Texte intégral
Résolument ouvert au monde, le Salon du Livre de Paris est passé en l’espace de ces trois dernières années de 25 à près de 40 pays participants. C’est la diversité des cultures littéraires qui y sont représentées qui a transformé cet événement français en un rendez-vous international majeur pour le livre et la lecture.
Nous avons à nouveau la chance et le privilège d’accueillir pour cette 32ème édition des auteurs de très grand renom, des éditeurs, des libraires, des bibliothécaires, tous les professionnels des métiers du livre. J’aimerai remercier l’ensemble des organisateurs - le Syndicat national de l’édition, Reed Exposition France - et des partenaires de ce rendez-vous privilégié d’échanges, de partage et de savoir, en particulier le Centre National du Livre et l’Institut français : vous êtes les acteurs de son rayonnement national et international.
Je suis très heureux de rendre hommage ce soir aux auteurs japonais et russes et aux éditeurs venus nombreux pour rencontrer leurs homologues français à l’occasion des rencontres professionnelles et des rencontres avec le public du Salon. Je tiens d’ailleurs à saluer également tous nos partenaires russes, ainsi que l’Ambassade du Japon en France et la Maison de la Culture du Japon, qui ont joué un rôle essentiel dans l’invitation des auteurs japonais.
Quinze ans après sa dernière invitation, le Japon reprend ses quartiers au Salon du livre. Les affinités électives, les échanges culturels et linguistiques foisonnants qui sont particulièrement intenses, et de longue date, entre nos deux cultures ont créé un appétit considérable des lecteurs français pour les lettres japonaises.
Les auteurs reçus par le Centre national du livre incarnent tous la vitalité de la création littéraire nippone, dont la contribution considérable au patrimoine universel des lettres est évidente.
Un an après le désastre du 11 mars, qui bouleversa la communauté internationale, une occasion nous est donnée de réaffirmer notre solidarité et notre admiration à nos amis japonais. J’avais eu une première fois l’occasion de témoigner, en juillet dernier, lors de la célébration de la Fête nationale française à Koriyama, de l’émotion profonde de nos compatriotes et de leur soutien à l’endroit du peuple japonais, et je tiens à réitérer ce soir ce message d’amitié et de solidarité auprès de vous. J’imagine que de nombreux auteurs ici présents auraient souhaité être au Japon cette semaine auprès de leurs proches qui commémorent le triste anniversaire du triple drame qui les a frappés l’an dernier ; c’est pourquoi je tiens tout particulièrement à les remercier de leur venue.
Romanciers, poètes, mangakas, essayistes, scénaristes ou encore auteurs de livres de jeunesse : ce sont toutes les facettes de la fabrique nippone de l’écrit qui seront célébrées et donneront lieu à des rencontres, des débats, des tables rondes pendant la durée du Salon. J’aimerai saluer ce soir le travail si indispensable des traducteurs dans la transmission de ces trésors : ils nous permettent d’accéder à la connaissance des uvres japonaises, ils nous ouvrent des fenêtres indispensables sur les traditions et les modernités de l’archipel, et de ses mutations. Je me réjouis à ce titre du nouveau traité d’usage qui sera signé entre le Syndicat national de l’édition et l’Association des traducteurs littéraires de France : rappelons qu’après le domaine anglo-américain, le domaine japonais est celui qui bénéficie du plus grand nombre de traductions en France, en incluant les mangas. De même, je tiens à rappeler également le travail remarquable des éditeurs français dans cette transmission : le travail très ancien de maisons comme Gallimard, le Seuil ou Verdier, ainsi que des maisons plus récentes, dont l’une des plus emblématiques est la maison d’Editions Philippe Picquier apportent une contribution considérable que nous pouvons avoir, dans le monde francophone, d’une des plus grandes nations de la République mondiale des lettres.
