Déclaration de Mme Roselyne Bachelot, ministre des solidarités et de la cohésion sociale, sur l'accueil et l'accès aux soins médicaux des personnes âgées dépendantes, Paris le 3 février 2012.

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Circonstance : Colloque "Prévention du vieillissement" à Paris le 3 février 2012

Texte intégral


Je suis très heureuse d’ouvrir ce colloque consacré à la prévention et au vieillissement.
En effet, ce sont des sujets qui me tiennent à coeur depuis longtemps. Dans mes précédentes fonctions de Ministre de la santé et des sports, déjà, j’en avais fait un axe fort de mon action, notamment dans le cadre de la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST).
Pour favoriser l’activité physique et sportive des personnes âgées, j’ai également mis en place les « Rendez-vous Sentez-vous Sport Santé-vous bien », dont la deuxième édition a eu lieu à l’automne 2011.
Aujourd’hui en tant que Ministre des solidarités et de la cohésion sociale, sur le même sujet, j’ai lancé un appel à projet national consacré à l’organisation d’une offre d’activité physique et sportive adaptée pour permettre aux personnes âgées en voie de fragilisation de préserver ou de maintenir leur autonomie.
Financé grâce au fonds d’innovation et d’expérimentation sociale (FIES), cet appel à projet ambitieux dispose d’un montant global de 700 000 euros. Il ne s’agit là, bien sûr, que d’un exemple parmi d’autres de ce que nous pouvons faire en matière de prévention pour relever les défis du vieillissement.
Car, c’est un fait, nous vieillissons, et c’est d’abord une formidable chance (I) !
L’extraordinaire allongement de l’espérance de vie que nous connaissons signifie que nous restons en bonne santé, de plus en plus longtemps.
Ainsi, le vieillissement est une période qui ouvre un grand nombre de possibles : possibilité de réaliser, plus longtemps, nos désirs et nos projets ; possibilité d’être ce pivot familial autour duquel enfants, petits-enfants et parfois arrière-petits-enfants se réunissent ; possibilité d’observer le monde qui change et d’oeuvrer à ces mutations.
L’espérance de vie sans incapacité : c’est donc cela, d’abord, que nous devons continuer de préserver et de renforcer, à travers la promotion du bien vieillir. Les différents travaux sur le sujet l’ont d’ailleurs bien montré.
Le débat national sur la réforme de la dépendance, la contribution « Pour une politique de prévention au service de l’autonomie du rapport 2010 de la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), le rapport du Sénateur Trillard : la nécessité d’améliorer la prévention fait l’objet d’un consensus largement partagé.
Et prévenir, c’est prévenir partout : au domicile bien sûr, mais aussi dans nos établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes et à l’occasion de parcours de soins. Je pense notamment aux séjours à l’hôpital, souvent facteurs d’accélération voire d’entrée en situation de perte d’autonomie.
Car ne nous y trompons pas : la qualité de l’accueil en établissement participe à la prévention de la perte d’autonomie ; elle en est même un élément déterminant.
La dernière analyse de l’agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) sur la bientraitance en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes souligne des progrès évidents.
Je retire quelques traits saillants de cette enquête annuelle :
* la part des EHPAD recueillant systématiquement des informations sur les habitudes et les centres d’intérêt du résident atteint 70% en 2010, contre 59% en 2009 ;
* la mise en place de procédures de gestion des faits de maltraitance augmente nettement : 74% des EHPAD en 2010, contre 60% en 2009 ;
* enfin, l’installation des conseils de la vie sociale progresse, ce qui contribue évidemment à la bientraitance. Cela favorise en effet l’expression des plaintes et favorise les suggestions des résidents et de leur entourage (82% des EHPAD ont installé un CVS en 2010, contre 74% en 2009).
C’est donc pour moi l’occasion de saluer ces résultats encourageants qui résultent d’efforts collectifs ayant permis, entre les deux éditions de cette enquête, de réaliser des progrès significatifs. Ces efforts, pérennisons-les !
Encourager le bien vieillir, telle est bien notre ambition.
La perte d’autonomie est un processus souvent long, qui se déroule à travers des étapes successives, un processus marqué parfois par des ruptures brutales, mais un processus que l’on peut prévenir, anticiper, retarder, accompagner et même éviter.
Mettre en oeuvre des politiques ambitieuses en matière de prévention, c’est donc un enjeu majeur, pour préserver la qualité de vie et la dignité des personnes âgées, qu’elles vivent chez elle ou en établissement d’hébergement.
D’ailleurs, nous avons pris la mesure de ces enjeux, puisque, d’ores et déjà, nous consacrons près d’un milliard d’euros à la prévention de la dépendance. C’est un effort considérable qui nous oblige à rechercher toujours la plus grande efficience.
Alors, concrètement, comment faire pour maintenir l’autonomie des personnes âgées ?
