Texte intégral
Q - Ce matin, Angela Merkel - on vient de lapprendre, ce nest pas une manière de vous surprendre - dit dans une déclaration : «Il faut absolument que lon travaille à une union politique». Vous saviez cela, évidemment, puisque cest lun des dossiers qui est sur la table, mais elle ajoute : «quitte à accepter lidée dune Europe à deux vitesses si certains pays bloquent». Sur la proposition de Mme Merkel - de la dépêche que lon vient de me passer -, est-ce que vous pensez que cest une solution souhaitable ou envisageable ?
R - Non. Cela dépend de ce que lon entend par Europe à deux vitesses, et comme la dépêche vient dêtre diffusée et que vous lexprimez de façon très laconique, il mest difficile de savoir exactement ce que la chancelière exprime lorsquelle parle dEurope à deux vitesses.
On peut très bien accepter, effectivement, quil y ait des sujets sur lesquels ceux qui veulent avancent plus vite que ceux qui freinent. Je prends un exemple très concret : la taxe sur les transactions financières, cest un sujet auquel nous tenons. Nous tenons à la taxe sur les transactions financières, dabord parce que cest une taxe qui peut avoir une vertu régulatrice du marché lorsque celui-ci aboutit à des excès, à des outrances ou à des difficultés. Donc, nous sommes favorables à la taxe sur les transactions financières pour des raisons de régulation. Nous y sommes aussi favorables parce quelle peut permettre daccélérer le rétablissement des comptes publics, de dégager des moyens pour la croissance et puis, au sein de lUnion européenne, daccompagner des projets de développement ou de lutte contre le réchauffement climatique. Mais cette taxe sur les transactions financières, certains pays nen veulent pas. Est-ce quil faut attendre que tous veuillent la mettre en uvre pour quelle soit effective ou est-ce que lon peut à condition que lon ait un nombre
Q - Mais quand elle réclame une Europe politique, ça va bien au-delà de chacun des dossiers. Cest-à-dire quelle veut que tout le monde sengage au fond sur la même logique.
R - Ce que je veux vous répondre, cest quil y a des sujets sur lesquels on peut concevoir davancer avec ceux qui veulent sans attendre ceux qui freinent. Ensuite, il y a la question de lintégration politique qui est une question que posent régulièrement les Allemands en disant : «si vous voulez mettre en uvre les eurobonds, la solidarité plus grande entre les pays de lUnion européenne, notamment sur le plan bancaire, il faut que vous acceptiez un niveau dintégration plus important».
Q - Cest la grande question qui est posée actuellement.
R - Nous, nous disons quil faut aujourdhui répondre aux urgences de la crise. La crise que connaît lEurope aujourdhui, cest une crise financière, cest une crise monétaire, cest aussi une crise politique. Lincapacité dans laquelle sont les pays de lUnion européenne, avec les institutions européennes, de surmonter la crise conduit à une crise démocratique très profonde et, par conséquent, nous, nous disons, par exemple sur les eurobonds : utilisons cet instrument comme le moyen du redressement de lEurope et utilisons aussi cet outil comme le moyen dune intégration politique plus importante.
Il est évident que si nous nous dotons doutil de mutualisation de la dette de demain, non pas la mauvaise dette mais de celle qui fera les investissements productifs qui feront la croissance et les emplois, si nous nous engageons dans cette voie-là, il est évident que la question dune gouvernance économique plus intégrée et par conséquent dun progrès de lEurope politique se posera. Nous ne sommes pas défavorables, loin sen faut, à une intégration politique plus importante mais si nous en faisons la condition de la mobilisation dont nous avons besoin aujourdhui pour sortir lEurope de la crise, alors nous naurons ni lintégration politique, ni le redressement.
Q - Mais peut-être que le sous-entendu derrière tout cela, cest de dire quil va y avoir une Europe du nord et une Europe du sud, et elle se retourne peut-être vers les Français en disant : «Mais au fond, vous êtes dans quel camp, vous les Français ?»
