Déclaration de M. Edouard Courtial, secrétaire d'Etat aux Français de l'étranger, sur le rôle des ambassadeurs et des consuls, à Paris le 27 janvier 2012.

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Circonstance : Séminaire des nouveaux ambassadeurs, à Paris le 27 janvier 2012

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
C’est très volontiers que je m’adresse à vous qui portez le message de la France aux Nations du monde. Vous pouvez être fiers. Représenter son pays est, à la fois, un immense honneur et une lourde responsabilité.
Aux instructions que vous avez reçues, aux exposés techniques de ce très utile séminaire, je voudrais ajouter des orientations et des recommandations tirées de l’expérience des déplacements que j’ai effectués depuis ma prise de fonction. J’ai pu mesurer le dévouement, la compétence et la valeur tant humaine que professionnelle des ambassadeurs que j’ai rencontrés et dont je revois certains parmi vous.
Vous représentez une France qui fait face aux défis d’un monde en mutations. Bien malin celui qui peut savoir comment il sera demain. Mais, je suis sûr que, comme moi, vous avez la conviction que la France continuera à jouer un rôle éminent, déterminant pour la planète grâce à notre ardeur, à notre énergie et à notre courage. Comme M. Pierre Sellal lors de ses vœux au ministre d’État, je pense que : «la fatalité c’est l’abdication de la volonté». Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, nous partageons «une certaine idée de la France», je ne doute pas de votre détermination et de votre volontarisme pour qu’elle tienne son rang et continue à voir haut, à voir grand, à voir loin.
Dans votre tâche, difficile mais enthousiasmante, vous pouvez localement compter sur vos collaborateurs et sur les Français de l’étranger.
M. Maurice Levy, président du directoire de Publicis, confiait aux participants du Club des entrepreneurs, la semaine dernière, qu’à la lumière de son expérience, la qualité et le potentiel d’une entreprise dépendaient de sa capacité à prendre en compte les talents individuels et la richesse des personnalités. Il insistait sur cet investissement humain qui consiste à valoriser ses collaborateurs à les motiver et à les stimuler, afin qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes pour réaliser un projet collectif auquel ils adhèrent. Comme lui, je suis persuadé que de la conjugaison des caractères, des aptitudes et des expériences peuvent naître de grandes choses. D’ailleurs, selon moi, on ne devrait pas parler de ressources humaines mais de richesses humaines. C’est pourquoi je vous invite à méditer sur cette idée qui trouve une traduction immédiate et concrète dans notre réseau consulaire.
Notre service public consulaire est un gisement sans pareil d’expertise, de disponibilité et de dévouement qui prend encore plus de relief en cas de crise. Consuls, consuls généraux et leurs collaborateurs, auxquels j’associe les consuls honoraires, font un travail remarquable, difficile, parfois dangereux. Appuyez-vous sur eux.
Les clichés appliqués à l’administration ont la vie dure. Malgré d’évidentes évolutions souvent spectaculaires, on la considère toujours comme lourde, tracassière et compliquée. Avec les consuls et consuls généraux, montrez son nouveau visage. Montrez qu’elle est réactive, dynamique et efficace.
Socle du développement de l’administration électronique, la nouvelle application «mon consulat.fr» est opérationnelle depuis le 18 novembre 2011. Son lancement est un succès puisque 80 000 comptes ont déjà été ouverts. C’est un bon début. Mais ce n’est pas suffisant. Car la marge de progression est énorme au regard du million et demi d’inscrits au registre des Français établis hors de France.
Les progrès de l’électronique doivent s’articuler avec une action au plus près des lieux de vie de nos compatriotes pour rapprocher l’administration de ceux qui ont besoin d’elle. Car, tout en se modernisant, elle doit cultiver sa dimension humaine à l’égard des plus faibles, des plus démunis, des défavorisés de la vie qu’il faut aller voir pour les connaître et les aider. C’est pourquoi, encouragez, développez, intensifiez l’administration de terrain, je dirais même de terroir. Élu local moi-même, j’en vérifie chaque jour les retombées positives. Je vous incite à vous y consacrer pour tirer le meilleur parti de votre relation avec nos compatriotes, pour notre pays et donc pour les fonctions que vous exercez.
Car Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, la valorisation du facteur humain aura aussi d’excellents résultats dans vos rapports avec les Français de l’étranger.
Les Français de l’étranger ne sont, ni des freins, ni des empêcheurs de tourner en rond. Bien au contraire. Si ce n’est déjà fait, je vous invite à lire et à diffuser les vœux que le Président de la République leur a adressés le 16 janvier dernier à Madrid. Dans son message, il souligne que les Français de l’étranger, sont une force, une richesse pour la France. Dans notre monde, leur dynamisme, leurs talents et leur courage sont des atouts pour la Nation. Avec les Français de métropole et d’Outre-mer, ils forment le peuple français avec son caractère, son génie et son panache.