Prévenir, c’est agir dans des domaines très variés : bien sûr promouvoir la santé des personnes âgées, j’en parlais en préambule ; mais aussi lutter contre la solitude, favoriser leur inclusion et leur participation à la vie de la cité, leur rendre les espaces de vie plus accessibles.
Mais prévenir, c’est aussi – et surtout – continuer de solliciter les capacités résiduelles d’autonomie des personnes âgées, comme l’a bien montré le Professeur Gilles Berrut, lors des débats sur la réforme de la dépendance.
Agir sur toutes les facettes de l’existence donc, cela signifie faire appel à de nombreux acteurs, qui, tous, ont fait la preuve de leur légitimité.
Je pense bien entendu aux agences régionales de santé (ARS), qui sont chargées d’élaborer de façon concertée un schéma régional de prévention.
Je pense aussi aux organismes de la branche retraite, au sein de laquelle la caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), la mutualité sociale agricole (MSA) et le régime sociale des indépendants (RSI) mutualisent leurs efforts dans le cadre d’un partenariat « inter-régimes ».
Ces instances se sont également engagées à travailler en lien étroit avec les conseils généraux.
Je pense, enfin, aux observatoires de la fragilité que la CNAM et la CNAV ont initiés, ou encore à l’INPES et à ses campagnes de sensibilisation, aux conseils généraux, aux communes, aux mutuelles, aux institutions de prévoyance, et aux professionnels des secteurs sanitaire et médico-social.
Pluralité des domaines d’intervention, foisonnement des acteurs : pour répondre avec efficacité, précisément, à une telle diversité, nos politiques de prévention doivent être guidées par une exigence de transversalité et de cohérence.
* Dès lors, comment renforcer la lisibilité et l’efficacité de nos actions de prévention ?
C’est à cette interrogation que je voudrais à présent, dans un second temps de mon propos, apporter des éléments de réponse (II).
Dans son évaluation du Plan bien vieillir, le Haut Conseil de la Santé Publique a rappelé la pertinence d’une démarche préventive – j’en parlais il y a quelques instants. Mais il a également pointé, ainsi que les docteurs Geneviève Ruault et Jean-Pierre Aquino, un déficit de gouvernance.
En effet, aujourd’hui, les actions de prévention sont majoritairement mises en oeuvre au niveau local. 6 En toute logique, c’est donc à ce même niveau que devraient avoir lieu l’évolution des pratiques professionnelles et la diffusion d’une véritable culture de la prévention. Pour y parvenir, nous devons poursuivre nos efforts pour améliorer la coordination entre les différents acteurs et construire un cadre stratégique national. En effet, comment les acteurs locaux peuvent-ils se coordonner si au niveau national, leurs têtes de réseau avancent en ordre dispersé ?
C’est pourquoi j’ai décidé, en accord avec les ministres de la santé, du travail, du logement, des sports et des transports, d’installer un Comité national de coordination de la politique de prévention de la perte d’autonomie.
Il réunira tous les ministères concernés et les opérateurs nationaux. Je souhaite que la création de ce comité suscite, chez chacune des parties prenantes, un engagement fort à oeuvrer en faveur d’une plus grande cohérence des actions de prévention :
* en portant à la connaissance des partenaires l’ensemble des actions menées et prévues et en partageant les enseignements de ces expériences ;
* en déclinant dans les représentations locales les priorités partagées au sein du comité et en encourageant les coopérations au niveau local. Ce comité sera chargé de définir, avec ses membres, les axes stratégiques et prioritaires de la politique de prévention, d’en suivre la mise en oeuvre.
Je compte réunir le comité dès le mois de mars.
Je veux en profiter pour vous remercier, cher Docteur Jean-Pierre Aquino, d’avoir accepté d’en assurer la présidence. Je ne doute pas que vous saurez mobiliser une nouvelle fois votre précieuse expertise, comme vous l’aviez fait en présidant le comité de pilotage du Plan Bien Vieillir.
Dans le prolongement de ce plan, d’ailleurs, vous avez mené, avec le Docteur Geneviève Ruault, un important travail pour identifier des mesures concrètes à mettre en oeuvre. Grâce à vous, nous disposons donc d’ores et déjà d’un corpus riche de mesures pertinentes. Je fais toute confiance au comité national de coordination de la politique de prévention de la perte d’autonomie pour puiser avec intelligence dans ce véritable vivier d’actions. Améliorer nos politiques de prévention et les rendre plus efficaces, c’est donc coordonner, mais aussi mieux cibler les populations fragiles, qui présentent un risque plus élevé de perte d’autonomie.
Si cette notion de fragilité commence à être partagée, elle doit être mieux appréhendée et chacun doit pouvoir s’en emparer.
