Déclaration de M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, sur la création au sein de la Fédération canadienne du territoire du Nunavut, Paris le 20 avril 1999.

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Circonstance : Diner en l'honneur de M. John Amagoalik, président de la Commission d'établissement du Nunavut, à Paris le 20 avril 1999

Texte intégral

Monsieur le Président,
Excellences,
Mesdames, Messieurs,
Cest un grand plaisir qui mest donné de vous accueillir ici au Ministère de loutre-mer. Ce Ministère a la charge particulière daccompagner dans leur développement institutionnel, économique et social les départements et territoires français situés au-delà des océans et où cohabitent des populations et des communautés aux origines diverses, mais dont les membres partagent aujourdhui, en tant que citoyens français, la même histoire.
Cette rencontre avec vous, Monsieur le Président, qui venez de si loin, des confins du continent arctique, est un honneur pour le gouvernement français et pour notre pays que vous avez choisi de visiter au cours de ce déplacement en Europe. Après Paris, vous vous rendrez en Suède, avant de repartir pour le Canada retrouver votre terre, le Nunavut. Je vous exprime lémotion que je ressens davoir partagé ces instants avec vous qui êtes un représentant respecté du peuple inuit.
Il y a trois semaines, le monde assistait, avec un certain émerveillement, à un évènement rare : la naissance pacifique, au sein de la Fédération canadienne, dun territoire, le Nunavut, dont le gouvernement sera exercé par les descendants du peuple établi depuis des millénaires sur ces espaces glacés de quelque deux millions de kilomètres carrés - quatre fois la France, un cinquième du Canada -, qui faisaient jusque-là partie des Territoires du Nord-Ouest. Grâce aux moyens de la technologie moderne - le satellite, la télévision -, nous avons pu vivre en direct ce moment de joie intense pour le peuple inuit et tous ceux qui, au Canada, ont contribué à sa réalisation.
Permettez-moi de vous dire, Monsieur le Président, que la France considère avec un grand intérêt tout ce qui peut favoriser la renaissance des peuples premiers, leur développement économique et social, leur enrichissement culturel.
Au moment où se déchaîne, dans une partie de lEurope, la haine ethnique, cet évènement est un acte despoir. Lacte de naissance pacifique du Nunavut donne, malgré tout, confiance dans la sagesse des hommes.
Le Nunavut existe désormais sur la carte du monde et lon saccorde à reconnaître que vous êtes lun des plus influents inspirateurs de sa création, pour ne pas dire lun des pères.
La renaissance du peuple inuit est une longue histoire. Vous y avez apporté, Monsieur le Président, une éminente contribution. Comme Martin Luther King, vous avez fait un rêve, le rêve dune patrie pour les Inuit.
Pour donner corps à votre vision, vous publiez en 1977 dans « Inuit Today « un article au titre précisément intitulé : « Nous devons avoir des rêves. « Et vous posez alors la question fondamentale : le peuple esquimau est-il appelé à disparaître de la surface de la terre ? Sa culture, sa langue, sa relation à la nature sont-elles vouées à loubli ? Les Inuit sont-ils voués à être classés parmi les espèces en danger au même titre que la baleine bleue et lours polaire ?
Pendant des années, avec quelques compagnons, vous allez parcourir le Grand Nord à la rencontre des communautés inuit pour leur communiquer votre vision, leur insuffler lénergie indispensable pour résister à la fatalité. Parallèlement, vous engagez le dialogue avec les autorités canadiennes. De 1979 à 1988, vous êtes, en tant que représentant officiel de la communauté inuit, linterlocuteur principal du Gouvernement fédéral canadien. Vous êtes porté ensuite à la Présidence du Forum constitutionnel du Nunavut. En tant que Président de la Commission détablissement du Nunavut depuis 1993, vous avez, enfin, joué un « rôle majeur « , pour reprendre lhommage que vous a rendu hier le Président de la République, dans la naissance du nouveau territoire.
Ce long processus, aujourdhui abouti, est passé par la reconnaissance en 1982 dans la Constitution canadienne de lexistence de droits spécifiques pour les peuples autochtones, consistant en un droit au « self government « et à un droit sur les terres.
En 1988, dans une « Déclaration de réconciliation « visant à tirer les leçons du passé, le gouvernement du Canada a « adressé ses plus profonds regrets à tous les peuples autochtones du Canada à propos des gestes passés du gouvernement fédéral, qui ont contribué aux difficiles passages de lhistoire « de leur relations. Un texte quon a pu rapprocher, en dépit de leurs différences, du Préambule de laccord de Nouméa, signé le 5 mai 1998, qui reconnaît que « le choc de la colonisation a constitué un traumatisme durable pour la population dorigine « et que « le moment est venu de reconnaître les ombres de la période coloniale, même si elle ne fut pas dépourvue de lumière « .
En 1993, le Parlement fédéral canadien a adopté plusieurs textes législatifs accordant aux Inuit la gestion de plus de 350 000 kilomètres carrés de terres, dont 36 000 comprenant des droits miniers, et prévoyant explicitement la création du Nunavut en 1999.
Le 1er avril 1999, votre rêve, Monsieur le Président, est devenu réalité.
Il faut voir dans cet évènement historique le résultat de votre ténacité, de votre volonté de survie en tant que peuple ; cest aussi le fruit de la sagesse et de la prise de conscience du gouvernement et du peuple canadien de la nécessité de fonder avec les peuples autochtones du Canada un nouveau partenariat dans la poursuite de buts communs.
Monsieur le Président, de grandes tâches attendent le peuple du Nunavut dans le domaine de léducation, de la santé, des services sociaux, de la culture, du logement, de la justice. Votre population est jeune, dynamique. Comme elle a su traduire dans les faits son droit à la reconnaissance, elle saura être, nous nen doutons pas, à la hauteur des défis de la nouvelle ère qui commence dans son histoire millénaire.
Monsieur le Président, nous sommes sûrs que, dans cette nouvelle oeuvre, vous continuerez à être la conscience du peuple inuit.
(Source http ://www.outre-mer.gouv.fr, le 26 avril 1999)