Cette année, le Salon du livre se met aussi à l’heure moscovite. Ce sont 18 auteurs russes qui sont invités pour partager leur regard sur « la ville des mille et trois clochers et des sept gares » et leur vision de la société russe. Je suis très heureux que le Salon du Livre accueille ces créateurs qui s’inscrivent dans la très grande tradition du roman russe : poètes, figures de proue de l’avant-garde et de la nouvelle littérature russe, auteurs de bestsellers, classiques ou iconoclastes, ils dessinent le visage de la Russie des lettres.
Cette invitation au Salon du Livre représente un moment fort de la saison « France-Russie 2012, Langues et littératures » mise en uvre par l’Institut français et le Gouvernement de Moscou, en partenariat avec l’Agence fédérale russe pour la presse et la communication. Cette nouvelle année littéraire et linguistique entre nos deux pays s’inscrit dans le prolongement de l’Année croisée France-Russie 2010, qui avait rencontré un succès enthousiasmant dans nos deux pays : pour mémoire, les premiers évènements de cette année d’échanges entre la France et la Russie avaient réuni plus de 1,5 million de visiteurs à Paris et en régions. En ce qui concerne cette saison littéraire et linguistique, c’est une centaine
d’opérations, réparties sur l’ensemble de l’année, qui auront lieu en France et en Russie. Je me réjouis de cette saison qui marque un temps très fort de notre coopération culturelle, sous le signe de la diversité culturelle, du plurilinguisme et de la traduction, des échanges intellectuels et institutionnels.
J’aimerai particulièrement saluer les librairies à l’étranger qui choisissent de faire connaître à leurs publics la production éditoriale en langue française dans toute sa richesse. Elles sont des acteurs essentiels de la diversité culturelle et linguistique « en action », particulièrement lorsqu'elles sont implantées dans des pays non francophones. L'engagement et la passion de ces libraires, qui dans des contextes nationaux très différents, promeuvent ainsi la connaissance d'un riche patrimoine écrit, littéraire ou scientifique en langue française, doivent être ici salués. Je tiens personnellement à leur rendre un hommage chaleureux ce soir.
Les librairies jouent en effet un rôle de premier plan pour la diffusion du livre, la promotion de la diversité éditoriale et le renouvellement de la création. Ces commerces soutiennent en général la création la plus fragile, en offrant une place importante aux ouvrages publiés par les petites maisons d'édition et en favorisant l'achat de premières uvres et d'auteurs peu ou moins connus. En France, je le rappelle pour nos partenaires internationaux, les librairies bénéficient particulièrement de l'attention des pouvoirs publics, à travers notamment la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre qui a permis de préserver un réseau de diffusion marchande diversifié sur l'ensemble du territoire au bénéfice de la création.
Je souhaite également saluer l’Association internationale des librairies francophones (AILF) : créée en 2002 au Salon du livre de Paris, elle célèbre cette année ses 10 ans. Elle a mené un travail intense de mise en réseau et d’animation qui contribue à renforcer la professionnalisation du métier de libraire, ainsi qu’à nourrir les échanges et l’entraide entre les librairies francophones du monde entier.
Compte tenu de leur rôle essentiel pour la diffusion du livre français, les libraires francophones à l’étranger bénéficient d’un soutien spécifique de mon Ministère, principalement à travers la prise en charge d’une partie des coûts d’acheminement des livres, pour plus d'un million d'euros par an, dont bénéficient plus de 350 libraires dans le monde. En outre, le Programme PLUS permet, depuis sa création en 1988, aux étudiants d'Afrique francophone subsaharienne, de Haïti, des Comores et de Madagascar, d'acquérir, dans un réseau d'une quarantaine de librairies partenaires, des ouvrages universitaires en langue française à des prix bonifiés. Enfin, les librairies francophones à l'étranger bénéficient d'une aide à l'enrichissement et la valorisation de leurs fonds à travers le Centre national du livre.
Il va de soi que l'exportation du livre français qui a progressé en volume au cours de la dernière décennie bénéficie de l'existence de ce réseau important et dynamique de libraires francophones à l'étranger. En 2011, malgré un contexte de crise très importante dans le monde, on observe une stabilité des exportations vers l'étranger par rapport à 2010. D'après les chiffres que la Centrale de l'édition vient de publier, elles représentent un chiffre d'affaires de 644 M, hors DOM-TOM. Concernant les pays non francophones, les exportations vers l'Amérique du nord et du sud ont progressé entre 2008 et 2011 (respectivement + 0,6 % et + 1,6 %). Notons
également que les exportations vers l'Afrique non francophone ont connu une évolution très positive (+ 14 %) sur cette période.