Aussi, avec Nora Berra, nous avons demandé au Professeur Bruno Vellas, responsable du gérontopole de Toulouse, reconnu comme un pôle de référence gériatrique au niveau national et international, de proposer au comité national des outils pour mieux repérer les personnes en risque de fragilité.
Cibler des publics donc, mais aussi cibler des moments charnières. Je pense à la transition entre le domicile – ou bien l’EHPAD – et l’hôpital, dont on sait qu’ils peuvent être synonymes d’accélération d’entrée dans la dépendance. C’est tout l’enjeu de l’expérimentation inspirée par le rapport du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM).
Elle va nous permettre de poser les fondements d’une meilleure fluidité du parcours de soin des personnes fragiles et d’éviter aux personnes âgées de nombreuses journées d’hospitalisation inutiles et coûteuses pour notre système de soins.
J’ajoute que, alitée pendant 10 jours, une personne âgée peut perdre jusqu’à 20% de sa masse musculaire, ce dont elle ne se remettra pas !
Alors, pour le dire simplement, arrêtons de « fabriquer » des personnes dépendantes ! L’une des recommandations issues de cette expérimentation pourrait être que chaque chef de service à l’hôpital développe dans son « projet de service » un volet « accueil et prise en charge des personnes âgées fragiles ou dépendantes ».
Ce serait là une façon pragmatique de diffuser les bonnes pratiques en gériatrie au sein de l’hôpital et d’éviter les risques de perte d’autonomie au cours de l’un de ces moments charnières que je viens d’évoquer.
Coordonner, cibler des publics et des moments ; au-delà, il faut aussi, je crois, libérer la parole de nos aînés, qui revendiquent eux-mêmes ce besoin de s’exprimer. J’en veux pour preuve les aspirations qui se sont fait jour dans le cadre des débats régionaux et des rencontres autour de la grande cause nationale 2011 – la lutte contre la solitude.
Pourquoi ne pas s’inspirer, par exemple, de ce qui se fait au Québec avec les tables de concertation ?
Je vais demander au comité national des retraités et personnes âgées (CNRPA) de me faire des propositions en ce sens pour organiser chaque année une concertation avec nos aînés, qui ont des choses à dire.
Enfin, je ne voudrais pas conclure sans souligner combien la prévention de la dépendance et la politique du handicap sont liées.
Rendre la ville plus accessible et les logements plus adaptés, ce n’est pas seulement améliorer la qualité de vie des personnes handicapées. C’est aussi favoriser une meilleure prévention de la dépendance pour les personnes âgées.
Je le rappelle, le domicile est le premier lieu de risques :
* 75% des signalements de maltraitance portent sur le domicile ;
* les chutes provoquent environ 10 000 décès par an et des dizaines de milliers de cas de traumatismes et de lésions aux conséquences graves ;
* il existe un risque accru de solitude et d’isolement si le logement est situé dans un environnement urbain non accessible.
Une personne âgée qui vit chez elle doit pouvoir aller faire ses courses, se faire soigner, acheter ses médicaments, se promener dans son quartier ou son village, participer aux activités sociales, culturelles et physiques à proximité de son domicile. Nous devons donc mener une véritable politique publique d’adaptation du logement.
Vivre à domicile, ce n’est pas vivre le confinement à domicile.
La mobilité et l’accessibilité sont essentiels C’est pourquoi il est nécessaire d’améliorer l’accessibilité des espaces privés et publics et, plus globalement, l’environnement socio-urbain (les aménagements, le mobilier urbain, les déplacements ou encore les, services de proximité).
C’est précisément la raison pour laquelle le Président de la République a réaffirmé, lors de la conférence nationale du handicap, le 8 juin 2011, que nous tiendrons nos engagements à l’horizon 2015.
* Anticiper la perte d’autonomie pour maintenir la vitalité des personnes âgées et leur offrir la meilleure qualité de vie : c’est une aspiration légitime de nos civilisations modernes.
L’année européenne n’est-elle pas d’ailleurs consacrée cette année, précisément, au vieillissement actif, qui vise à développer une image plus positive de la vieillesse et à renforcer le lien intergénérationnel ?
Bien plus vaste, plus complexe aussi, ce sujet engage en réalité la conception, individuelle et collective, que nous nous faisons de notre société et de notre rapport aux autres, et d’abord aux plus vulnérables.
Quelle place accorder aux personnes âgées qui la composent ?
Comment faire en sorte que, jusqu’au bout, elles continuent de participer pleinement à notre pacte social et à notre vie citoyenne ?
Quel projet de civilisation voulons-nous défendre ?
C’est, in fine, à ces questionnements éthiques et philosophiques que nous devons répondre pour bâtir une politique de prévention ambitieuse, soucieuse du bien-être et de l’épanouissement de nos aînés, notre bien le plus précieux.
Source http://www.solidarite.gouv.fr, le 8 février 2012