R - Cette idée quil y ait une Europe du nord et une Europe du sud est une très mauvaise idée, une très mauvaise vision. Je nai dailleurs jamais entendu la chancelière allemande proposer cette vision dichotomique de lUnion européenne. Jamais. Il ny a pas une Europe du sud et une Europe du nord : il y a une Europe dans laquelle il y a les pays que lon dit de la convergence, cest-à-dire ceux qui ont un niveau de développement, de maîtrise de leur déficit, dindustrialisation qui leur permet dassurer un niveau de développement de leur population important et les pays dits de la cohésion qui bénéficient, dailleurs, daide de lUnion européenne
Q - Mais votre gouvernement, Bernard Cazeneuve, est-ce quil va aller jusquau bout dans lidée de trouver un accord avec Angela Merkel ? Car à partir du moment où il va falloir lui demander de largent pour sortir un certain nombre de pays de lornière, on voit bien que cest une certaine forme de chantage : «Ou vous acceptez mon Europe politique et, à ce moment-là, je veux bien vous aider à débloquer des fonds pour sauver la Grèce, lEspagne et les autres, ou vous nacceptez pas et, à ce moment-là, ça va être chacun pour soi». Cest quand même cela, le sous-texte, comme on dit au théâtre.
R - Très honnêtement, y compris dans la discussion avec les Allemands - et jai rencontré à la fois le ministre délégué auprès de Mme Merkel, mon homologue allemand, et nous avons rencontré avec Laurent Fabius les responsables italiens, le président de la République, M. Monti, mon homologue italien il y a de cela 24 heures -, le débat au sein de lUnion européenne ne se pose pas tout à fait dans les termes que vous venez dindiquer.
Il y a, bien entendu, la position allemande qui est la suivante : «Nous voulons la discipline budgétaire avant tout et les mesures de croissance que nous préconisons sont des mesures qui renvoient aux logiques du marché intérieur, cest-à-dire essentiellement à des logiques de dérégulation et de déréglementation». Mais nous voyons en même temps à côté de ce discours traditionnel de lAllemagne, un autre discours qui commence à poindre. Lorsque nous évoquons la croissance avec la chancelière allemande, elle commence à accepter le principe de grands projets dinvestissement. Elle évoque les eurobonds désormais très régulièrement dans ses discours, en disant : «Cela peut être un point daboutissement de la démarche dans laquelle nous sommes engagés». Or, tous ces sujets nétaient pas sur le métier il y a de cela quelques semaines ; la discussion progresse donc de façon itérative.
Il y a de cela 24 heures, avec nos amis italiens, nous débattions de ces sujets. Je constate que sur la croissance, sur la mobilisation des fonds structurels, sur lidée qui est en discussion au Parlement européen - alors, je vous parle de lintégration ou non dans les déficits des investissements productifs publics des États -, tous ces sujets sont désormais sur le métier et notre objectif est dessayer de construire autour de toutes ces questions le meilleur compromis politique pour faire en sorte que la croissance soit bien au cur des politiques de lUnion.
Q - Dernière question au niveau européen, mais sur un tout autre sujet : lEuro de football commence dans quelques jours. Les politiques français boycotteront lépreuve en Ukraine. Est-ce quil est normal, est-ce quil est logique que la politique simmisce dans une compétition sportive ?
R - Non, mais la politique sest toujours immiscée dans les compétitions sportives. Il y a des sujets qui ont des dimensions symboliques, qui renvoient à des choses essentielles. Il est parfois normal que sur un certain nombre de questions on profite du contexte pour exprimer de façon forte des positions. Ce nest pas fait de façon agressive : cest fait de façon symbolique pour rappeler des positions auxquelles nous tenons.
Q - Et est-ce que - jen viens au dossier précédent, pardonnez-moi, il reste 30 secondes - mais est-ce que vous navez quand même pas la crainte parce quil existe une vraie pression encore une fois ce matin et de Barack Obama et du patron de la BCE, Mario Draghi, qui vous dit finalement : «Entendez-vous, on na plus le temps maintenant». Cest-à-dire : «Le bras de fer Hollande-Merkel cest bien gentil, mais dépêchez-vous».
R - Il ny a pas de bras de fer Hollande-Merkel. Il y a une Europe qui est en pleine crise, une situation grecque dont on voit à quel point elle est préoccupante et une situation espagnole qui est également un sujet de préoccupation très fort pour les dirigeants de lUnion, et un ensemble de pays qui essaye de façon itérative de trouver autour, finalement, des orientations proposées par le président de la République française, des solutions consensuelles, de bons compromis pour mettre la croissance au cur des politiques de lUnion. Cest ce compromis indispensable au redressement de lEurope quil nous faut construire dans les jours qui viennent et cest ce à quoi nous nous employons.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 juin 2012