Texte intégral
M. Juppé - Permettez-moi de vous rappeler les grands axes de la politique de la France en Afghanistan et dans la région.
Lengagement de la France et de ses partenaires a depuis lorigine deux objectifs, qui sont intimement liés : combattre le foyer terroriste quAl Qaïda sétait constitué en Afghanistan à la faveur du règne des talibans, et recréer les conditions de sécurité nécessaires pour permettre aux Afghans de vivre en paix et de se consacrer pleinement au développement de leur pays. La mort dOussama Ben Laden en 2011 a illustré les progrès de la lutte contre le terrorisme dAl Qaïda.
La mission nest cependant pas terminée. Un nouveau chapitre a été ouvert : celui du retrait progressif et ordonné des forces de la coalition, décidé lors du Sommet de lAlliance atlantique qui sest tenu à Lisbonne en novembre 2010. Nous avons défini, avec nos partenaires et alliés, une stratégie de transfert graduel des responsabilités de sécurité aux autorités afghanes. La montée en puissance des forces afghanes doit leur permettre dassurer seules la sécurité de lAfghanistan, notamment dans la perspective des élections présidentielles de 2014 : nul pays ne saurait dépendre durablement des forces étrangères pour sa sécurité, et nous navons pas vocation à assumer indéfiniment des responsabilités de sécurité en Afghanistan.
Cest une juste cause que servent nos soldats, avec un professionnalisme et un courage que nous saluons tous.
Nous voulons offrir aux Afghans et aux Afghanes un avenir, et empêcher le retour sur cette terre de menaces qui concernent aussi lensemble de nos sociétés. Nous voulons un retrait ordonné, pas une retraite précipitée qui ne serait ni à la hauteur de nos responsabilités, ni à lhonneur de nos forces armées.
Dans la mise en uvre de cette stratégie adoptée lors du Sommet de Lisbonne, le président de la République et le gouvernement ont pris les mesures nécessaires pour renforcer la sécurité de nos soldats et réussir le transfert des responsabilités aux forces afghanes. Je ne peux manquer de massocier à lémotion qua suscitée, le 20 janvier dernier, la mort de quatre de nos soldats, assassinés par un Taliban infiltré. Ce drame a révélé le risque, jusquici sous-évalué par la coalition internationale, que représente linfiltration de Taliban dans les rangs de larmée afghane. Même si ces actes isolés ne doivent pas conduire à douter de lintégrité de lensemble de larmée afghane, nous ne pouvons accepter que nos hommes soient tués par des soldats quils sont venus former et soutenir dans le combat au service du peuple afghan.
Les forces afghanes sont rapidement montées en puissance. Elles comptent aujourdhui 330.000 policiers et militaires à léchelle du pays ; plus de 110.000 Afghans ont déjà été formés par la mission de formation de la Force internationale dassistance à la sécurité (FIAS). Les deux premières tranches de la transition ont été engagées : les zones en cours de transfert représentent déjà plus de la moitié de la population. La troisième, qui sera annoncée au printemps, fera passer cette proportion à 80 %. Sagissant des zones sous notre responsabilité, le district de Surobi a déjà commencé sa transition ; et lors de sa visite en France le 27 janvier, le président Karzaï a confirmé que la province de Kapisa serait appelée à le faire au printemps.
Le président de la République en a tiré toutes les conséquences dans les décisions annoncées le 27 janvier.
Afin de répondre à la menace que représente linfiltration de Taliban dans larmée afghane, les conditions dexécution de la mission de formation seront révisées - le ministre de la Défense y reviendra - pour renforcer la sécurité de nos troupes.
La France poursuit par ailleurs la transition et le transfert graduel des responsabilités de combat. Le ministre de la Défense vous détaillera la programmation de ce retrait des troupes combattantes dici à la fin 2013. Le processus a commencé : 400 de nos soldats sont déjà rentrés en France, et dici la fin de lannée, 1.000 autres quitteront lAfghanistan.
Enfin, la France a proposé à ses alliés de lOTAN de lancer une réflexion sur les différents aspects de la transition - comment accélérer la responsabilisation des forces afghanes avec une prise en charge totale des missions de combat de la FIAS par larmée afghane dès la fin de 2013 ? Comment sécuriser les troupes de la coalition face au risque dinfiltration par des talibans ? Comment sengager sur le long terme aux côtés de lAfghanistan pour la formation de ses forces ? Le ministre de la Défense, qui participait à la réunion ministérielle de lOTAN il y a quelques jours, vous donnera tous éclaircissements sur ces points.
Je voudrais maintenant évoquer avec vous le cadre politique de notre stratégie. Cette politique repose sur trois piliers.
Le premier est celui de laide à la reconstruction et au développement du pays. Nous y avons déjà largement contribué, mais nous montrons la voie dans ce domaine, avec le Traité damitié et de coopération signé par les présidents français et afghan le 27 janvier. Ce traité couvre une période de vingt ans, avec un premier plan daction de cinq ans. Conformément à lengagement pris par le président de la République à Kaboul en juillet dernier, il se concrétisera par une augmentation importante de notre engagement civil. Nos projets sont concentrés dans les domaines de la santé, de léducation, de la culture, de lagriculture, des ressources minières et des infrastructures. Mme Françoise Hostalier a dores et déjà sensibilisé les entreprises françaises et identifié les domaines dans lesquels elles pourraient intervenir.
Comme le président Karzaï la souligné lors de sa venue à Paris, il sagit du premier traité signé par lAfghanistan avec un pays extérieur à la région. Il sera sans doute suivi dautres partenariats bilatéraux et multilatéraux, notamment avec lUnion européenne et lOTAN. Cette dernière avait en effet clairement indiqué à Lisbonne que la coalition resterait engagée dans la formation et le développement du pays au-delà de 2014. Notre objectif est de mobiliser lensemble de la communauté internationale. La conférence qui sest tenue à Bonn le 5 décembre dernier a réaffirmé cet engagement, et une nouvelle conférence sur le développement économique de lAfghanistan aura lieu à Tokyo en juillet.
Le deuxième pilier de notre politique est la recherche dune solution politique, avec lencouragement au processus de réconciliation inter-afghane, ouvert aux insurgés prêts à rompre tout lien avec Al Qaïda et le terrorisme international, à renoncer à la violence et à respecter la Constitution afghane. Ce processus est engagé, mais reste fragile. Louverture annoncée dun bureau des Taliban au Qatar devrait aider au lancement de négociations visant à mettre un terme au conflit inter-afghan. Ce processus nen est pour linstant quà ses prémisses. Nous appuyons ces efforts, encourageons le dialogue et insistons plus particulièrement sur la nécessité dun processus inclusif, dirigé par les autorités afghanes et associant lensemble des composantes de la société afghane. Nous avons ainsi organisé à Paris, en novembre, un colloque associant ces différents acteurs pour favoriser leur dialogue sur les perspectives à long terme de lAfghanistan.
Le troisième pilier consiste à promouvoir une approche régionale dans le domaine de la sécurité et dans le domaine économique. Lattitude des États de la région, tout particulièrement du Pakistan, est un facteur essentiel, qui a une influence majeure sur la situation intérieure de lAfghanistan. Une dynamique régionale a été lancée sur les questions de sécurité lors de la Conférence dIstanbul du 2 novembre. La France a avancé lidée dune zone de sécurité collective autour de lAfghanistan, et les États de la région ont pris des engagements - notamment de non-ingérence dans les affaires intérieures de lAfghanistan. Le rôle du Pakistan est évidemment central. Ce pays entretient avec lAfghanistan des liens complexes. Il redoute un Afghanistan sous influence indienne. Des liens forts existent par ailleurs entre les talibans et lISI, le service de renseignement pakistanais. La relation entre le Pakistan et les États-Unis est aujourdhui très tendue - survol du territoire pakistanais par des drones, bombardement américain du poste-frontière le 25 novembre, évocation de liens entre lISI et des mouvements terroristes. Le Pakistan conserve néanmoins un rôle central aux yeux des Américains, tant sur le plan logistique que sur le plan politique et militaire. Sa situation interne est par ailleurs difficile : la Cour suprême vient de lancer une nouvelle offensive contre le président Zardari et le Premier ministre Gilani, et la situation économique et sociale est profondément dégradée. Nous essayons de développer un dialogue politique et de sécurité. Nous avions lidée dun accord de sécurité, qui pour linstant na pas abouti ; nous souhaitons associer le Pakistan à la construction dun système de sécurité collective, et nous appuyons également le dialogue entre lInde et le Pakistan et entre lAfghanistan et le Pakistan, avec des résultats contrastés.
Nous veillons au suivi du processus sur la sécurité collective et la coopération régionale lancé à Istanbul. Lobjectif est dobtenir, comme lattendent les Afghans et conformément à nos propositions, des engagements concrets et contraignants afin de développer une sécurité collective dans cette zone. Cest un vaste programme.
