Interview de M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie, des finances et du commerce extérieur, à "France 2" le 14 juin 2012, sur l'enjeu du deuxième tour des élections législatives, sur le décret limitant la rémunération des patrons du secteur public, sur l'hommage aux soldats tués en Afghanistan.

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Média : France 2

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ROLAND SICARD C’est tout à l’heure qu’aura lieu la cérémonie en l’honneur des soldats français tués en Afghanistan. Nicolas SARKOZY et François HOLLANDE seront côte à côte, c’est un vrai symbole ?

PIERRE MOSCOVICI L’ancien président de la République, l’actuel, côte à côte, oui, ça veut dire qu’il y a des choses qui dépassent les clivages politiques, c’est le rassemblement de la Nation autour de sa défense, autour de ses soldats, et autour de ses soldats morts. Il y a des moments où la Nation se rassemble, et je trouve que c’est très bien ainsi, quelle que soit la période.

ROLAND SICARD Est-ce que ce sont des soldats qui sont morts pour rien ?

PIERRE MOSCOVICI Il ne faut jamais dire ça, être un soldat, c’est se dévouer à son pays, c’est accepter aussi de prendre des risques, même si on les trouve inutiles ou injustes. Bon, ce qui est vrai, c’est que François HOLLANDE a estimé que la mission de nos soldats, de nos troupes combattantes en Afghanistan, arrivait à sa fin, et donc il y aura un retrait des troupes combattantes d’Afghanistan d’ici à la fin 2012. C’est un engagement…

ROLAND SICARD Ça le conforte dans sa position ?

PIERRE MOSCOVICI Je crois que le sentiment du président de la République aujourd’hui, ce n’est pas d’être conforté dans une position ou non par rapport à un événement tragique, c’est d’abord de rendre hommage à ceux qui en ont été victimes, d’un attentat, je rappelle que c’est de ça dont il s’agit, d’une lâcheté incroyable. Et donc sa préoccupation, c’est le rassemblement du pays, mais c’est aussi la sécurité de nos troupes.

ROLAND SICARD Sur un sujet tout à fait différent, vous avez présenté hier votre décret sur le salaire des patrons du secteur public, limitation à 450.000 euros, est-ce que ça ne va pas faire fuir les meilleurs éléments ?

PIERRE MOSCOVICI Alors, d’abord, de quoi s’agit-il ? Il s’agit d’un engagement de campagne de François HOLLANDE de moraliser les rémunérations, qu’on veuille gagner de l’argent, qu’on ait le souhait d’être récompensé de son mérite, qu’il y ait des hiérarchies de salaires dans les entreprises, c’est normal, mais ce qui est anormal, et beaucoup de gens le savent, c’est que ce soit de 1 à 300, de 1 à 400, il y a eu des hyper inégalités qui se sont creusées, donc nous avons eu la volonté de réduire de 1 à 20 – c’est déjà considérable – l’écart des rémunérations dans les entreprises publiques, qui sont aussi des services publics, au service de la collectivité. Et donc ça donne un plafond qui effectivement est à 450.000 euros. Permettez-moi de dire, sans ironie, que j’ai la conviction tranquille qu’avec 450.000 euros par an, et chacun de ceux qui nous écoutent le comprendra, on peut tout de même recruter des hommes et des femmes de qualité qui acceptent de faire don de leurs talents à ces belles entreprises que sont EDF, la RATP, LA POSTE ou quelques autres. Alors, évidemment, ça va signifier des baisses de rémunérations pour quelques-uns, moi, je suis sûr qu’ils le comprennent, parce que tout de même, on demande en ce moment aux Français des efforts, eh bien, il faut que ces efforts soient justement partagés, et il faut qu’il y ait de la décence dans notre société, une forme de moralisation. Moi, je suis fier d’avoir porté, de porter cette réforme que souhaite le président de la République, et je précise que le décret sera pris d’ici à la fin juillet, et j’ajoute une dernière chose, c’est que ce sera appliqué aux mandataires sociaux, donc à ceux qui dirigent les entreprises, mais aux mandats en cours, on ne va pas attendre tel ou tel renouvellement, ce n’est pas 2014, 2015, c’est maintenant que les conseils d’administration vont devoir prendre ces mesures. Et j’ajoute que le président de la République, François HOLLANDE, hier, a demandé que ce soit appliqué vite, et c’est normal.

