Interview de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, à ITélé le 27 janvier 2012, sur le débat ayant opposé François Hollande à Alain Juppé la veille sur France 2 et les propositions du candidat du PS à l'élection présidentielle en matière d'écologie.

Prononcé le

Média : Itélé

Texte intégral

CHRISTOPHE BARBIER Le Bourget, le programme, le débat avec Alain JUPPÉ hier soir, François HOLLANDE a quand même réussi sa semaine.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Écoutez, moi j’ai regardé le débat et j’attends avec impatience les audiences parce que j’ai surtout trouvé très ennuyeux cette soirée de François HOLLANDE. François HOLLANDE a lancé sa campagne. C’est normal qu’au moment de l’entrée en campagne il y ait un intérêt, il y ait un goût particulier pour un candidat. Maintenant il faut rentrer dans le détail des choses. Ce qui me frappe, et c’est d’ailleurs ce qui me choque dans le projet de François HOLLANDE, ce n’est pas tant ce qu’il dit que ce qu’il ne dit pas. Sur ce qu’il dit, il y a des choses qui ont déjà été faites, il y a des choses dont on peut discuter, il ya des choses qui sont moins bien mais ce n’est pas tant ça que tout ce qu’il ne dit pas.
 
CHRISTOPHE BARBIER On va en parler.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Et notamment cette espèce d’angle mort immense dans lequel il y a la crise et la situation de notre pays. Vous savez, quand vous apprenez à conduire, à l’auto-école on vous dit qu’il y a un truc dont il faut vous méfier : c’est l’angle mort, celui que vous ne voyez pas. Entre ce que vous voyez en face et le rétroviseur, il y a un angle que vous ne voyez pas, il faut absolument se retourner pour vérifier qu’il n’y a pas quelqu'un en train de vous doubler et tout si vous voulez faire un mouvement. Eh bien là, l’angle mort il est absolument immense dans le programme de François HOLLANDE : c’est la crise qu’on est en train de traverser. En fait, on n’en parle pas.
 
CHRISTOPHE BARBIER Il en parle quand même ! Il veut mettre son programme sous le régime de la sobriété : pas trop de dépenses, on va affecter au désendettement 29 milliards de recettes.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIIZET Quand on fait le calcul entre tout ce qu’il sous-évalue comme montant de dépenses – par exemple, il veut sortir de la réforme des retraites. Il dit, il l’a redit hier soir, ça coûtera cinq milliards. Non, ça coûtera quinze milliards. Entre tout ce qu’il sous-évalue comme dépenses de recettes – comme recettes, heu comme dépenses je veux dire, et ce qu’il surévalue comme recettes, il n’y a aucune possibilité de désendettement. Donc il fait comme s’il n’y avait pas de crise de la dette. Il est absolument dans le déni de crise et dans le déni de dettes. Il refuse par exemple de voir aussi la responsabilité partagée de toute la classe politique pendant trente ans sur la question de la dette. Il s’obstine à penser que la dette ça a été Nicolas SARKOZY. Non ! La dette, c’est trente ans, trente ans de dettes additionnées avec à la fin une crise dans laquelle la France a réagi sensiblement comme les autres pays et plutôt mieux que les pays voisins.
 
CHRISTOPHE BARBIER Qu’attendez-vous, par contraste, de Nicolas SARKOZY dimanche soir à la télévision ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET J’attends la vérité ! J’attends un discours de vérité. Les Français ont droit à la vérité. On ne peut pas aujourd'hui dans la crise qu’on traverse monter un programme comme le fait François HOLLANDE qui en fait… C’est du Lexomil ! C’est du Lexomil ! À aucun moment on ne parle d’efforts. On sait qu’il va falloir faire des efforts. C’est à un président et ça aurait dû être aussi à un candidat à la présidentielle, que de dire qu’il va falloir faire des efforts. François HOLLANDE nous disait au Bourget dans un grand mouvement lyrique : mon ennemi n’a pas de visage, c’est la finance. Bon, il a regardé François MITTERRAND à la télé dans les images d’archives, d’accord. Moi je crois que l’ennemi de la France aujourd'hui il a un visage : c’est le défaut de vérité, c’est le risque de démagogie.
 
CHRISTOPHE BARBIER Alors quelques propositions qui sont un peu dans vos registres ministériels. Par exemple, un million de logements seront isolés thermiquement. Ça, c’est un bel effort pour l’écologie.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Moi dans mon domaine ministériel, d’abord ce qui est frappant c’est qu’il y a très peu de choses. Par exemple il n’y a pas un chapitre sur l’écologie. Hallucinant en 2012 de vouloir construire un programme pour la France en parlant si peu d’écologie. Donc là encore ce qui est le plus choquant, c’est ce qui n’est pas dit.
 
CHRISTOPHE BARBIER Alors il y a un exemple là quand même : l’isolation thermique.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Et alors quand il y a quelque chose, ça témoigne en général d’une méconnaissance du projet hallucinante. Sur l’isolation thermique, François HOLLANDE n’a pas l’air de savoir que dans le Grenelle de l’environnement on rend obligatoire à partir du 1er janvier 2013 que tous les nouveaux logements soient en bâtiment basse consommation. Que c’est un mouvement qui a été assez largement anticipé par tous les constructeurs. Par exemple si vous regardez les logements sociaux, nous construisons aujourd'hui deux fois plus par an que du temps du gouvernement JOSPIN. En 2010 il y en avait déjà 30 % qui étaient en bâtiment basse consommation, donc meilleure efficacité énergétique. Aujourd'hui, sur l’année 2011, il y en a 60 %, donc ce mouvement est largement engagé. Un milliard trois cents cinquante millions d’euros sont mis sur la table aujourd'hui pour aider les ménages propriétaires pauvres à pouvoir rénover énergétiquement leurs logements pour arrêter de subir les charges. C’est une prime qui récemment a été passée de 1 100 à 1 600 euros. Ce sont des choses qui sont très largement engagées. Mais ce qui me frappe, c’est qu’il dit peu sur ces sujets mais il ne connaît pas. Je donne un autre exemple : la tarification progressive de l’eau.
 