Laction que nous poursuivons en Afghanistan nest possible que grâce à lengagement total, au courage et à la conviction que nos soldats apportent à laccomplissement de la mission qui leur a été confiée dans cette délicate période de transition. Je tiens donc une nouvelle fois à saluer leur engagement.
M. Longuet - Dans sa configuration actuelle, la présence militaire française en Afghanistan remonte au début de lannée 2006. La Conférence de Londres avait alors conduit à renforcer de manière significative la force internationale pour assurer la protection de lÉtat afghan, mais surtout à concevoir une politique de moyen terme tendant à passer le relais à larmée nationale afghane.
Le dispositif français a évolué à partir de cette date. Nous avions la responsabilité de la province de Kaboul ; nous lavons assumée pendant un an, avant de la transmettre aux autorités afghanes, relayées par le contingent turc. Depuis 2008, nous avons la responsabilité dun district de la province de Kaboul, le district de Surobi, et de la province de Kapisa. Dune superficie de 1 500 kilomètres carrés pour plus de 450.000 habitants, cette dernière est une région extrêmement sensible. La vallée de la Kapisa permet en effet de contourner lagglomération de Kaboul pour se diriger vers le nord de lAfghanistan lorsquon vient du Pakistan. Cest donc un secteur stratégique. Beaucoup dentre vous connaissent ce paysage montagneux et désertique, semé dans le fond des vallées doasis à la végétation très dense durant sept à huit mois de lannée. Les conditions de combat y sont donc extrêmement difficiles pour nos soldats, et donnent un avantage au terroriste qui frappe avant de se fondre dans la population locale.
Soutenue par une montée en puissance progressive, significative et somme toute rassurante de larmée nationale afghane, larmée française a pu assurer la sécurité totale dans lensemble du district de Surobi, qui a été présenté à la transition et dont la responsabilité incombe depuis lautomne 2011 aux seules forces afghanes.
Lessentiel de notre effort se concentre donc sur la province de Kapisa, dont deux des cinq districts - le district de Tagab et celui dAlasay - présentent assurément des problèmes de sécurité. Notre objectif consiste à ce que larmée nationale afghane prenne le relais. Lévolution la plus importante est la montée en puissance de sa troisième brigade, commandée par un Ouzbek, le général Nazar, qui a su quadrupler ses effectifs en trois ans et assurer une bonne formation et une bonne coordination de lintervention de ses bataillons avec les unités françaises. Depuis lété 2011 et après les moments difficiles que vous avez tous en mémoire, larmée nationale afghane est, sur les cinq districts de la province de Kapisa, en situation de combattre en première ligne - avec le soutien de larmée française - en organisant ses propres opérations. Notre soutien porte essentiellement sur quatre points : les appuis-feu, terrestres ou aériens ; lévacuation sanitaire ; le soutien aux états-majors, car la manuvre dunités importantes nest pas un savoir-faire inné, et larmée nationale afghane commence seulement à le maîtriser - je parle de la troisième brigade et des manuvres au niveau du bataillon, lobjectif étant de pouvoir faire manuvrer la brigade ; lintervention rapide, enfin, cest-à-dire la capacité à intervenir en force pour dégager une unité afghane en situation difficile.
Depuis le mois daoût, larmée nationale afghane est donc en mesure de tenir ses positions. Il en va de même dans les territoires des deux premières tranches soumises à la transition, qui représentent aujourdhui 50 % de la population afghane. Un indicateur est à cet égard particulièrement intéressant : les forces de réaction rapide de la coalition nont pas été mobilisées au service de larmée nationale afghane sur ces territoires. On note également une baisse de plus de 11 % du nombre des accrochages entre les forces de la coalition - au sens large - et les insurgés. Il est toujours cruel dutiliser les statistiques de décès, mais il reste que le nombre des décès au combat dans la coalition a été très inférieur en 2011 à ce quil avait été en 2010. Ce nest, hélas, pas le cas dans le secteur français de la Kapisa, où lannée 2011 -marquée par le passage de la responsabilité française à la responsabilité afghane - a été extrêmement difficile. Depuis le mois daoût, nous avons eu à déplorer un mort au combat, et six décès par tirs dinfiltrés - quatre dans les conditions que vous connaissez le 20 janvier dernier, et deux en décembre.
Jai évoqué le problème à loccasion dun déplacement à Kaboul avec le chef détat-major. Il a été traité, dès les 23 et 24 janvier, par les mesures dont a parlé le ministre dÉtat. Elles ont dabord consisté à demander à larmée nationale afghane de travailler avec le service de sécurité de la défense. Ce nétait pas le cas jusquà présent : pour des raisons culturelles et historiques, larmée se méfiait du service de renseignement afghan, le National directorate of security (NDS), héritage de la période russe. Nous avons obtenu la mise en uvre effective dun décret pris il y a plus dun an par le gouvernement afghan, qui permet au NDS dintervenir dans les bataillons.
Nous avons également obtenu que les officiers et sous-officiers que nous formons à Kaboul, dans le Wardak ou dans notre centre de formation de Mazar-e-Shariff soient affectés en priorité aux unités de la troisième brigade, afin davoir le plus souvent possible à nos côtés des bataillons afghans encadrés par des officiers et des sous-officiers que nous avons nous-mêmes formés. Jai enfin obtenu que les services de la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) soient «binômés» avec les responsables des unités afghanes qui combattent avec nous. Ces mesures de riposte immédiate ont été mises en uvre sur le théâtre dopérations géré par la troisième brigade, elle-même placée sous lautorité du 201ème corps darmée engagé dans le secteur le plus difficile, à savoir entre Kaboul et la frontière pakistanaise, à la limite des populations pachtounes au sud et tadjikes au nord. La sensibilité de la Kapisa tient notamment à sa situation de frontière ethnique entre les deux principales populations afghanes.
Lors des récentes réunions à Bruxelles des ministres de la Défense de lOTAN et des représentants des États contribuant à la FIAS, jai obtenu que le commandement allié place la sécurité interne au premier rang de ses préoccupations. Compte tenu du taux dévaporation des effectifs dans larmée nationale afghane, estimé à 20 % en moyenne nationale, la montée en puissance de cette armée se traduit depuis quelques mois par des recrutements spectaculaires - 5.000 hommes par mois, avec des pointes à 8.000 -, mais qui méritent dêtre mieux contrôlés car leur ampleur empêche un suivi méthodique des recrues. Les ministres de la coalition ont donc demandé au général Allen et au ministre afghan de la Défense, le général Wardak, de maîtriser cette évolution. Dans la perspective de la définition du format de la future armée nationale afghane au sommet de lOTAN qui se tiendra à Chicago le 20 mai prochain, il convient dautre part de se demander si la montée en puissance des effectifs totaux jusquà 352.000 est pertinente, sachant que le format définitif et durable des forces nationales de sécurité afghanes - armée et forces de police - sera nettement inférieur. Le premier objectif est donc de ralentir le recrutement et den assurer la qualité, en mettant en place - ce qui est techniquement possible - un suivi individuel des recrues et de leur parcours. Tel est le mandat qui a été donné par la coalition à son chef détat-major, qui a les moyens de le mettre en uvre.
Lobjectif pour la France est de concentrer cet effort sur le territoire dont elle a la charge. Le président Karzaï a confirmé au président de la République le 27 janvier quune troisième tranche de transition serait annoncée le 31 mars prochain et devrait être opérationnelle à compter du 1er juillet. La totalité de la province de la Kapisa sera présentée à la transition. Nos soldats y maintiendront leur fonction de support jusquà la fin de lannée 2013. Cette fonction ne les place plus en position de responsables du combat, même sils peuvent être conduits à exercer lautodéfense ou à participer à la force de réaction rapide en soutien.
En août 2011, nous avions environ 2.800 combattants de la task force La Fayette sur le district de Surobi et la province de la Kapisa. Quatre cents au total ont été retirés en octobre et en décembre. Le président de la République a décidé le retrait de 1.000 combattants supplémentaires pour lannée 2012. Il en restera donc 1.400. Il est évidemment impensable de «garder le plus dur pour la fin», à savoir de renvoyer le transfert de responsabilité à larmée nationale afghane à la fin 2014 ou, pour chaque phase de transition, à la fin de cette dernière.
La transition doit mettre le plus rapidement possible larmée nationale afghane en situation de responsabilité effective dans les territoires, les forces françaises - dans le cas de la Kapisa - demeurant en soutien tout au long de lannée 2012 et jusquà la fin 2013, à effectifs réduits à partir du deuxième semestre 2013. Le mouvement de transition a déjà commencé. Si nous avons gardé nos trois grandes bases opérationnelles avancées (en anglais forward operating base, ou FOB) de Nijrab, Tagab et Surobi, nous avons transmis à larmée nationale afghane six postes extérieurs de combat (en anglais combat outpost, ou COP), unités plus réduites qui comportent en moyenne 20 % de soldats français en mission doperational mentoring and liaison team (OMLT) et dentraînement ainsi quune centaine de combattants afghans.
