Interview de M. Benoît Hamon, ministre de l'économie sociale et solidaire, à "Canal Plus" le 29 mai 2012, sur l'ouverture de négociations avec les syndicats, sur l'enjeu des élections législatives.

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Média : Canal Plus

Texte intégral

CAROLINE ROUX Alors, effectivement, rendez-vous avec les syndicats aujourd'hui, Maïtena le rappelait, vous considérez que votre ministère c'est 13 % des emplois en France. La question est toute simple : pourquoi vous n’êtes pas autour de la table ?

BENOIT HAMON D’abord, parce que c'est au Premier ministre de commencer les discussions, les sujets qui sont à l’ordre du jour ne relèvent pas spécifiquement de mon département ministériel.

CAROLINE ROUX Il y a d’autres ministres qui y sont.

BENOIT HAMON Non, mais l’urgence c'est quoi ? C’est la question des salaires, des plans sociaux, des retraites, de l’organisation du travail, sur tous ces sujets-là aujourd'hui, le Premier ministre a voulu commencer une vraie négociation. Pourquoi je dis « vraie négociation » ? Parce qu’on peut toujours se demander, comme ça, dans les premiers jours, si tout cela va être très différent de ce qui s’est passé auparavant. Les cinq dernières années ont été marquées par une rupture du dialogue social, et le dialogue social, c'est quoi ? C’est prendre en compte la position des syndicats, prendre en compte la position des organisations patronales, se souvenir de ce qu’a été le mandat du gouvernement, qui est un mandat du peuple, et progresser vers ce qui doit être aujourd'hui une conciliation de la performance économique, avec le progrès social. La volonté de Jean-Marc AYRAULT, c'est de dire aujourd'hui, qu’on ne peut pas considérer, qu’on ne doit pas considérer, comme c'est la volonté du président de la République, que la relance économique doit se faire au détriment des droits des salariés. Ce n'est pas possible. Ça, c’était le discours de l’austérité tenu en Europe. On ne peut relancer l’économie qu’à condition de faire le sacrifice de nos droits, et tout juste avait-on le droit de dire dans quel ordre on acceptait de perdre nos droits. Eh bien la négociation sociale, elle va poser cette question : comment on fera en sorte de remettre du lien, de recoudre un pays qui a été abimé par... sur les questions aussi classiques, mais dont il faut parler, du salaire minimum, des retraites, etc.

CAROLINE ROUX Alors, on va en parler, de ces sujets. On se souvient d’où vous venez, au Parti socialiste, vous avez toujours incarné, sur ce plateau...

BENOIT HAMON D’où je viens...

CAROLINE ROUX ... précisément une gauche exigeante, on se souvient aussi que pendant la primaire vous avez défendu par exemple un smic à 1 650 € brut, sur 5 ans. Est-ce que vous êtes toujours prêt à défendre, par exemple, cette proposition, puisque l’on parle du smic, avec Jean-Claude MAILLY et avec Jean-Marc AYRAULT ?

BENOIT HAMON Je sais ce dont on va parler, et on va poser la question de savoir de quelle manière on valorise le smic. Cette question elle sera ouverte à la négociation sociale, c'est ce que je viens de vous dire, et moi, en tant que ministre de ce gouvernement, je suis entièrement dédié à ce qu’est la tâche que me confie le président de la République, c'est celle que je vous ai donné auparavant, c'est qu’il n’y a plus de sujet tabou, on met tout sur la table.

CAROLINE ROUX Mais par exemple, un smic à 1 640 €, comme vous l’avez défendu pendant la primaire, est-ce que c’était une proposition qui...

BENOIT HAMON Dans la primaire, je n’étais pas... il ne vous a pas échappé que je n’étais pas candidat.

CAROLINE ROUX Oui, vous étiez derrière Martine AUBRY ou pas ?

BENOIT HAMON Oui. Et donc, et Martine AUBRY n’a pas défendu ça.

CAROLINE ROUX Ah bon ? 1 150 € sur 5 ans ?

BENOIT HAMON Non, mais... sur 5 ans, oui, d’accord, mais pas du jour au lendemain.

CAROLINE ROUX Est-ce que c'est une proposition qu’il faut porter par exemple.

BENOIT HAMON Non, mais ce qui veut donc dire que l’on va regarder les conditions dans lesquelles on peut rattraper, on peut donner un coup de pouce, on peut s’inscrire dans une logique vertueuse d’augmentation du smic, et on verra avec les partenaires sociaux, en fonction du contexte économique, là, immédiat, des prévisions qui vont nous être rendues par nos propres services, de l’audit qui sera fait des comptes publics, de ce que nous dira la commission européenne, de ce qu’il est possible de faire tout de suite. Mais l’engagement...

CAROLINE ROUX Benoît HAMON, est-ce que vous incarnez, aux responsabilités, au sein du gouvernement, toujours, cette gauche exigeante que vous avez portée au Parti socialiste, ou est-ce que vous avez laissé tout ça, parce que maintenant vous êtes un ministre solidaire au gouvernement ?

BENOIT HAMON Mais on ne laisse pas ses convictions de côté. Il n’y a aucun ministre qui se déshabille du jour au lendemain, parce qu’il est ministre, et qui dit : « Je ne suis plus celui que j’ai été, maintenant je suis une sorte de symbole ou en tout cas de concentré de langue de bois et je me contente de dire ce que les autres m’ont demandé de dire ». La réalité, c'est que je suis évidemment un homme politique, un militant politique engagé, engagé à gauche, mais que, pour autant, je suis entièrement dédié à une tâche, qui est celle, aujourd'hui, de faire réussir la gauche. Pour que la gauche réussisse, ça passe par la négociation sociale. Je dis cela pourquoi ? Parce qu’on a des syndicats, qui ont des points de vue, qui ont des priorités, qui considèrent qu’ils ont été mis de côté pendant 5 ans. Et le Premier ministre leur dit : « On se met autour de la table, on discute, on progresse, on se fixe un agenda, un échéancier. Je vous dis ce sur quoi on peut se mettre d’accord, et on progresse ». Et je considère aujourd'hui...

