Texte intégral
Q - (
) Est-ce que cette forme de prééminence allemande (
) est une bonne chose, daprès vous ?
R - Il ny a pas de prééminence allemande. Jai entendu Mme Merkel vanter certains exemples du modèle français, comme la politique familiale. Vous voyez que cest un échange. Nous navons pas toujours des positions convergentes sur toutes les questions mais, grâce au dialogue, nous arrivons à des compromis et cest absolument fondamental. Je ne vais pas refaire lHistoire : lEurope nexiste que parce quil y a eu la réconciliation franco-allemande, après les horreurs du XXe siècle, et elle nexistera demain que si ce couple franco-allemand fonctionne en parfaite harmonie. Cest ce qui est le cas aujourdhui. Ce Conseil des ministres franco-allemand a été, je crois, lillustration de cette bonne entente.
Q - Vous dites que cest un échange gagnant-gagnant ?
R - Absolument. Et quand vous écoutez beaucoup de responsables allemands, ils expliquent que la chancelière a accepté des propositions françaises ; en France, on a plutôt tendance à dire que nous avons accepté des propositions allemandes. Je crois que le bilan est, en réalité, très équilibré. Je rappelle que lidée dun gouvernement économique de la zone euro, qui nétait hélas pas prévu dans le Traité de Maastricht, est une idée française ; aujourdhui, cest inscrit dans le Traité qui a été approuvé le 30 janvier dernier à Bruxelles.
Q - Vous défendez le modèle français, mais en même temps on voit bien les chiffres du commerce extérieur : un énorme déficit du côté français, un gros excédent du côté allemand. On a limpression quand même dêtre un petit nain par rapport au géant allemand.
R - Pas du tout un nain, nous sommes la cinquième puissance économique du monde. LAllemagne est plus forte que nous aujourdhui, cest vrai, mais nous avons tous les atouts dans notre jeu pour occuper toute notre place. La raison de cette différence est très simple, cest que lAllemagne a fait, il y a dix-douze ans ( ) des réformes de fond sur la baisse des charges sociales, sur laugmentation de la TVA, sur ladaptation du marché du travail que nous navons pas encore faites et que nous sommes en train de faire aujourdhui. LAllemagne a donc pris de lavance sur nous, ce qui peut expliquer ses meilleurs résultats.
Je voudrais quand même rappeler quen 2009, la récession en Allemagne a été deux fois plus forte quen France. Donc, ne partons pas non plus du principe que tout est parfait en Allemagne et que tout est épouvantable en France ; ce nest pas la vérité. LAllemagne a aussi des points faibles, regardez sa démographie : si dici 20 ou 30 ans rien ne change, il y aura plus de Français que dAllemands.
Q - Ce serait une bonne chose peut-être ?
R - Je ne sais pas si ce serait une bonne chose mais cela veut tout simplement dire que nous sommes une grande puissance.
Q - Mais aujourdhui, quand même, la France a décroché par rapport à lAllemagne dun point de vue économique. Est-ce que cest un problème de coût du travail ?
R - Oui, bien entendu, nous avons un problème de compétitivité. Globalement, nous avons un problème de compétitivité avec différents aspects. Aujourdhui, nos produits sont moins compétitifs, non seulement sur les marchés éloignés - on parle toujours de la Chine -, mais aussi sur les marchés européens. Cela pour trois raisons essentielles : premièrement, la durée du temps de travail ; quels que soient les chiffres quon annonce ici ou là, il y a une réalité incontournable, cest que dans une année ou dans une vie, nous travaillons moins en France quen Allemagne. Il est clair que cest un facteur de moindre compétitivité.
Deuxièmement, nous avons une législation plus rigide que la législation allemande sur bien des sujets. Nous avons discuté par exemple avec Mme Merkel lundi de la question du SMIC, elle nous a expliqué quil y a des salaires minimum en Allemagne mais quils sont très souvent inclus dans des accords de branches et adaptés à la réalité économique du pays.
Et puis, la troisième raison, cest le poids excessif des charges sociales en France et cest cela quil faut absolument corriger. Lobjectif du gouvernement est celui-là, cest dalléger les charges sociales pour rétablir la compétitivité des produits français et nous permettre, donc, de créer des emplois en reprenant des parts de marché.
Q - Sur les salaires minimum justement : en Allemagne, il existe ce que lon appelle des «mini jobs» payés entre 400 et 700 euros. Est-ce quil faudrait transposer cela en France ?
R - Voyez que tout nest pas un modèle en Allemagne.