Enfin, j’aimerai souligner que les exportations vers les pays francophones ont progressé de 5,34 % depuis 2008. La part de ces exportations n'a cessé d'augmenter au cours de la dernière décennie et représente aujourd'hui 74,3 % du total des exportations.
Je me réjouis de ces chiffres encourageants, qui confirment la santé de diffusion et d’attractivité du livre français : les dispositifs de soutien public que j’évoquais y contribuent.
Cher Kenzaburo Oe,
En vous attribuant le Prix Nobel en 1994, l’Académie suédoise consacrait avec vous un écrivain qui « avec une grande force poétique, crée un monde imaginaire où la vie et le mythe se condensent pour former un tableau déroutant de la fragile situation humaine actuelle ».
Votre littérature offre une image du Japon où modernité et tradition nourrissent chez vous un humanisme paradoxal et subversif. « Qu’est-ce que je peux faire pour mon fils, que pouvons-nous faire pour l’avenir de la planète ? Je veux créer une littérature qui réponde à ces deux questions. » À ces mots, comme à la lecture de vos uvres, on comprend à quel point chez vous la conscience politique rejoint et prend sa source dans l’histoire personnelle, celle d’un homme, d’un père, d’un époux et d’un citoyen. Dans votre littérature, c’est l’imagination qui correspond à un mode d’être, à cette « préservation de l’être » dont parle Spinoza, penseur qui vous aura, par ailleurs, aider à renouer avec la littérature après une période de doute profond.
Vos écrits bousculent la société japonaise. Dès la fin des années 1950, vous êtes considéré comme l’enfant terrible des lettres japonaises : votre littérature exprime un mal de vivre des générations marquées par le souvenir de la guerre. D’emblée, votre oeuvre se sera engagée sur deux voies : la description des mouvements de l’âme et un engagement politique au nom des valeurs sur lesquelles s’est construit le Japon de l’après-guerre. Qu’il s’agisse de vos premiers écrits ou de vos oeuvres matures, votre vision poétique et votre acuité politique se seront par ailleurs nourries des auteurs européens.
Les oeuvres les plus variées, celles de Sartre, Miller, Camus, Rabelais, Pierre Gascar, Céline ou encore Thomas Mann, Günter Grass, Noam Chomsky, Edward Saïd, T.S Eliot, Dante, forment le paysage de vos « ruminations » pour reprendre le terme de Nietzsche. Elles vous ont conduit à jeter les bases d’un nouveau style dans la littérature japonaise.
D’abord la nature, la vie à la campagne, souvent perçue par le regard désabusé d’un enfant ou illustrée par le biais de révoltes paysannes comme dans Gibier d’élevage, Le jeu du siècle, ou encore Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants ; ensuite, le paysage mental d’un fils aimé, Hikari, forment la trame d’une littérature d’une densité hors du commun. Dans des chefs d’oeuvre comme Une existence tranquille ou Une affaire
personnelle, vous avez admirablement montré comment de l’accablement peut naître un matin ce « pourquoi ? » qui conduit à un éveil de la conscience. Je vous cite : « Lorsque l’homme est coincé, traqué, apparaît parfois une issue
Ecrire un roman, c’est miser sur cet espoir, faire crédit à la vie ». Pour faire ce crédit à la vie, il vous aura fallu dépasser la souffrance de l’accablement et de la révolte. Il vous aura fallu le double choc de la naissance de cet enfant et de la rencontre des victimes d’Hiroshima, pour que vous fassiez l’apprentissage de la réconciliation. « Ceci est le cri du râle d’eau » a dit Hikari, un jour où vous marchiez ensemble dans la forêt : aujourd’hui, votre fils est un compositeur reconnu, et sa réussite vient couronner un combat - celui que vous avez mené, au fil des jours, des gestes et des livres, pour la dignité d’un enfant et le recouvrement du sens que l’on doit à sa propre vie. Cet enfant malade s’est avéré rédempteur, comme vous l’avez écrit dans Une famille en voie de guérison, ce livre qui résonne comme un apaisement, un adieu au chagrin, un adieu peut-être au roman.
