Déclaration de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, sur la promotion et la défense des droits des femmes et le respect de l'égalité des sexes, notamment dans le monde arabe, Paris le 8 mars 2012.

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Circonstance : Célébration de la Journée internationale des femmes à Paris le 8 mars 2012

Texte intégral

Mesdames les Ministres,
Mesdames les Sénatrices,
Mesdames les Députées,
Mesdames les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux de vous accueillir, ici, au Palais des Affaires étrangères, à l’occasion de la Journée internationale des femmes.
Permettez-moi d’abord de saluer Mme Hooriah Mashoor, ministre des Droits de l’Homme de la République du Yémen. Madame le Ministre, l’intervention que vous avez prononcée hier à l’Institut du monde arabe dans le cadre de la Conférence «Printemps arabe, printemps des femmes» a été très remarquée. Je vous remercie d’avoir accepté de prolonger votre séjour en France pour participer à ce petit-déjeuner.
Je voudrais également saluer la présence de ma collègue, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la Cohésion sociale et des Solidarités, qui se mobilise sans relâche pour promouvoir les droits des femmes et le respect de l’égalité entre les sexes - pas simplement pour la Journée internationale de la femme. Elle mène ce combat depuis bien des années. C’est une des initiatives que nous avions prises en d’autres temps.
Permettez-moi enfin de saluer chacune d’entre vous pour son action en faveur de l’égalité hommes-femmes. C’est un engagement que vous partagez toutes, je le sais, quelles que soient vos origines ou vos fonctions.
En cette journée internationale des femmes, je voudrais d’abord exprimer mon estime et mon admiration aux femmes de la rive sud de la Méditerranée et rendre hommage au rôle remarquable qu’elles ont joué dans le cadre du «printemps arabe», y compris là où des affrontements violents avaient lieu, comme c’est malheureusement le cas aujourd’hui encore en Syrie.
Je pense à la blogueuse tunisienne, Lina ben Mhenni, ou à la cyber-dissidente égyptienne, Esra Abdel Fattah, co-fondatrice du Mouvement de la jeunesse du 6 avril.
Du Maroc au Yémen, en passant par l’Égypte, la Tunisie et la Libye, les femmes ont été à l’origine d’actions déterminantes. Elles ont organisé la revendication. Elles ont porté un message universel de dignité humaine. Elles ont exprimé haut et fort l’exigence d’émancipation et d’égalité. Elles ont montré que les injustices et les inégalités ne sont pas une fatalité dans le monde arabo-musulman, que la liberté et la modernité sont en germe dans chaque individu et que les femmes de cette région elles aussi y aspirent et y ont droit.
Bien sûr, nous le savons, il y aura des hésitations et des résistances. Mais l’histoire est en marche et elle se fait avec et par les femmes.
La France est déterminée à soutenir les femmes du monde arabe dans l’ensemble de leurs combats, car c’est tout au long de la vie que leurs droits doivent être respectés.
Cela commence dès l’enfance, avec le droit des petites filles à accéder à l’éducation. Si les pays arabes ont fait de nombreux efforts dans ce domaine, beaucoup reste encore à faire et nous sommes à leurs côtés pour les aider à progresser.
Lorsqu’elle passe à l’âge adulte, une femme doit ensuite pouvoir être libre de réaliser son propre projet de vie.
Choisir son conjoint, disposer de son patrimoine, maîtriser sa fécondité pour enfanter dans des conditions satisfaisantes : à l’aube du XXIe siècle, ces droits qui semblent naturels pour tant de femmes dans le monde doivent être partagés par toutes les femmes du monde arabe.
C’est la raison pour laquelle nous soutenons sans réserve les pays qui s’engagent vers l’abrogation des lois discriminant les femmes dans le domaine du mariage, du divorce, de l’héritage ou encore de la transmission de la nationalité.
C’est aussi la raison pour laquelle, en conformité avec les engagements pris lors des conférences du Caire et de Pékin, la France s’est engagée en 2010 à investir 500 millions d’euros supplémentaires sur cinq ans en faveur de l’accès des filles et des femmes à la planification familiale et aux services de santé sexuelle et reproductive. Des programmes sont en cours dans seize pays, principalement en Afrique de l’Ouest, en Afghanistan et Haïti, en partenariat avec plusieurs agences des Nations unies, dont ONU Femmes, la nouvelle entité chargée de promouvoir l’égalité de sexes et l’autonomisation des femmes. Si nous voulons réduire la mortalité maternelle, nous devons notamment accorder une attention toute particulière aux jeunes filles et à la lutte contre les mariages et les grossesses précoces.
Être libre de réaliser son projet de vie, c’est aussi pouvoir entrer dans la vie active et disposer des moyens de conquérir son autonomie financière. Aujourd’hui, cependant, la rive sud de la Méditerranée est la région où le taux d’emploi des femmes est le plus bas du monde. Pendant la Présidence française du G8, nous avons lancé le Partenariat de Deauville, pour mobiliser la communauté internationale en soutien des transitions arabes, et notamment pour encourager l’emploi et développer la formation professionnelle. Ce partenariat, nous devons désormais le mettre plus activement au service des femmes. Nous porterons cette exigence auprès de la présidence américaine du G8 lors de la prochaine réunion des ministres des Affaires étrangères à la mi-avril à Washington. Je ne doute pas qu’Hillary Clinton qui, je le sais, est très impliquée sur ces questions, aura à cœur de s’en saisir.