Q - Mais justement, est-ce quil faut transposer cela ou non ?
R - Non. Nous avons notre propre modèle et nous y sommes attachés.
Q - Dans la description que vous faites : lAllemagne a fait des réformes il y a dix ans alors que navons commencé à les faire quil y a cinq ans. Mais la TVA sociale, le transfert des charges, lallégement du coût du travail, la durée du temps de travail, on a limpression que vous y venez maintenant en fin de mandat et non pas au début ?
R - Non pas du tout. Nous avons commencé ce travail au début du mandat.
Je prends un autre exemple. La taxe sur les transactions financières, on nous dit : «pourquoi ne lavez-vous pas fait plus tôt ?» Parce que cela fait des années que nous essayons de convaincre nos partenaires de le faire. Toute lannée 2011, au G20, a été consacrée à ce sujet, vous le savez bien. Nous avons demandé à lUnion européenne de sy pencher ; la Commission européenne a fait une proposition et que se passe-t-il aujourdhui ? On nous dit que la France est seule. Hier, neuf pays de la zone euro ont signé une lettre dans laquelle ils demandent à la Commission européenne de mettre en place le plus rapidement possible cette taxe sur les transactions financières. Ceci prouve que la France donne lélan nécessaire pour progresser sur la voie des réformes.
( )
Q - Il y a une vision européenne qui est de dire que lon ne sortira pas de la crise si on ne crée pas des eurobonds, si on ne fait pas une politique de relance commune. Vous semblez persuadé quavec ce que vous avez introduit dans le Traité, cela permettra de réduire la crise de la dette et que lEurope sera sauvée ?
R - Sur la crise de la dette, je pense que nous avons mis en place les mécanismes qui nous permettent den sortir. Mais, cela ne suffit pas, il faut aussi que les programmes de remise en ordre nationaux se fassent. Il y a deux éléments : les mécanismes européens et les programmes nationaux.
Pour la Grèce, ce nest pas fait, cest vraiment une inquiétude majeure. Il faut absolument que lon sen sorte. LItalie est vraiment dans la bonne direction, lEspagne et le Portugal ont du mal et la France est également dans la bonne direction.
Il faut donc continuer à jouer sur les deux pistes si je puis dire, celle des mécanismes européens et celle des programmes nationaux.
Q - Après les vétos russes et chinois sur la Syrie, comment peut-on contourner cet obstacle ? Votre homologue russe est allé en mission en Syrie voir Bachar Al-Assad qui lui aurait promis de faire en sorte que toutes les violences cessent, doù quelles viennent. Y croyez-vous ?
R - Absolument pas. Cest vraiment une manipulation dans laquelle nous nallons pas tomber.
Q - De qui, de la Russie ou de la Syrie ?
R - Tout le monde, de la part de Bachar. Cest la énième fois que des personnalités vont à Damas rencontrer Bachar al-Assad et quil leur donne de bonnes assurances.
Mon collègue turc ma raconté quil a eu six heures de débat avec M. Bachar Al-Assad pour le convaincre et, le lendemain, il y avait encore cent morts sur le terrain. Je ne crois donc absolument pas aux engagements du régime syrien qui sest discrédité. Lorsque lon a massacré six mille de ses concitoyens dont plusieurs centaines denfants, incarcéré quinze mille prisonniers, fait fuir quinze mille réfugiés à lextérieur, on na plus de légitimité.
Q - Comment faire alors pour surmonter le veto des russes et des chinois ?
R - Je rappelle quand même que lon a eu treize voix sur quinze au Conseil de sécurité.
Q - Oui, mais maintenant, il y a le veto, donc cest fini.
R - Oui, et il faut rebondir. Ce que nous avons proposé - et qui est aujourdhui en cours délaboration avec la Ligue arabe -, cest de réunir ce que lon a appelé le groupe des amis de la Syrie, cest-à-dire les treize pays du Conseil de sécurité, lensemble de nos partenaires de lUnion européenne qui sont daccord pour sengager dans ce processus, les pays de la Ligue arabe, tous les autres pays émergents qui voudront y être de façon à exercer une pression maximum, dabord sur la Russie - pour bien lui montrer quelle est dans une impasse et quelle est en train de sisoler complètement -, ensuite et surtout sur Bachar Al-Assad pour favoriser le processus de transition qui a été proposé par la Ligue arabe. Ce plan de la Ligue arabe reste bon et dactualité selon nous, nous allons tout faire pour quil puisse entrer en vigueur.