Mais pas un adieu au monde. Bien au contraire. Jamais vous n’y avez autant participé, jamais vous ne vous êtes autant engagé pour défendre ses équilibres fondamentaux. Vous avez sans cesse lutté contre les dégâts causés par le nationalisme dans votre pays, et vous avez fondé en 2004, avec vos amis, une défense de la Constitution pacifique. Les terribles ravages du passé comme du présent, d'Hiroshima à la catastrophe de Fukushima, vous incitent à vous mobiliser avec un courage remarquable. Vous ne cessez de vous battre, d'alerter sur les dangers du nucléaire, d'insister sur la nécessité de mettre fin à l'illusion de l'efficacité de la dissuasion prônée par les puissances détentrices de l'arme atomique : le temps est fini, dites-vous, du Japon ambigu. Et c'est vous qui l'aidez à acquérir une nouvelle clarté. Cette clarté, c’est celle de la « morale de l’essentiel » dont parle Milan Kundera, et qui définit si bien l’orientation d’une vie celle d’un artiste et d’un humaniste exceptionnels.
Cher Kenzaburo Oe, au nom de la République française, nous vous remettons les insignes de Commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres.
Chère Olga Sedakova,
Vous êtes l’une des figures les plus remarquables et les plus singulières de la poésie russe actuelle. Vous dites de « l’espace de la poésie » qu’il « ne possède qu’une seule coordonnée : sa distance par rapport au coeur, au centre ». Essentiellement poète, vous êtes également philologue, professeur de littérature à l’Université de Moscou, auteur de nombreux essais, et traductrice. Dans votre panthéon littéraire et spirituel, Dante cohabite avec Saint François, Rilke, T. S. Eliot, Celan, Ronsard, Baudelaire, Claudel, Jaccottet autant d’auteurs que vous traduisez magnifiquement, mais également Khlebnikov et Mandelstam.
Héritière de la culture non-conformiste des années 1970, formée à l’Université de Moscou, docteur ès lettres sur philologie slave ancienne, proche de l’école structuraliste de Tartu de Iouri Lotman et à la philologie de Sergueï Averintsev qui se désignait lui-même comme un penseur du terroir méditerranéen, vous avez été ouverte par ces intellectuels à ce que vous avez appelé « l’immense espace de l’Europe antique et chrétienne ».
Votre oeuvre poétique a toujours été radicalement libre, c’est dans le circuit parallèle du samizdat que vos poèmes furent d’abord diffusés, et il faudra attendre la chute de l’Union soviétique pour qu’ils puissent emprunter d’autre voies. « Le style qui me satisfait », avez-vous écrit, « est le style de l’oubli de soi. Il peut s’exprimer dans la stylistique la plus variée : dans la nonchalance, la spontanéité géniales qu’atteignaient les vieux dessinateurs chinois ou dans la peinture spirituelle, aux harmonies multiples des icônes byzantines. » Cette aisance linguistique va de pair avec un regard acéré sur la réalité. Dans votre livre Voyage à Tartu et retour, vous scrutez, vous révélez tout au long de votre périple, les stigmates laissés par le régime communiste sur des hommes qui doivent réapprendre à être libre sans s’étouffer. Votre récit peint des personnages broyés par l’emprise de l’oppression, ayant à ce point perdu l’habitude du libre arbitre qu’ils ne le désirent plus.
Depuis 1991 vous travaillez et poursuivez vos recherches à l’Institut de culture mondiale de la Faculté de philosophie de l’Université d’Etat de Moscou ; primée à Paris, en Italie, à Moscou, récemment, le titre de docteur honoris causa vous a été décerné par l’Université de théologie de Minsk.