ROLAND SICARD Est-ce que ce sera étendu, dans l’avenir, au secteur privé ?

PIERRE MOSCOVICI C’est une autre problématique, il y a – s’agissant du service public d’ailleurs – deux types d’entreprises, il y a celles où l’Etat détient la majorité au capital, là, application stricte, immédiate, rapide. Il y a celles où l’Etat est actionnaire, mais pas majoritaire, là, je demanderai aux représentants de l’Etat, dans les conseils d’administration, de proposer ces mesures, et ce sont les actionnaires qui décideront. Je pense que nous serons suivis. Et puis, les entreprises privées, moi, pour les entreprises privées, je plaide pour la vertu de l’exemple, et je pense qu’il y aura quelque chose qui va se déclencher, un changement peut-être de valeurs dans les entreprises…

ROLAND SICARD Il n’y aura pas besoin d’une loi ?

PIERRE MOSCOVICI Alors, pour les entreprises privées comme publiques d’ailleurs, il y aura une loi à l’automne qui concernera autre chose, les bonus, les stock-options, les parachutes dorés, les retraites chapeau, toute une série de rémunérations annexes qu’il s’agit, là aussi, de moraliser. Je proposerai ce projet de loi à l’automne.

ROLAND SICARD Sur la croissance, est-ce que vous allez être obligé de réviser les prévisions à la baisse ?

PIERRE MOSCOVICI C’est un sujet qui est observé tous les jours par les instituts statistiques, par le ministre des Finances, par le ministère des Finances, mais c’est vrai qu’il y a plusieurs indicateurs, notamment ceux de la BANQUE DE FRANCE, qui ont soulevé des questions. Nous sommes en train d’ajuster ça. Mais il y a une chose que je veux dire ici de la manière la plus claire : la France a pris des engagements devant ses partenaires de réduire ses déficits, 4,5% en 2012, nous le ferons, avec un collectif budgétaire, un projet de loi de Finances rectificative, qui sera soumis au Parlement début juillet. Et 3% en 2013. Nous tiendrons ces engagements, non pas…

ROLAND SICARD Mais ça veut dire plus de rigueur s’il y a moins de croissance ?

PIERRE MOSCOVICI Non, ce n’est pas ça que ça signifie, ça veut dire que, il faut faire les efforts utiles, nécessaires, le projet de loi de Finances rectificative comportera essentiellement des recettes, une réforme fiscale, et le projet de loi de Finances sera calé à la fois sur ses prélèvements et aussi sur des économies de dépenses, la Cour des comptes va nous remettre un audit fin juin, début juillet, c’est là-dessus que nous nous fonderons. Mais non, je pense qu’on peut tout à fait atteindre ces objectifs sans austérité. C’est la volonté du président de la République, je crois que c’est aussi la capacité de l’économie française, il faut pour ça aussi retrouver des capacités de croissance, c’est ça l’enjeu du Conseil européen des 28 et 29 juin qui vient, que l’Europe, notamment, redevienne un moteur de croissance.

ROLAND SICARD Sur les législatives, est-ce que la victoire aujourd’hui vous paraît acquise pour la gauche ?

