Texte intégral
Nous nous sommes concertés avant la réunion avec mes collègues américains et britanniques. Il faut arrêter le massacre. Cest le premier message que nous avons adressé à lensemble des membres du Conseil. Je ne redonnerai pas les chiffres, mais la répression est sanglante et saggrave de jour en jour, le risque de déclenchement dune véritable guerre civile est très fort. Il est donc inacceptable que le Conseil de sécurité observe silencieusement la dégradation de la situation, je lai dit avec beaucoup de fermeté comme dautres membres autour de la table.
Le deuxième point important est quil existe aujourdhui une possibilité de sortie de crise. Cest la raison pour laquelle nous avons beaucoup poussé les responsables de la Ligue arabe à venir ici au Conseil de sécurité pour le saisir de la situation. Cest ce qui a été fait et cest un progrès important.
La Ligue arabe a proposé un plan de sortie de crise avec une transition politique que vous connaissez : la passation du pouvoir entre le président et son vice-président, la constitution dun gouvernement de transition rassemblant lensemble des forces politiques syriennes, le régime et lopposition, ensuite des élections Bref tout un processus de sortie de crise. À partir de là, nos collègues marocains ont élaboré un projet de résolution que nous soutenons.
Tout lobjectif aujourdhui est de savoir si nous allons pouvoir enfin faire adopter ce projet de résolution par le Conseil de sécurité. Les conditions nétaient évidemment pas réunies aujourdhui. Des discours que jai entendus, je retiens lidée que cela nest pas complètement impossible, quil y a une chance au cours des prochains jours.
Nous veillerons à ce que la discussion ne senlise pas - je dis bien au cours des prochains jours et pas des prochaines semaines, ni des prochains mois -, quon arrive à rapprocher les points de vue.
Le discours du représentant russe, je ne dirais pas quil a été encourageant mais il na pas fermé complètement les possibilités dune discussion puisque, si jai bien écouté, il a indiqué quil y avait dans la résolution marocaine des éléments intéressants et que la Russie était prête à en discuter. Cest ce que nous allons faire dès demain. Nos représentants permanents vont se remettre au travail darrache-pied pour voir si lon peut arriver à un texte consensuel. Vous savez quel est le rapport des forces, il y a déjà virtuellement 10 voix, peut-être même plus, pour approuver cette résolution. Ce quil faut cest éviter une opposition russe et les oppositions quelle entraine. Voilà, cest la feuille de route pour les prochains jours.
Q - Sur le terrain, vous lavez dit, les affrontements armés se poursuivent, la répression sanglante continue. Navez-vous pas peur que le pays tombe dans une guerre civile avant même que cette résolution, si le vote a lieu, ait un impact ? Et que peut-on attendre, de toute façon, dune résolution qui nest ni coercitive ni nimpose de sanctions ?
R - Le risque de guerre civile existe. Nous sommes dans une situation très différente de celle que nous avons connue en Libye. En Libye, il y a une société civile homogène constituée pour limmense majorité de sunnites malékites. En Syrie, nous avons une forte minorité alaouite, une forte minorité chrétienne, des sunnites, des chiites, donc une société profondément divisée et le risque daffrontement entre ces différentes communautés est évidemment maximum. Doù la nécessité daller vite. À partir de là, vous me dites quil ny a pas de sanctions. Bien sûr, une résolution est une résolution et il faudra ensuite la mettre en uvre. La détermination de la Ligue arabe est forte et nous la soutiendrons dans la mise en uvre. Je pense que si la position de la Russie évolue, bien évidemment le régime de Damas sera obligé den tenir compte. Il ne pourra pas continuer en étant totalement isolé par rapport à lensemble des pays arabes qui lentourent, par rapport à lUnion européenne, aux Américains, aux Russes, au Conseil de sécurité, cela changera la donne.
Q - Au cours de vos discussions et en cas de blocage, est-ce quil y aurait une intention darriver quand même au Conseil de sécurité avec un vote en dépit du véto russe ?
R - Nous verrons, je ne veux pas nous placer dans une situation de blocage puisquil me semble il y a un petit espoir de léviter. Mais si nous narrivons pas à nous mettre daccord, il faudra bien que chacun prenne ses responsabilités.
