Interview de Mme Nicole Bricq, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, à Radio Classique le 8 juin 2012, sur la campagne des élections législatives, les thèmes de l'écologie et de la "transition écologique" dans le débat politique et les prix du gaz et de l'électricité.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

GUILLAUME DURAND Il y a beaucoup de sujets. Il y a évidemment le ministère dont vous avez la responsabilité, l’écologie. Il y a la situation politique ; on va démarrer un petit peu par ça. C’est vrai que les sondages de ce matin, notamment le nôtre, sont assez contradictoires d’une radio à l’autre, car certains donnent – ici par exemple avec Radio Classique – la majorité absolue aux socialistes ; d’autres comme chez nos confrères de RTL donnent la majorité aux socialistes et aux Verts. Alors quelle analyse vous tirez de ces sondages ? Est-ce qu’il faut en tirer une d’ailleurs dès ce matin ? Et puis ça change un peu la donne parce que si effectivement c’est une majorité avec les Verts, après l’épisode DUFLOT, on se demande si l’équipage gouvernemental risque de tanguer ou pas. Mais commençons par l’appréciation des sondages : est-ce que vous leur accordez une grande importance ?
 
NICOLE BRICQ Ils sont contradictoires, ce qui ne m’étonne pas parce que c’est très difficile de prédire le sort des législatives. Il y a des centaines de situations locales, il y a aussi le fait que les législatives arrivant à un mois des présidentielles…
 
GUILLAUME DURAND Il y a une certaine forme de désintérêt.
 
NICOLE BRICQ Oui. On le voit bien, la campagne se passe bien, les salles sont pleines, les candidats vont vers les gens, ils sont plutôt bien accueillis. J’étais encore hier soir dans mon département, dans la circonscription actuellement détenue par Jean-François COPE : je vois bien qu’il y a un élan qui vise à terminer la séquence de la présidentielle. Et je crois qu’effectivement, ce qui va compter c’est le nombre de sièges que le Parti socialiste aura in fine et avec quelle majorité solide François HOLLANDE peut faire son programme.
 
GUILLAUME DURAND Je suppose que vous souhaitez comme ministre du gouvernement, comme ça a été répété par Jean-Marc AYRAULT en meeting hier et par François HOLLANDE lui-même, avoir une majorité à vous seuls.
 
NICOLE BRICQ Ce n’est pas ce que je les ai entendus dire. Ils veulent une majorité solide et cohérente. Donc ça veut dire quand on parle de cohérence, qu’on peut ne pas avoir la majorité absolue mais qu’à partir du moment où le Premier ministre aura présenté son programme de gouvernement dans son discours de politique générale, tous ceux qui se reconnaîtront dans cette majorité seront là pour appliquer ce programme.
 
MICHAEL SZAMES Vous avez travaillé avec les Verts au Sénat il n’y a pas si longtemps que ça. Est-ce que c’est difficile de travailler avec eux ?
 
NICOLE BRICQ Non. Je m’entends très bien avec tout le monde et je l’ai vu quand il s’est agi de la loi de finance pour 2012, où la majorité sénatoriale n’est pas si large que ça, donc il faut discuter avec les partenaires de cette majorité, tant avec ceux du Parti communiste qu’avec ceux issus des Verts. On y arrive à partir du moment où on prend le temps de discuter.
 
GUILLAUME DURAND Alors l’épisode DUFLOT est un épisode isolé. Parce qu’évidemment il y a beaucoup de gens qui anticipent, qui disent : « Au fond, si on commence à s’étriper sur le cannabis, qu’est-ce que ça va être quand on va parler des grands sujets, et notamment quand on va parler du nucléaire ou quand on va arriver au sommet de Rio dans quelques jours. »
 
NICOLE BRICQ Pour le nucléaire, la feuille de route est tracée. On va y revenir. Mais pour ce qui concerne les déclarations de tel ou tel, moi je crois que ça illustre la difficulté d’être à la fois chef de parti et ministre. Je pense que cet épisode va se terminer et que tout rentrera dans l’ordre. Et cela étant, moi j’ai l’expérience. J’étais parlementaire lorsque Lionel JOSPIN était Premier ministre et nous avions une majorité plurielle. Il y avait des moments où c’était…
 
GUILLAUME DURAND Ça tanguait.
 
NICOLE BRICQ C’était difficile mais on y arrivait toujours. Et je pense que Jean-Marc AYRAULT a vraiment – il était là, il était déjà le président du groupe et il a beaucoup oeuvré pour que cette majorité tienne le coup. Elle a tenu le coup et là, je pense qu’elle tiendra le coup.
 