Être libre de réaliser son projet de vie, c’est enfin pouvoir s’épanouir pleinement dans la voie qu’on a choisie - à cet égard, Mme Noria al Hamami, directrice des Organisations internationales du ministère des Affaires étrangères du Yémen et première femme diplomate de son pays, est un exemple pour toutes les femmes de la région. Avec le «printemps arabe», des vocations sont nées, des figures ont émergé. Ces potentiels et ces espoirs ne doivent pas être étouffés. Aujourd’hui, les femmes doivent trouver toute leur place dans la vie politique, économique et sociale. Elles doivent pouvoir participer pleinement aux processus décisionnels, sur un pied d’égalité avec les hommes. C’est une condition déterminante pour l’établissement et le maintien d’une paix durable, qui a été reconnue par les résolutions Femmes, Paix, Sécurité du Conseil de sécurité des Nations unies et qui doit être remplie au plus tôt, dès l’adoption de nouvelles Constitutions et alors que se mettent en place de nouveaux gouvernements.
Pour soutenir les femmes qui souhaitent s’investir dans la vie publique, il me paraît essentiel de promouvoir le principe de parité. Fidèle à son message humaniste de liberté et de solidarité, forte d’une vision du monde fondée sur le respect des droits universels et sur le refus du relativisme culturel, la France est en effet convaincue que l’égalité et la lutte contre les discriminations sont des principes fondateurs de toute démocratie moderne. C’est dans cet esprit que nous avons ratifié la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes - je profite de cette occasion pour saluer les actions du CEDAW (Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes), qui célèbre cette année le 30e anniversaire de son entrée en vigueur. Nous appelons désormais à la mise en œuvre effective de ce texte et à la levée des réserves, comme l’a fait courageusement le Maroc l’an dernier.
Le premier des droits d’une femme, à chacune des étapes de sa vie, c’est le droit à l’intégrité physique. Notre premier devoir, c’est donc de protéger toutes celles qui, trop souvent encore, subissent la violence - violence que beaucoup de femmes ont connue durant les révolutions, mais aussi violences du quotidien, domestiques, sexuelles ou crimes d’honneur.
La France condamne fermement toutes ces formes de violence. Elle est déterminée à travailler avec les acteurs de la région à l’instauration de dispositions législatives pour l’éradiquer. C’est dans cet esprit que nous avons développé un partenariat étroit avec ONU Femmes, avec laquelle nous menons des programmes de lutte contre les violences à hauteur de 1,5 million d’euros pour la période 2011-2013 en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Mme Maya Morsy, directrice d’ONU Femmes au Caire, pourrait peut-être nous en dire quelques mots tout à l’heure.
Avant de conclure, je voudrais évoquer une question qu’ici, en France, beaucoup d’entre nous se posent : c’est la question de la compatibilité entre l’islam et les droits de la femme. Il y a quelques temps, j’ai reçu Mme Tawakkol Karman, la prix Nobel de la paix yéménite. Elle m’a longuement expliqué comment elle voyait la pratique d’une religion à laquelle elle est profondément attachée dans le plus profond respect des droits des femmes. Cela m’a conforté dans la conviction qui est la mienne qu’il existe un islam moderne, intégralement conforme aux exigences de la foi et intégralement conforme aux valeurs universelles de droits de l’individu, de liberté et de dignité humaine.
Et je suis convaincu que les femmes de la rive sud de la Méditerranée, qui tout autant que les hommes ont participé au «printemps arabe», qui tout autant que les hommes ont voté pour élire les gouvernements de transition, auront à cœur de veiller à ce que leurs droits, leur dignité et leurs chances dans la vie soient respectées par les nouvelles majorités.
Mesdames, Messieurs,
Le chemin est encore long, mais une dynamique est enclenchée et rien ne l’arrêtera. Soyez-en sûrs, la France sera à vos côtés pour vous épauler dans votre combat pour la défense de l’égalité et des droits des femmes. Je souhaite que notre échange de ce matin nous permette de tracer ensemble des voies de progrès et, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, je voudrais ajouter qu’il nous reste beaucoup de progrès à faire nous aussi. C’est la raison pour laquelle je vous quitterai tout à l’heure pour me rendre devant les femmes diplomates et leur expliquer qu’une nouvelle loi qui vient d’être votée par le Parlement va faire obligation de réserver 40 % des postes d’encadrement de la haute fonction publique, notamment 40 % des postes d’ambassadeur, aux femmes. Comme nous sommes très ambitieux, mais très réalistes aussi, nous nous sommes donnés jusqu’à 2018 pour y arriver. Il va donc falloir beaucoup de volonté. Vous voyez que nous ne sommes pas là pour vous donner des leçons mais pour vous dire tout simplement que nous sommes à vos côtés et que nous partageons vos objectifs.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mars 2012