Interview de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, à RFI le 2 avril 1999, sur la préparation et le calendrier de l'élargissement de l'Union européenne aux pays d'Europe de l'est et sur l'intégration de la Pologne, la République tchèque et la Hongrie à l'OTAN.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Q - Monsieur Moscovici, le rêve dune Europe réunie semble commencer à se réaliser. Depuis le Traité de Rome en 1957, lEurope est passée de 6 à 15 membres. Actuellement, on réfléchit sur son élargissement à lEst. Les candidats ne manquent pas, mais seuls cinq pays peuvent, pour linstant, espérer adhérer prochainement à lUnion européenne : il sagit de la Pologne, de la République tchèque, de la Hongrie, de la Slovénie et de lEstonie. Pourquoi ceux-là et pas les autres ?
R - Dabord, il ne faut pas laisser croire que cest une décision arbitraire qui fait que lon a retenu ces premiers pays, qui ont déjà ouvert des négociations avec lUnion, alors que dautres attendent. Cest, au contraire, une décision objective qui a été mûrement pesée à partir de rapports qui ont été faits par la Commission sur létat davancement de ces pays : quelle économie de marché, quelle structure politique, quelle structure administrative, quelle capacité à reprendre lacquis communautaire.... Car, pour que lélargissement soit réussi, il faut que les pays soient prêts à adhérer. Mais, que les autres se rassurent : il y aura, à la fin de lannée, un nouveau rapport de la Commission et peut-être ouvrira-t-on des négociations avec dautres. Bref, le processus de lélargissement est un processus global, inclusif, qui ne concerne pas cinq pays mais qui en concerne dix ou onze, si on inclut Chypre. Les premiers partis ne seront pas forcément les premiers arrivés.
Q - Depuis dix ans, les pays occidentaux ont mis en place un ensemble de dispositions pour soutenir les transformations dans ces pays. Il faut souligner aussi que les pays candidats ont fait des efforts considérables et ont payé un prix social élevé. Cependant, aucune date ni aucun calendrier précis ne sont prévus. Pourquoi ?
R - On avait parlé de date au début des années 90 après la chute du Mur de Berlin. Helmut Kohl ou Jacques Chirac étaient allés à Varsovie, à Vienne, à Budapest et avaient parlé de lan 2000. En fait, aujourdhui, on pense plutôt à 2003, 2004, 2005, sans donner de date précise. Pourquoi ? Parce que, je le répète, cet élargissement est une nécessité politique. Nous le voulons. Nous y sommes favorables, mais nous ne voulons pas être démagogues. Pour moi, la bonne date cest le plus vite possible, cest-à-dire dès que ces pays sont prêts, dès que nous sommes prêts aussi à élargir. De ce point de vue-là, la réussite du Conseil européen de Berlin sur lAgenda 2000 est plutôt un bon signe, puisque les Européens ont réformé leurs propres politiques communes pour se préparer à lélargissement.
Q - Les pays candidats, bien entendu, aimeraient que leur adhésion à lUnion européenne se fasse plus rapidement mais, en même temps, ils ne cachent pas leur réticence à aller trop loin et demandent déjà certaines dérogations. Dailleurs, cest aussi le cas de certains pays déjà membres de lUnion. Cela veut-il dire quil y aurait deux Europe ou, comment certains le disent, une Europe à la carte ?
R - Des dérogations, il en faut, ou plutôt, il faut des périodes transitoires. Cest ce qui sétait passé avec lEspagne, avec le Portugal. Mais, sil faut des périodes transitoires, je ne suis pas certain quil faille des exceptions. Autrement dit, entrer dans lUnion, ce nest pas entrer dans un club où lon choisit les bons côtés et où lon refuse les mauvais. Cest choisir un tout. Il faudra donc que les pays candidats reprennent la totalité de lacquis communautaire. Jai une conception profondément unitaire de lUnion européenne. Je souhaite que les pays candidats aient conscience quils adhèrent à un ensemble et ils doivent être des membres à part entière, cest-à-dire exactement au même titre que nous.
Q - La Pologne, la République tchèque et la Hongrie viennent dintégrer lOTAN. Comment expliquez-vous, Monsieur Moscovici, le fait que lintégration à lAlliance atlantique se fasse plus rapidement que celle à lUnion européenne ?
R - LAlliance atlantique est un ensemble politique, et il ny a pas de critères particuliers à satisfaire, alors que lUnion européenne est un ensemble beaucoup plus complexe. Cest un ensemble économique, cest un ensemble politique, cest un ensemble culturel. Il y aussi une politique de défense qui se dessine et il faut beaucoup plus defforts dadaptation, notamment sur le plan économique. Vous savez, si ces pays adhéraient tout de suite, ce serait, pour eux, un choc, car ils se trouveraient dans une zone où il ny a pas de frontière, où la concurrence est la règle. Donc, il est nécessaire de prévoir des phases de négociations assez longues, mais pas trop, et des phases de transition ensuite.
Q - Cette Europe complètement unifiée, ce sera pour quand, selon vous ? En 2010 ?
R - Je pense quen 2010, effectivement, lEurope comptera à peu près 25 membres et en 2020, sans doute une trentaine car il y a encore dautres pays qui peuvent y prétendre : les pays de lex-Yougoslavie par exemple, le jour où ils auront retrouvé la paix. Je suis, dans cette période surtout, très profondément attaché à cela. Je pense aussi à des pays comme la Moldavie, lUkraine... pourquoi pas la Suisse, la Norvège, lIslande ? Bref, je crois que lon va vers une Europe à Trente. Mais, cette Europe à Trente sera une autre Europe. Ce ne sera pas exactement lEurope que nous connaissons.
Q - Pierre Moscovici, vous vous rendez régulièrement dans les pays de lEst européen. Vous êtes allé récemment en Macédoine et je crois savoir que vous irez prochainement en Slovénie et en Slovaquie. Ces visites, que je suppose très rapides, vous permettent-elles dapprocher la culture de ces pays ?
R - Pas assez. Les visites que je fais dans les pays dEurope centrale et orientale sont des visites très opérationnelles, très politiques où je rencontre en général lessentiel des dirigeants, quils soient parlementaires, politiques, le Président de la République, le Premier Ministre. Jai été cette semaine en Slovaquie effectivement, mais en même temps, en rencontrant ces gens, avec cette sorte de condensé à haute dose de politique, je crois que lon simprègne bien de lesprit dune Nation. Mais je garde toujours une ou deux heures pour aller marcher dans les capitales.
Q - Je vous propose dentendre une chanson populaire macédonienne et nous allons nous rendre au Musée de Cluny où sont exposées les icônes de Macédoine, un trésor inestimable. Avez-vous eu loccasion de voir cette exposition ?
R - Non, pas encore. Mais je sais que le président de la République en a parlé au président Gligorov quand il sest rendu en Macédoine et cela ma donné très envie de le faire. Dailleurs, il faut que les échanges culturels se multiplient entre les pays candidats et les pays de lUnion européenne actuelle, car lEurope nest pas quune communauté politique, quune communauté dintérêts. Cest avant tout une communauté desprit, une communauté de culture. Ce qui fait lEurope, cest cela, ce sont les hommes et les femmes qui la composent et cest pour cela que je crois vraiment à la réunification du continent.
Q - Merci, Monsieur le Ministre./.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 avril 1999)