mais aussi de la culture universelle qui est la vôtre. Vous vous êtes plongée dans la littérature francophone avec éclectisme et passion. Nous sommes émus de savoir qu’au soir de combats difficiles, vous savez pouvoir y puiser le réconfort et l’apaisement. Nous sommes émus de savoir qu’au cur de votre lutte incessante, vous trouvez le temps de consulter chaque semaine la presse française. J’y vois le signe de votre intérêt pour une langue qui, à travers la francophonie, fait vivre des valeurs qui vous sont chères, au premier rang desquelles la diversité culturelle.
Vous connaissez la France. Vous savez donc qu’elle vous aime. Paris a fait de vous l’une de ses citoyennes d’honneur les plus illustres. En vous décernant la plus haute distinction que l’État français puisse vous conférer, le président de la République a souhaité vous donner une nouvelle preuve de cette amitié. Il a souhaité saluer le parcours exceptionnel qui est le vôtre, mais aussi adresser à travers vous un message d’espoir à tous ceux que la France, sans ingérence ni ostracisme, souhaite voir rejoindre le camp de la liberté et de la démocratie partout dans le monde.
Chère Daw Aung San Suu Kyi,
C’est la première fois que vous êtes en mesure de recevoir en personne ce type de distinction. Je suis particulièrement heureux que le gouvernement français soit le premier à bénéficier de cet honneur. Sachez que cet honneur est celui d’une nation tout entière, fière de vous rendre aujourd’hui hommage et de vous réaffirmer son soutien et son attachement.
Madame Aung San Suu Kyi, au nom du président de la République, nous vous remettons les insignes de Commandeur de la Légion d’Honneur.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 janvier 2012