Installés de longue date à l’étranger ou ayant découvert depuis peu un nouveau cadre de vie, ils sont des leviers d’autant plus puissants et utiles que vous leur porterez intérêt et attention. Leur façon de voir les choses, de les décoder et de les restituer dans leur contexte vous sera précieuse. Lorsque M. Alain Juppé rappelle devant l’Assemblée des Français de l’étranger le 27 septembre dernier : «L’État est aux côtés des Français de l’étranger pour les accompagner dans cette aventure exaltante, mais parfois contraignante qu’est l’expatriation», il vise tous les Français et non quelques uns. Tenez en compte en refusant de vous laisser emprisonner dans les cercles des habitués des réceptions de la résidence. Ceux-là vous les connaîtrez très vite : ils auront fait ce qu’il faut pour vous être présentés dès votre arrivée. Mais il y a tous les autres, ceux qui n’appartiennent pas à ces élites, qui sont loin, qu’on ne voit jamais, qu’on n’invite jamais. Ceux-là, sachez les repérer, les cultiver et les respecter. Car répartis dans tous les milieux professionnels, notamment dans nos petites et moyennes entreprises, ils seront pour vous de véritables vigies. Nouez le contact avec eux, les périodes électorales facilitent les choses de ce point de vue. Utilisez les moyens modernes de communication, site Internet, lettre électronique, courriels à grande diffusion, pour les atteindre.
Vous le savez, les deux préoccupations majeures de nos compatriotes sont leur sécurité et la scolarisation de leurs enfants.
Dans le monde tel qu’il est, je vous recommande d’être, avec les consuls et consuls généraux, particulièrement attentifs à tout ce concerne la sécurité qu’il s’agisse des plans de sécurité ou des messages diffusés sur le site «Conseil aux voyageurs». Nul n’est à l’abri d’un événement risquant de mettre en péril la vie de nos compatriotes. Notre vigilance et notre capacité à réagir et agir doivent être en permanence en éveil. Nous ne pouvons évidemment tout prévoir : qui aurait pu imaginer le naufrage d’un paquebot géant à une encablure des côtes de Toscane ?
La scolarisation des enfants est un sujet essentiel. Elle est un facteur de réussite d’un projet d’expatriation si ce n’est d’une vie. Intéressez-vous de près à ces questions qu’il s’agisse de l’évolution des frais de scolarité, de l’adéquation des capacités d’accueil à la demande et des aides à la scolarité. Avec les consuls et consuls généraux, veillez à la plus grande assiduité des représentants de l’État, aux conseils d’établissement des lycées, veillez à une bonne information des familles sur les aides auxquelles elles prétendre, bourses scolaires et prise en charge des frais de scolarité par la collectivité nationale, et sur l’énorme effort que l’État consent en faveur de l’enseignement français à l’étranger. Aujourd’hui, les aides à la scolarité s’élèvent à 125 millions d’euros. 32.000 élèves en bénéficient, soit près d’un tiers des élèves français du réseau. Pour mémoire, ils étaient 22.000 en 2007. Les crédits consacrés aux bourses scolaires ont presque doublé en 5 ans pour dépasser 90 millions d’euros en 2012.
C’est une évidence que je constate à chacun de mes déplacements, en visitant l’établissement scolaire local, en m’entretenant avec la communauté éducative et les parents d’élèves ou en considérant les résultats aux examens :
- le moteur de notre réseau d’enseignement, c’est l’excellence ;
- la preuve de son succès, c’est son exceptionnelle attractivité.
Encore une fois, apportez tous vos soins à ce fleuron de notre présence, qui scolarise 2/3 d’élèves étrangers, cet incomparable instrument de transmission du savoir, de diffusion de la culture et de la langue françaises.
Parallèlement, appuyez-vous sur les jeunes, étudiants, stagiaires, sur les réseaux d’anciens élèves de nos établissements scolaires ou de nos grandes écoles qu’il faut savoir faire vivre et utiliser.
Redynamisez aussi nos associations. Je ne parle, ni de Français du Monde-association démocratique des Français de l’étranger ou de l’Union des Français de l’étranger dont les responsables locaux font un remarquable travail de maillage social, ni des associations humanitaires. Non, je vise celles qui ont besoin de trouver un nouvel élan démocratique ou de sortir de leur torpeur. Dans le domaine de l’entraide et de la solidarité, persuadez-les de rompre avec l’habitude du guichet ouvert et de travailler par projet, en définissant des priorités claires. La rigueur des temps commande qu’elles fassent des choix stratégiques car les aides de l’État sont comptées au plus juste. Soyez vigilants et circonspects en accordant votre patronage ou en acceptant votre présidence d’honneur.
Mais n’en soyez pas avares pour les manifestations du devoir de mémoire. N’ayez pas peur de développer le sentiment patriotique, en particulier chez les jeunes. Inspirez-vous de ce qui se fait autour de vous : dans certains pays, nous avons des leçons à recevoir. Il ne s’agit pas de perpétuer un esprit béatement cocardier mais de faire vivre l’idée de Nation. La nationalité française ne se résume pas à la possession d’un document, passeport ou carte nationale d’identité. Il faut la vivre pleinement dans un esprit républicain. A cet égard, sous votre appréciation du contexte local, je vous incite vivement à mettre en place avec les consuls et consuls généraux les cérémonies d’accueil dans la citoyenneté française.
