Texte intégral
Q - Le sénateur américain John Mc Cain demandait récemment : «Combien faut-il de morts en Syrie, 10.000 ? 20.000 ?, pour enfin agir ?». Quen pensez-vous ?
R - Naturellement, cest un cauchemar. Ce régime est devenu fou. Nous soutenons Kofi Annan pour mettre en uvre son mandat, mais nous ne serons pas dupes des manuvres syriennes. Le régime de Damas sest lancé dans une fuite en avant sanguinaire. Je continue à penser quil ny a pas pour linstant doptions militaires. Il est exclu que nous nous lancions dans une telle opération sans un mandat des Nations unies, et les conditions pour un tel mandat ne sont pas rassemblées.
Alors quel autre type dintervention du Conseil de sécurité peut-on envisager ? Jai cru percevoir dans le langage de Sergueï Lavrov une légère évolution. Mais pour linstant, cela na pas amené la Russie à changer véritablement de pied et à accepter une résolution qui nous donnerait la base juridique pour une intervention de lONU.
Jajoute que la situation, objectivement, est assez différente de celle que lon a connue en Libye. Il y a des opposants dont lattitude affaiblit gravement lopposition - tant quils continueront à se déchirer et à sopposer les uns aux autres, lintérieur et lextérieur. Nous faisons tout pour essayer de les rassembler autour du Conseil national syrien (CNS), et les convaincre dêtre plus inclusifs, daccueillir des alaouites, des chrétiens. Ils ny parviennent pas assez.
Q - Peut-on envisager ce que suggèrent les Russes, cest-à-dire de renoncer à lexigence dun transfert du pouvoir en Syrie, pour obtenir un arrêt des violences ?
R - Le plan de la Ligue arabe ne prévoit pas le départ de Bachar Al-Assad du pouvoir. Cest sa mise à lécart, et plus exactement, la désignation de son vice-président pour négocier et engager la transition. Cest vraiment le minimum.
Je reconnais quil y a un vrai dilemme. Peut-on bloquer une résolution qui ne serait quune résolution humanitaire sans aucune dimension politique au risque de laisser se poursuivre les massacres ? Ou faut-il accepter ce compromis peu glorieux au risque de pérenniser le régime ? Cest extrêmement difficile. Cest pour cette raison quil y avait une forte pression, lundi, à lONU, pour aller dans ce sens, de Ban Ki-moon, des Britanniques, des Américains.
Q - Vous laissez entendre que la France a refusé de se contenter dune sorte de demi-mesure...
R - Jai deux lignes rouges. Je ne peux pas accepter que lon présente les oppresseurs et les victimes sur le même plan. Linitiative de la cessation des hostilités doit donc venir du régime. La seconde : on ne peut pas se contenter dune déclaration humanitaire et dun cessez-le-feu - il faut absolument faire référence à un processus de règlement politique fondé sur la proposition de la Ligue arabe.
Q - A-t-on sous-estimé la capacité de résistance du régime syrien ?
R - Sans doute. On pensait quil y aurait davantage de défections et plus rapides. Cela commence à se craqueler. Il faut voir que ce régime ne recule devant aucune espèce de barbarie. Les familles des ambassadeurs ou celles des généraux sont prises en otages, purement et simplement. On les menace, si jamais ils font défection, de représailles. On a peut-être mal mesuré la férocité de ce régime. Et de la personnalité même dAssad.
Q - La France est-elle favorable à ce que des armes soient livrées - par quiconque - à lopposition ?
R - Non. Cela me rappelle, malheureusement, un débat que nous avons eu, en dautres temps, sur lex-Yougoslavie. Fallait-il maintenir lembargo sur les armes ? Au risque de pénaliser les Bosniaques face aux Serbes ? Nous avions tranché en disant : ne facilitons pas une escalade militaire et donc ne livrons pas darmes. Là, nous sommes un peu dans le même schéma : livrer des armes, cest précipiter la Syrie dans une guerre civile qui risque dêtre épouvantable, car nous voyons bien la détermination de chacune des communautés.
Je suis navré de voir que la hiérarchie chrétienne, catholique ou orthodoxe, continue à lier son sort à Bachar Al-Assad. Nous comprenons les craintes des chrétiens, mais leur avenir sera meilleur dans une Syrie démocratique.
Q - Avec la Syrie, sommes-nous face aux limites de la politique dinterventionnisme mise en uvre dans dautres dossiers ?
R - Dune certaine manière, à cause du blocage imposé par deux membres permanents du Conseil de sécurité. Mais nous allons persévérer. En Côte dIvoire, en Libye, cela a marché. Quoi quon dise de la situation en Libye aujourdhui, je suis fier de ce que lon a fait. Il le fallait, sinon Kadhafi aurait massacré le peuple de Benghazi et continuerait à opprimer. Il y a des circonstances où le Conseil de sécurité est efficace, comme au Timor, où lon a arrêté une guerre.
