Texte intégral
Monsieur le Président, (
) il sagit de la quatrième crise relative à la question touarègue depuis lindépendance. Comme vous lavez rappelé, le Mali est composé de deux régions au Nord et au Sud, dont les caractéristiques géographiques, ethniques et culturelles sont fort différentes. Noublions pas que les frontières de ces pays sont héritées du tracé des empires coloniaux. Cela étant dit, pourquoi cette crise a-t-elle débouché sur une révolte armée depuis le 17 janvier dernier ? En réalité, les choses couvaient depuis longtemps et force est de constater quentre les accords de 1992 et de 2006 et la réalité actuelle du terrain, un fossé croissant sest creusé, nourrissant une frustration parmi les populations touarègues. Les engagements pris lors des accords dAlger et du pacte national nont pas été suivis de suffisamment deffets. A cette situation se sont ajoutées les conséquences du conflit libyen.
Certains Touaregs vivaient en Libye depuis des décennies, parfois au service de Khadafi. La chute du régime libyen a entraîné un afflux de Touaregs dans les pays riverains, en Mauritanie, au Niger et au Mali. Une grande partie de ces Touaregs sont arrivés munis darmes prélevées sur larsenal libyen. Ils ont reçu un accueil très différencié selon les pays. Certains pays ont pris la précaution de filtrer larrivée des Touaregs afin de neutraliser les armes en leur possession et de favoriser leur intégration. Cela na pas été le cas au Mali où il y a eu une assez large diffusion des armes qui ont ensuite été utilisées lorsque le MNLA a décidé dengager des opérations militaires le 17 janvier dernier. Il faut constater que ces opérations ont eu jusquà présent un certain succès puisque les forces rebelles progressent. Il est vrai quau début les autorités maliennes ont donné pour consigne aux forces armées déviter les affrontements et de ne pas faire de victimes.
Cette consigne est conforme à la volonté du président malien dêtre un homme de consensus, réticent à engager des opérations militaires. Des exactions commises lors de premiers affrontements ont cependant conduit les autorités maliennes à engager de rudes combats, qui se poursuivent encore aujourdhui. Cette rébellion déstabilise les autorités maliennes et on a même pu craindre, il y a quelques semaines, quun coup dÉtat ne conduise le président ATT à céder le pouvoir pour entamer une phase de transition. Pour ma part, je nenvisage pas une transition démocratique, il faut respecter le calendrier électoral dont le premier tour des élections présidentielles est prévu le 29 avril.
Quelle a été lattitude du gouvernement face à cette situation ? Nous avons considéré quil était légitime que nous intervenions tant au regard des relations historiques qui nous lient au Mali, au Niger, à la Mauritanie et à lAlgérie quau regard de nos intérêts propres, et notamment de nos six otages qui sont encore détenus dans le Nord Mali. Cest pourquoi jai tenu à me déplacer sur le terrain pour analyser la situation avec mes homologues et avoir une juste appréciation des enjeux et des positions de chacune des parties. Jai informé mon homologue algérien de lensemble de ces consultations. LAlgérie est un pays incontournable dans la recherche dune solution politique. Cest dailleurs ce pays qui a parrainé les précédents accords et qui souhaite naturellement être en première ligne de la résolution de cette nouvelle crise. Jai indiqué à lensemble de mes correspondants que la position de la France sarticulait autour de trois principes : le respect de lintégrité territoriale du Mali, la mise en place dun cessez-le-feu immédiat, le maintien du calendrier électoral. Je crains en effet quun report des élections ne fragilise les institutions démocratiques maliennes. Je considère en effet que les clés de cette sortie de crise résident dans le respect du calendrier électoral qui doit permettre la venue dun nouveau président de la République, légitimé par des élections. Dans ce contexte, le président malien, qui ne se représente pas, considère que lAlgérie a un rôle privilégié à jouer et que la France doit également contribuer à sa place à faciliter lissue de la crise.
La Mauritanie a proposé ses bons offices pour mener un dialogue constructif avec le MNLA. LAlgérie partage la position de la France sur les principes que je viens dévoquer et souhaite que des négociations sorganisent avec un nombre limité dacteurs, en évitant que trop dinitiatives diplomatiques ne paralysent le processus de négociation. Une première ébauche de dialogue a commencé début février avec des représentants touaregs nappartenant pas au MNLA. Ce processus dit dAlger devrait se poursuivre et, même si le MNLA na pas participé à la réunion dAlger formellement, nous savons quil suit les discussions.
Jai souligné à mon homologue algérien que la France navait aucune concurrence à engager avec lAlgérie dont le rôle était incontournable et indiscuté. Je lui ai indiqué que nous pouvions appuyer les initiatives dAlger et tenter damener les autorités maliennes et le MNLA à favoriser un dialogue constructif débouchant sur un cessez-le-feu reconnu par tous. En attendant, la situation humanitaire se détériore, les combats ont déjà entraîné plus de 60.000 déplacés à lintérieur du Mali et 50.000 réfugiés à lextérieur du pays. Il est donc urgent de trouver une solution politique pour éviter un drame humanitaire.
