Texte intégral
Je suis très heureuse douvrir ce colloque consacré à la prévention et au vieillissement.
En effet, ce sont des sujets qui me tiennent à coeur depuis longtemps. Dans mes précédentes fonctions de Ministre de la santé et des sports, déjà, jen avais fait un axe fort de mon action, notamment dans le cadre de la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST).
Pour favoriser lactivité physique et sportive des personnes âgées, jai également mis en place les « Rendez-vous Sentez-vous Sport Santé-vous bien », dont la deuxième édition a eu lieu à lautomne 2011.
Aujourdhui en tant que Ministre des solidarités et de la cohésion sociale, sur le même sujet, jai lancé un appel à projet national consacré à lorganisation dune offre dactivité physique et sportive adaptée pour permettre aux personnes âgées en voie de fragilisation de préserver ou de maintenir leur autonomie.
Financé grâce au fonds dinnovation et dexpérimentation sociale (FIES), cet appel à projet ambitieux dispose dun montant global de 700 000 euros. Il ne sagit là, bien sûr, que dun exemple parmi dautres de ce que nous pouvons faire en matière de prévention pour relever les défis du vieillissement.
Car, cest un fait, nous vieillissons, et cest dabord une formidable chance (I) !
Lextraordinaire allongement de lespérance de vie que nous connaissons signifie que nous restons en bonne santé, de plus en plus longtemps.
Ainsi, le vieillissement est une période qui ouvre un grand nombre de possibles : possibilité de réaliser, plus longtemps, nos désirs et nos projets ; possibilité dêtre ce pivot familial autour duquel enfants, petits-enfants et parfois arrière-petits-enfants se réunissent ; possibilité dobserver le monde qui change et doeuvrer à ces mutations.
Lespérance de vie sans incapacité : cest donc cela, dabord, que nous devons continuer de préserver et de renforcer, à travers la promotion du bien vieillir. Les différents travaux sur le sujet lont dailleurs bien montré.
Le débat national sur la réforme de la dépendance, la contribution « Pour une politique de prévention au service de lautonomie du rapport 2010 de la caisse nationale de solidarité pour lautonomie (CNSA), le rapport du Sénateur Trillard : la nécessité daméliorer la prévention fait lobjet dun consensus largement partagé.
Et prévenir, cest prévenir partout : au domicile bien sûr, mais aussi dans nos établissements dhébergement pour personnes âgées dépendantes et à loccasion de parcours de soins. Je pense notamment aux séjours à lhôpital, souvent facteurs daccélération voire dentrée en situation de perte dautonomie.
Car ne nous y trompons pas : la qualité de laccueil en établissement participe à la prévention de la perte dautonomie ; elle en est même un élément déterminant.
La dernière analyse de lagence nationale de lévaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) sur la bientraitance en établissements dhébergement pour personnes âgées dépendantes souligne des progrès évidents.
Je retire quelques traits saillants de cette enquête annuelle :
* la part des EHPAD recueillant systématiquement des informations sur les habitudes et les centres dintérêt du résident atteint 70% en 2010, contre 59% en 2009 ;
* la mise en place de procédures de gestion des faits de maltraitance augmente nettement : 74% des EHPAD en 2010, contre 60% en 2009 ;
* enfin, linstallation des conseils de la vie sociale progresse, ce qui contribue évidemment à la bientraitance. Cela favorise en effet lexpression des plaintes et favorise les suggestions des résidents et de leur entourage (82% des EHPAD ont installé un CVS en 2010, contre 74% en 2009).
Cest donc pour moi loccasion de saluer ces résultats encourageants qui résultent defforts collectifs ayant permis, entre les deux éditions de cette enquête, de réaliser des progrès significatifs. Ces efforts, pérennisons-les !
Encourager le bien vieillir, telle est bien notre ambition.
La perte dautonomie est un processus souvent long, qui se déroule à travers des étapes successives, un processus marqué parfois par des ruptures brutales, mais un processus que lon peut prévenir, anticiper, retarder, accompagner et même éviter.
Mettre en oeuvre des politiques ambitieuses en matière de prévention, cest donc un enjeu majeur, pour préserver la qualité de vie et la dignité des personnes âgées, quelles vivent chez elle ou en établissement dhébergement.
Dailleurs, nous avons pris la mesure de ces enjeux, puisque, dores et déjà, nous consacrons près dun milliard deuros à la prévention de la dépendance. Cest un effort considérable qui nous oblige à rechercher toujours la plus grande efficience.
Alors, concrètement, comment faire pour maintenir lautonomie des personnes âgées ?