Q - Vous avez évoqué lIran au Conseil de sécurité. Avez-vous eu le sentiment, à lissue de la visite de Benyamin Netanyahou aux États-Unis, début mars, que le risque de scénario militaire israélien avait reculé ?
R - Non. Je nai pas eu le sentiment non plus quil avait avancé. Au sein du groupe E3+3, nous sommes prêts à reprendre le dialogue, sans précondition. Les Iraniens soufflent en permanence le chaud et le froid. Faut-il faire des concessions pour engager un processus de négociation ? La France est dune très grande fermeté. Pas de précondition iranienne et pas de levée des sanctions tant que les conditions fixées par la résolution 1929 ne sont pas remplies.
Q - La politique de la France est parfois jugée trop stricte, trop hostile à des compromis...
R - Comme beaucoup semblent prêts à des compromis, au moins nous sommes la garantie que ces compromis ne seront pas excessifs. En tout cas, en Israël, on considère que la France est un pays ferme dans ses convictions et dans ses attitudes et que cest plutôt protecteur pour Israël.
Q - La France, à linverse des États-Unis et du Royaume-Uni, na jamais dit que toutes les options sont sur la table. Si un scénario militaire a lieu, la France condamnerait-elle cette action ? Refuserait-elle dy prendre part ?
R - Je ne souhaite pas me mettre dans des scénarios qui ne sont pas actuels. Le président, dans son discours à lONU en septembre, a dit que si la sécurité dIsraël était menacée la France se rangerait au côté dIsraël.
Q - Cela veut-il dire que la France nexclut pas de prendre part à une action militaire dès lors quelle aurait été déclenchée ?
R - Non. Cest dans lhypothèse où Israël serait attaqué que nous nous rangerions à ses côtés, ce nest pas pour laider à attaquer dautres pays.
Q - En 2011, la France est intervenue en Libye et en Côte dIvoire. Dans un monde changeant, loutil militaire est-il pour la France un attribut essentiel de puissance ?
R - Il y a des moments où, pour faire prévaloir le droit, il faut la force. Et cest une constante historique. LEurope pourrait bien sen inspirer en continuant à se doter dune véritable politique de sécurité et de défense communes. ( ).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 mars 2012
R - Naturellement, cest un cauchemar. Ce régime est devenu fou. Nous soutenons Kofi Annan pour mettre en uvre son mandat, mais nous ne serons pas dupes des manuvres syriennes. Le régime de Damas sest lancé dans une fuite en avant sanguinaire. Je continue à penser quil ny a pas pour linstant doptions militaires. Il est exclu que nous nous lancions dans une telle opération sans un mandat des Nations unies, et les conditions pour un tel mandat ne sont pas rassemblées.
Alors quel autre type dintervention du Conseil de sécurité peut-on envisager ? Jai cru percevoir dans le langage de Sergueï Lavrov une légère évolution. Mais pour linstant, cela na pas amené la Russie à changer véritablement de pied et à accepter une résolution qui nous donnerait la base juridique pour une intervention de lONU.
Jajoute que la situation, objectivement, est assez différente de celle que lon a connue en Libye. Il y a des opposants dont lattitude affaiblit gravement lopposition - tant quils continueront à se déchirer et à sopposer les uns aux autres, lintérieur et lextérieur. Nous faisons tout pour essayer de les rassembler autour du Conseil national syrien (CNS), et les convaincre dêtre plus inclusifs, daccueillir des alaouites, des chrétiens. Ils ny parviennent pas assez.
Q - Peut-on envisager ce que suggèrent les Russes, cest-à-dire de renoncer à lexigence dun transfert du pouvoir en Syrie, pour obtenir un arrêt des violences ?
R - Le plan de la Ligue arabe ne prévoit pas le départ de Bachar Al-Assad du pouvoir. Cest sa mise à lécart, et plus exactement, la désignation de son vice-président pour négocier et engager la transition. Cest vraiment le minimum.
Je reconnais quil y a un vrai dilemme. Peut-on bloquer une résolution qui ne serait quune résolution humanitaire sans aucune dimension politique au risque de laisser se poursuivre les massacres ? Ou faut-il accepter ce compromis peu glorieux au risque de pérenniser le régime ? Cest extrêmement difficile. Cest pour cette raison quil y avait une forte pression, lundi, à lONU, pour aller dans ce sens, de Ban Ki-moon, des Britanniques, des Américains.
