Entretien de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "France Info" le 15 février 2012, sur la poursuite de la répression et des massacres en Syrie et la pression exercée sur la Russie à l'ONU pour une sortie de crise en Syrie, et l'aide financière à la Grèce.

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Média : France Info

Texte intégral

Q - Alain Juppé, après la ville de Homs, c’est la ville de Hama, la quatrième ville de Syrie, qui a été bombardée. Cela s’est passé cette nuit. Combien de temps la communauté internationale va-t-elle continuer à laisser faire ?
R - Le temps que nous demeurerons paralysés au Conseil de sécurité par la Russie et par la Chine ; c’est très clair.
Q - Vous allez essayer de faire pression sur la Russie ?
R - Bien entendu, c’est ce que nous essayons de faire. Je vous rappelle que nous l’avons déjà fait à plusieurs reprises. Nous l’avons fait la semaine dernière ; j’étais moi-même au Conseil de sécurité pour essayer de convaincre les Russes et les Chinois. Nous nous y sommes tous mis, treize voix sur quinze, ce qui veut dire que le Conseil de sécurité était presque unanime et la Russie a opposé son veto, suivie par la Chine.
Nous continuons bien sûr en soutenant la seule initiative qui est aujourd’hui sur la table et qui peut permettre de sortir pacifiquement de la crise, celle de la Ligue arabe. Nous avons obtenu la concrétisation d’une idée qui a été lancée par le président de la République, la réunion d’un groupe des amis du peuple syrien. La Ligue arabe a saisi cette idée au bond et cette réunion aura lieu le 24 février à Tunis ; j’y serai naturellement.
L’idée est de mettre la pression maximum en réunissant le plus grand nombre de pays possible, sur la Russie d’un côté, et sur le régime de Bachar Al-Assad de l’autre.
De notre côté, nous sommes en train de renégocier une résolution au Conseil de sécurité pour voir si on peut faire céder les Russes. Nous aurons demain un vote à l’Assemblée générale.
Q - Est-ce un symbole ?
R - C’est symbolique, mais si nous avons plus de 130 ou 140 pays au monde qui disent «stop ! Le massacre, cela suffit, il faut appliquer le plan de la Ligue arabe», je pense que ce symbole aura de la force.
Q - Il y a des massacres, il y a crime contre l’humanité aujourd’hui ?
R - Oui, bien sûr, je l’ai dit à plusieurs reprises, cependant comme la Syrie n’est pas partie prenante au statut de la Cour pénale internationale, seul le Conseil de sécurité pourrait saisir cette instance. Là encore, nous sommes bloqués par les Russes.
Q - Selon vous, Alain Juppé, peut-on soutenir l’opposition en armant l’insurrection par exemple ou sommes-nous dans une situation totalement différente de ce qui a pu se faire par exemple en Libye ? Quelle est finalement la bonne situation, la bonne attitude à adopter vis-à-vis de l’opposition syrienne ?
R - Il y a une totale différence. Vous l’avez suggéré, la société syrienne est très divisée entre communautés, le risque de guerre civile est très élevé. Il faut soutenir l’opposition, nous la recevons régulièrement - il y a encore quelques jours à Paris -, il faut lui demander de s’organiser.
Q - Oui, mais elle dit «stop» au discours…
R - Ce que nous cherchons, c’est arrêter les violences et non pas les encourager. Il faut évidemment protéger les populations et la dimension humanitaire est également très importante.
Hier, j’ai réuni à Paris les ONG humanitaires qui interviennent en Syrie. J’ai annoncé que la France dégageait un crédit supplémentaire d’un million d’euros qui va s’ajouter à ce que fait l’Union européenne. Je pense que l’idée que j’avais lancée, il y a quelques jours, de corridors humanitaires permettant aux ONG d’atteindre les zones qui font l’objet de massacres absolument scandaleux devrait être reprise au Conseil de sécurité.
Q - Un mot sur la Grèce. On a vu que la situation était totalement bloquée puisque l’Union européenne a décidé de reporter sa décision d’aide financière. Comment faire pour véritablement aider Athènes à sauver la Grèce ?
R - Pour s’en sortir il faut poursuivre la négociation. Nous demandons aux Grecs des sacrifices extrêmement douloureux, c’est vrai, et je comprends l’irritation voire la révolte d’une partie de la population grecque.
Il faut voir que la Grèce a fait des erreurs dans le passé. Elle a été beaucoup aidée et, malheureusement, elle n’a pas toujours présenté des comptes exacts ; il faut voir aussi que nous allons l’aider massivement. Le secteur bancaire est prêt à effacer jusqu’à 70 % de sa dette privée et l’Union européenne avec le FMI vont injecter 130 milliards d’euros si l’accord est conclu.
Q - S’il l’est !
R - Il va être conclu. Vous savez comment cela se passe, les négociations sont toujours très dures jusqu’au dernier moment. Il faut qu’il soit conclu parce que si la Grèce faisait faillite et sortait de la zone euro, ce serait une très mauvaise nouvelle et je pense que le chaos serait encore plus terrible pour le peuple grec.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 février 2012