Prévenir, cest agir dans des domaines très variés : bien sûr promouvoir la santé des personnes âgées, jen parlais en préambule ; mais aussi lutter contre la solitude, favoriser leur inclusion et leur participation à la vie de la cité, leur rendre les espaces de vie plus accessibles.
Mais prévenir, cest aussi et surtout continuer de solliciter les capacités résiduelles dautonomie des personnes âgées, comme la bien montré le Professeur Gilles Berrut, lors des débats sur la réforme de la dépendance.
Agir sur toutes les facettes de lexistence donc, cela signifie faire appel à de nombreux acteurs, qui, tous, ont fait la preuve de leur légitimité.
Je pense bien entendu aux agences régionales de santé (ARS), qui sont chargées délaborer de façon concertée un schéma régional de prévention.
Je pense aussi aux organismes de la branche retraite, au sein de laquelle la caisse nationale dassurance vieillesse (CNAV), la mutualité sociale agricole (MSA) et le régime sociale des indépendants (RSI) mutualisent leurs efforts dans le cadre dun partenariat « inter-régimes ».
Ces instances se sont également engagées à travailler en lien étroit avec les conseils généraux.
Je pense, enfin, aux observatoires de la fragilité que la CNAM et la CNAV ont initiés, ou encore à lINPES et à ses campagnes de sensibilisation, aux conseils généraux, aux communes, aux mutuelles, aux institutions de prévoyance, et aux professionnels des secteurs sanitaire et médico-social.
Pluralité des domaines dintervention, foisonnement des acteurs : pour répondre avec efficacité, précisément, à une telle diversité, nos politiques de prévention doivent être guidées par une exigence de transversalité et de cohérence.
* Dès lors, comment renforcer la lisibilité et lefficacité de nos actions de prévention ?
Cest à cette interrogation que je voudrais à présent, dans un second temps de mon propos, apporter des éléments de réponse (II).
Dans son évaluation du Plan bien vieillir, le Haut Conseil de la Santé Publique a rappelé la pertinence dune démarche préventive jen parlais il y a quelques instants. Mais il a également pointé, ainsi que les docteurs Geneviève Ruault et Jean-Pierre Aquino, un déficit de gouvernance.
En effet, aujourdhui, les actions de prévention sont majoritairement mises en oeuvre au niveau local. 6 En toute logique, cest donc à ce même niveau que devraient avoir lieu lévolution des pratiques professionnelles et la diffusion dune véritable culture de la prévention. Pour y parvenir, nous devons poursuivre nos efforts pour améliorer la coordination entre les différents acteurs et construire un cadre stratégique national. En effet, comment les acteurs locaux peuvent-ils se coordonner si au niveau national, leurs têtes de réseau avancent en ordre dispersé ?
Cest pourquoi jai décidé, en accord avec les ministres de la santé, du travail, du logement, des sports et des transports, dinstaller un Comité national de coordination de la politique de prévention de la perte dautonomie.
Il réunira tous les ministères concernés et les opérateurs nationaux. Je souhaite que la création de ce comité suscite, chez chacune des parties prenantes, un engagement fort à oeuvrer en faveur dune plus grande cohérence des actions de prévention :
* en portant à la connaissance des partenaires lensemble des actions menées et prévues et en partageant les enseignements de ces expériences ;
* en déclinant dans les représentations locales les priorités partagées au sein du comité et en encourageant les coopérations au niveau local. Ce comité sera chargé de définir, avec ses membres, les axes stratégiques et prioritaires de la politique de prévention, den suivre la mise en oeuvre.
Je compte réunir le comité dès le mois de mars.
Je veux en profiter pour vous remercier, cher Docteur Jean-Pierre Aquino, davoir accepté den assurer la présidence. Je ne doute pas que vous saurez mobiliser une nouvelle fois votre précieuse expertise, comme vous laviez fait en présidant le comité de pilotage du Plan Bien Vieillir.
Dans le prolongement de ce plan, dailleurs, vous avez mené, avec le Docteur Geneviève Ruault, un important travail pour identifier des mesures concrètes à mettre en oeuvre. Grâce à vous, nous disposons donc dores et déjà dun corpus riche de mesures pertinentes. Je fais toute confiance au comité national de coordination de la politique de prévention de la perte dautonomie pour puiser avec intelligence dans ce véritable vivier dactions. Améliorer nos politiques de prévention et les rendre plus efficaces, cest donc coordonner, mais aussi mieux cibler les populations fragiles, qui présentent un risque plus élevé de perte dautonomie.
Si cette notion de fragilité commence à être partagée, elle doit être mieux appréhendée et chacun doit pouvoir sen emparer.
Aussi, avec Nora Berra, nous avons demandé au Professeur Bruno Vellas, responsable du gérontopole de Toulouse, reconnu comme un pôle de référence gériatrique au niveau national et international, de proposer au comité national des outils pour mieux repérer les personnes en risque de fragilité.