Q - (À propos du lien entre sécurité et développement)
R - Il est évident quil existe un lien entre sécurité et développement : je rappelle que la France fournit une importante aide bilatérale de 37 millions deuros au Niger, 58 millions au Mali et 24 millions à la Mauritanie par an.
Dans le même temps, la stratégie européenne pour le Sahel a débloqué 450 millions deuros dont laffectation peut sans doute être améliorée au fur et à mesure que la situation sécuritaire saméliorera. Elle a ajouté à cette aide, une contribution supplémentaire pour les 3 pays de la région : 50 millions deuros pour le Mali, 90 millions deuros pour le Niger, 10 millions deuros pour la Mauritanie.
Le non-respect des accords dAlger, venant après léchec de ceux de 1992, a incontestablement alourdi le climat entre les Touaregs et les gouvernements malien.
Cest dans ce contexte que se sont inscrites les actions menées par des rebelles touaregs récemment rentrés de Libye. Je précise que les accords dAlger étaient essentiellement ciblés sur la région de Kidal, et que le comité de suivi aurait peut être gagné à être un peu plus concret dans ses réalisations. La déception des populations touarègues en matière dinfrastructures non réalisées est réelle et fondée.
Il nest pas avéré quil existe une stratégie commune entre le MNLA et AQMI. Cependant, il est certain que, plus le cessez-le-feu se fera attendre, plus les risques de contacts seront élevés.
Lors de mon récent déplacement au Mali, jai effectivement rencontré plusieurs candidats à lélection présidentielle, dont le président de lAssemblée nationale, M. Traoré, lancien Premier ministre, M. Sidibé Modibo, et M. Soumaïla Cissé, ancien secrétaire général de lUEMOA, qui est originaire de Tombouctou. Tous convergent sur la nécessité du maintien du calendrier électoral, et dun cessez-le-feu rapide. Seul un membre du gouvernement en place a plaidé en faveur dun report des élections, et si je lévoque cest parce que cette position isolée a été relayée depuis par une dépêche dagence.
La France a débloqué en décembre 2011, 17 millions deuros daide alimentaire durgence en faveur du Sahel, dont 10 millions pour le programme alimentaire mondial (PAM), et 6 millions deuros affectés à laide alimentaire sur laide budgétaire globale accordée au Niger et 1 million deuros pour des ONG présentes dans la région. LUnion européenne a fourni, pour sa part, 50 millions deuros. À lheure actuelle, le Haut commissariat aux réfugiés ainsi que les pays de la région se mobilisent pour accompagner les personnes réfugiées, et estiment pouvoir faire face à la situation à condition quun cessez-le-feu rapide permette le retour, à bref délai, de ces déplacés dans leurs villages dorigine.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 février 2012
Certains Touaregs vivaient en Libye depuis des décennies, parfois au service de Khadafi. La chute du régime libyen a entraîné un afflux de Touaregs dans les pays riverains, en Mauritanie, au Niger et au Mali. Une grande partie de ces Touaregs sont arrivés munis darmes prélevées sur larsenal libyen. Ils ont reçu un accueil très différencié selon les pays. Certains pays ont pris la précaution de filtrer larrivée des Touaregs afin de neutraliser les armes en leur possession et de favoriser leur intégration. Cela na pas été le cas au Mali où il y a eu une assez large diffusion des armes qui ont ensuite été utilisées lorsque le MNLA a décidé dengager des opérations militaires le 17 janvier dernier. Il faut constater que ces opérations ont eu jusquà présent un certain succès puisque les forces rebelles progressent. Il est vrai quau début les autorités maliennes ont donné pour consigne aux forces armées déviter les affrontements et de ne pas faire de victimes.
Cette consigne est conforme à la volonté du président malien dêtre un homme de consensus, réticent à engager des opérations militaires. Des exactions commises lors de premiers affrontements ont cependant conduit les autorités maliennes à engager de rudes combats, qui se poursuivent encore aujourdhui. Cette rébellion déstabilise les autorités maliennes et on a même pu craindre, il y a quelques semaines, quun coup dÉtat ne conduise le président ATT à céder le pouvoir pour entamer une phase de transition. Pour ma part, je nenvisage pas une transition démocratique, il faut respecter le calendrier électoral dont le premier tour des élections présidentielles est prévu le 29 avril.