Q - Dites-vous que les jours de Bachar Al-Assad sont comptés ?
R - Je dis que lorsque lon a massacré son peuple, on na plus vocation à le diriger.
Q - Et que dites-vous aux Russes et aux Chinois ?
R - Je leur dis quils se trompent complètement et que leurs arguments ne sont pas bons. À Moscou et, accessoirement, à Pékin, on ne cesse de nous dire que lon ne veut pas dune intervention «à la libyenne» avec lOTAN, mais il nest absolument pas question de cela, cest un prétexte totalement fallacieux. Il est écrit noir sur blanc dans le projet de résolution contre lequel la Russie a mis son veto quil ny aura pas dopération militaire. Essayons donc de regarder vraiment la réalité en face et non pas de fantasmer.
Q - Concernant lIran, faut-il empêcher à tous prix et par quelques moyens que ce soient ce pays dobtenir et de construire une bombe atomique ?
R - Je pense que laccession de lIran à larme atomique serait une catastrophe aux conséquences incalculables sur la région et même sur la paix du monde. On me dit souvent quil y a deux poids et deux mesures, mais lIran a signé le traité de non-prolifération, les autres pays ne lavaient pas signé.
Q - Et lorsque vous parlez des autres pays, vous pensez aussi à Israël nest-ce pas ?
R - Oui et puisque lIran sest engagé, lIran viole ses engagements internationaux, les résolutions du Conseil de sécurité, les décisions du Conseil des gouverneurs de lAIEA.
Nous ne pouvons donc pas accepter cela. Il y a un risque dintervention militaire.
Q - On nous dit que Paris et Washington, les diplomaties de chacun des deux pays, considèrent quIsraël pourrait et souhaite intervenir au printemps contre lIran. Confirmez-vous cette information ?
R - Non. Des bruits circulent aujourdhui, vous le savez très bien. Il ne sagit pas de la diplomatie française ou de la diplomatie américaine. Il sagit des déclarations des dirigeants israéliens eux-mêmes et cest vrai, certains dentre eux envisagent une opération militaire.
Q - Vous lont-ils dit ?
R - Mais non ! Ils lont dit à tout le monde, cest un débat public.
Q - Et que leur dites-vous ?
R - Nous leur disons quune telle intervention pourrait avoir des conséquences irréparables et quil faut donc tout faire pour léviter. Cest la raison pour laquelle nous avons décidé, - cest une initiative de la diplomatie française - de mettre en uvre des sanctions sans précédent, comme les a qualifiées le président de la République, qui pourront convaincre le régime de Téhéran de revenir à la table de négociation comme nous le leur proposons.
Ces sanctions sont le gel des avoirs de la Banque centrale et lembargo sur les exportations pétrolières de lIran. Cela a été décidé par les Vingt-sept et cela entrera en application de manière progressive au cours des prochaines semaines. Cela a été décidé par le Congrès et le président des États-Unis. Nous essayons de convaincre aussi les clients de lIran comme le Japon, et la Corée du Sud.
Voilà la ligne qui est la nôtre aujourdhui vis-à-vis de lIran.
Q - Et quand cest irréparable, cela veut dire quoi ? Une guerre au niveau mondial ?
R - Je vous laisse imaginer.
Q - Dans le même temps, vous avez des discussions avec Israël pour leur dire de temporiser ?
R - Non, nous ne temporisons pas. Nous leur disons que la voie de lintervention militaire nest pas la bonne voie. Alors soutenez les efforts que nous faisons pour, dune part, faire plier lIran et, dautre part, continuer à proposer à lIran une solution de dialogue. Cette proposition est là, cest la seule condition. Il faut que lIran accepte de parler du vrai problème, cest-à-dire de son programme nucléaire et pas de lair du temps.
Q - LIran peut parler tout en poursuivant son programme nucléaire ! Il y a dix ans que cela dure !
R - Oui mais ce nest pas une raison pour renoncer. Aucune de ces crises nest facile. Si javais la solution, je serais un faiseur de miracles.
( )
Q - Vous êtes contre les lois mémorielles. Êtes-vous satisfait quil y ait un recours devant le Conseil constitutionnel sur la loi pénalisant la négation du génocide arménien ?
R - Tout le monde connaît mon point de vue sur cette initiative parlementaire. Jai décidé de ne plus la préciser ; elle est si connue que ce nest pas la peine.
Q - Et ce recours devant le Conseil, cela peut-il arranger les relations avec la Turquie ou pas selon vous ?