Q - Sur le point de savoir si le président Assad doit partir et dans quelles conditions, avez-vous trouvé les Russes plus accommodants ? Les avez-vous trouvé plus souples ? Est-ce que les signaux reçus de Moscou sont un peu contradictoires ?
R - Ils ne sont pas en effet dune clarté absolue. Le grand thème est le «regime change» - le changement de régime -. La proposition de la Ligue arabe et la résolution présentée par le Maroc nutilisent pas lexpression de «regime change» et ne parlent pas du départ de Bashar Al Assad. Elles parlent simplement du transfert de ses responsabilités institutionnelles du président au vice-président, ce qui en soi nest pas un «regime change». Après, il y aura un processus de constitution dun gouvernement de réconciliation nationale et délection, mais à ce moment là le peuple syrien aura voix au chapitre et pourra choisir librement et de manière transparente, nous lespérons, ses dirigeants. Je pense donc quon peut éviter le blocage sur ce point là.
Q - Le Conseil national syrien est-il crédible et la personnalité de Burhan Ghalioun convient-elle au changement ? Cest un intellectuel
R - Tous les intellectuels ne sont pas à jeter aux orties. On nous a demandé vingt fois aussi si le Conseil national de transition libyen était crédible ou non ; il a fait ses preuves. Aujourdhui, cest vrai que lunification, lorganisation de lopposition syrienne est difficile, elle a des tendances différentes : ceux de lintérieur, ceux de lextérieur.
Ce à quoi nous les appelons, cest à se regrouper, à être aussi inclusifs que possible, à faire de la place aux représentants des différentes communautés syriennes, en particulier les chrétiens, les alaouites.
Quant au choix de leurs dirigeants, ce nest pas moi qui vais vous le dire, cest M. Ghalioun, ou cest quelquun dautre. Ils vont voter, il y a des élections bientôt pour le renouvellement du président du Conseil national syrien. Cest aux membres de ce Conseil et aux Syriens eux-mêmes den décider.
Q - Vous parliez de rapprocher les points de vue, dun texte consensuel ; dans le vocabulaire vous êtes dans votre rôle de chef de la diplomatie. Est-ce quà force de chercher la négociation à tout prix, notamment avec les Russes, on ne risque pas darriver à un texte qui soit dénaturé, qui ne soit pas aussi fort que la situation sur le terrain semble lexiger, darriver à un texte qui ne ce soit pas à la hauteur de ce que lon peut attendre ?
R - Jai indiqué très clairement, dans toutes les discussions que jai eues cet après midi, que cela nétait pas un consensus à tout prix, et quen particulier il y a quelque chose qui, pour nous, était un point dur, cest lendossement du plan de la Ligue arabe. Sinon il ny a plus de résolution. Si cela consiste à émettre des vux pieux ou des condamnations de principe, cela na pas de sens. Ce quil faut trouver dans cette résolution cest une sortie de crise, et cette sortie de crise pour nous, cest la proposition de la Ligue arabe.
Q - Puisquon ne veut pas utiliser la force, comment fait-on, si une résolution est votée, y compris par les Russes, pour quAssad fléchisse ?
R - Ce que je vous ai dit tout à lheure, cest que si Assad a face à lui un Conseil de sécurité qui se prononce de manière unanime, sil a face à lui une Ligue arabe qui, même si elle nest pas unanime, prend une position très claire, sil a face à lui une Union européenne qui a adopté des sanctions à lunanimité et ainsi de suite, il y a bien un moment où son isolement va finir par faire bouger les choses. En tout cas, cest ce que nous pensons et nous souhaitons. Ce sera aussi un message très fort lancé à lopposition de se réunir, de se renforcer, de sorganiser et pour lui donner évidemment un impact beaucoup plus fort.
Q - Je revenais sur ce que disais mon collègue, la résolution, son contenu, et le risque de la vider de son poids : il ny a pas de sanctions dans le texte, il ny pas de référence à lusage de la force, des précautions ont été prises pour exclure toute intervention extérieure. Finalement, cétait les attentes russes, est-ce uniquement sur cette notion de changement de régime que cela bloque maintenant ?