Grâce à votre regard, à votre langue unique, extrêmement précise et intuitive, ample et scrupuleuse, simple et érudite à la fois, vous nous offrez un regard unique sur le monde, celui d’une poésie comme voie de connaissance, au coeur de l’existence et du monde. Et grâce au talent remarquable de vos traducteurs, le public francophone peut lui aussi découvrir
« Comme il est bon que tout
Ce que l’on désire tant, que l’on demande avec tant d’insistance
Pour quoi l’on donnerait
Ce qu’il y a de plus cher
Que tout cela ne s’avère nullement nécessaire. »
Chère Olga Sedakova, au nom de la République française, nous vous remettons les insignes d’Officier de l’ordre des Arts et des Lettres.
Cher Boris Akounine,
Dans le paysage de la littérature russe contemporaine tiraillée entre les fantômes du passé et les défis du présent, des écrivains prennent la parole sur la place publique pour bousculer la société russe : vous êtes de ceux-là, aux côtés d’écrivains comme Ludmila Ouliskaïa ou Dmitri Bykov. Vous êtes celui qui signe non pas sous son nom géorgien, mais sous ce nom qui signifie en japonais « celui qui crée ses propres règles », et qui rappelle le plus célèbre des anarchistes. Auteur aux mille masques - vous avez crée deux autres noms de plume révélés récemment au public : Anatoli Brousnikine et Anna Borissova -, vous être le roi du roman policier historique et un ambassadeur de cur, en Russie, de la littérature japonaise.
Spécialiste de la littérature nippone, très marqué par le théâtre Kabuki, vous avez dispensé des cours de civilisation japonaise à l’Institut des pays d’Asie et d’Afrique de l’Université d’Etat de Moscou, et traduit, sous votre vrai nom Grigori Tchkhartichvili, bon nombre d’auteurs japonais comme Yukio Mishima, Kenji Maruyama, Masahiko Shimada, ou encore Takeshi Kaikô. Membre en 1986 de la prestigieuse revue littéraire russe Inostrannaya Literatura « Littérature étrangère », vous en êtes devenu le rédacteur en chef adjoint en 1993 et l’êtes resté jusqu’en 2000. Vous supervisez par ailleurs, depuis 1996, la publication d’une Anthologie de la littérature japonaise en 20 volumes.
Dans les années 1990 une métamorphose s’opère : vous abandonnez la traduction pour vous tourner vers l’écriture de romans. De cette métamorphose naîtront en 1998 un héros charismatique, Eraste Pétrovitch Fandorine, enquêteur russe et diplomate au Japon, et une série de 14 romans qui narrent ses aventures dans une Russie tsariste formidablement ressuscitée, parsemés des jeux littéraires féconds où les références aux grands auteurs russes égrènent le récit. Le succès est au rendez-vous, auprès des lecteurs les plus variés. Aimant rompre avec les habitudes, vous avez entrepris de prolonger vos séries avec un nouveau cycle, contemporain cette fois, ayant pour héros le petit fils d’Eraste Fandorine. Vous présidez également le directoire du « Pushkin Library Project » qui bénéficie du soutien financier de la Fondation George Soros.
Votre uvre comporte des cycles, mais tout vous ramène à Moscou, cette ville qui comme vous l’avez écrit « au lieu de vous captiver d’emblée, comme Venise ou Paris, vous pénètre lentement le cur. Elle est comme un gigantesque oignon : cent robes que ne retient aucune agrafe ; on les ôte l’une après l’autre, on les ôte et on fond en larme. On pleure de comprendre que jamais on ne parviendra à la dévêtir complètement ».
« Tchkhartichvili est un raisonneur barbant qui passe d’un âge à un autre. Akounine est un boute-en-train qui empêche Tchkhartchvili de se laisser aller » expliquez-vous : c’est grâce à cette capacité intarissable de vous renouveler de manière surprenante que vous avez réussi à conquérir tous les lecteurs, et ce au niveau international.
Vous comptez parmi les auteurs et les intellectuels les plus influents de votre génération qui oeuvrent aussi bien à l’enrichissement de la littérature russe, aux regards croisés entre les littératures du monde, que pour la voix des citoyens dans la Russie actuelle.