CHRISTOPHE BARBIER Ah oui, oui. Les riches paieront un peu plus l’eau, le gaz, l’électricité.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Sauf qu’aujourd'hui, la tarification progressive de l’eau, c’est possible au niveau municipal. Une ville peut choisir de faire la tarification progressive de l’eau. Je vous le donne en mille : ni la ville de Lille, ni la ville de Tulle ne choisissent la tarification progressive de l’eau. Quand on souhaite quelque chose, on commence à se l’appliquer à soi-même, on cherche dans sa commune à avoir l’exemplarité qu’on prône pour les autres. Et pourquoi ce n’est pas une mesure nationale ? Parce qu’il y a des milliers de services de l’eau et que chacun règle sa tarification au niveau local parce que les configurations sont très différentes. Il ne connaît pas le sujet !
 
CHRISTOPHE BARBIER Fermer Fessenheim mais terminer Flamanville, c’est équilibré.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET La question c’est pourquoi Fessenheim et pas une autre.
 
CHRISTOPHE BARBIER Parce qu’elle est la plus vieille et la plus obsolète.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Mais [elle pouffe] Les centrales, elles sont rénovées par morceaux. Fessenheim pose des problèmes particuliers mais il n’a pas l’air de les connaître. En fait, il en fait un sujet idéologique : « Bon, ben j’ai lu qu’il y avait beaucoup d’attaques sur Fessenheim, je ferme Fessenheim. » Mais c’est très dangereux de proposer une fermeture ici sans dire pourquoi. Moi… Moi… Moi si vous me demandez ce qui me gêne dans la centrale de Fessenheim, ce que je trouve sensible : j’ai lu les rapports de l’Autorité de Sûreté Nucléaire, je peux vous dire quels sont les travaux qui sont aujourd'hui les plus importants pour pouvoir mettre Fessenheim à niveau, mais… mais… mais il ne fonde pas son analyse là-dessus. Vous avez des experts qui vous disent : « Ah mais Tricastin au titre du risque sismique ou le Blayais au titre du risque inondation, c’est plus sensible. » Le dernier risque d’accident majeur, c’était pendant la tempête de 1999, sur une centrale française, c’était au Blayais. Ce que je veux dire, c’est qu’à mélanger l’idéologie avec la sûreté nucléaire, on prend des risques. Le système de sûreté nucléaire en France, il est fort parce que l’Autorité de Sûreté Nucléaire, elle est indépendante. Elle est indépendante pour éviter tout amateurisme et pour éviter toute interférence électorale. François HOLLANDE n’évite ni l’un ni l’autre.
 
CHRISTOPHE BARBIER Doubler le plafond du livret du développement durable pour financer les PME.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Alors ça, c’est un rattrapage parce qu’il y a trois mois, François HOLLANDE nous annonçait une grande mesure en matière de développement durable : il allait créer le livret du développement durable. Puis on lui a dit : « Coucou, c’est fait ! »
 
CHRISTOPHE BARBIER Alors il le double.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Ça fait trois ans, il y a plusieurs milliards dessus, ça marche bien d’ailleurs, donc là il le double. Oui, il parle aussi de ça pour le Livret A. Vous savez, le problème des livrets c’est qu’il y a très peu de gens qui sont au plafond.
 
CHRISTOPHE BARBIER Il n’y a pas assez d’argent, il n’y a pas assez de richesses.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Si vous voulez, quand vous dites : « Je vais… » Il dit aussi : « Je vais doubler le plafond du Livret A, comme ça on va pouvoir financer plus de logements sociaux. » Il n’y a que 10 % des détenteurs de Livret A qui sont au plafond. On peut doubler le plafond, ça ne doublera pas les encours du Livret A.
 
CHRISTOPHE BARBIER Autre proposition qui a surpris : un pas vers l’euthanasie, le droit au suicide assisté.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Ça, c’est des sujets de société dont moi je souhaite qu’ils ne soient pas captifs des élections. Il y a des…
 
CHRISTOPHE BARBIER Il faut un débat.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Ce n’est pas qu’il faut un débat. Regardez, il y a la loi Leonetti par exemple qui est très intéressante sur la fin de vie. Il faut partir de ce qui existe et parler de ça dans des cadres non partisans. Je trouve que le captage de ces sujets dans une élection n’est pas quelque chose de bien.
 
CHRISTOPHE BARBIER En un mot, il y a du défaitisme à droite ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Ah non ! [rires] Vous avez eu l’impression ? [rires]
 
CHRISTOPHE BARBIER Mais Alain JUPPÉ, lui, quand il dit : « On verra ce que vous ferez », il est un peu dans l’après SARKOZY.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Mais je crois surtout qu’il prend François HOLLANDE au mot. C'est-à-dire François HOLLANDE a été hier d’une arrogance incroyable et il parlait comme s’il était à l’Élysée. Mais vous savez, c’est les Français qui décident. Je veux dire, on est encore dans un pays dans lequel on vote : ce n’est pas les sondages qui désignent le président.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 30 janvier 2012