R - Comme tout ce dont vous venez de me parler nest pas dans la résolution, cela ne risque pas de laffaiblir, puisque cela ny est déjà pas. Je voudrais quand même être clair sur lintervention militaire : cest une chimère. Il na jamais été question dintervention militaire, les conditions sont radicalement différentes de celles dans lesquelles nous étions en Libye. Jai parlé tout à lheure des différences dans les sociétés civiles respectives, du risque de guerre civile en Syrie qui nexistait pas au même degré en Libye. Les pays arabes, sagissant de la Libye, nous ont soutenus dès le départ et sont intervenus en appui de la résolution 1973. Ce nétait pas le cas ici. De toute façon il ny aurait en aucune manière une majorité au Conseil de sécurité pour endosser une solution militaire. Il nen est pas question et il nen a jamais été question. Quand je dis que cest une chimère, je veux dire que cest un argument utilisé de mauvaise foi par certains, qui nont pas bien digéré lopération en Libye, et qui veulent faire croire que cela va se passer de la même manière en Syrie. Ce nest pas exact. Cela a été dit par William Hague, cela a été dit par moi, et cest le ministre pakistanais qui a relevé que nous nous étions, les Anglais et les Français, exprimés sur ce point.
Sur les sanctions, ce nest pas dans la logique actuelle de la résolution, je vous rappelle quil y a eu des sanctions de la Ligue arabe, il y a des sanctions de lUnion européenne. La voie qui est choisie là, ce nest pas celle des sanctions, cest celle dun règlement politique négocié.
Q - Vous avez donné le sentiment de chercher à donner des gages cet après-midi dans vos interventions respectives, justement afin denlever toutes ces chimères qui avaient été brandies. Donc, le point sur lequel cela bloque aujourdhui cest cette notion de changement de régime, cest cela qui est brandi par les Russes aujourdhui ?
R - Voilà. Pour tout vous dire, les deux points sont le «regime change» et les «further measures», parce quils y voient, derrière, la possibilité du Chapitre VII. Ce qui est pour nous non négociable, le cur de cette résolution, cest lendossement, laccueil favorable, la reconnaissance du plan de la Ligue arabe, je pense que ce serait un élément important. En tout cas, le fait que le Conseil de sécurité se prononce est déjà en soi important.
Q - Est ce quon peut se mettre dans le contexte post vote de la résolution ? Si dans quinze jours la Syrie nobtempère pas, quelles «autres mesures» peuvent être prises ?
R - Je nexclus pas dans ce cas de revenir vous voir à New York.
Q - Vous nêtes pas daccord avec la version de la mort de notre confrère Gilles Jacquier qua donné le représentant syrien ?
R - Je nai pas dit que je nétais pas daccord, jai dit que je ne savais pas. Jai dit que nous avons demandé une enquête transparente aux autorités syriennes dont cétait la responsabilité de protéger notre compatriote puisquil était dans le cadre dune mission officielle. Nous navons pas, pour linstant, les résultats de cette enquête. Vous savez quil y a aussi une enquête qui a été déclenchée par la justice française. La mission dit «le gouvernement et lopposition se renvoient la balle» et la mission considère que M. Jacquier a pu être tué par un tir de mortier venant de lopposition, cest tout ce quon a. Cela nest pas le résultat dune enquête, ce que nous demandons cest la clarté, la transparence, cest la responsabilité des autorités syriennes.
Q - Justement, vous avez refusé que ce drame soit instrumentalisé
R - Oui, en tout cas utiliser ce drame pour dire «vous voyez bien cest lopposition qui est responsable des violences», je le refuse. Ce que je naccepterai pas non plus, cest que lon mette sur le même plan - cela est un désaccord profond avec les Russes et cest pour cela que nous ne pouvons pas accepter leur résolution - un régime qui a refusé depuis le départ les réformes que nous lui avons demandées et qui massacre avec des chars et des canons sa population, des gens qui, pour la plupart dentre eux, se battent à mains nues, qui manifestent pacifiquement. Cest vrai que certains commencent à se protéger, notamment les déserteurs de larmée syrienne, mais on ne peut en aucune manière mettre ces violences sur le même plan, la responsabilité est clairement du côté du régime.
Q - Est-ce quon pourrait craindre que le régime syrien pousse ses alliés au Liban de façon à détourner lattention ?