Cher Boris Akounine, c’est un grand plaisir pour moi, au nom de la République française, de vous remettre les insignes d’Officier de l’ordre des Arts et des Lettres.
Chère Selma Jabbès,
En rendant hommage aujourd'hui à l’acteur essentiel de la diffusion du savoir et du livre mais aussi de la création littéraire et intellectuelle française en Tunisie que vous êtes, c'est également à votre mère que je m'adresse : c'est elle qui a fondé la librairie Al Kitab, votre librairie. C'est la fidélité à son travail qui vous a guidé, le respect, l'amour des livres qu’elle vous a transmis et que vous avez gardé intact depuis des années. Vous êtes en quelque sorte née libraire.
En oeuvrant à la diffusion du savoir, vous avez également fondé une nouvelle association professionnelle pour les diffuseurs-libraires et en avez été élue Présidente. C'est le sort du livre, son rayonnement, son avenir qui vous préoccupent. Vous vous êtes constamment souciée de faire connaître la création littéraire et intellectuelle française. La librairie Al Kitab est aujourd’hui la principale librairie francophone de Tunis ; elle est au cur d’une culture commune de l’échange, qui est votre élément.
L'échange et la liberté : combien de fois avez-vous pris des risques personnels, tout au long de ces dernières années, pour défendre la liberté d'inspiration, d'expression et de parution, combien de fois avez-vous lutté contre la censure ? S'il y a une chose dont vous n’admettez pas qu'elle soit interdite, c'est bien le livre. Afficher tous les livres interdits et suivre la montée de la contestation du peuple tunisien, comme vous l'avez fait récemment, fut votre défi et votre honneur.
Ce printemps qui a tout emporté, il y a maintenant un peu plus d'un an, vous le portiez déjà dans votre cur, dans votre manière d'agir, dans votre métier, dans l'amour permanent que vous portez à votre pays. Cette Tunisie à l’écoute de ses voix et de celles du monde, votre librairie s’en est faite un coeur battant. Si du chemin reste encore à faire pour que la liberté d’expression soit totale, tous les livres autour de vous ont désormais la couleur de ce mouvement de libération.
Les libraires indépendants de Tunisie sont des passeurs de démocratie : ils animent ces espaces de diffusion du savoir qui sont les meilleures armes contre toutes les formes de censure et d’oppression culturelle. Votre librairie est un espace de liberté : liberté de lire, de penser, de parole.
Chère Selma Jabbès, aujourd'hui, au nom de la République française, nous vous remettons les insignes de Chevalier de l'ordre des Arts et Lettres.
Cher Yukio Okuyama,
La librairie Omeisha que vous dirigez à Tokyo joue un rôle essentiel dans la diffusion du livre et de la littérature française au Japon. Depuis le début des années 1980, vous êtes un acteur essentiel de cette vitrine de la littérature française au Japon.
C'est en 1947 que votre père a créé la première librairie française de Tokyo. Un père qui avait étudié le français comme lycéen avant de partir pendant un an faire un stage chez Hachette pour apprendre le métier. Un métier qui n'était pourtant pas facile à exercer dans le Japon d'après-guerre. Il était alors très difficile d'importer des livres; votre père en venait parfois à les taper à la machine pour pouvoir les faire imprimer et les distribuer.
Si l'entreprise a su prospérer et asseoir sa renommée, c’est aussi parce que votre père avait construit des liens forts avec le réseau des professeurs de français, comme Shintaro Suzuki, qui l’avaient encouragé à ouvrir une librairie spécialisée, et dont ils deviennent très vite des clients réguliers. Parmi les habitués de ce temple des lettres françaises, on peut compter par exemple le prix Nobel de littérature Yasunari Kawabata, ou encore Kazuo Watanabe, qui fit tant pour la connaissance de la littérature de la Renaissance française au Japon.