PIERRE MOSCOVICI … Je suis maintenant un homme politique un peu expérimenté, une victoire n’est jamais acquise, ce que j’ai observé, bien sûr, c’est qu’au premier tour, il y a déjà eu un signal de confiance qui a été donné, confiance de nos institutions, les Français ne veulent pas de la cohabitation, confiance dans le président de la République et le Premier ministre et le gouvernement, confiance dans le projet présidentiel, mais c’est au deuxième tour que tout se transforme. Et donc j’appelle à confirmer, à amplifier la victoire du premier tour pour donner à François HOLLANDE une majorité large, solide, cohérente, celle dont il a besoin pour mener à bien son projet, et j’ajoute que je ne serais pas fâché, je suis, moi, un socialiste, que le Parti socialiste soit la colonne vertébrale de cette majorité, autrement dit, s’il avait la majorité seul, ce ne serait pas plus mal.

ROLAND SICARD Une majorité absolue, ça vous faciliterait les choses, il n’y aurait pas besoin de négocier avec le Front de gauche, avec les Verts, notamment dans votre secteur ?

PIERRE MOSCOVICI Ce n’est pas comme ça que je raisonne, on a une gauche qui est unie dans ce second tour, il faut respecter les partenaires de gauche, il ne s’agit pas d’ailleurs de progresser au détriment des autres. Mais il s’agit d’élargir la majorité, et plus la majorité sera large, plus le Parti socialiste sera cette colonne vertébrale cohérente dans une coalition, forcément.

ROLAND SICARD Est-ce que la cacophonie qu’on entend du coté de La Rochelle, autour de la candidature de Ségolène ROYAL, peut affaiblir le Parti socialiste, est-ce que ça peut lui faire perdre des voix ?

PIERRE MOSCOVICI Je veux d’abord dire une chose, c’est que moi, je souhaite la victoire de Ségolène ROYAL dans cette circonscription, je constate que monsieur FALORNI aujourd’hui n’est plus tout à fait le candidat de la gauche, fut-elle dissidente, puisque maintenant, il est soutenu par beaucoup d’autres, et que ça ne paraît pas l’embarrasser.

ROLAND SICARD Il est soutenu par la droite.

PIERRE MOSCOVICI Par la droite et qu’il utilise maintenant, à l’égard du Premier ministre de la gauche, du Parti socialiste, un vocabulaire comme si nous étions de l’Union soviétique, qui ne me paraît pas du tout approprié. Mais pour le reste, c’est quand même une circonscription, je comprends qu’il y ait un regard particulier sur elle, mais l’enjeu, c’est bien dans les 500 autres de donner aussi une majorité à un député de gauche pour faire en sorte que François HOLLANDE ait une force. Donc moi, je comprends que tous les regards soient polarisés là-dessus, mais ayons quand même une vision plus large, ce sont tous les Français qui vont voter dimanche prochain, ceux de Montbéliard, ceux de la Saône-et-Loire, où j’étais hier, ceux du Jura, où je serai demain, autant que ceux de La Rochelle, même si – je le répète – je souhaite la victoire de Ségolène ROYAL.

ROLAND SICARD Il y a eu quelques désistements entre le Front national et l’UMP, est-ce que pour vous, c’est une barrière qui a sauté ?

PIERRE MOSCOVICI Complètement, moi, j’observe que maintenant, l’UMP s’abrite derrière une sorte de «ni-ni » comme s’il y avait une équivalence entre l’extrême droite et l’extrême gauche. Mais je voudrais dire à monsieur COPE, à monsieur FILLON, à monsieur JUPPE, monsieur FILLON et monsieur JUPPE sont bien silencieux d’ailleurs dans la période, qu’il n’est pas exact de comparer par exemple le Parti communiste au Front national, le Parti communiste, il a ses qualités, il a ses défauts, c’est aussi le Parti des fusillés, c’est le parti qui était là pendant la résistance, le Front national, me semble-t-il, n’est pas toujours clair sur certains épisodes de notre histoire, mais d’ailleurs sur certaines valeurs, je parle, là, de Jean-Marie LE PEN, et je parle de ceux qui l’entourent, qui n’ont jamais été contestés. Et donc il y a quelque chose d’indécent en vérité, moi, je crois que, aujourd’hui, la droite ne sait plus où elle habite, elle ne sait plus ce qu’elle est, elle a perdu ses repères, son identité, ses valeurs. Eh bien, je pense qu’il lui faudra bien cinq ans pour redevenir un parti qui est capable d’offrir un projet clair aux Français. Aujourd’hui, c’est un peu « sauve qui peut » ! Mais quand je vois d’anciens ministres, comme madame MORANO, quand je vois beaucoup sur le terrain qui jouent de l’ambigüité, moi, je suis dans une triangulaire, je ne sais pas qui est le candidat du FN, mon candidat de droite, il est plus à droite que le FN, alors, où est l’original, où est la copie ? Quand on fait ça, on perd à la fois les élections – et je souhaite qu’ils les perdent – et son âme.