R - Je ne veux pas faire de scénarios divers et variés. Ce qui est sûr cest que la situation en Syrie est une menace pour la stabilité de la région. On voit bien que cela a des conséquences évidemment sur le Liban, sur la Turquie avec des milliers de réfugiés qui y sont allés, sur les relations avec lIran. Il est évident que cette crise menace la stabilité de la région, quil y ait des choses organisées ou quil ny en ait pas. Cest pour cela que le Conseil de sécurité est dans son rôle en se prononçant et en se saisissant de la question. Il ne fait pas une ingérence dans les affaires dun pays, il se prononce sur une crise qui est une menace pour la paix et la sécurité du monde.
Q - Comment vous protégez les chrétiens ?
R - Nous sommes très attentifs à la protection des minorités chrétiennes : des minorités religieuses en général et des minorités chrétiennes plus particulièrement au Proche Orient où elles ont évidemment toute leur place puisquelles sont chez elles depuis les origines de la chrétienté en tout cas. Nous sommes très vigilants en Égypte, en Irak où malheureusement ils ont pour la plupart fui, au Liban naturellement, en Syrie. Notre message sur ce plan là est tout à fait fort, lUnion européenne aussi est très attentive, les missions parlementaires se sont préoccupées de cette question. Jen ai fait une des lignes rouges vis-à-vis de ces régimes quand on nous demande si nous respectons le résultat des élections en Égypte ou en Tunisie. Évidemment nous respectons le résultat des élections. Nous disons aussi que nous avons nos lignes rouges et que le respect des minorités fait partie de ces lignes rouges au même titre que légalité des droits entre les hommes et les femmes ou les règles fondamentales de la démocratie.
Simplement, en direction de nos amis chrétiens de Syrie en particulier, ce qui minquiète, cest la façon dont ils collent totalement au régime. Quils réfléchissent bien à lavenir aussi. Je ne pense pas que ce régime ait de lavenir, je suis même sûr quil nen a pas. Nous demandons à lopposition dinclure dans ses structures des représentants des communautés chrétiennes pour bien marquer leur volonté de respecter les droits des minorités.
Q - Si la résolution devait être votée demain et que les Russes ny opposaient pas leur veto, quest-ce que cela changerait concrètement ? Dans la mesure où Bachar Al-Assad a déjà annoncé quil rejetait le plan de la Ligue Arabe, quest-ce que cela changerait que le Conseil de sécurité prenne position ?
R - Limportant cest que le Conseil de sécurité sorte de son silence. Ce qui se passe en Syrie est inacceptable : il sagit dune répression dune sauvagerie comme on en a rarement vu, où mêmes des enfants sont massacrés, et qui saggrave de jour en jour. Il faut donc arrêter cela et nous avons une perspective de solution avec le plan qui a été élaboré par la Ligue arabe. Nous avons pris position aujourdhui en faveur de la résolution présentée par le Maroc et jai observé les déclarations des uns et des autres, la porte nest pas complètement fermée.
Nous allons donc, dans les prochains jours, négocier, parvenir à un consensus ou en tout cas à labsence de veto. Si tel était le cas, la pression qui sexercerait alors, pour répondre directement à votre question, sur le régime de Damas serait à son maximum : en effet à ce moment le Conseil de sécurité tout entier, la Ligue arabe également, isolera complètement ce régime qui sera conduit à négocier. On ne peut pas avoir raison indéfiniment contre tout le monde.
Q - Avez-vous bon espoir de faire voter cette résolution dans les jours qui viennent ?
R - Ce nest pas moi qui ai parlé despoir ; je crois que cest le représentant russe qui a prononcé ce mot. Nous allons travailler, nous sommes prêts à la discussion, sous réserve que le cur de la résolution, qui est le soutien au plan de la Ligue arabe, reste inchangé. Je ne vais pas revenir sur le détail de ce plan : cest larrêt de toutes les violences, cest le retour des forces de sécurité dans leurs casernes, cest aussi lengagement dans un processus politique de réconciliation conduisant à des élections. Tout ça cest le cur de cette résolution et cest très important de le maintenir.
Q - Le point dachoppement cest notamment de savoir si le plan demande au président de se retirer, de quitter provisoirement le pouvoir : est-ce que cest absolument essentiel dans la résolution ?