Nous avons transféré des positions, en conservant celles qui sont stratégiquement indispensables pour protéger nos trois principales bases. Larmée nationale afghane assume aujourdhui la responsabilité de douze des seize FOB et COP du secteur dont nous avons la charge. La transition est donc bien engagée, et elle fonctionne. Cest là un aspect important, que jai évoqué en conclusion de la réunion de Bruxelles : cette transition voulue et acceptée par lensemble des forces de la coalition ne doit pas donner lieu à une surenchère - course de vitesse ou, au contraire, présence indéfinie. Elle doit être commandée par les réalités du terrain. Or, la réalité du terrain en Kapisa permet aujourdhui ce transfert à larmée nationale afghane. Je souhaite quil en soit de même dans les secteurs gérés par les autres forces de la coalition.
Après les États-Unis, qui avaient encore 90.000 soldats en Afghanistan au 31 décembre 2011, la Grande-Bretagne, avec 9.500, et lAllemagne - en charge du secteur nord, à population ouzbèke et tadjike, qui ne pose pas les mêmes problèmes que le nôtre - avec 4.800, la France, avec 3.900 soldats, est le quatrième contributeur étranger à la coalition, à égalité avec lItalie. Près de 1.200 de ces 3.900 soldats sont affectés à Kaboul et sa région à des missions de formation ou encore de logistique et de soutien sans lesquelles une armée ne peut combattre.
La position française est une position de bon sens. La transition sera totalement achevée à la fin de 2014 ; mais pour garantir son succès, il faut mettre larmée nationale afghane en situation de responsabilité de combat principale pour lété 2013, comme lont envisagé les États-Unis. Cette décision sera évoquée au sommet de Chicago de mai, qui sinscrit dans la ligne des grandes réunions de Londres, de Bucarest et de Lisbonne qui ont rythmé la vie de la coalition, dont nous sommes un partenaire important, mais non le partenaire principal.
Q - (À propos de lIran, de la relation des soldats français avec la population afghan, de la lutte contre la corruption et le trafic de drogue)
R - M. Juppé - Vous avez raison, Madame Hostalier, dévoquer le rôle de lIran. Cest une puissance régionale déterminante pour lavenir de lAfghanistan. Vous connaissez les difficultés que nous rencontrons actuellement avec lIran. Lorsque nous avons lancé lidée dun dispositif de sécurité collective autour de lAfghanistan, notre objectif était dassocier les pays voisins, dont lIran, à ce processus. Ce ne sera pas facile.
Vous évoquez un risque «dirakisation». Pour ma part, je ne dirai pas quen 2014, après le retrait de nos troupes combattantes, lAfghanistan deviendra un pays tranquille et prospère. Je mesure parfaitement les risques de déstabilisation. Mais je me refuse à toute prospective risquant dêtre caricaturale sur lévolution du pays. Il appartiendra aux Afghans de construire leur pays après laide que nous leur avons apportée.
Monsieur Glavany, je ne crois pas que la population afghane éprouve de sentiment de rejet vis-à-vis de larmée française. Depuis 2002, nous avons beaucoup fait au profit des Afghans : nous avons construit des écoles, des hôpitaux, des routes, et une large partie de la population en a pleinement conscience. On ne peut pas dire en tout cas quelle serait plus enthousiaste à légard des talibans quà légard des troupes de la FIAS.
Nous aurions, selon vous, un train de retard. Dautres nous reprochent davoir un train davance. Jy vois la preuve que nous devons être sur la bonne ligne, à savoir en parfaite cohérence avec les décisions prises collectivement. Lidée de passer progressivement le relais aux troupes afghanes pour quelles assurent à terme seules la sécurité de leur pays, est une décision collective, qui a été prise dun commun accord. Le retrait a commencé, il se poursuivra en 2012 et 2013.
Que la corruption ne soit pas absente dAfghanistan est clair. Mais si nous devions cesser dêtre présents partout où sévit de la corruption, il est à craindre que nous ne soyons cantonnés à lHexagone, du moins à lUnion européenne.
Nous ne cessons dencourager les autorités afghanes à lutter contre la corruption et le trafic de drogue. Mais nous ne pourrons pas, au-delà de 2014, nous substituer aux Afghans et au gouvernement quils auront choisi.
Monsieur Vitel, décision a été prise à la conférence de Bonn de prolonger jusquen 2014 la mission dEuropol. Les Vingt-Sept travaillent à définir de manière plus précise le mandat de cette force et à revoir son organisation interne dans le cadre de la prolongation de son mandat.
Je ne crois pas que lon puisse dire que le peuple afghan se mobilise aujourdhui pour se libérer dune occupation étrangère. Il a subi la tyrannie des Taliban qui interdisaient, ne loublions pas, quon scolarise les filles ou bien encore quon écoute de la musique. Il a vécu sous leur chape de plomb rétrograde. Cest aussi de cela que nous aidons les Afghans à se libérer. Je ne partage donc pas totalement lavis de M. Boucheron lorsquil dit que le seul but de notre intervention en Afghanistan était déradiquer Al Qaïda. Cétait bien sûr lun de nos objectifs et notre intérêt bien compris car ce foyer terroriste nous menaçait directement - il suffit de voir aujourdhui comment Al Qaïda progresse au Maghreb. Mais nous sommes aussi intervenus pour aider le peuple afghan à se doter dune armée lui permettant déviter le risque de subir à nouveau ce quil a enduré au cours des décennies passées. Y avons-nous réussi ? LHistoire le dira.
Je laisse le ministre de la Défense répondre à M. Myard sur lorganisation du retrait de nos troupes.
R - M. Longuet - Le retrait des troupes françaises dAfghanistan sera complexe sur le plan logistique. Nous y avons en effet 1 200 véhicules, dont plus de 500 blindés - ce qui représente entre 1 500 et 1 800 conteneurs. Il existe trois solutions. La première serait une évacuation aérienne de bout en bout, que nous écartons car elle serait très coûteuse. La deuxième est en effet la route pakistanaise, avec deux passages possibles. La troisième est lévacuation par voie ferrée par le Nord à travers lOuzbékistan ou le Tadjikistan. La FIAS a engagé une négociation avec les pays voisins, qui souhaitent la stabilisation de lAfghanistan et craignent larrivée dislamistes au pouvoir à Kaboul, et dont la coopération sera indispensable pour lorganisation du retrait des moyens matériels considérables concentrés par la Coalition.
Jen viens à la préoccupation, exprimée de deux manières différentes, par MM. Lecoq et Glavany, sur la réalité de la République dAfghanistan. La situation est paradoxale. Je le pense sincèrement et les rapports, militaires comme diplomatiques, en attestent : un sentiment national afghan est en train de refaire surface. En réalité, il a toujours existé, en dépit de lextrême diversité du pays. Les Anglais en ont fait les frais par le passé, les soviétiques également. LAfghanistan na certes que peu à voir avec un pays fortement centralisé comme le nôtre, héritage de la monarchie capétienne puis de la République. Mais la convoitise de ses puissants voisins, couplée à lexistence dune monarchie, y a conduit, en dépit du fonctionnement tribal, de lextrême parcellisation géographique et des diversités ethniques, à forger un sentiment national qui se fait de nouveau jour et que lon perçoit dans larmée nationale afghane. Celle-ci est en effet composée à 44 % de Pachtounes, 25 % de Tadjiks, 8 % dOuzbeks et 10 % dHazaras, qui combattent aujourdhui côte à côte et reflètent assez fidèlement la composition ethnique du pays.
La même observation vaut dailleurs pour la police nationale afghane (ANP). Je dois ici préciser quelle joue davantage un rôle de gendarmerie que de police à proprement parler. Quelque 180 gendarmes français forment les policiers afghans à conduire des opérations civilo-militaires, par exemple à effectuer des contrôles parmi la population dans le respect des personnes, ou bien encore à mener des procédures judiciaires dans le but détablir la vérité. Cest là un métier différent de celui des armes. Si larmée vise à détruire un adversaire, la gendarmerie vise, elle, à protéger la population.