GUILLAUME DURAND Michael va prolonger sa question tout à l'heure mais sur l’épisode DUFLOT puisque vous avez expliqué tout à l'heure justement à Michael que vous aviez une grande habitude de la gestion des affaires publiques avec les Verts, je reviens à la question. C'est-à-dire est-ce que vous avez l’impression que c’est une affaire isolée ou est-ce que les tendances, ou la tendance générale qui pourrait être celle des Verts, c'est-à-dire à remettre en question un certain nombre de choses, même si ça a été prévu différemment, est-ce que vous pariez que tout ça va se calmer ou qu’au contraire, leur nature profonde va continuer à s’exprimer ?
 
NICOLE BRICQ Moi je ne connais pas leur nature profonde…
 
GUILLAUME DURAND Bouillonnante, différente !
 
NICOLE BRICQ Oui, oui. Mais vous savez, au PS ce n’est pas mal non plus. Je crois qu’on n’a pas trop de leçons à donner. On est divers et quelquefois il y a des arbitrages qui ne sont pas toujours faciles. On va le voir.
 
GUILLAUME DURAND Donc isolé cet épisode, ou pas ?
 
NICOLE BRICQ Non ; je pense qu’il y a aussi la mise en jambe. Quand on participe à un gouvernement pour la première fois, quand on a un parti un peu turbulent à manager, ça ne me paraît pas le fait du siècle. Bon, cela étant, moi je pense que s’agissant du portefeuille dont j’ai la fonction d’être l’animatrice, il y aura des moments où il y aura des vents contraires.
 
GUILLAUME DURAND Ça va tanguer.
 
MICHAEL SZAMES Quelques mots sur votre ministère : on aurait pu s’attendre à ce que ce soit un Vert qui occupe ce poste du ministre de l’Ecologie. Est-ce que vous diriez que l’écologie est une chose trop importante pour le laisser aux seuls écologistes ?
 
NICOLE BRICQ L’écologie, c’est fondamental dans la période de crise que l’on vit. C’est vraiment le moment où jamais où il faut avoir des nouveaux schémas dans la tête et des nouveaux modes d’action. Donc je pense que le travail que j’ai à faire, pas toute seule bien sûr, et puis pas en cinq ans mais au moins bien le commencer, c’est la transition écologique. Et dans cette transition écologique, elle pose le problème de la transition énergétique et on sait qu’il y a des enjeux majeurs. Le travail que j’ai à faire, et j’espère le faire avec tous les partenaires de la majorité présidentielle, c’est d’engager un nouveau modèle de développement. Alors vous voyez, il n’y en a pas pour cinq ans.
 
MICHAEL SZAMES Mettre du social dans l’écologie, mettre de l’écologie dans le social.
 
NICOLE BRICQ Oh bien c’est évident. Moi je le dis tout le temps : j’ai une méthode - la démocratie, le pluralisme, le débat – et j’ai un objectif – le social et l’écologie. Et je l’ai toujours dit : l’écologie, ça ne peut pas être au détriment des pauvres et des modestes.
 
MICHAEL SZAMES Nicole BRICQ, ce ministère est aussi connu pour être un ministère assez dépensier. Vous êtes connue aussi pour votre maîtrise du budget, des questions économiques. Est-ce que vous allez faire un ministère économe ?
 
NICOLE BRICQ J’espère, j’espère. J’ai déjà commencé à le faire parce que, dans des détails… C'est-à-dire que j’avais constaté en arrivant dans ce ministère qu’il n’y avait même pas de poubelles pour trier les papiers, les bouteilles et le reste. Donc, vous voyez, j’ai déjà commencé à verdir le ministère. Non mais plus sérieusement, je sais qu’on est dans une contrainte financière lourde et je sais bien que l’oeil vigilant de mon collègue CAHUZAC va frapper mais on a une nécessité. On a pris un engagement européen qui est de sauter la marche l’année prochaine des 3 % de déficit et je l’ai dit quand j’étais rapporteur général du budget au Sénat : la marche est très haute donc il va falloir que tout le monde s’y mette, mon ministère comme les autres mais j’ai un grand ministère.
 
GUILLAUME DURAND Mais la transition écologique dont vous parlez – on a parlé pendant la campagne des 600 000 emplois qui pourraient être crées – tout ça ce sont des mots et c’est peut-être une nécessité pour un pays mais en même temps, vous connaissez politiquement ce dossier, madame BRICQ. C'est-à-dire que ces dernières années, on a l’impression qu’après une poussée vers l’écologie, une sorte de rétropédalage est entrée dans la vie politique, c'est-à-dire que ça n’intéresse plus personne. C’est vrai que les Français n’ont pas exprimé un besoin d’écologie considérable dans la campagne et depuis le retoquage de la taxe carbone, on a l’impression que finalement c’est un débat qui s’est effondré.
 
NICOLE BRICQ Je crois que la majorité sortante est responsable de cette affaire. Quand le président de la République, après avoir laissé jouer dans la cour de récréation le débat au travers du Grenelle, déclare : « L’environnement, ça commence à bien faire », c’est un signal très négatif alors que précisément moi je crois que la société française a compris. Il me semble que même elle est quelquefois plus avancée que les politiques.
 