R - Cest dans le plan de la Ligue arabe qui demande au président de transférer ses pouvoirs à son vice-président et à ce dernier dengager le processus politique et cest ce schéma que nous soutenons.Source http://www.diplomatie.gouv.ffr, le 7 février 2012
Le deuxième point important est quil existe aujourdhui une possibilité de sortie de crise. Cest la raison pour laquelle nous avons beaucoup poussé les responsables de la Ligue arabe à venir ici au Conseil de sécurité pour le saisir de la situation. Cest ce qui a été fait et cest un progrès important.
La Ligue arabe a proposé un plan de sortie de crise avec une transition politique que vous connaissez : la passation du pouvoir entre le président et son vice-président, la constitution dun gouvernement de transition rassemblant lensemble des forces politiques syriennes, le régime et lopposition, ensuite des élections Bref tout un processus de sortie de crise. À partir de là, nos collègues marocains ont élaboré un projet de résolution que nous soutenons.
Tout lobjectif aujourdhui est de savoir si nous allons pouvoir enfin faire adopter ce projet de résolution par le Conseil de sécurité. Les conditions nétaient évidemment pas réunies aujourdhui. Des discours que jai entendus, je retiens lidée que cela nest pas complètement impossible, quil y a une chance au cours des prochains jours.
Nous veillerons à ce que la discussion ne senlise pas - je dis bien au cours des prochains jours et pas des prochaines semaines, ni des prochains mois -, quon arrive à rapprocher les points de vue.
Le discours du représentant russe, je ne dirais pas quil a été encourageant mais il na pas fermé complètement les possibilités dune discussion puisque, si jai bien écouté, il a indiqué quil y avait dans la résolution marocaine des éléments intéressants et que la Russie était prête à en discuter. Cest ce que nous allons faire dès demain. Nos représentants permanents vont se remettre au travail darrache-pied pour voir si lon peut arriver à un texte consensuel. Vous savez quel est le rapport des forces, il y a déjà virtuellement 10 voix, peut-être même plus, pour approuver cette résolution. Ce quil faut cest éviter une opposition russe et les oppositions quelle entraine. Voilà, cest la feuille de route pour les prochains jours.
Q - Sur le terrain, vous lavez dit, les affrontements armés se poursuivent, la répression sanglante continue. Navez-vous pas peur que le pays tombe dans une guerre civile avant même que cette résolution, si le vote a lieu, ait un impact ? Et que peut-on attendre, de toute façon, dune résolution qui nest ni coercitive ni nimpose de sanctions ?
R - Le risque de guerre civile existe. Nous sommes dans une situation très différente de celle que nous avons connue en Libye. En Libye, il y a une société civile homogène constituée pour limmense majorité de sunnites malékites. En Syrie, nous avons une forte minorité alaouite, une forte minorité chrétienne, des sunnites, des chiites, donc une société profondément divisée et le risque daffrontement entre ces différentes communautés est évidemment maximum. Doù la nécessité daller vite. À partir de là, vous me dites quil ny a pas de sanctions. Bien sûr, une résolution est une résolution et il faudra ensuite la mettre en uvre. La détermination de la Ligue arabe est forte et nous la soutiendrons dans la mise en uvre. Je pense que si la position de la Russie évolue, bien évidemment le régime de Damas sera obligé den tenir compte. Il ne pourra pas continuer en étant totalement isolé par rapport à lensemble des pays arabes qui lentourent, par rapport à lUnion européenne, aux Américains, aux Russes, au Conseil de sécurité, cela changera la donne.
Q - Au cours de vos discussions et en cas de blocage, est-ce quil y aurait une intention darriver quand même au Conseil de sécurité avec un vote en dépit du véto russe ?
R - Nous verrons, je ne veux pas nous placer dans une situation de blocage puisquil me semble il y a un petit espoir de léviter. Mais si nous narrivons pas à nous mettre daccord, il faudra bien que chacun prenne ses responsabilités.
Q - Sur le point de savoir si le président Assad doit partir et dans quelles conditions, avez-vous trouvé les Russes plus accommodants ? Les avez-vous trouvé plus souples ? Est-ce que les signaux reçus de Moscou sont un peu contradictoires ?