Que se passera-t-il après 2014 ? Indépendamment des décisions de la coalition, qui ne sont pas encore connues, la France a décidé de signer un traité de coopération qui permettra de garder sur place quatre à cinq cents militaires pour former des soldats et des policiers investis de missions de gendarmerie. Une armée nationale est en train démerger dont, en dépit des différences culturelles que la population peut avoir avec les troupes de la coalition, la cohésion naît de lopposition aux éléments inféodés à des forces extérieures. Il existe, comme le prouve le lieu de négociation ouvert par les talibans à Doha, une demande de débat politique afghano-afghan, y compris avec les talibans, dès lors que ceux-ci sont indépendants de pouvoirs extérieurs. Enfin, et cest peut-être le plus important, les grandes puissances ont intérêt à ce que lAfghanistan soit protégé de voisins trop envahissants et que la situation soit consolidée par des traités de coopération. La France en a signé un, lItalie également. LAustralie, qui est plus important contributeur à la coalition hors pays de lOTAN, est en passe den conclure un elle aussi. Les Afghans savent quils pourront après 2014 compter sur des partenaires. On nest pas du tout dans la situation de 1989, lors du départ des soviétiques, venus proprio motu et dont la présence nétait désirée par personne. Les Taliban nont à lépoque pris le pouvoir que lorsque larmée gouvernementale na plus eu les moyens de payer ses soldats, lesquels ont alors cherché un autre employeur - si je puis mexprimer ainsi. Une coopération de long terme en matière de formation et dencadrement, mais aussi financière, est le meilleur moyen de garantir durablement la sécurité. Comme on la vu lors des conférences dIstanbul et de Bonn, les grands voisins de lAfghanistan, qui ont parfois été ses adversaires par le passé, ne remettent plus en question lindépendance de ce pays.
Nous sommes aujourdhui dans une phase de transition, où nous passons le relais à larmée nationale afghane. Dans les secteurs dont elle a la responsabilité, cette armée na pas failli et elle ne faillira pas si elle a lassurance dêtre durablement soutenue. Ceux qui ont choisi de sengager dans ses rangs sont quinze fois plus nombreux que les Taliban : cela ne laisse aucun doute sur le choix de la population afghane.
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Q - (À propos des Taliban et de lengagement militaire en Afghanistan et de la relation de la France avec ses alliés)
R - M. Juppé - M. Desallangre demande ce quest un «taliban modéré». Une question semblable peut se poser de manière plus large pour lensemble des printemps arabes. Jai déjà eu loccasion de mexpliquer sur ce point. Notre position est claire : nous sommes disposés à nous associer à un processus de réconciliation nationale avec les partenaires qui le souhaitent, à condition quils sengagent à rompre tout lien avec le terrorisme, à renoncer à la violence et à respecter la Constitution afghane, notamment en matière de libertés fondamentales et de respect des droits de lHomme.
Pourquoi ne pas quitter lAfghanistan dès aujourdhui ? Partir en bon ordre na rien à voir avec prendre la poudre descampette, ce qui serait déshonorant pour nos soldats et la coalition tout entière.
Nous ne laisserons pas tomber lAfghanistan après 2014, les pays de la coalition en ont pris lengagement. Tout dabord, une présence militaire, non combattante mais de formation, sera maintenue. Ensuite, laide au développement sera poursuivie. La France a déjà signé un traité damitié et de coopération, dautres pays vont nous emboîter le pas. Leffort multilatéral sera également renforcé avec une augmentation de plus de 40 % de laide. Cest dans cette voie que lon poursuivra, sans précipitation mais avec détermination.
Faut-il accélérer le processus politique ? Bien sûr. Louverture par les talibans dun bureau à Doha est un premier pas. Il faut maintenant quils acceptent de se mettre autour de la table. Ils posent pour linstant certaines conditions qui ne sont pas acceptables, relatives notamment à la libération de criminels de guerre et de prisonniers.
Nous navons pas à rougir de ce que nous avons fait en Afghanistan depuis dix ans. Tous ceux qui sy sont rendus peuvent en témoigner. La population afghane en est dailleurs parfaitement consciente. Mais cest vrai, Monsieur Boucheron, une erreur a peut-être été commise en 2001 lorsque M. Chirac et M. Jospin ont décidé dengager la France en Afghanistan, sans que lhorizon auquel boucler lopération nait été préalablement fixé. Cest peut-être là la faiblesse originelle de notre intervention. À lavenir, le président de la République en a le souci, nous ne devrons plus nous engager dans ce type dopérations pour une période indéterminée. Cest un simple constat. Est-il vrai ou non que lengagement de la France en 2001 a fait lobjet dune décision conjointe ?
R - M. Longuet - Monsieur Dufau, les forces armées ninterviennent jamais que sur décision politique. Cest en application dune résolution des Nations unies que nous avons engagé lopération Licorne en Côte dIvoire. Et cest de même parce que le ministre dÉtat est parvenu le 26 février 2011 aux Nations unies à faire voter la résolution 1970 qua pu être lancée lopération Harmattan en Libye. La solution militaire ne fait jamais quappuyer une volonté politique, elle ne saurait sy substituer. Lusage de la force nest jamais une fin en soi.
Cest dailleurs aussi parce quil existe une volonté politique en ce sens, Monsieur Marty, que nous nabandonnerons pas larmée afghane. Si nous sommes engagés à ses côtés, cest que nous sommes mandatés pour faire émerger un État de droit dans ce pays, véritable projet politique qui perdurera bien au-delà de 2014. Lorsquon demande à des hommes - et à des femmes, Madame Bourragué - de sengager dans une armée, on a le devoir dassurer un suivi. On ne peut du jour au lendemain les laisser se débrouiller seuls. Le traité damitié et de coopération qui a été signé avec lAfghanistan et qui comporte un important volet formation est particulièrement bien perçu par nos soldats, qui mesurent ainsi mieux combien leur action sinscrit dans une perspective de long terme. Je précise à lintention de Mme Bourragué que la police afghane compte des femmes dans ses rangs et que le Parlement afghan compte 30 % de femmes, preuve que celles-ci ont bien été réintégrées dans la vie publique, comme dailleurs en de nombreux autres domaines, comme lhôpital et lécole, ce dont il faut se réjouir. Le meilleur investissement que puisse faire un pays pour son développement futur réside dans lalphabétisation des femmes.
Q - (À propos de lengagement de la France en Afghanistan, de la relation de la France avec ses alliés)
R - M. Juppé - Monsieur Kucheida, je redis simplement que le 12 septembre 2001, M. Chirac et M. Jospin ont pris ensemble la décision dintervenir en Afghanistan. Jai en mains une interview de M. Jospin en septembre 2011 où à la question «Avec le recul, regrettez-vous cette initiative, qui a ouvert la voie à la légitimation internationale de la guerre en Afghanistan ?», il répondait «Non, cette décision simposait». Je ne fais que rappeler les faits et ne comprends pas que cela puisse déclencher de polémique. Lintervention en Afghanistan a été engagée, dans la plus stricte neutralité politique, le chef de lÉtat, chef des armées, et le chef du gouvernement sétant tous deux impliqués.
Monsieur Giacobbi, nous entretenons bien sûr avec lInde un dialogue et un partenariat stratégique. Ce grand pays doit lui aussi sengager pour la sécurité collective dans cette région du monde.
Monsieur Garrigue, vous avez tout à fait raison de rappeler la question pakistanaise, je lai moi-même évoquée.
Sagissant de la durée des opérations, je le redis, il faudra à lavenir veiller à définir un calendrier dès le départ, avant même de nous lancer. Pour ce qui est de lAfghanistan, ce calendrier est fixé depuis le Sommet de Lisbonne de 2010. Il est respecté. Le retrait de nos troupes est engagé et dici à la fin de 2013, lensemble de nos forces combattantes aura regagné le territoire national.
R - M. Longuet - Monsieur Grall, la voix de la France est entendue et respectée. Cest une fierté que de représenter notre pays après que nos armées sont intervenues pour faire appliquer des résolutions du Conseil de sécurité, dont le vote a été obtenu par le ministre dÉtat, ministre des Affaires étrangères.
Monsieur Fromion, il faudra maintenir en Afghanistan des appuis aériens, des appuis-feu, des moyens dinformation. Les États-Unis sont décidés à le faire. Nous, nous interviendrons en matière de coopération et de formation. À cet instant, il nest pas prévu de maintenir après 2014 dappuis de larmée française aux forces combattantes afghanes.
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Monsieur Kucheida, je vous communiquerai tous éléments dinformation sur le nombre des blessés. Vous avez raison, même quand ils ont bénéficié des meilleurs soins, les soldats blessés voient leur vie bouleversée. Nous leur devons reconnaissance et considération. La solidarité qui existe au sein des corps, couplée à celle de leurs familles, a heureusement permis que de nombreux blessés, y compris des amputés, puissent occuper dautres fonctions au sein des unités.
Monsieur Garrigue, vous avez raison, la situation en Afghanistan est très compliquée. Il est impossible den traiter tous les aspects dans le temps bref qui nous est imparti.