R - Les parlementaires ont fait leur choix, le Conseil constitutionnel prendra sa décision, pas de commentaire.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 février 2012
R - Il ny a pas de prééminence allemande. Jai entendu Mme Merkel vanter certains exemples du modèle français, comme la politique familiale. Vous voyez que cest un échange. Nous navons pas toujours des positions convergentes sur toutes les questions mais, grâce au dialogue, nous arrivons à des compromis et cest absolument fondamental. Je ne vais pas refaire lHistoire : lEurope nexiste que parce quil y a eu la réconciliation franco-allemande, après les horreurs du XXe siècle, et elle nexistera demain que si ce couple franco-allemand fonctionne en parfaite harmonie. Cest ce qui est le cas aujourdhui. Ce Conseil des ministres franco-allemand a été, je crois, lillustration de cette bonne entente.
Q - Vous dites que cest un échange gagnant-gagnant ?
R - Absolument. Et quand vous écoutez beaucoup de responsables allemands, ils expliquent que la chancelière a accepté des propositions françaises ; en France, on a plutôt tendance à dire que nous avons accepté des propositions allemandes. Je crois que le bilan est, en réalité, très équilibré. Je rappelle que lidée dun gouvernement économique de la zone euro, qui nétait hélas pas prévu dans le Traité de Maastricht, est une idée française ; aujourdhui, cest inscrit dans le Traité qui a été approuvé le 30 janvier dernier à Bruxelles.
Q - Vous défendez le modèle français, mais en même temps on voit bien les chiffres du commerce extérieur : un énorme déficit du côté français, un gros excédent du côté allemand. On a limpression quand même dêtre un petit nain par rapport au géant allemand.
R - Pas du tout un nain, nous sommes la cinquième puissance économique du monde. LAllemagne est plus forte que nous aujourdhui, cest vrai, mais nous avons tous les atouts dans notre jeu pour occuper toute notre place. La raison de cette différence est très simple, cest que lAllemagne a fait, il y a dix-douze ans ( ) des réformes de fond sur la baisse des charges sociales, sur laugmentation de la TVA, sur ladaptation du marché du travail que nous navons pas encore faites et que nous sommes en train de faire aujourdhui. LAllemagne a donc pris de lavance sur nous, ce qui peut expliquer ses meilleurs résultats.
Je voudrais quand même rappeler quen 2009, la récession en Allemagne a été deux fois plus forte quen France. Donc, ne partons pas non plus du principe que tout est parfait en Allemagne et que tout est épouvantable en France ; ce nest pas la vérité. LAllemagne a aussi des points faibles, regardez sa démographie : si dici 20 ou 30 ans rien ne change, il y aura plus de Français que dAllemands.
Q - Ce serait une bonne chose peut-être ?
R - Je ne sais pas si ce serait une bonne chose mais cela veut tout simplement dire que nous sommes une grande puissance.
Q - Mais aujourdhui, quand même, la France a décroché par rapport à lAllemagne dun point de vue économique. Est-ce que cest un problème de coût du travail ?
R - Oui, bien entendu, nous avons un problème de compétitivité. Globalement, nous avons un problème de compétitivité avec différents aspects. Aujourdhui, nos produits sont moins compétitifs, non seulement sur les marchés éloignés - on parle toujours de la Chine -, mais aussi sur les marchés européens. Cela pour trois raisons essentielles : premièrement, la durée du temps de travail ; quels que soient les chiffres quon annonce ici ou là, il y a une réalité incontournable, cest que dans une année ou dans une vie, nous travaillons moins en France quen Allemagne. Il est clair que cest un facteur de moindre compétitivité.
Deuxièmement, nous avons une législation plus rigide que la législation allemande sur bien des sujets. Nous avons discuté par exemple avec Mme Merkel lundi de la question du SMIC, elle nous a expliqué quil y a des salaires minimum en Allemagne mais quils sont très souvent inclus dans des accords de branches et adaptés à la réalité économique du pays.
Et puis, la troisième raison, cest le poids excessif des charges sociales en France et cest cela quil faut absolument corriger. Lobjectif du gouvernement est celui-là, cest dalléger les charges sociales pour rétablir la compétitivité des produits français et nous permettre, donc, de créer des emplois en reprenant des parts de marché.
Q - Sur les salaires minimum justement : en Allemagne, il existe ce que lon appelle des «mini jobs» payés entre 400 et 700 euros. Est-ce quil faudrait transposer cela en France ?
R - Voyez que tout nest pas un modèle en Allemagne.
Q - Mais justement, est-ce quil faut transposer cela ou non ?