R - Ils ne sont pas en effet dune clarté absolue. Le grand thème est le «regime change» - le changement de régime -. La proposition de la Ligue arabe et la résolution présentée par le Maroc nutilisent pas lexpression de «regime change» et ne parlent pas du départ de Bashar Al Assad. Elles parlent simplement du transfert de ses responsabilités institutionnelles du président au vice-président, ce qui en soi nest pas un «regime change». Après, il y aura un processus de constitution dun gouvernement de réconciliation nationale et délection, mais à ce moment là le peuple syrien aura voix au chapitre et pourra choisir librement et de manière transparente, nous lespérons, ses dirigeants. Je pense donc quon peut éviter le blocage sur ce point là.
Q - Le Conseil national syrien est-il crédible et la personnalité de Burhan Ghalioun convient-elle au changement ? Cest un intellectuel
R - Tous les intellectuels ne sont pas à jeter aux orties. On nous a demandé vingt fois aussi si le Conseil national de transition libyen était crédible ou non ; il a fait ses preuves. Aujourdhui, cest vrai que lunification, lorganisation de lopposition syrienne est difficile, elle a des tendances différentes : ceux de lintérieur, ceux de lextérieur.
Ce à quoi nous les appelons, cest à se regrouper, à être aussi inclusifs que possible, à faire de la place aux représentants des différentes communautés syriennes, en particulier les chrétiens, les alaouites.
Quant au choix de leurs dirigeants, ce nest pas moi qui vais vous le dire, cest M. Ghalioun, ou cest quelquun dautre. Ils vont voter, il y a des élections bientôt pour le renouvellement du président du Conseil national syrien. Cest aux membres de ce Conseil et aux Syriens eux-mêmes den décider.
Q - Vous parliez de rapprocher les points de vue, dun texte consensuel ; dans le vocabulaire vous êtes dans votre rôle de chef de la diplomatie. Est-ce quà force de chercher la négociation à tout prix, notamment avec les Russes, on ne risque pas darriver à un texte qui soit dénaturé, qui ne soit pas aussi fort que la situation sur le terrain semble lexiger, darriver à un texte qui ne ce soit pas à la hauteur de ce que lon peut attendre ?
R - Jai indiqué très clairement, dans toutes les discussions que jai eues cet après midi, que cela nétait pas un consensus à tout prix, et quen particulier il y a quelque chose qui, pour nous, était un point dur, cest lendossement du plan de la Ligue arabe. Sinon il ny a plus de résolution. Si cela consiste à émettre des vux pieux ou des condamnations de principe, cela na pas de sens. Ce quil faut trouver dans cette résolution cest une sortie de crise, et cette sortie de crise pour nous, cest la proposition de la Ligue arabe.
Q - Puisquon ne veut pas utiliser la force, comment fait-on, si une résolution est votée, y compris par les Russes, pour quAssad fléchisse ?
R - Ce que je vous ai dit tout à lheure, cest que si Assad a face à lui un Conseil de sécurité qui se prononce de manière unanime, sil a face à lui une Ligue arabe qui, même si elle nest pas unanime, prend une position très claire, sil a face à lui une Union européenne qui a adopté des sanctions à lunanimité et ainsi de suite, il y a bien un moment où son isolement va finir par faire bouger les choses. En tout cas, cest ce que nous pensons et nous souhaitons. Ce sera aussi un message très fort lancé à lopposition de se réunir, de se renforcer, de sorganiser et pour lui donner évidemment un impact beaucoup plus fort.
Q - Je revenais sur ce que disais mon collègue, la résolution, son contenu, et le risque de la vider de son poids : il ny a pas de sanctions dans le texte, il ny pas de référence à lusage de la force, des précautions ont été prises pour exclure toute intervention extérieure. Finalement, cétait les attentes russes, est-ce uniquement sur cette notion de changement de régime que cela bloque maintenant ?
