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Dans une campagne qu’on imagine éprouvante, qu’est-ce que votre visite à La Réunion peut vous apporter en termes de réconfort ou d’encouragement ?
Je viens pour écouter les Réunionnais et leur exposer mon projet pour les cinq années qui viennent. Je suis convaincu des richesses et des atouts de La Réunion. Je viens dire aux Réunionnais que j’ai besoin d’eux pour bâtir une Réunion forte dans une France forte. J’ai besoin de leur énergie, de leur courage.
En 2007, La Réunion fut le département le plus socialiste de France en votant à 63,5% pour Ségolène Royal au second tour de la présidentielle. Qu’avez-vous fait pendant votre quinquennat pour réconcilier les électeurs réunionnais avec votre action politique ?
Je leur ai tenu un discours de vérité. Je les ai respectés en leur faisant confiance, comme à l’ensemble de nos compatriotes. Nous avons dû faire face à une crise économique, financière, monétaire et géopolitique parmi les plus graves de notre histoire. Et dans ce monde en crise, où tout change à une vitesse extraordinaire, la France a non seulement résisté mais s’en sort mieux que bon nombre d’autres pays.
Grâce aux efforts des Français et aux politiques que j’ai menées avec le gouvernement, nous avons protégé les plus fragiles, revalorisé les petites retraites, le minimum vieillesse et l’allocation pour les personnes handicapées. Nous n’avons pas baissé les salaires des retraités et des fonctionnaires, comme c’est le cas en Grèce par exemple. Alors, vous me direz que tout n’est pas parfait, j’en conviens. Mais nous n’avons pas prétexté de la crise pour baisser les bras ou pour réduire nos investissements. Nous avons continué à préparer l’avenir. Dans ce contexte, j’ai toujours veillé à ce que les outremers en général et La Réunion en particulier soient l’objet de toute notre attention.
Avec François Fillon, nous avons maintenu en pleine crise les accords de Matignon, c’est-à-dire pour l’Etat une enveloppe de 870 millions d’euros pour les grands travaux. Grâce à l’énergie et l’efficacité de Didier Robert, les premiers travaux sont engagés s’agissant du réseau de transport en commun. Pour la route du littoral, dont la déclaration d’utilité publique vient d’être prise, les effets sur l’emploi se feront ressentir lorsque les travaux auront commencé.
La Réunion, qui avait été jusqu’alors un bon élève avec une croissance supérieure à la moyenne métropolitaine, est entrée en récession depuis 2009. L’État n’a-t-il pas failli à son devoir de solidarité nationale en rabotant ces dernières années les niches fiscales outre-mer (logement privé et intermédiaire, photovoltaïque...) ?
Comme je viens de vous le dire, les différentes crises qui se sont succédé ont frappé durement l’économie de La Réunion. C’est pour cela que j’ai souhaité, dès 2008, un plan massif de relance, qui a permis de sauvegarder 12 000 emplois en outre-mer. Dès 2010, il faut le souligner, La Réunion a retrouvé une croissance légèrement supérieure à celle de la métropole. La solidarité nationale a pleinement joué, ce qui est normal. J’en veux pour preuve le fait que les crédits consacrés par l’Etat aux outremer ont progressé de 12,9 à 13,4 milliards d’euros entre 2007 et 2012. J’en veux pour preuve l’effort sans précédent fait pour le logement social, avec, à La Réunion, une relance spectaculaire de la production : avec près de 4 700 logements financés, l’année 2011 s’est achevée sur un niveau jamais atteint.
J’ai également préservé la défiscalisation des investissements productifs, même s’il a fallu effectivement corriger certains effets d’aubaine car on ne pouvait pas accepter que certains riches contribuables échappent totalement à l’impôt grâce à ce qu’on appelle les « niches fiscales ». Le photovoltaïque aussi, c’est vrai, a été victime de son extraordinaire succès, mais nous avons veillé à garder un dispositif suffisamment incitatif pour les outremer. Je crois que la défiscalisation contribue au développement économique des outre-mer. Il semble que le candidat socialiste soit très fluctuant sur ce point, et que son discours change selon qu’il parle aux ultramarins ou aux métropolitains : dans un cas il veut maintenir la défiscalisation, dans l’autre il veut réduire les niches fiscales de 29 milliards tout en les plafonnant à 10 000 euros par foyer. Faire cela, c’est vouloir supprimer la défiscalisation sans avoir le courage de l’assumer.