Monsieur Ferrand, nous constatons depuis deux semaines que les autorités afghanes mettent en uvre, unité après unité, les conseils que nous leur prodiguons, en tout cas dans les secteurs dont nous avons la responsabilité. Un chef de bataillon a ainsi récemment fait saisir tous les téléphones portables des membres de son unité, afin quils ne puissent servir doutils dinformation.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 février 2012
Lengagement de la France et de ses partenaires a depuis lorigine deux objectifs, qui sont intimement liés : combattre le foyer terroriste quAl Qaïda sétait constitué en Afghanistan à la faveur du règne des talibans, et recréer les conditions de sécurité nécessaires pour permettre aux Afghans de vivre en paix et de se consacrer pleinement au développement de leur pays. La mort dOussama Ben Laden en 2011 a illustré les progrès de la lutte contre le terrorisme dAl Qaïda.
La mission nest cependant pas terminée. Un nouveau chapitre a été ouvert : celui du retrait progressif et ordonné des forces de la coalition, décidé lors du Sommet de lAlliance atlantique qui sest tenu à Lisbonne en novembre 2010. Nous avons défini, avec nos partenaires et alliés, une stratégie de transfert graduel des responsabilités de sécurité aux autorités afghanes. La montée en puissance des forces afghanes doit leur permettre dassurer seules la sécurité de lAfghanistan, notamment dans la perspective des élections présidentielles de 2014 : nul pays ne saurait dépendre durablement des forces étrangères pour sa sécurité, et nous navons pas vocation à assumer indéfiniment des responsabilités de sécurité en Afghanistan.
Cest une juste cause que servent nos soldats, avec un professionnalisme et un courage que nous saluons tous.
Nous voulons offrir aux Afghans et aux Afghanes un avenir, et empêcher le retour sur cette terre de menaces qui concernent aussi lensemble de nos sociétés. Nous voulons un retrait ordonné, pas une retraite précipitée qui ne serait ni à la hauteur de nos responsabilités, ni à lhonneur de nos forces armées.
Dans la mise en uvre de cette stratégie adoptée lors du Sommet de Lisbonne, le président de la République et le gouvernement ont pris les mesures nécessaires pour renforcer la sécurité de nos soldats et réussir le transfert des responsabilités aux forces afghanes. Je ne peux manquer de massocier à lémotion qua suscitée, le 20 janvier dernier, la mort de quatre de nos soldats, assassinés par un Taliban infiltré. Ce drame a révélé le risque, jusquici sous-évalué par la coalition internationale, que représente linfiltration de Taliban dans les rangs de larmée afghane. Même si ces actes isolés ne doivent pas conduire à douter de lintégrité de lensemble de larmée afghane, nous ne pouvons accepter que nos hommes soient tués par des soldats quils sont venus former et soutenir dans le combat au service du peuple afghan.
Les forces afghanes sont rapidement montées en puissance. Elles comptent aujourdhui 330.000 policiers et militaires à léchelle du pays ; plus de 110.000 Afghans ont déjà été formés par la mission de formation de la Force internationale dassistance à la sécurité (FIAS). Les deux premières tranches de la transition ont été engagées : les zones en cours de transfert représentent déjà plus de la moitié de la population. La troisième, qui sera annoncée au printemps, fera passer cette proportion à 80 %. Sagissant des zones sous notre responsabilité, le district de Surobi a déjà commencé sa transition ; et lors de sa visite en France le 27 janvier, le président Karzaï a confirmé que la province de Kapisa serait appelée à le faire au printemps.
Le président de la République en a tiré toutes les conséquences dans les décisions annoncées le 27 janvier.
Afin de répondre à la menace que représente linfiltration de Taliban dans larmée afghane, les conditions dexécution de la mission de formation seront révisées - le ministre de la Défense y reviendra - pour renforcer la sécurité de nos troupes.
La France poursuit par ailleurs la transition et le transfert graduel des responsabilités de combat. Le ministre de la Défense vous détaillera la programmation de ce retrait des troupes combattantes dici à la fin 2013. Le processus a commencé : 400 de nos soldats sont déjà rentrés en France, et dici la fin de lannée, 1.000 autres quitteront lAfghanistan.
Enfin, la France a proposé à ses alliés de lOTAN de lancer une réflexion sur les différents aspects de la transition - comment accélérer la responsabilisation des forces afghanes avec une prise en charge totale des missions de combat de la FIAS par larmée afghane dès la fin de 2013 ? Comment sécuriser les troupes de la coalition face au risque dinfiltration par des talibans ? Comment sengager sur le long terme aux côtés de lAfghanistan pour la formation de ses forces ? Le ministre de la Défense, qui participait à la réunion ministérielle de lOTAN il y a quelques jours, vous donnera tous éclaircissements sur ces points.
Je voudrais maintenant évoquer avec vous le cadre politique de notre stratégie. Cette politique repose sur trois piliers.
Le premier est celui de laide à la reconstruction et au développement du pays. Nous y avons déjà largement contribué, mais nous montrons la voie dans ce domaine, avec le Traité damitié et de coopération signé par les présidents français et afghan le 27 janvier. Ce traité couvre une période de vingt ans, avec un premier plan daction de cinq ans. Conformément à lengagement pris par le président de la République à Kaboul en juillet dernier, il se concrétisera par une augmentation importante de notre engagement civil. Nos projets sont concentrés dans les domaines de la santé, de léducation, de la culture, de lagriculture, des ressources minières et des infrastructures. Mme Françoise Hostalier a dores et déjà sensibilisé les entreprises françaises et identifié les domaines dans lesquels elles pourraient intervenir.
Comme le président Karzaï la souligné lors de sa venue à Paris, il sagit du premier traité signé par lAfghanistan avec un pays extérieur à la région. Il sera sans doute suivi dautres partenariats bilatéraux et multilatéraux, notamment avec lUnion européenne et lOTAN. Cette dernière avait en effet clairement indiqué à Lisbonne que la coalition resterait engagée dans la formation et le développement du pays au-delà de 2014. Notre objectif est de mobiliser lensemble de la communauté internationale. La conférence qui sest tenue à Bonn le 5 décembre dernier a réaffirmé cet engagement, et une nouvelle conférence sur le développement économique de lAfghanistan aura lieu à Tokyo en juillet.
Le deuxième pilier de notre politique est la recherche dune solution politique, avec lencouragement au processus de réconciliation inter-afghane, ouvert aux insurgés prêts à rompre tout lien avec Al Qaïda et le terrorisme international, à renoncer à la violence et à respecter la Constitution afghane. Ce processus est engagé, mais reste fragile. Louverture annoncée dun bureau des Taliban au Qatar devrait aider au lancement de négociations visant à mettre un terme au conflit inter-afghan. Ce processus nen est pour linstant quà ses prémisses. Nous appuyons ces efforts, encourageons le dialogue et insistons plus particulièrement sur la nécessité dun processus inclusif, dirigé par les autorités afghanes et associant lensemble des composantes de la société afghane. Nous avons ainsi organisé à Paris, en novembre, un colloque associant ces différents acteurs pour favoriser leur dialogue sur les perspectives à long terme de lAfghanistan.
Le troisième pilier consiste à promouvoir une approche régionale dans le domaine de la sécurité et dans le domaine économique. Lattitude des États de la région, tout particulièrement du Pakistan, est un facteur essentiel, qui a une influence majeure sur la situation intérieure de lAfghanistan. Une dynamique régionale a été lancée sur les questions de sécurité lors de la Conférence dIstanbul du 2 novembre. La France a avancé lidée dune zone de sécurité collective autour de lAfghanistan, et les États de la région ont pris des engagements - notamment de non-ingérence dans les affaires intérieures de lAfghanistan. Le rôle du Pakistan est évidemment central. Ce pays entretient avec lAfghanistan des liens complexes. Il redoute un Afghanistan sous influence indienne. Des liens forts existent par ailleurs entre les talibans et lISI, le service de renseignement pakistanais. La relation entre le Pakistan et les États-Unis est aujourdhui très tendue - survol du territoire pakistanais par des drones, bombardement américain du poste-frontière le 25 novembre, évocation de liens entre lISI et des mouvements terroristes. Le Pakistan conserve néanmoins un rôle central aux yeux des Américains, tant sur le plan logistique que sur le plan politique et militaire. Sa situation interne est par ailleurs difficile : la Cour suprême vient de lancer une nouvelle offensive contre le président Zardari et le Premier ministre Gilani, et la situation économique et sociale est profondément dégradée. Nous essayons de développer un dialogue politique et de sécurité. Nous avions lidée dun accord de sécurité, qui pour linstant na pas abouti ; nous souhaitons associer le Pakistan à la construction dun système de sécurité collective, et nous appuyons également le dialogue entre lInde et le Pakistan et entre lAfghanistan et le Pakistan, avec des résultats contrastés.
Nous veillons au suivi du processus sur la sécurité collective et la coopération régionale lancé à Istanbul. Lobjectif est dobtenir, comme lattendent les Afghans et conformément à nos propositions, des engagements concrets et contraignants afin de développer une sécurité collective dans cette zone. Cest un vaste programme.