Quelle a été lattitude du gouvernement face à cette situation ? Nous avons considéré quil était légitime que nous intervenions tant au regard des relations historiques qui nous lient au Mali, au Niger, à la Mauritanie et à lAlgérie quau regard de nos intérêts propres, et notamment de nos six otages qui sont encore détenus dans le Nord Mali. Cest pourquoi jai tenu à me déplacer sur le terrain pour analyser la situation avec mes homologues et avoir une juste appréciation des enjeux et des positions de chacune des parties. Jai informé mon homologue algérien de lensemble de ces consultations. LAlgérie est un pays incontournable dans la recherche dune solution politique. Cest dailleurs ce pays qui a parrainé les précédents accords et qui souhaite naturellement être en première ligne de la résolution de cette nouvelle crise. Jai indiqué à lensemble de mes correspondants que la position de la France sarticulait autour de trois principes : le respect de lintégrité territoriale du Mali, la mise en place dun cessez-le-feu immédiat, le maintien du calendrier électoral. Je crains en effet quun report des élections ne fragilise les institutions démocratiques maliennes. Je considère en effet que les clés de cette sortie de crise résident dans le respect du calendrier électoral qui doit permettre la venue dun nouveau président de la République, légitimé par des élections. Dans ce contexte, le président malien, qui ne se représente pas, considère que lAlgérie a un rôle privilégié à jouer et que la France doit également contribuer à sa place à faciliter lissue de la crise.
La Mauritanie a proposé ses bons offices pour mener un dialogue constructif avec le MNLA. LAlgérie partage la position de la France sur les principes que je viens dévoquer et souhaite que des négociations sorganisent avec un nombre limité dacteurs, en évitant que trop dinitiatives diplomatiques ne paralysent le processus de négociation. Une première ébauche de dialogue a commencé début février avec des représentants touaregs nappartenant pas au MNLA. Ce processus dit dAlger devrait se poursuivre et, même si le MNLA na pas participé à la réunion dAlger formellement, nous savons quil suit les discussions.
Jai souligné à mon homologue algérien que la France navait aucune concurrence à engager avec lAlgérie dont le rôle était incontournable et indiscuté. Je lui ai indiqué que nous pouvions appuyer les initiatives dAlger et tenter damener les autorités maliennes et le MNLA à favoriser un dialogue constructif débouchant sur un cessez-le-feu reconnu par tous. En attendant, la situation humanitaire se détériore, les combats ont déjà entraîné plus de 60.000 déplacés à lintérieur du Mali et 50.000 réfugiés à lextérieur du pays. Il est donc urgent de trouver une solution politique pour éviter un drame humanitaire.
Q - (À propos du lien entre sécurité et développement)
R - Il est évident quil existe un lien entre sécurité et développement : je rappelle que la France fournit une importante aide bilatérale de 37 millions deuros au Niger, 58 millions au Mali et 24 millions à la Mauritanie par an.
Dans le même temps, la stratégie européenne pour le Sahel a débloqué 450 millions deuros dont laffectation peut sans doute être améliorée au fur et à mesure que la situation sécuritaire saméliorera. Elle a ajouté à cette aide, une contribution supplémentaire pour les 3 pays de la région : 50 millions deuros pour le Mali, 90 millions deuros pour le Niger, 10 millions deuros pour la Mauritanie.
Le non-respect des accords dAlger, venant après léchec de ceux de 1992, a incontestablement alourdi le climat entre les Touaregs et les gouvernements malien.
Cest dans ce contexte que se sont inscrites les actions menées par des rebelles touaregs récemment rentrés de Libye. Je précise que les accords dAlger étaient essentiellement ciblés sur la région de Kidal, et que le comité de suivi aurait peut être gagné à être un peu plus concret dans ses réalisations. La déception des populations touarègues en matière dinfrastructures non réalisées est réelle et fondée.
Il nest pas avéré quil existe une stratégie commune entre le MNLA et AQMI. Cependant, il est certain que, plus le cessez-le-feu se fera attendre, plus les risques de contacts seront élevés.
Lors de mon récent déplacement au Mali, jai effectivement rencontré plusieurs candidats à lélection présidentielle, dont le président de lAssemblée nationale, M. Traoré, lancien Premier ministre, M. Sidibé Modibo, et M. Soumaïla Cissé, ancien secrétaire général de lUEMOA, qui est originaire de Tombouctou. Tous convergent sur la nécessité du maintien du calendrier électoral, et dun cessez-le-feu rapide. Seul un membre du gouvernement en place a plaidé en faveur dun report des élections, et si je lévoque cest parce que cette position isolée a été relayée depuis par une dépêche dagence.
La France a débloqué en décembre 2011, 17 millions deuros daide alimentaire durgence en faveur du Sahel, dont 10 millions pour le programme alimentaire mondial (PAM), et 6 millions deuros affectés à laide alimentaire sur laide budgétaire globale accordée au Niger et 1 million deuros pour des ONG présentes dans la région. LUnion européenne a fourni, pour sa part, 50 millions deuros. À lheure actuelle, le Haut commissariat aux réfugiés ainsi que les pays de la région se mobilisent pour accompagner les personnes réfugiées, et estiment pouvoir faire face à la situation à condition quun cessez-le-feu rapide permette le retour, à bref délai, de ces déplacés dans leurs villages dorigine.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 février 2012