Êtes-vous prêt à consentir un effort budgétaire pour satisfaire les patrons ultramarins qui demandent aujourd’hui un renforcement des aides fiscales ainsi que des exonérations de charges sociales en faveur de leurs entreprises ?
Ce que je souhaite, c’est favoriser une croissance qui soit davantage créatrice d’emplois. Une économie qui croît de plus de 2% chaque année c’est bien, encore faut-il que cette croissance produise non seulement de la richesse mais aussi suffisamment d’emplois. Je souhaite qu’à l’avenir, les nouvelles exonérations soient conditionnées par un engagement précis des entreprises en faveur de l’emploi. Cela dit, je pense que les chefs d’entreprise réunionnais ont bien pris conscience de l’impérieuse nécessité de former et de recruter des jeunes. Je ferai donc des propositions en ce sens, ciblées sur les jeunes, mais aussi sur les secteurs économiques prioritaires pour la Réunion, comme l’agroalimentaire ou les nouvelles technologies.
La dégradation du chômage a été bien plus forte ici qu’en métropole. Là encore, dans l’attente d’une relance de l’économie marchande, ne convenait-il pas de répondre à l’urgence sociale en développant les emplois aidés ?
Les contrats aidés sont un bon outil d’insertion, nécessaire lorsque le chômage est élevé. La Réunion a bénéficié, en 2011, de 30 000 contrats aidés, c’est 6% de l’enveloppe nationale, bien plus que son poids démographique. Pourquoi cet effort particulier ? Parce que j’ai bien conscience de la situation difficile de l’emploi à la Réunion. Et que je ne veux laisser personne au bord du chemin. Je suis prêt à augmenter cet effort si la situation l’exige, je n’ai pas de dogmatisme à ce sujet. Mais au-delà des emplois d’insertion, il ne faut pas oublier que ce sont d’abord les entreprises qui créent des emplois durables, c’est une évidence. Et La Réunion pourra bénéficier des grands chantiers des accords de Matignon qui vont générer plusieurs milliers d’emplois.
60% des moins de 25 ans sont au chômage. Que leur proposez-vous pour qu’ils retrouvent confiance en leur avenir ?
La priorité absolue de ces cinq prochaines années, c’est l’emploi. La formation et la lutte contre le chômage bénéficieront d’efforts budgétaires et fiscaux importants dès le début de mon quinquennat.
En outre j’aurai l’occasion, lors de mon discours à Saint-Pierre, d’annoncer des mesures d’une ampleur inédite pour favoriser l’emploi des jeunes.
Malgré les mesures d’urgence prises par la Région et le Département pour apaiser la colère des consommateurs réunionnais, ceux-ci ont toujours l’impression de se faire arnaquer à chaque fois qu’ils paient leurs courses ou qu’ils remplissent leur réservoir. Comment l’État peut-il, selon vous, réduire durablement les écarts de prix entre la métropole et La Réunion ? Faut-il fixer des prix maximums ?
Il faut dire la vérité aux Réunionnais. Vous savez, les discours simplistes «il faut faire ci, il faut faire ça » c’est toujours plus facile quand on n’est pas en responsabilité. Je mesure les difficultés des familles réunionnaises lorsqu’elles font leurs courses, le niveau des prix étant plus élevé ici qu’en métropole. C’est pourquoi, depuis 2007, nous avons beaucoup travaillé, d’abord pour faire la transparence sur la formation des prix.