Dans le sillage de votre père, vous avez apporté une contribution majeure à l'enseignement et au rayonnement de notre langue au Japon, en apportant notamment un soutien actif à toutes les manifestations littéraires présentées par l’Institut franco-japonais de Tokyo. L'histoire de la librairie et votre histoire se confondent avec celle de la diffusion du français dans l’ensemble du Japon : les Instituts et Alliances françaises, les écoles privées, les universités s'adressent à vous non seulement pour « passer commande », mais parce que vous êtes un guide, un conseiller essentiel. C'est dans la réserve, quasi secrète, de la librairie, qu'on appelle le Paradis que s'affairent tous les collaborateurs qui s'occupent désormais de la vente en ligne.
Tout en étant un lieu de diffusion moderne, votre librairie possède le charme inouï de l'ancien, la couleur du temps, l'odeur du bois, celle d'une bibliothèque, d’un lieu d’échanges chaleureux. Votre librairie est un merveilleux lieu de rencontres avec les écrivains mais aussi les cinéastes et les acteurs qui représentent la France.
Parce que votre contribution au rayonnement, à l’accès et à la présence de la langue française au Japon est inestimable, cher Yukio Okuyama, au nom de la République française, nous vous remettons les insignes de Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres.
Chère Ryoko Sekiguchi,
Femme de lettres, traductrice, vous avez développé un lien intime avec la France et la langue française. La France aujourd’hui reconnaît pleinement votre talent inventif, sobre et lumineux.
Vous vivez à Paris depuis 1997. A partir de 1999 paraissent des traductions puis des versions françaises de vos livres. Calque, Deux marchés, de nouveau et Héliotropes sont ainsi publiés aux éditions P.O.L en 2001 et 2005. À partir de 2003, vous écrivez directement en français, tout en continuant à publier des recueils de poésie aussi bien que des essais au Japon. Vous écrivez désormais dans les deux langues ; plus qu'une prouesse, c'est chez vous une passion.
Cette écriture double répond toujours, selon votre propre expression « à une même volonté de ne pas créer un texte original unique, mais plutôt un objet qui, reflétant la lumière, produirait deux ombres de formes différentes mais provenant toutes deux directement de l'objet ». Vous êtes, au plus beau sens du terme à « l'avant-garde », dans le traitement de la langue, de la page, de l’esthétique.
Deux langues en même temps, mais aussi deux facettes d'une même audace : Héliotropes, s'inspirant de la forme poétique du muwashshah d’Al Andalus, déploie une réflexion sur les noms scientifiques des plantes et leur altérité irréductible ; Adagio ma non troppo, édité par la maison d’éditions Le bleu du ciel, est un insolite et magnifique parcours urbain à partir de la correspondance amoureuse de Pessoa.
Vous ne vous contentez pas de créer des formes singulières en matière de poésie ; vous êtes aussi une merveilleuse traductrice de poètes japonais comme Gôzô Yoshimasu, ou encore de la romancière Yoko Tawada ; et en sens inverse, vous avez traduit en japonais des romans de Jean Echenoz et d'Atiq Rahimi. Peut-être est-ce cette mobilité dans la traduction, cette souplesse mentale à manier les langues et les univers, cette curiosité qui vous ont amenée vers d’autres formes artistiques : vous avez mené plusieurs travaux en collaboration avec Christian Boltanski et le compositeur Franck Krawczyk pour la Biennale de Lyon de 2003, puis avec la photographe Suzanne Doppelt. Plus récemment vous avez prêté votre voix aux compositions de musique électronique de Rainier Lericolais et travaillé à plusieurs projets avec les artistes-plasticiens brésiliens Angela Detanico et Rafael Lain, notamment pour une exposition à la galerie Martine Aboucaya à Paris en 2010, et avec le musicien-compositeur Eddie Ladoire.
Etre à deux, à plusieurs, que ce soit dans les langues ou dans les voies de la création, c’est ce qui fait la force de toutes vos démarches, dans tous les domaines. Au-delà de la remarquable figure littéraire franco-japonaise, il y a en vous une véritable artiste du monde.
Chère Ryoko Sekiguchi, au nom de la République française, nous vous remettons les insignes de Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres.
Source http://www.culturecommunication.gouv.fr, le 19 mars 2012