R - Comme tout ce dont vous venez de me parler nest pas dans la résolution, cela ne risque pas de laffaiblir, puisque cela ny est déjà pas. Je voudrais quand même être clair sur lintervention militaire : cest une chimère. Il na jamais été question dintervention militaire, les conditions sont radicalement différentes de celles dans lesquelles nous étions en Libye. Jai parlé tout à lheure des différences dans les sociétés civiles respectives, du risque de guerre civile en Syrie qui nexistait pas au même degré en Libye. Les pays arabes, sagissant de la Libye, nous ont soutenus dès le départ et sont intervenus en appui de la résolution 1973. Ce nétait pas le cas ici. De toute façon il ny aurait en aucune manière une majorité au Conseil de sécurité pour endosser une solution militaire. Il nen est pas question et il nen a jamais été question. Quand je dis que cest une chimère, je veux dire que cest un argument utilisé de mauvaise foi par certains, qui nont pas bien digéré lopération en Libye, et qui veulent faire croire que cela va se passer de la même manière en Syrie. Ce nest pas exact. Cela a été dit par William Hague, cela a été dit par moi, et cest le ministre pakistanais qui a relevé que nous nous étions, les Anglais et les Français, exprimés sur ce point.
Sur les sanctions, ce nest pas dans la logique actuelle de la résolution, je vous rappelle quil y a eu des sanctions de la Ligue arabe, il y a des sanctions de lUnion européenne. La voie qui est choisie là, ce nest pas celle des sanctions, cest celle dun règlement politique négocié.
Q - Vous avez donné le sentiment de chercher à donner des gages cet après-midi dans vos interventions respectives, justement afin denlever toutes ces chimères qui avaient été brandies. Donc, le point sur lequel cela bloque aujourdhui cest cette notion de changement de régime, cest cela qui est brandi par les Russes aujourdhui ?
R - Voilà. Pour tout vous dire, les deux points sont le «regime change» et les «further measures», parce quils y voient, derrière, la possibilité du Chapitre VII. Ce qui est pour nous non négociable, le cur de cette résolution, cest lendossement, laccueil favorable, la reconnaissance du plan de la Ligue arabe, je pense que ce serait un élément important. En tout cas, le fait que le Conseil de sécurité se prononce est déjà en soi important.
Q - Est ce quon peut se mettre dans le contexte post vote de la résolution ? Si dans quinze jours la Syrie nobtempère pas, quelles «autres mesures» peuvent être prises ?
R - Je nexclus pas dans ce cas de revenir vous voir à New York.
Q - Vous nêtes pas daccord avec la version de la mort de notre confrère Gilles Jacquier qua donné le représentant syrien ?
R - Je nai pas dit que je nétais pas daccord, jai dit que je ne savais pas. Jai dit que nous avons demandé une enquête transparente aux autorités syriennes dont cétait la responsabilité de protéger notre compatriote puisquil était dans le cadre dune mission officielle. Nous navons pas, pour linstant, les résultats de cette enquête. Vous savez quil y a aussi une enquête qui a été déclenchée par la justice française. La mission dit «le gouvernement et lopposition se renvoient la balle» et la mission considère que M. Jacquier a pu être tué par un tir de mortier venant de lopposition, cest tout ce quon a. Cela nest pas le résultat dune enquête, ce que nous demandons cest la clarté, la transparence, cest la responsabilité des autorités syriennes.
Q - Justement, vous avez refusé que ce drame soit instrumentalisé
R - Oui, en tout cas utiliser ce drame pour dire «vous voyez bien cest lopposition qui est responsable des violences», je le refuse. Ce que je naccepterai pas non plus, cest que lon mette sur le même plan - cela est un désaccord profond avec les Russes et cest pour cela que nous ne pouvons pas accepter leur résolution - un régime qui a refusé depuis le départ les réformes que nous lui avons demandées et qui massacre avec des chars et des canons sa population, des gens qui, pour la plupart dentre eux, se battent à mains nues, qui manifestent pacifiquement. Cest vrai que certains commencent à se protéger, notamment les déserteurs de larmée syrienne, mais on ne peut en aucune manière mettre ces violences sur le même plan, la responsabilité est clairement du côté du régime.
Q - Est-ce quon pourrait craindre que le régime syrien pousse ses alliés au Liban de façon à détourner lattention ?