Le fonctionnement des observatoires des prix a été revu. Un «chariot-type» a été mis en place, ici à La Réunion. C’est un outil de comparaison des prix assez exemplaire, dont s’inspirent les autres départements. L’Autorité de la Concurrence, qui est un organisme indépendant, intervient désormais en outre-mer. Elle a pointé du doigt le manque de concurrence et les comportements de certains acteurs locaux, intermédiaires ou distributeurs. Elle a prononcé des sanctions, parfois lourdes, avec des résultats, par exemple en matière de téléphonie. C’est bien le problème de la concurrence qui se pose. La réglementation des prix n’est pas l’arme miracle. L’y installer de manière durable ferait fuir les entreprises, consoliderait les monopoles et, au final, ce qui ne serait pas payé par le consommateur le serait par le contribuable.
Il faut en revanche aller encore plus loin pour renforcer la concurrence et lutter contre les monopoles qui produisent des marges trop élevées. C’est la seule voie crédible pour atteindre ce que veulent les Réunionnais, comme tous les Français : le juste prix de ce qu’ils achètent. Je ferai donc des propositions très novatrices pour y arriver.
La Région Réunion va financer un gel des prix des carburants jusqu’au 30 juin. Elle prône également une réforme du décret fixant les prix des hydrocarbures outre-mer et demande une participation accrue de la part des pétroliers. Que vous inspirent ces prises de position ?
Sur la question des carburants, je voudrais rappeler deux choses. D’abord, les tensions sur la scène politique internationale tirent les cours des produits pétroliers vers le haut. Combiné à un euro fort, cela entraîne un prix du pétrole structurellement cher pour tout le monde. Ensuite, la concurrence sur le marché des produits pétroliers est ici limitée. Le système d’approvisionnement est un monopole de fait et nous devons y apporter la plus grande vigilance. Sous l’impulsion de la Région et de l’État, un travail de réflexion sur la structuration des prix du carburant a été lancé. C’est une très bonne chose. Didier Robert, avec courage, a souhaité que le Conseil régional absorbe les hausses de prix pour permettre jusqu’à la fin du mois de juin un débat serein. Cela permettra, j’en suis sûr, de faire émerger des propositions novatrices. Et je m’engage à les soutenir pour aller vers un juste prix pour le consommateur qui fait son plein.
J’ai proposé des pistes : je souhaite que soit clarifiée la chaîne d’approvisionnement. Le rôle de l’importateur doit être clairement séparé de celui du distributeur pour éviter les abus liés à la situation de monopole. Je ne dis pas que ces abus existent, mais ce sera plus clair, plus transparent. Ensuite, il faudra certainement poser le moment venu la question du statut de la SRPP, et notamment de la place des collectivités locales dans sa gouvernance.
Face à la cherté du billet d’avion ou des télécommunications, La Réunion est encore loin de la métropole. Comment établir une vraie continuité territoriale ?
La continuité territoriale est un véritable enjeu, c’est le lien fort qui unit nos territoires. Le gouvernement a réformé le dispositif de continuité territoriale en 2009. Les Réunionnais qui en ont le plus besoin bénéficient aujourd’hui de réductions pour acheter leur billet d’avion vers la métropole. Pour ceux qui viennent se former ou étudier, cela peut aller jusqu’à la prise en charge totale du billet. C’est ici un franc succès et 70 000 Réunionnais ont pu bénéficier de ce dispositif en 2011.
Envisagez-vous de réformer la surrémunération des fonctionnaires qui est sans doute en partie responsable de la surévaluation des prix ?
Cette réforme n’est pas à l’ordre du jour, pour La Réunion, comme pour l’ensemble des outremers.
En 2007, Nassimah Dindar était la figure de proue de vos soutiens politiques à La Réunion. Elle s’est ensuite éloignée de l’UMP pour dénoncer, a-t-elle dit, « un recul des valeurs humanistes » au sein de votre parti. Comprenez-vous que la blague sur les Arabes de Brice Hortefeux et les propos de Claude Guéant sur «l’inégalité des civilisations» puissent choquer dans une île multiculturelle comme la nôtre ?