Q - Vous laissez entendre que la France a refusé de se contenter dune sorte de demi-mesure...
R - Jai deux lignes rouges. Je ne peux pas accepter que lon présente les oppresseurs et les victimes sur le même plan. Linitiative de la cessation des hostilités doit donc venir du régime. La seconde : on ne peut pas se contenter dune déclaration humanitaire et dun cessez-le-feu - il faut absolument faire référence à un processus de règlement politique fondé sur la proposition de la Ligue arabe.
Q - A-t-on sous-estimé la capacité de résistance du régime syrien ?
R - Sans doute. On pensait quil y aurait davantage de défections et plus rapides. Cela commence à se craqueler. Il faut voir que ce régime ne recule devant aucune espèce de barbarie. Les familles des ambassadeurs ou celles des généraux sont prises en otages, purement et simplement. On les menace, si jamais ils font défection, de représailles. On a peut-être mal mesuré la férocité de ce régime. Et de la personnalité même dAssad.
Q - La France est-elle favorable à ce que des armes soient livrées - par quiconque - à lopposition ?
R - Non. Cela me rappelle, malheureusement, un débat que nous avons eu, en dautres temps, sur lex-Yougoslavie. Fallait-il maintenir lembargo sur les armes ? Au risque de pénaliser les Bosniaques face aux Serbes ? Nous avions tranché en disant : ne facilitons pas une escalade militaire et donc ne livrons pas darmes. Là, nous sommes un peu dans le même schéma : livrer des armes, cest précipiter la Syrie dans une guerre civile qui risque dêtre épouvantable, car nous voyons bien la détermination de chacune des communautés.
Je suis navré de voir que la hiérarchie chrétienne, catholique ou orthodoxe, continue à lier son sort à Bachar Al-Assad. Nous comprenons les craintes des chrétiens, mais leur avenir sera meilleur dans une Syrie démocratique.
Q - Avec la Syrie, sommes-nous face aux limites de la politique dinterventionnisme mise en uvre dans dautres dossiers ?
R - Dune certaine manière, à cause du blocage imposé par deux membres permanents du Conseil de sécurité. Mais nous allons persévérer. En Côte dIvoire, en Libye, cela a marché. Quoi quon dise de la situation en Libye aujourdhui, je suis fier de ce que lon a fait. Il le fallait, sinon Kadhafi aurait massacré le peuple de Benghazi et continuerait à opprimer. Il y a des circonstances où le Conseil de sécurité est efficace, comme au Timor, où lon a arrêté une guerre.
Q - Vous avez évoqué lIran au Conseil de sécurité. Avez-vous eu le sentiment, à lissue de la visite de Benyamin Netanyahou aux États-Unis, début mars, que le risque de scénario militaire israélien avait reculé ?
R - Non. Je nai pas eu le sentiment non plus quil avait avancé. Au sein du groupe E3+3, nous sommes prêts à reprendre le dialogue, sans précondition. Les Iraniens soufflent en permanence le chaud et le froid. Faut-il faire des concessions pour engager un processus de négociation ? La France est dune très grande fermeté. Pas de précondition iranienne et pas de levée des sanctions tant que les conditions fixées par la résolution 1929 ne sont pas remplies.
Q - La politique de la France est parfois jugée trop stricte, trop hostile à des compromis...
R - Comme beaucoup semblent prêts à des compromis, au moins nous sommes la garantie que ces compromis ne seront pas excessifs. En tout cas, en Israël, on considère que la France est un pays ferme dans ses convictions et dans ses attitudes et que cest plutôt protecteur pour Israël.
Q - La France, à linverse des États-Unis et du Royaume-Uni, na jamais dit que toutes les options sont sur la table. Si un scénario militaire a lieu, la France condamnerait-elle cette action ? Refuserait-elle dy prendre part ?
R - Je ne souhaite pas me mettre dans des scénarios qui ne sont pas actuels. Le président, dans son discours à lONU en septembre, a dit que si la sécurité dIsraël était menacée la France se rangerait au côté dIsraël.
Q - Cela veut-il dire que la France nexclut pas de prendre part à une action militaire dès lors quelle aurait été déclenchée ?
R - Non. Cest dans lhypothèse où Israël serait attaqué que nous nous rangerions à ses côtés, ce nest pas pour laider à attaquer dautres pays.
Q - En 2011, la France est intervenue en Libye et en Côte dIvoire. Dans un monde changeant, loutil militaire est-il pour la France un attribut essentiel de puissance ?
R - Il y a des moments où, pour faire prévaloir le droit, il faut la force. Et cest une constante historique. LEurope pourrait bien sen inspirer en continuant à se doter dune véritable politique de sécurité et de défense communes. ( ).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 mars 2012