Cibler des publics donc, mais aussi cibler des moments charnières. Je pense à la transition entre le domicile ou bien lEHPAD et lhôpital, dont on sait quils peuvent être synonymes daccélération dentrée dans la dépendance. Cest tout lenjeu de lexpérimentation inspirée par le rapport du Haut conseil pour lavenir de lassurance maladie (HCAAM).
Elle va nous permettre de poser les fondements dune meilleure fluidité du parcours de soin des personnes fragiles et déviter aux personnes âgées de nombreuses journées dhospitalisation inutiles et coûteuses pour notre système de soins.
Jajoute que, alitée pendant 10 jours, une personne âgée peut perdre jusquà 20% de sa masse musculaire, ce dont elle ne se remettra pas !
Alors, pour le dire simplement, arrêtons de « fabriquer » des personnes dépendantes ! Lune des recommandations issues de cette expérimentation pourrait être que chaque chef de service à lhôpital développe dans son « projet de service » un volet « accueil et prise en charge des personnes âgées fragiles ou dépendantes ».
Ce serait là une façon pragmatique de diffuser les bonnes pratiques en gériatrie au sein de lhôpital et déviter les risques de perte dautonomie au cours de lun de ces moments charnières que je viens dévoquer.
Coordonner, cibler des publics et des moments ; au-delà, il faut aussi, je crois, libérer la parole de nos aînés, qui revendiquent eux-mêmes ce besoin de sexprimer. Jen veux pour preuve les aspirations qui se sont fait jour dans le cadre des débats régionaux et des rencontres autour de la grande cause nationale 2011 la lutte contre la solitude.
Pourquoi ne pas sinspirer, par exemple, de ce qui se fait au Québec avec les tables de concertation ?
Je vais demander au comité national des retraités et personnes âgées (CNRPA) de me faire des propositions en ce sens pour organiser chaque année une concertation avec nos aînés, qui ont des choses à dire.
Enfin, je ne voudrais pas conclure sans souligner combien la prévention de la dépendance et la politique du handicap sont liées.
Rendre la ville plus accessible et les logements plus adaptés, ce nest pas seulement améliorer la qualité de vie des personnes handicapées. Cest aussi favoriser une meilleure prévention de la dépendance pour les personnes âgées.
Je le rappelle, le domicile est le premier lieu de risques :
* 75% des signalements de maltraitance portent sur le domicile ;
* les chutes provoquent environ 10 000 décès par an et des dizaines de milliers de cas de traumatismes et de lésions aux conséquences graves ;
* il existe un risque accru de solitude et disolement si le logement est situé dans un environnement urbain non accessible.
Une personne âgée qui vit chez elle doit pouvoir aller faire ses courses, se faire soigner, acheter ses médicaments, se promener dans son quartier ou son village, participer aux activités sociales, culturelles et physiques à proximité de son domicile. Nous devons donc mener une véritable politique publique dadaptation du logement.
Vivre à domicile, ce nest pas vivre le confinement à domicile.
La mobilité et laccessibilité sont essentiels Cest pourquoi il est nécessaire daméliorer laccessibilité des espaces privés et publics et, plus globalement, lenvironnement socio-urbain (les aménagements, le mobilier urbain, les déplacements ou encore les, services de proximité).
Cest précisément la raison pour laquelle le Président de la République a réaffirmé, lors de la conférence nationale du handicap, le 8 juin 2011, que nous tiendrons nos engagements à lhorizon 2015.
* Anticiper la perte dautonomie pour maintenir la vitalité des personnes âgées et leur offrir la meilleure qualité de vie : cest une aspiration légitime de nos civilisations modernes.
Lannée européenne nest-elle pas dailleurs consacrée cette année, précisément, au vieillissement actif, qui vise à développer une image plus positive de la vieillesse et à renforcer le lien intergénérationnel ?
Bien plus vaste, plus complexe aussi, ce sujet engage en réalité la conception, individuelle et collective, que nous nous faisons de notre société et de notre rapport aux autres, et dabord aux plus vulnérables.
Quelle place accorder aux personnes âgées qui la composent ?
Comment faire en sorte que, jusquau bout, elles continuent de participer pleinement à notre pacte social et à notre vie citoyenne ?
Quel projet de civilisation voulons-nous défendre ?
Cest, in fine, à ces questionnements éthiques et philosophiques que nous devons répondre pour bâtir une politique de prévention ambitieuse, soucieuse du bien-être et de lépanouissement de nos aînés, notre bien le plus précieux.
Source http://www.solidarite.gouv.fr, le 8 février 2012