R - Non. Nous avons notre propre modèle et nous y sommes attachés.
Q - Dans la description que vous faites : lAllemagne a fait des réformes il y a dix ans alors que navons commencé à les faire quil y a cinq ans. Mais la TVA sociale, le transfert des charges, lallégement du coût du travail, la durée du temps de travail, on a limpression que vous y venez maintenant en fin de mandat et non pas au début ?
R - Non pas du tout. Nous avons commencé ce travail au début du mandat.
Je prends un autre exemple. La taxe sur les transactions financières, on nous dit : «pourquoi ne lavez-vous pas fait plus tôt ?» Parce que cela fait des années que nous essayons de convaincre nos partenaires de le faire. Toute lannée 2011, au G20, a été consacrée à ce sujet, vous le savez bien. Nous avons demandé à lUnion européenne de sy pencher ; la Commission européenne a fait une proposition et que se passe-t-il aujourdhui ? On nous dit que la France est seule. Hier, neuf pays de la zone euro ont signé une lettre dans laquelle ils demandent à la Commission européenne de mettre en place le plus rapidement possible cette taxe sur les transactions financières. Ceci prouve que la France donne lélan nécessaire pour progresser sur la voie des réformes.
( )
Q - Il y a une vision européenne qui est de dire que lon ne sortira pas de la crise si on ne crée pas des eurobonds, si on ne fait pas une politique de relance commune. Vous semblez persuadé quavec ce que vous avez introduit dans le Traité, cela permettra de réduire la crise de la dette et que lEurope sera sauvée ?
R - Sur la crise de la dette, je pense que nous avons mis en place les mécanismes qui nous permettent den sortir. Mais, cela ne suffit pas, il faut aussi que les programmes de remise en ordre nationaux se fassent. Il y a deux éléments : les mécanismes européens et les programmes nationaux.
Pour la Grèce, ce nest pas fait, cest vraiment une inquiétude majeure. Il faut absolument que lon sen sorte. LItalie est vraiment dans la bonne direction, lEspagne et le Portugal ont du mal et la France est également dans la bonne direction.
Il faut donc continuer à jouer sur les deux pistes si je puis dire, celle des mécanismes européens et celle des programmes nationaux.
Q - Après les vétos russes et chinois sur la Syrie, comment peut-on contourner cet obstacle ? Votre homologue russe est allé en mission en Syrie voir Bachar Al-Assad qui lui aurait promis de faire en sorte que toutes les violences cessent, doù quelles viennent. Y croyez-vous ?
R - Absolument pas. Cest vraiment une manipulation dans laquelle nous nallons pas tomber.
Q - De qui, de la Russie ou de la Syrie ?
R - Tout le monde, de la part de Bachar. Cest la énième fois que des personnalités vont à Damas rencontrer Bachar al-Assad et quil leur donne de bonnes assurances.
Mon collègue turc ma raconté quil a eu six heures de débat avec M. Bachar Al-Assad pour le convaincre et, le lendemain, il y avait encore cent morts sur le terrain. Je ne crois donc absolument pas aux engagements du régime syrien qui sest discrédité. Lorsque lon a massacré six mille de ses concitoyens dont plusieurs centaines denfants, incarcéré quinze mille prisonniers, fait fuir quinze mille réfugiés à lextérieur, on na plus de légitimité.
Q - Comment faire alors pour surmonter le veto des russes et des chinois ?
R - Je rappelle quand même que lon a eu treize voix sur quinze au Conseil de sécurité.
Q - Oui, mais maintenant, il y a le veto, donc cest fini.
R - Oui, et il faut rebondir. Ce que nous avons proposé - et qui est aujourdhui en cours délaboration avec la Ligue arabe -, cest de réunir ce que lon a appelé le groupe des amis de la Syrie, cest-à-dire les treize pays du Conseil de sécurité, lensemble de nos partenaires de lUnion européenne qui sont daccord pour sengager dans ce processus, les pays de la Ligue arabe, tous les autres pays émergents qui voudront y être de façon à exercer une pression maximum, dabord sur la Russie - pour bien lui montrer quelle est dans une impasse et quelle est en train de sisoler complètement -, ensuite et surtout sur Bachar Al-Assad pour favoriser le processus de transition qui a été proposé par la Ligue arabe. Ce plan de la Ligue arabe reste bon et dactualité selon nous, nous allons tout faire pour quil puisse entrer en vigueur.
Q - Dites-vous que les jours de Bachar Al-Assad sont comptés ?
