Entretien de M. Henri de Raincourt, ministre de la coopération, avec Radio France Internationale le 13 février 2012, sur la situation politique au Mali.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Q - Vous demandez un cessez-le- feu mais, après les succès militaires de la rébellion, est-ce que l’armée malienne n’a pas intérêt à tenter une contre offensive avant d’arrêter les combats ?
R - La France considère qu’il n’y aura pas de solution militaire, en tout cas immédiate, et que, par conséquent, ce qui est important, c’est que les hostilités cessent le plus rapidement possible.
Q - Vous voulez dire que le rapport de forces est trop inégal en faveur des rebelles et que Bamako a intérêt à signer ce cessez-le-feu ?
R - Je pense que le rapport de forces aujourd’hui n’est pas totalement établi puisque la stratégie des rebelles telle qu’on peut l’analyser et celle des autorités militaires maliennes sont plutôt une stratégie d’évitement. Donc, il n’y a pas eu de choc, de bataille rangée, puisque lorsque les rebelles arrivent dans un camp militaire l’armée régulière l’a quitté quelques heures ou demi-journées avant.
Q - On sait qu’il y a eu des morts au combat, mais y a-t-il eu aussi des exécutions sommaires ?
R - Oui, il y a eu effectivement des violences absolument à la fois atroces et inadmissibles à Aguelhok. Il y a eu effectivement des exécutions sommaires, des soldats, des personnes. On parle d’une centaine qui ont été capturés et qui ont été froidement exécutés, ce qui est absolument inqualifiable.
Q - Par qui ont-elles été exécutées ?
R - Certains prétendent que la méthode utilisée - c’est assez effrayant d’ailleurs de s’exprimer de cette façon là -, mais que la méthode utilisée pour l’exécution s’apparente à celle utilisée par Al-Qaïda.
Q - Elles auraient été égorgées, c’est ça ?
R - Certaines victimes auraient été égorgées, d’autres tuées d’une balle dans la tête ; en tout cas, des méthodes barbares et expéditives.
Q - Une des causes de cette guerre est l’arrivée au Sahel de missiles et d’orgues de Staline en provenance des arsenaux de Kadhafi. Est-ce qu’en bombardant la Libye, la France n’a pas semé la pagaille au Sahel ?
R - Les autorités que nous avons pu rencontrer sont bien déterminées, justement, à ce que, à l’occasion du cessez-le-feu, la remise des armes soit une condition qui soit posée.
Q - Mais en bombardant la Libye, est-ce que la France n’a pas joué aux apprentis sorciers ?
R - La France a œuvré en Libye pour éviter le massacre programmé de la population de Bengazi par Kadhafi.
Q - Vous appelez au dialogue mais pour les rebelles du MNLA ce dialogue doit aboutir à l’indépendance de l’Azawad. Est-ce que c’est une solution envisageable ?
R - La France a une position très claire : l’unité et l’intégrité territoriales du Mali doivent être préservées. L’indépendance n’est évidemment pas une solution. Parce que le MNLA ne représente pas, loin s’en faut, la totalité de la population de la partie Nord du Mali. Il y a d’autres organisations touaregs. Il y a des arabes. Il y a encore d’autres ethnies. D’ailleurs, toutes les personnes avec qui nous avons parlé nous ont dit que, si une consultation de la population était organisée, on sait pertinemment que l’immense majorité ne s’engagerait pas sur la voie de la séparation.
Q - Vous dites que des pays de bonne volonté pourraient aider à ce dialogue. Vous pensez à la France ou à des pays de la sous région ?
R - Nous considérons que ce sont d’abord aux pays de la sous-région de se mobiliser, que ce soit le Mali évidemment, le Niger, la Mauritanie, le Burkina Faso mais aussi l’Algérie qui a fait les preuves de ses bons offices ces derniers jours en réunissant un certain nombre d’acteurs à Alger. Mais la France est à la disposition, seulement si cela lui est demandé de la part des pays, pour apporter sa contribution. La France n’a aucune ambition d’organiser à elle seule le dialogue entre les différents acteurs. Ce n’est pas à nous de le faire, c’est d’abord aux acteurs locaux.
Q - Dans une interview au journal Le Monde, le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz fustige les États qui n’arrivent pas à venir à bout d’un groupe armé de 300 hommes, sous entendu le Mali. Est-ce que vous êtes d’accord avec lui ?
R - Effectivement, la façon d’appréhender la présence d’Aqmi sur le terrain est notoirement différente par les chefs d’États des pays concernés. Il faut en prendre acte. Je crois qu’il y a aussi le fait qu’il y a des otages sur le terrain et qu’il est, par conséquent, assez difficile d’engager directement des opérations qui seraient susceptibles de mettre en danger la vie de nos otages, parce que la vie de nos compatriotes est à préserver d’abord et avant tout.
Q - Avez-vous des nouvelles récentes des six otages français ?
R - Auprès des personnes à qui nous posons cette même question, certaines d’entre elles nous disent avoir des contacts plus ou moins directs avec les katibats, ces petites organisations locales sur le terrain. La situation de nos otages est précaire et détestable mais pour autant, avec beaucoup de courage, ils survivent.
Q - Si les exécutions sommaires d’Aguelhok portent la signature d’Al-Qaïda, faut-il y voir une alliance éventuelle entre le MNLA, Al-Qaïda et Aqmi ?
R - En tout cas, elle n’est pas confirmée et le MNLA a pris soin de confirmer qu’elle n’existait pas.
Q - À la fin de l’année dernière, des proches du MNLA ont été reçus au Quai d’Orsay, à Paris ; à l’ordre du jour justement la lutte contre Aqmi. Le MNLA peut-il être un partenaire fiable ?
R - Écoutez, c’est à lui de le prouver. Je rappelle que si la France, effectivement, a rencontré des représentants du MNLA l’année dernière, elle ne l’a pas fait depuis que ce dernier s’est engagé dans des actions militaires. Deuxièmement, si le MNLA veut être considéré comme un acteur fiable, c’est à lui de faire les avances et les démarches nécessaires. Je sais pertinemment que le MNLA a des représentants dans un certain nombre de pays de la sous-région et n’a donc certainement aucune difficulté pour faire connaître sa bonne volonté.
Q - Vous pensez à la Mauritanie ?
R - Oui. Je pense effectivement en particulier à la Mauritanie.
Q - La Mauritanie qui a des relations privilégiées avec le MNLA ?
R - Je ne dirais pas du tout que la Mauritanie a des relations privilégiées avec le MNLA. En revanche, tout le monde sait que les contacts peuvent être facilement établi entre le MNLA et des représentants de la Mauritanie.
Q - Monsieur le Ministre, merci.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 février 2012