L’accélération du monde ne réduit pas les Français de l’étranger à l’état d’apatrides, amnésiques et sans racine. La relation à notre histoire doit être naturelle, voire instinctive. C’est un élément de notre identité nationale que le centenaire de la première guerre mondiale permettra de célébrer. Il faut y impliquer nos compatriotes comme il faudra les mobiliser pour l’année des Français de l’étranger, également en 2014, projet que j’ai évoqué à plusieurs reprises et dont je souhaite qu’il soit porté par l’Assemblée des Français de l’étranger.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, vous le savez, une des grandes priorités de 2012 est l’organisation de l’élection du président de la République, pour la 6ème fois à l’étranger. Ce sera aussi une grande première avec l’élection de 11 députés.
Vous êtes la première génération d’ambassadeurs qui va vivre avec ces députés nouvellement élus. Des rapports d’un type nouveau vont apparaître. Ils dépendront largement de la personnalité des uns et des autres, de la taille de la circonscription électorale et de l’éloignement de la France. Hormis en Suisse, un député aura affaire avec plusieurs ambassadeurs. Nul ne sait comment ces parlementaires partageront leur temps entre l’Assemblée nationale et leur circonscription.
Mais, trois choses m’apparaissent certaines :
Je le sais d’expérience, l’exercice d’un mandat parlementaire suppose un lien constant avec la population (je ne dis pas avec ses électeurs). Ce ne sera pas facile pour ces nouveaux députés qui, outre leur suppléant, auront besoin de relais locaux. Les élus à l’Assemblée des Français de l’étranger pourront-ils ou voudront-ils jouer ce rôle ? Peut-être. Mais ce ne sera certainement pas le cas partout.
La relation entre député et ambassadeur modifiera sensiblement l’intérêt pour les affaires consulaires. Nos compatriotes verront très vite, et c’est normal, qu’ils ont en leur député un interlocuteur susceptible d’être sollicité et qui interviendra directement auprès des ministères concernés sans passage par le Département. Le rôle des consuls et consuls généraux s’en ressentira nécessairement.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, il y a fort à parier que demain vous serez bien plus impliqués dans les affaires consulaires que vous ne l’êtes aujourd’hui. Dans ses multiples effets et conséquences, il n’est pas interdit de penser que votre rapport au député sera comparable à celui qui existe entre un parlementaire et un préfet.
Le scrutin majoritaire uninominal à deux tours ne sera pas sans conséquence sur nos relations avec certains États qui pourront craindre l’interférence de ces élus avec leurs affaires internes.
Cette première législature sera riche d’enseignements. Mais dans l’immédiat avant même d’envisager le rôle des députés, force est de les élire. Lors de la dernière Conférence des Ambassadeurs, vous avez reçu un message clair sur l’organisation des scrutins de 2012.
Je vous le redis : il nous faudra être irréprochables et d’une extrême prudence afin de ne pas fragiliser les résultats du vote soit par une négligence, soit par une maladresse, susceptible de provoquer un contentieux. Le juge pourra évidemment être saisi, c’est la règle dans un État de droit, mais il serait très dommage que des recours visent simplement des carences, des faiblesses ou des erreurs qu’il aurait été facile d’éviter. Alors, redoublons de vigilance, de rigueur et de précision. Notre objectif, notre devoir et notre ambition de républicains est de tout mettre en œuvre pour que nos compatriotes où qu’ils se trouvent, puissent s’exprimer. Personne ne pourra se réfugier derrière la seule satisfaction d’avoir fait pour le mieux. Nous sommes responsables devant la Nation d’une organisation parfaite qui témoigne de notre savoir faire et de notre capacité à relever les défis.
N’hésitez pas à me faire part de vos difficultés éventuelles ou, le cas échéant, à en saisir la direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire.
Tous les points que je viens d’évoquer sont suivis de près par les élus à l’Assemblée des Français de l’étranger avec lesquels je vous recommande vivement d’avoir une relation suivie. Ce contact que je me fais un devoir d’entretenir, tant lors de mes voyages qu’à l’Assemblée des Français de l’étranger, est aussi une façon de percevoir la respiration de nos communautés, leurs préoccupations et leurs aspirations.
Voilà, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, ce que je voulais vous dire en vous présentant non seulement des vœux pour 2012 mais également pour toute la durée du séjour que vous avez entamé. Pour finir, je vous invite à méditer sur deux formules :
- la première est du général de Gaulle, extraite des Mémoires de guerre : «La diplomatie, sous des conventions de forme, ne connaît que les réalités» (II ; L’unité).
- la seconde est de M. Alain Juppé, tirée de son discours lors de la dernière session de l’Assemblée des Français de l’étranger (27 septembre 2011) : «Regardons le monde tel qu’il est et non tel que nous le rêvons ou nous le craignons».
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, je vous remercie de votre attention.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 février 2012