Nombre de ceux qui me soutiennent sont très attachés aux valeurs humanistes. Voyez, par exemple, Jean-Louis Borloo, qui m’accompagne lors de ce déplacement à La Réunion. Ses valeurs humanistes permettent de comprendre que ce qui nous rassemble est plus important que ce qui nous sépare. Cela vaut pour la société française dans son ensemble, mais aussi pour notre famille politique.
Je sais que les Réunionnais sont attachés à ces valeurs humanistes. Je considère d’ailleurs sincèrement, que le modèle multiculturel de la Réunion est une réussite exemplaire pour notre pays et que la qualité du dialogue interreligieux qui existe ici est un des facteurs d’explication de cette réussite.
Les 110 000 illettrés de La Réunion ne mériteraient-ils pas un effort plus soutenu pour lutter contre ce fléau, notamment en renforçant les moyens de l’Éducation nationale et en généralisant l’accueil des enfants de 3 ans en maternelle?
J’ai initié un plan sans précédent pour lutter contre l’illettrisme en outre-mer. Dans le cadre du premier Conseil interministériel de l’outre-mer, j’ai demandé que des sous-préfets chargés de la cohésion sociale soient nommés dans les Dom pour mettre en oeuvre des plans de lutte contre ce fléau. Savoir lire et écrire, c’est tout simplement pouvoir exercer sa liberté. Aujourd’hui, je suis heureux de voir que ces plans ont permis de réduire de 10% le nombre d’enfants illettrés à la Réunion. Ce n’est qu’un début, mais c’est un bon début.
D’après le Premier ministre mauricien Navin Ramgoolam, vous lui auriez dit l’an dernier que les Réunionnais feraient mieux de s’inspirer des Mauriciens plutôt que de demander toujours l’assistance de la France. Au-delà de l’émoi qu’avait provoqué cette déclaration, comment croyez-vous que La Réunion pourrait sortir de la spirale du chômage ?
Je suis très surpris par votre question. Ni moi, ni aucun membre de mon gouvernement n’ont tenu de tels propos, car ils sont contraires à la vérité. La Réunion, et je suis très fier de le dire et de le redire, constitue, bien au contraire, un modèle dont beaucoup pourraient s’inspirer, outre-mer comme en métropole. Je sais bien que nous sommes en campagne électorale, et que pour certains tous les coups sont permis, mais permettez-moi de vous dire qu’évoquer, un an après, de telles rumeurs totalement infondées, au moment où la coopération « gagnant-gagnant » entre les deux îles n’a jamais été aussi forte, est assez irresponsable.
Que répondez-vous à ceux qui traduisent votre concept de « développement endogène » par : « Débrouillez-vous tout seuls» ?
Je leur dis très simplement que le débat politique mérite mieux qu’un étalage de mauvaise foi. Le développement que je prône pour La Réunion depuis 2007, comme pour tous les territoires ultramarins, repose sur un principe simple : le développement économique doit se baser sur les productions locales que nous devons mieux structurer et mieux exporter. C’est comme cela que nous créerons de l’emploi et du pouvoir d’achat durables pour les Réunionnais. Je crois dans l’esprit d’initiative des Réunionnais, je crois en leur capacité à créer, à innover et à conquérir de nouveaux marchés. Les produits réunionnais sont des produits de grande qualité qui doivent satisfaire le marché local, mais aussi s’exporter dans les pays voisins. Le développement endogène, c’est croire dans les richesses locales. À vrai dire, personne ne conteste vraiment que notre modèle économique Outre-mer, qui a permis à La Réunion d’engager très largement son rattrapage avec la métropole, a aujourd’hui produit tous ses effets. Il faut un nouveau souffle.
Dans le même temps, bien sûr, la solidarité nationale doit bien continuer à jouer. Je l’ai dit, le gouvernement n’a jamais failli sur ce point. J’ajoute que ce mauvais procès qui nous est fait relève de l’hypocrisie : le candidat socialiste propose, lui, une politique de « développement solidaire », définie comme la capacité donnée aux territoires de créer plus de valeur ajoutée localement. Ça tombe bien, c’est exactement la définition du développement endogène que je défends depuis de nombreuses années.
Source http://www.lafranceforte.fr, le 11 avril 2012