CAROLINE ROUX Ce sont les syndicats qui vont décider...

BENOIT HAMON Mais non, j’ai dit...

CAROLINE ROUX Où c’est le gouvernement, le gouvernement va trancher, contre l’avis des syndicats...

BENOIT HAMON Mais il y a aussi des organisations patronales...

CAROLINE ROUX ... c'est ça le problème de la négociation.

BENOIT HAMON Mais non, la négociation ce n'est pas ça, la négociation c’est d’essayer de se mettre d’accord sur le maximum de choses, et puis de constater, comme l’a dit tout à l'heure Jean-Claude MAILLY, sur quoi parfois il y a des désaccords. Mais, la négociation, ce n'est pas de dire « voilà la position du président de la République », comme faisait Nicolas SARKOZY, « je vous informe de », et « je vous demande de m’entendre à l'Elysée ou à Matignon ». Ce n'est pas ça la négociation. On prend la position et on progresse vers des uns et des autres, et on progresse vers la position la plus partagée.

CAROLINE ROUX Alors, l’emploi est au coeur des préoccupations...

BENOIT HAMON Et qui sert le plus l’intérêt général.

CAROLINE ROUX L’emploi est au coeur des préoccupations des Français, je rappelle que vous êtes ministre délégué, chargé de l’Economie sociale et Solidaire, vous êtes le ministre des emplois d’avenir, en gros, hein, en tout cas c'est vous qui allez être chargé de les mettre en oeuvre, 150 000 contrats d’avenir. Quand, comment, pour qui, qui va décider ? Ça fait beaucoup de questions.

BENOIT HAMON L’objectif... Vous vous souvenez du programme emplois jeunes ? C'est un programme qui avait concerné, qui avait permis de mettre le pied à l’étriller à des jeunes, et qui concernait l’ensemble de ce que l’on appelle le tiers secteur, c'est-à-dire notamment le secteur associatif. L’objectif, c'est quand il y a des activités d’utilité sociale, de muscler ces activités, de les professionnaliser, de permettre à ces associations de rendre un meilleur service à la collectivité, ce que font les entreprises, les mutuelles, les associations du secteur de l’économie sociale et solidaire, et en même temps, de favoriser l’emploi des jeunes. Et le sujet est : aujourd'hui, à côté de la stratégie de croissance qui sera la nôtre, qui va concerner les grandes décisions au niveau européen, comme au niveau national, d’avoir des programmes, des dispositifs, qui prennent en compte quoi ? La réalité d’un chômage des jeunes, anormalement élevé dans un certain nombre de quartiers, le fait que le tissu associatif s’est effondré, faute de subventions. Or, ce tissu associatif, à côté du service public, il rend des missions indispensables. Et ne serait-ce que parce qu’on veut ouvrir la discussion sur la réforme des rythmes scolaires, et qu’il va falloir organiser, autour, le périscolaire, c'est le secteur associatif, souvent, qui intervient, dans des missions qui sont d’accompagnement des enfants, de soutien scolaire, eh bien ce secteur-là, a besoin d’être structuré, stabilisé, professionnalisé, par le programme emplois d’avenir, notamment.

CAROLINE ROUX Je n’oublie pas que vous êtes candidat aux législatives, dans la 11ème circonscription des Yvelines, face au député UMP sortant, Jean-Michel FOURGOUS, il y a aussi Jacques DAIROU pour le FN, et Luc MISEREY pour le Front de gauche. Est-ce que le gouvernement a besoin d’une majorité absolue pour le Parti socialiste ?

BENOIT HAMON Vous savez, il a besoin d’une majorité, alors, si elle est absolue, c'est mieux, et puis on ne peut pas, comme ça, mesurer, on ne peut pas dire aux électeurs : « écoutez, donnez-nous juste la majorité, mais pas absolue », pour faire ce qu’ils veulent, mais il y a besoin...

CAROLINE ROUX Vous avez bien compris le sens de la question, c'est est-ce qu’il faudra...

BENOIT HAMON Mais j’ai bien compris, mais c'est impossible d’y répondre à votre question, et vous le savez très bien.

CAROLINE ROUX ... composer avec les Verts ou avec le Front de gauche ?

BENOIT HAMON Nous souhaitons avoir un gouvernement, qui soit un gouvernement le plus large possible, qui rassemble le plus large, pour faire réussir la gauche au pouvoir et pour qu’elle réussisse durablement. Maintenant, c'est assez simple, et nous l’avons dit, et répété, si jamais cette majorité n’était pas au rendez-vous, cette majorité de gauche, le président de la République se tournerait vers l’UMP et demanderait à son chef de devenir le Premier ministre et nous aurions immédiatement, instantanément, une situation de blocage. Pourquoi ? Parce qu’entre un Premier ministre et un président de la République en désaccord, sur la réorientation de la construction européenne, en désaccord sur les négociations, sur les euro-obligations, sur le rôle de la Banque centrale européenne, le pays serait déstabilisé, déstabilisé, immédiatement l’objet d’une spéculation sur la dette souveraine, immédiatement l’objet d’attaques de marchés financiers, ce serait le pire scénario pour la France.

Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 29 mai 2012