Laction que nous poursuivons en Afghanistan nest possible que grâce à lengagement total, au courage et à la conviction que nos soldats apportent à laccomplissement de la mission qui leur a été confiée dans cette délicate période de transition. Je tiens donc une nouvelle fois à saluer leur engagement.
M. Longuet - Dans sa configuration actuelle, la présence militaire française en Afghanistan remonte au début de lannée 2006. La Conférence de Londres avait alors conduit à renforcer de manière significative la force internationale pour assurer la protection de lÉtat afghan, mais surtout à concevoir une politique de moyen terme tendant à passer le relais à larmée nationale afghane.
Le dispositif français a évolué à partir de cette date. Nous avions la responsabilité de la province de Kaboul ; nous lavons assumée pendant un an, avant de la transmettre aux autorités afghanes, relayées par le contingent turc. Depuis 2008, nous avons la responsabilité dun district de la province de Kaboul, le district de Surobi, et de la province de Kapisa. Dune superficie de 1 500 kilomètres carrés pour plus de 450.000 habitants, cette dernière est une région extrêmement sensible. La vallée de la Kapisa permet en effet de contourner lagglomération de Kaboul pour se diriger vers le nord de lAfghanistan lorsquon vient du Pakistan. Cest donc un secteur stratégique. Beaucoup dentre vous connaissent ce paysage montagneux et désertique, semé dans le fond des vallées doasis à la végétation très dense durant sept à huit mois de lannée. Les conditions de combat y sont donc extrêmement difficiles pour nos soldats, et donnent un avantage au terroriste qui frappe avant de se fondre dans la population locale.
Soutenue par une montée en puissance progressive, significative et somme toute rassurante de larmée nationale afghane, larmée française a pu assurer la sécurité totale dans lensemble du district de Surobi, qui a été présenté à la transition et dont la responsabilité incombe depuis lautomne 2011 aux seules forces afghanes.
Lessentiel de notre effort se concentre donc sur la province de Kapisa, dont deux des cinq districts - le district de Tagab et celui dAlasay - présentent assurément des problèmes de sécurité. Notre objectif consiste à ce que larmée nationale afghane prenne le relais. Lévolution la plus importante est la montée en puissance de sa troisième brigade, commandée par un Ouzbek, le général Nazar, qui a su quadrupler ses effectifs en trois ans et assurer une bonne formation et une bonne coordination de lintervention de ses bataillons avec les unités françaises. Depuis lété 2011 et après les moments difficiles que vous avez tous en mémoire, larmée nationale afghane est, sur les cinq districts de la province de Kapisa, en situation de combattre en première ligne - avec le soutien de larmée française - en organisant ses propres opérations. Notre soutien porte essentiellement sur quatre points : les appuis-feu, terrestres ou aériens ; lévacuation sanitaire ; le soutien aux états-majors, car la manuvre dunités importantes nest pas un savoir-faire inné, et larmée nationale afghane commence seulement à le maîtriser - je parle de la troisième brigade et des manuvres au niveau du bataillon, lobjectif étant de pouvoir faire manuvrer la brigade ; lintervention rapide, enfin, cest-à-dire la capacité à intervenir en force pour dégager une unité afghane en situation difficile.
Depuis le mois daoût, larmée nationale afghane est donc en mesure de tenir ses positions. Il en va de même dans les territoires des deux premières tranches soumises à la transition, qui représentent aujourdhui 50 % de la population afghane. Un indicateur est à cet égard particulièrement intéressant : les forces de réaction rapide de la coalition nont pas été mobilisées au service de larmée nationale afghane sur ces territoires. On note également une baisse de plus de 11 % du nombre des accrochages entre les forces de la coalition - au sens large - et les insurgés. Il est toujours cruel dutiliser les statistiques de décès, mais il reste que le nombre des décès au combat dans la coalition a été très inférieur en 2011 à ce quil avait été en 2010. Ce nest, hélas, pas le cas dans le secteur français de la Kapisa, où lannée 2011 -marquée par le passage de la responsabilité française à la responsabilité afghane - a été extrêmement difficile. Depuis le mois daoût, nous avons eu à déplorer un mort au combat, et six décès par tirs dinfiltrés - quatre dans les conditions que vous connaissez le 20 janvier dernier, et deux en décembre.
Jai évoqué le problème à loccasion dun déplacement à Kaboul avec le chef détat-major. Il a été traité, dès les 23 et 24 janvier, par les mesures dont a parlé le ministre dÉtat. Elles ont dabord consisté à demander à larmée nationale afghane de travailler avec le service de sécurité de la défense. Ce nétait pas le cas jusquà présent : pour des raisons culturelles et historiques, larmée se méfiait du service de renseignement afghan, le National directorate of security (NDS), héritage de la période russe. Nous avons obtenu la mise en uvre effective dun décret pris il y a plus dun an par le gouvernement afghan, qui permet au NDS dintervenir dans les bataillons.
Nous avons également obtenu que les officiers et sous-officiers que nous formons à Kaboul, dans le Wardak ou dans notre centre de formation de Mazar-e-Shariff soient affectés en priorité aux unités de la troisième brigade, afin davoir le plus souvent possible à nos côtés des bataillons afghans encadrés par des officiers et des sous-officiers que nous avons nous-mêmes formés. Jai enfin obtenu que les services de la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) soient «binômés» avec les responsables des unités afghanes qui combattent avec nous. Ces mesures de riposte immédiate ont été mises en uvre sur le théâtre dopérations géré par la troisième brigade, elle-même placée sous lautorité du 201ème corps darmée engagé dans le secteur le plus difficile, à savoir entre Kaboul et la frontière pakistanaise, à la limite des populations pachtounes au sud et tadjikes au nord. La sensibilité de la Kapisa tient notamment à sa situation de frontière ethnique entre les deux principales populations afghanes.
Lors des récentes réunions à Bruxelles des ministres de la Défense de lOTAN et des représentants des États contribuant à la FIAS, jai obtenu que le commandement allié place la sécurité interne au premier rang de ses préoccupations. Compte tenu du taux dévaporation des effectifs dans larmée nationale afghane, estimé à 20 % en moyenne nationale, la montée en puissance de cette armée se traduit depuis quelques mois par des recrutements spectaculaires - 5.000 hommes par mois, avec des pointes à 8.000 -, mais qui méritent dêtre mieux contrôlés car leur ampleur empêche un suivi méthodique des recrues. Les ministres de la coalition ont donc demandé au général Allen et au ministre afghan de la Défense, le général Wardak, de maîtriser cette évolution. Dans la perspective de la définition du format de la future armée nationale afghane au sommet de lOTAN qui se tiendra à Chicago le 20 mai prochain, il convient dautre part de se demander si la montée en puissance des effectifs totaux jusquà 352.000 est pertinente, sachant que le format définitif et durable des forces nationales de sécurité afghanes - armée et forces de police - sera nettement inférieur. Le premier objectif est donc de ralentir le recrutement et den assurer la qualité, en mettant en place - ce qui est techniquement possible - un suivi individuel des recrues et de leur parcours. Tel est le mandat qui a été donné par la coalition à son chef détat-major, qui a les moyens de le mettre en uvre.
Lobjectif pour la France est de concentrer cet effort sur le territoire dont elle a la charge. Le président Karzaï a confirmé au président de la République le 27 janvier quune troisième tranche de transition serait annoncée le 31 mars prochain et devrait être opérationnelle à compter du 1er juillet. La totalité de la province de la Kapisa sera présentée à la transition. Nos soldats y maintiendront leur fonction de support jusquà la fin de lannée 2013. Cette fonction ne les place plus en position de responsables du combat, même sils peuvent être conduits à exercer lautodéfense ou à participer à la force de réaction rapide en soutien.
En août 2011, nous avions environ 2.800 combattants de la task force La Fayette sur le district de Surobi et la province de la Kapisa. Quatre cents au total ont été retirés en octobre et en décembre. Le président de la République a décidé le retrait de 1.000 combattants supplémentaires pour lannée 2012. Il en restera donc 1.400. Il est évidemment impensable de «garder le plus dur pour la fin», à savoir de renvoyer le transfert de responsabilité à larmée nationale afghane à la fin 2014 ou, pour chaque phase de transition, à la fin de cette dernière.
La transition doit mettre le plus rapidement possible larmée nationale afghane en situation de responsabilité effective dans les territoires, les forces françaises - dans le cas de la Kapisa - demeurant en soutien tout au long de lannée 2012 et jusquà la fin 2013, à effectifs réduits à partir du deuxième semestre 2013. Le mouvement de transition a déjà commencé. Si nous avons gardé nos trois grandes bases opérationnelles avancées (en anglais forward operating base, ou FOB) de Nijrab, Tagab et Surobi, nous avons transmis à larmée nationale afghane six postes extérieurs de combat (en anglais combat outpost, ou COP), unités plus réduites qui comportent en moyenne 20 % de soldats français en mission doperational mentoring and liaison team (OMLT) et dentraînement ainsi quune centaine de combattants afghans.