R - Je dis que lorsque lon a massacré son peuple, on na plus vocation à le diriger.
Q - Et que dites-vous aux Russes et aux Chinois ?
R - Je leur dis quils se trompent complètement et que leurs arguments ne sont pas bons. À Moscou et, accessoirement, à Pékin, on ne cesse de nous dire que lon ne veut pas dune intervention «à la libyenne» avec lOTAN, mais il nest absolument pas question de cela, cest un prétexte totalement fallacieux. Il est écrit noir sur blanc dans le projet de résolution contre lequel la Russie a mis son veto quil ny aura pas dopération militaire. Essayons donc de regarder vraiment la réalité en face et non pas de fantasmer.
Q - Concernant lIran, faut-il empêcher à tous prix et par quelques moyens que ce soient ce pays dobtenir et de construire une bombe atomique ?
R - Je pense que laccession de lIran à larme atomique serait une catastrophe aux conséquences incalculables sur la région et même sur la paix du monde. On me dit souvent quil y a deux poids et deux mesures, mais lIran a signé le traité de non-prolifération, les autres pays ne lavaient pas signé.
Q - Et lorsque vous parlez des autres pays, vous pensez aussi à Israël nest-ce pas ?
R - Oui et puisque lIran sest engagé, lIran viole ses engagements internationaux, les résolutions du Conseil de sécurité, les décisions du Conseil des gouverneurs de lAIEA.
Nous ne pouvons donc pas accepter cela. Il y a un risque dintervention militaire.
Q - On nous dit que Paris et Washington, les diplomaties de chacun des deux pays, considèrent quIsraël pourrait et souhaite intervenir au printemps contre lIran. Confirmez-vous cette information ?
R - Non. Des bruits circulent aujourdhui, vous le savez très bien. Il ne sagit pas de la diplomatie française ou de la diplomatie américaine. Il sagit des déclarations des dirigeants israéliens eux-mêmes et cest vrai, certains dentre eux envisagent une opération militaire.
Q - Vous lont-ils dit ?
R - Mais non ! Ils lont dit à tout le monde, cest un débat public.
Q - Et que leur dites-vous ?
R - Nous leur disons quune telle intervention pourrait avoir des conséquences irréparables et quil faut donc tout faire pour léviter. Cest la raison pour laquelle nous avons décidé, - cest une initiative de la diplomatie française - de mettre en uvre des sanctions sans précédent, comme les a qualifiées le président de la République, qui pourront convaincre le régime de Téhéran de revenir à la table de négociation comme nous le leur proposons.
Ces sanctions sont le gel des avoirs de la Banque centrale et lembargo sur les exportations pétrolières de lIran. Cela a été décidé par les Vingt-sept et cela entrera en application de manière progressive au cours des prochaines semaines. Cela a été décidé par le Congrès et le président des États-Unis. Nous essayons de convaincre aussi les clients de lIran comme le Japon, et la Corée du Sud.
Voilà la ligne qui est la nôtre aujourdhui vis-à-vis de lIran.
Q - Et quand cest irréparable, cela veut dire quoi ? Une guerre au niveau mondial ?
R - Je vous laisse imaginer.
Q - Dans le même temps, vous avez des discussions avec Israël pour leur dire de temporiser ?
R - Non, nous ne temporisons pas. Nous leur disons que la voie de lintervention militaire nest pas la bonne voie. Alors soutenez les efforts que nous faisons pour, dune part, faire plier lIran et, dautre part, continuer à proposer à lIran une solution de dialogue. Cette proposition est là, cest la seule condition. Il faut que lIran accepte de parler du vrai problème, cest-à-dire de son programme nucléaire et pas de lair du temps.
Q - LIran peut parler tout en poursuivant son programme nucléaire ! Il y a dix ans que cela dure !
R - Oui mais ce nest pas une raison pour renoncer. Aucune de ces crises nest facile. Si javais la solution, je serais un faiseur de miracles.
( )
Q - Vous êtes contre les lois mémorielles. Êtes-vous satisfait quil y ait un recours devant le Conseil constitutionnel sur la loi pénalisant la négation du génocide arménien ?
R - Tout le monde connaît mon point de vue sur cette initiative parlementaire. Jai décidé de ne plus la préciser ; elle est si connue que ce nest pas la peine.
Q - Et ce recours devant le Conseil, cela peut-il arranger les relations avec la Turquie ou pas selon vous ?
R - Les parlementaires ont fait leur choix, le Conseil constitutionnel prendra sa décision, pas de commentaire.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 février 2012