R - Je ne veux pas faire de scénarios divers et variés. Ce qui est sûr cest que la situation en Syrie est une menace pour la stabilité de la région. On voit bien que cela a des conséquences évidemment sur le Liban, sur la Turquie avec des milliers de réfugiés qui y sont allés, sur les relations avec lIran. Il est évident que cette crise menace la stabilité de la région, quil y ait des choses organisées ou quil ny en ait pas. Cest pour cela que le Conseil de sécurité est dans son rôle en se prononçant et en se saisissant de la question. Il ne fait pas une ingérence dans les affaires dun pays, il se prononce sur une crise qui est une menace pour la paix et la sécurité du monde.
Q - Comment vous protégez les chrétiens ?
R - Nous sommes très attentifs à la protection des minorités chrétiennes : des minorités religieuses en général et des minorités chrétiennes plus particulièrement au Proche Orient où elles ont évidemment toute leur place puisquelles sont chez elles depuis les origines de la chrétienté en tout cas. Nous sommes très vigilants en Égypte, en Irak où malheureusement ils ont pour la plupart fui, au Liban naturellement, en Syrie. Notre message sur ce plan là est tout à fait fort, lUnion européenne aussi est très attentive, les missions parlementaires se sont préoccupées de cette question. Jen ai fait une des lignes rouges vis-à-vis de ces régimes quand on nous demande si nous respectons le résultat des élections en Égypte ou en Tunisie. Évidemment nous respectons le résultat des élections. Nous disons aussi que nous avons nos lignes rouges et que le respect des minorités fait partie de ces lignes rouges au même titre que légalité des droits entre les hommes et les femmes ou les règles fondamentales de la démocratie.
Simplement, en direction de nos amis chrétiens de Syrie en particulier, ce qui minquiète, cest la façon dont ils collent totalement au régime. Quils réfléchissent bien à lavenir aussi. Je ne pense pas que ce régime ait de lavenir, je suis même sûr quil nen a pas. Nous demandons à lopposition dinclure dans ses structures des représentants des communautés chrétiennes pour bien marquer leur volonté de respecter les droits des minorités.
Q - Si la résolution devait être votée demain et que les Russes ny opposaient pas leur veto, quest-ce que cela changerait concrètement ? Dans la mesure où Bachar Al-Assad a déjà annoncé quil rejetait le plan de la Ligue Arabe, quest-ce que cela changerait que le Conseil de sécurité prenne position ?
R - Limportant cest que le Conseil de sécurité sorte de son silence. Ce qui se passe en Syrie est inacceptable : il sagit dune répression dune sauvagerie comme on en a rarement vu, où mêmes des enfants sont massacrés, et qui saggrave de jour en jour. Il faut donc arrêter cela et nous avons une perspective de solution avec le plan qui a été élaboré par la Ligue arabe. Nous avons pris position aujourdhui en faveur de la résolution présentée par le Maroc et jai observé les déclarations des uns et des autres, la porte nest pas complètement fermée.
Nous allons donc, dans les prochains jours, négocier, parvenir à un consensus ou en tout cas à labsence de veto. Si tel était le cas, la pression qui sexercerait alors, pour répondre directement à votre question, sur le régime de Damas serait à son maximum : en effet à ce moment le Conseil de sécurité tout entier, la Ligue arabe également, isolera complètement ce régime qui sera conduit à négocier. On ne peut pas avoir raison indéfiniment contre tout le monde.
Q - Avez-vous bon espoir de faire voter cette résolution dans les jours qui viennent ?
R - Ce nest pas moi qui ai parlé despoir ; je crois que cest le représentant russe qui a prononcé ce mot. Nous allons travailler, nous sommes prêts à la discussion, sous réserve que le cur de la résolution, qui est le soutien au plan de la Ligue arabe, reste inchangé. Je ne vais pas revenir sur le détail de ce plan : cest larrêt de toutes les violences, cest le retour des forces de sécurité dans leurs casernes, cest aussi lengagement dans un processus politique de réconciliation conduisant à des élections. Tout ça cest le cur de cette résolution et cest très important de le maintenir.
Q - Le point dachoppement cest notamment de savoir si le plan demande au président de se retirer, de quitter provisoirement le pouvoir : est-ce que cest absolument essentiel dans la résolution ?
R - Cest dans le plan de la Ligue arabe qui demande au président de transférer ses pouvoirs à son vice-président et à ce dernier dengager le processus politique et cest ce schéma que nous soutenons.Source http://www.diplomatie.gouv.ffr, le 7 février 2012