Nous avons transféré des positions, en conservant celles qui sont stratégiquement indispensables pour protéger nos trois principales bases. Larmée nationale afghane assume aujourdhui la responsabilité de douze des seize FOB et COP du secteur dont nous avons la charge. La transition est donc bien engagée, et elle fonctionne. Cest là un aspect important, que jai évoqué en conclusion de la réunion de Bruxelles : cette transition voulue et acceptée par lensemble des forces de la coalition ne doit pas donner lieu à une surenchère - course de vitesse ou, au contraire, présence indéfinie. Elle doit être commandée par les réalités du terrain. Or, la réalité du terrain en Kapisa permet aujourdhui ce transfert à larmée nationale afghane. Je souhaite quil en soit de même dans les secteurs gérés par les autres forces de la coalition.
Après les États-Unis, qui avaient encore 90.000 soldats en Afghanistan au 31 décembre 2011, la Grande-Bretagne, avec 9.500, et lAllemagne - en charge du secteur nord, à population ouzbèke et tadjike, qui ne pose pas les mêmes problèmes que le nôtre - avec 4.800, la France, avec 3.900 soldats, est le quatrième contributeur étranger à la coalition, à égalité avec lItalie. Près de 1.200 de ces 3.900 soldats sont affectés à Kaboul et sa région à des missions de formation ou encore de logistique et de soutien sans lesquelles une armée ne peut combattre.
La position française est une position de bon sens. La transition sera totalement achevée à la fin de 2014 ; mais pour garantir son succès, il faut mettre larmée nationale afghane en situation de responsabilité de combat principale pour lété 2013, comme lont envisagé les États-Unis. Cette décision sera évoquée au sommet de Chicago de mai, qui sinscrit dans la ligne des grandes réunions de Londres, de Bucarest et de Lisbonne qui ont rythmé la vie de la coalition, dont nous sommes un partenaire important, mais non le partenaire principal.
Q - (À propos de lIran, de la relation des soldats français avec la population afghan, de la lutte contre la corruption et le trafic de drogue)
R - M. Juppé - Vous avez raison, Madame Hostalier, dévoquer le rôle de lIran. Cest une puissance régionale déterminante pour lavenir de lAfghanistan. Vous connaissez les difficultés que nous rencontrons actuellement avec lIran. Lorsque nous avons lancé lidée dun dispositif de sécurité collective autour de lAfghanistan, notre objectif était dassocier les pays voisins, dont lIran, à ce processus. Ce ne sera pas facile.
Vous évoquez un risque «dirakisation». Pour ma part, je ne dirai pas quen 2014, après le retrait de nos troupes combattantes, lAfghanistan deviendra un pays tranquille et prospère. Je mesure parfaitement les risques de déstabilisation. Mais je me refuse à toute prospective risquant dêtre caricaturale sur lévolution du pays. Il appartiendra aux Afghans de construire leur pays après laide que nous leur avons apportée.
Monsieur Glavany, je ne crois pas que la population afghane éprouve de sentiment de rejet vis-à-vis de larmée française. Depuis 2002, nous avons beaucoup fait au profit des Afghans : nous avons construit des écoles, des hôpitaux, des routes, et une large partie de la population en a pleinement conscience. On ne peut pas dire en tout cas quelle serait plus enthousiaste à légard des talibans quà légard des troupes de la FIAS.
Nous aurions, selon vous, un train de retard. Dautres nous reprochent davoir un train davance. Jy vois la preuve que nous devons être sur la bonne ligne, à savoir en parfaite cohérence avec les décisions prises collectivement. Lidée de passer progressivement le relais aux troupes afghanes pour quelles assurent à terme seules la sécurité de leur pays, est une décision collective, qui a été prise dun commun accord. Le retrait a commencé, il se poursuivra en 2012 et 2013.
Que la corruption ne soit pas absente dAfghanistan est clair. Mais si nous devions cesser dêtre présents partout où sévit de la corruption, il est à craindre que nous ne soyons cantonnés à lHexagone, du moins à lUnion européenne.
Nous ne cessons dencourager les autorités afghanes à lutter contre la corruption et le trafic de drogue. Mais nous ne pourrons pas, au-delà de 2014, nous substituer aux Afghans et au gouvernement quils auront choisi.
Monsieur Vitel, décision a été prise à la conférence de Bonn de prolonger jusquen 2014 la mission dEuropol. Les Vingt-Sept travaillent à définir de manière plus précise le mandat de cette force et à revoir son organisation interne dans le cadre de la prolongation de son mandat.
Je ne crois pas que lon puisse dire que le peuple afghan se mobilise aujourdhui pour se libérer dune occupation étrangère. Il a subi la tyrannie des Taliban qui interdisaient, ne loublions pas, quon scolarise les filles ou bien encore quon écoute de la musique. Il a vécu sous leur chape de plomb rétrograde. Cest aussi de cela que nous aidons les Afghans à se libérer. Je ne partage donc pas totalement lavis de M. Boucheron lorsquil dit que le seul but de notre intervention en Afghanistan était déradiquer Al Qaïda. Cétait bien sûr lun de nos objectifs et notre intérêt bien compris car ce foyer terroriste nous menaçait directement - il suffit de voir aujourdhui comment Al Qaïda progresse au Maghreb. Mais nous sommes aussi intervenus pour aider le peuple afghan à se doter dune armée lui permettant déviter le risque de subir à nouveau ce quil a enduré au cours des décennies passées. Y avons-nous réussi ? LHistoire le dira.
Je laisse le ministre de la Défense répondre à M. Myard sur lorganisation du retrait de nos troupes.
R - M. Longuet - Le retrait des troupes françaises dAfghanistan sera complexe sur le plan logistique. Nous y avons en effet 1 200 véhicules, dont plus de 500 blindés - ce qui représente entre 1 500 et 1 800 conteneurs. Il existe trois solutions. La première serait une évacuation aérienne de bout en bout, que nous écartons car elle serait très coûteuse. La deuxième est en effet la route pakistanaise, avec deux passages possibles. La troisième est lévacuation par voie ferrée par le Nord à travers lOuzbékistan ou le Tadjikistan. La FIAS a engagé une négociation avec les pays voisins, qui souhaitent la stabilisation de lAfghanistan et craignent larrivée dislamistes au pouvoir à Kaboul, et dont la coopération sera indispensable pour lorganisation du retrait des moyens matériels considérables concentrés par la Coalition.
Jen viens à la préoccupation, exprimée de deux manières différentes, par MM. Lecoq et Glavany, sur la réalité de la République dAfghanistan. La situation est paradoxale. Je le pense sincèrement et les rapports, militaires comme diplomatiques, en attestent : un sentiment national afghan est en train de refaire surface. En réalité, il a toujours existé, en dépit de lextrême diversité du pays. Les Anglais en ont fait les frais par le passé, les soviétiques également. LAfghanistan na certes que peu à voir avec un pays fortement centralisé comme le nôtre, héritage de la monarchie capétienne puis de la République. Mais la convoitise de ses puissants voisins, couplée à lexistence dune monarchie, y a conduit, en dépit du fonctionnement tribal, de lextrême parcellisation géographique et des diversités ethniques, à forger un sentiment national qui se fait de nouveau jour et que lon perçoit dans larmée nationale afghane. Celle-ci est en effet composée à 44 % de Pachtounes, 25 % de Tadjiks, 8 % dOuzbeks et 10 % dHazaras, qui combattent aujourdhui côte à côte et reflètent assez fidèlement la composition ethnique du pays.
La même observation vaut dailleurs pour la police nationale afghane (ANP). Je dois ici préciser quelle joue davantage un rôle de gendarmerie que de police à proprement parler. Quelque 180 gendarmes français forment les policiers afghans à conduire des opérations civilo-militaires, par exemple à effectuer des contrôles parmi la population dans le respect des personnes, ou bien encore à mener des procédures judiciaires dans le but détablir la vérité. Cest là un métier différent de celui des armes. Si larmée vise à détruire un adversaire, la gendarmerie vise, elle, à protéger la population.