ROLAND SICARD Est-ce que vous avez le sentiment que dans l’avenir, il y aura des accord en bonne et due forme entre le Front national et l’UMP ?

PIERRE MOSCOVICI Je souhaite que l’UMP, après une cure d’opposition, soit capable de se reprendre, de se ressaisir, pour l’heure, c’est l’ambigüité, c’est la compromission, c’est un brouet un peu saumâtre, on ne sait pas trop ce qu’ils sont, on ne sait pas trop où ils vont, il y a quelque chose, là, que je trouve de très troublant quand, encore une fois, il y a ces désistements réciproques des UMP qui appellent à voter pour des FN, le FN qui appelle à voter pour l’UMP…

ROLAND SICARD Ça a été condamné par la direction de l’UMP.

PIERRE MOSCOVICI Mollement, et quand je vois, encore une fois, madame MORANO, elle était encore ministre, il y a quelques semaines, expliquer qu’elle a des valeurs partagées avec le Front national…

ROLAND SICARD Avec les électeurs du Front national, elle a dit…

PIERRE MOSCOVICI Oui, enfin, tout ça, c’est ambigu, moi aussi, j’écoute les électeurs du Front national, je sais que dans ma circonscription, ce sont des ouvriers en désarroi, je leur tends la main, je leur dis que c’est moi qui ai les solutions, mais je ne suis pas du tout, mais pas du tout en train de partager les valeurs de Marine LE PEN, pas du tout ! Et j’aimerais que cette droite républicaine, qui a une belle histoire, qui a une longue tradition, qui appartient à la France, eh bien, elle se ressaisisse, mais encore une fois, pour ça, je pense qu’ils ne sont pas clairs maintenant, le mieux, c’est de les sanctionner tout de suite, de donner une majorité à François HOLLANDE, après, ça leur donnera le temps de travailler sur eux-mêmes.

ROLAND SICARD Vous avez le sentiment que la montée du Front national est durable ?

PIERRE MOSCOVICI On ne sait jamais, mais je constate qu’il s’est aujourd’hui beaucoup implanté en France dans certains territoires, et d’ailleurs, c’est aussi le rôle du gouvernement, le rôle du président, le rôle de notre politique, de ramener des électeurs qui sont en souffrance sociale vers les formations démocratiques, vers la gauche, moi, je souhaite que la politique que nous menions soit le meilleur antidote au Front national, croissance, pouvoir d’achat, justice sociale, ré-industrialisation du pays, redressement productif, et c’est un objectif que nous avons, notamment dans l’Est de la France, dont je suis élu, où je vois cette progression avec de l’inquiétude…

ROLAND SICARD Pas encore, pas encore.

PIERRE MOSCOVICI Je suis élu aujourd’hui.

ROLAND SICARD Pas réélu…

PIERRE MOSCOVICI Je serai peut-être élu dimanche, mais je suis encore le député sortant de ma circonscription, j’espère être le député réélu. Et je suis aussi président d’une agglomération, même si la semaine prochaine, je démissionnerai parce qu’on ne peut pas être à la fois ministre et président d’un exécutif local.

ROLAND SICARD Merci.

PIERRE MOSCOVICI Donc je suis élu.

ROLAND SICARD Merci.

PIERRE MOSCOVICI En attendant de l’être à nouveau.

Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 19 juin 2012