Que se passera-t-il après 2014 ? Indépendamment des décisions de la coalition, qui ne sont pas encore connues, la France a décidé de signer un traité de coopération qui permettra de garder sur place quatre à cinq cents militaires pour former des soldats et des policiers investis de missions de gendarmerie. Une armée nationale est en train démerger dont, en dépit des différences culturelles que la population peut avoir avec les troupes de la coalition, la cohésion naît de lopposition aux éléments inféodés à des forces extérieures. Il existe, comme le prouve le lieu de négociation ouvert par les talibans à Doha, une demande de débat politique afghano-afghan, y compris avec les talibans, dès lors que ceux-ci sont indépendants de pouvoirs extérieurs. Enfin, et cest peut-être le plus important, les grandes puissances ont intérêt à ce que lAfghanistan soit protégé de voisins trop envahissants et que la situation soit consolidée par des traités de coopération. La France en a signé un, lItalie également. LAustralie, qui est plus important contributeur à la coalition hors pays de lOTAN, est en passe den conclure un elle aussi. Les Afghans savent quils pourront après 2014 compter sur des partenaires. On nest pas du tout dans la situation de 1989, lors du départ des soviétiques, venus proprio motu et dont la présence nétait désirée par personne. Les Taliban nont à lépoque pris le pouvoir que lorsque larmée gouvernementale na plus eu les moyens de payer ses soldats, lesquels ont alors cherché un autre employeur - si je puis mexprimer ainsi. Une coopération de long terme en matière de formation et dencadrement, mais aussi financière, est le meilleur moyen de garantir durablement la sécurité. Comme on la vu lors des conférences dIstanbul et de Bonn, les grands voisins de lAfghanistan, qui ont parfois été ses adversaires par le passé, ne remettent plus en question lindépendance de ce pays.
Nous sommes aujourdhui dans une phase de transition, où nous passons le relais à larmée nationale afghane. Dans les secteurs dont elle a la responsabilité, cette armée na pas failli et elle ne faillira pas si elle a lassurance dêtre durablement soutenue. Ceux qui ont choisi de sengager dans ses rangs sont quinze fois plus nombreux que les Taliban : cela ne laisse aucun doute sur le choix de la population afghane.
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Q - (À propos des Taliban et de lengagement militaire en Afghanistan et de la relation de la France avec ses alliés)
R - M. Juppé - M. Desallangre demande ce quest un «taliban modéré». Une question semblable peut se poser de manière plus large pour lensemble des printemps arabes. Jai déjà eu loccasion de mexpliquer sur ce point. Notre position est claire : nous sommes disposés à nous associer à un processus de réconciliation nationale avec les partenaires qui le souhaitent, à condition quils sengagent à rompre tout lien avec le terrorisme, à renoncer à la violence et à respecter la Constitution afghane, notamment en matière de libertés fondamentales et de respect des droits de lHomme.
Pourquoi ne pas quitter lAfghanistan dès aujourdhui ? Partir en bon ordre na rien à voir avec prendre la poudre descampette, ce qui serait déshonorant pour nos soldats et la coalition tout entière.
Nous ne laisserons pas tomber lAfghanistan après 2014, les pays de la coalition en ont pris lengagement. Tout dabord, une présence militaire, non combattante mais de formation, sera maintenue. Ensuite, laide au développement sera poursuivie. La France a déjà signé un traité damitié et de coopération, dautres pays vont nous emboîter le pas. Leffort multilatéral sera également renforcé avec une augmentation de plus de 40 % de laide. Cest dans cette voie que lon poursuivra, sans précipitation mais avec détermination.
Faut-il accélérer le processus politique ? Bien sûr. Louverture par les talibans dun bureau à Doha est un premier pas. Il faut maintenant quils acceptent de se mettre autour de la table. Ils posent pour linstant certaines conditions qui ne sont pas acceptables, relatives notamment à la libération de criminels de guerre et de prisonniers.
Nous navons pas à rougir de ce que nous avons fait en Afghanistan depuis dix ans. Tous ceux qui sy sont rendus peuvent en témoigner. La population afghane en est dailleurs parfaitement consciente. Mais cest vrai, Monsieur Boucheron, une erreur a peut-être été commise en 2001 lorsque M. Chirac et M. Jospin ont décidé dengager la France en Afghanistan, sans que lhorizon auquel boucler lopération nait été préalablement fixé. Cest peut-être là la faiblesse originelle de notre intervention. À lavenir, le président de la République en a le souci, nous ne devrons plus nous engager dans ce type dopérations pour une période indéterminée. Cest un simple constat. Est-il vrai ou non que lengagement de la France en 2001 a fait lobjet dune décision conjointe ?
R - M. Longuet - Monsieur Dufau, les forces armées ninterviennent jamais que sur décision politique. Cest en application dune résolution des Nations unies que nous avons engagé lopération Licorne en Côte dIvoire. Et cest de même parce que le ministre dÉtat est parvenu le 26 février 2011 aux Nations unies à faire voter la résolution 1970 qua pu être lancée lopération Harmattan en Libye. La solution militaire ne fait jamais quappuyer une volonté politique, elle ne saurait sy substituer. Lusage de la force nest jamais une fin en soi.
Cest dailleurs aussi parce quil existe une volonté politique en ce sens, Monsieur Marty, que nous nabandonnerons pas larmée afghane. Si nous sommes engagés à ses côtés, cest que nous sommes mandatés pour faire émerger un État de droit dans ce pays, véritable projet politique qui perdurera bien au-delà de 2014. Lorsquon demande à des hommes - et à des femmes, Madame Bourragué - de sengager dans une armée, on a le devoir dassurer un suivi. On ne peut du jour au lendemain les laisser se débrouiller seuls. Le traité damitié et de coopération qui a été signé avec lAfghanistan et qui comporte un important volet formation est particulièrement bien perçu par nos soldats, qui mesurent ainsi mieux combien leur action sinscrit dans une perspective de long terme. Je précise à lintention de Mme Bourragué que la police afghane compte des femmes dans ses rangs et que le Parlement afghan compte 30 % de femmes, preuve que celles-ci ont bien été réintégrées dans la vie publique, comme dailleurs en de nombreux autres domaines, comme lhôpital et lécole, ce dont il faut se réjouir. Le meilleur investissement que puisse faire un pays pour son développement futur réside dans lalphabétisation des femmes.
Q - (À propos de lengagement de la France en Afghanistan, de la relation de la France avec ses alliés)
R - M. Juppé - Monsieur Kucheida, je redis simplement que le 12 septembre 2001, M. Chirac et M. Jospin ont pris ensemble la décision dintervenir en Afghanistan. Jai en mains une interview de M. Jospin en septembre 2011 où à la question «Avec le recul, regrettez-vous cette initiative, qui a ouvert la voie à la légitimation internationale de la guerre en Afghanistan ?», il répondait «Non, cette décision simposait». Je ne fais que rappeler les faits et ne comprends pas que cela puisse déclencher de polémique. Lintervention en Afghanistan a été engagée, dans la plus stricte neutralité politique, le chef de lÉtat, chef des armées, et le chef du gouvernement sétant tous deux impliqués.
Monsieur Giacobbi, nous entretenons bien sûr avec lInde un dialogue et un partenariat stratégique. Ce grand pays doit lui aussi sengager pour la sécurité collective dans cette région du monde.
Monsieur Garrigue, vous avez tout à fait raison de rappeler la question pakistanaise, je lai moi-même évoquée.
Sagissant de la durée des opérations, je le redis, il faudra à lavenir veiller à définir un calendrier dès le départ, avant même de nous lancer. Pour ce qui est de lAfghanistan, ce calendrier est fixé depuis le Sommet de Lisbonne de 2010. Il est respecté. Le retrait de nos troupes est engagé et dici à la fin de 2013, lensemble de nos forces combattantes aura regagné le territoire national.
R - M. Longuet - Monsieur Grall, la voix de la France est entendue et respectée. Cest une fierté que de représenter notre pays après que nos armées sont intervenues pour faire appliquer des résolutions du Conseil de sécurité, dont le vote a été obtenu par le ministre dÉtat, ministre des Affaires étrangères.
Monsieur Fromion, il faudra maintenir en Afghanistan des appuis aériens, des appuis-feu, des moyens dinformation. Les États-Unis sont décidés à le faire. Nous, nous interviendrons en matière de coopération et de formation. À cet instant, il nest pas prévu de maintenir après 2014 dappuis de larmée française aux forces combattantes afghanes.
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Monsieur Kucheida, je vous communiquerai tous éléments dinformation sur le nombre des blessés. Vous avez raison, même quand ils ont bénéficié des meilleurs soins, les soldats blessés voient leur vie bouleversée. Nous leur devons reconnaissance et considération. La solidarité qui existe au sein des corps, couplée à celle de leurs familles, a heureusement permis que de nombreux blessés, y compris des amputés, puissent occuper dautres fonctions au sein des unités.
Monsieur Garrigue, vous avez raison, la situation en Afghanistan est très compliquée. Il est impossible den traiter tous les aspects dans le temps bref qui nous est imparti.
Monsieur Ferrand, nous constatons depuis deux semaines que les autorités afghanes mettent en uvre, unité après unité, les conseils que nous leur prodiguons, en tout cas dans les secteurs dont nous avons la responsabilité. Un chef de bataillon a ainsi récemment fait saisir tous les téléphones portables des membres de son unité, afin quils ne puissent servir doutils dinformation.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 février 2012