GUILLAUME DURAND Reconnaissez avec moi que pendant la campagne, on n’a pas entendu les Français pousser des hurlements en disant : « L’écologie ! L’écologie ! »
 
NICOLE BRICQ Oui. Sauf que, bon, moi je sais ce qu’a annoncé le président de la République quand il était candidat. Au travers du nucléaire, il a fixé un cap. Il a abondamment parlé de la nécessité de cette transition. Le problème de la transition pour nous, de gauche, c’est qu’elle ne doit pas laisser sur le bord les plus fragilisés et c’est particulièrement le cas dans un dossier qui va s’illustrer très vite : les prix de l’énergie - notamment l’électricité, le gaz. Les prix monteront parce qu’il y a d’énormes investissements à faire derrière mais il faut qu’en même temps que les prix de l’énergie se répercutent sur la vie sociale, il faut assurer – justement, c’est ça le travail d’un ministre – assurer que la précarité énergétique recule et qu’on trouve des modes de calcul qui pénalisent beaucoup moins ceux qui consomment moins.
 
MICHAEL SZAMES Donc vous nous confirmez ce matin qu’au 1er juillet, les prix du gaz vont augmenter ?
 
NICOLE BRICQ Je ne confirme pas. Je n’ai pas encore regardé et fait les arbitrages. Mais je sais qu’il y a une tendance profonde qui est que les coûts de l’énergie montent. C’est une tendance profonde. Et s’agissant de l’énergie fossile, on sait très bien que même si on trouve des nouveaux gisements, elle sera plus chère. Et s’agissant de l’électricité, il y a d’énormes investissements à faire, énormes, pour assurer la qualité des réseaux, pour assurer la distribution de l’énergie partout et à tout le monde. Mais en même temps, il faut qu’on lutte contre la précarité énergétique, qu’on fasse en sorte – et justement avec madame DUFLOT, on a un grand plan. Le président s’est engagé là-dessus, de basses thermiques dans le logement. On a une feuille de route très, très ambitieuse de manière à ce que les logements ne soient plus des passoires et notamment les logements les plus…
 
GUILLAUME DURAND Question précise, madame. Justement, j’évoquais les chiffres avancés notamment par les Verts pendant la campagne. Est-ce qu’on peut avoir la moindre garantie justement que cette transition va créer des emplois dans une situation sociale qui est tendue ? Tout le monde est sceptique là-dessus.
 
NICOLE BRICQ Oui, mais on n’a jamais de garanties mais je sais que si on est capable – et c’est avec mon collègue Arnaud MONTEBOURG qu’on y a réfléchi – si on est capable de dégager des priorités de filières, notamment dans tout ce qu’on appelle l’économie verte, et c’est le thème de Rio qui va s’ouvrir tout à l'heure pour ce qui nous concerne…
 
GUILLAUME DURAND Avec une réunion.
 
NICOLE BRICQ Avec le club France où le président de la République vient s’exprimer à la Villette, on est tout à fait capable d’identifier ce qu’on appelle des ressorts de croissance et on renvoie aussi à une logique européenne si possible.
 
GUILLAUME DURAND Mais avec un chiffre. Avec un chiffre, un objectif ?
 
NICOLE BRICQ On peut en trouver. Ça va être aussi mon travail. Il y a trois semaines que je suis là mais ça va être mon travail…
 
GUILLAUME DURAND C'est-à-dire ?
 
NICOLE BRICQ De l’exprimer justement, rationnellement, en chiffres et en objectifs.
 
GUILLAUME DURAND Et on le saura quand, ça ?
 
NICOLE BRICQ Ecoutez…
 
GUILLAUME DURAND Parce qu’on est impatient, avec Michael.
 
NICOLE BRICQ Mais vous avez raison d’être impatients. Moi aussi mais il faut régler aussi des tas de problèmes. Je suis dans une séquence européenne lourde. J’étais hier au conseil européen des ministres des Transports, parce que j’ai les transports aussi dans le portefeuille. Je serai demain matin à Copenhague avec la présidence danoise pour essayer de trouver des solutions conjointes avec les collègues allemands et anglais sur les problèmes de climat.
 
MICHAEL SZAMES Justement, ce ne sera pas très simple avec les Allemands. On le voit aujourd'hui sur le problème de l’Espagne.
 
GUILLAUME DURAND Dernière question de Michael.
 
MICHAEL SZAMES Est-ce que vous ressentez aussi, vous dans votre domaine, les tensions avec l’Allemagne ?
 
NICOLE BRICQ Oui. Oui parce que, je l’avoue, j’ai été assez surprise et stupéfaite quand j’ai vu que l’industrie allemande, puissante, voulait se garder certaines marges s’agissant des quotas de CO2. Et je trouve étonnant que la Commission européenne qui est toujours à nous surveiller à 1 000 euros près au travers des aides d’Etat accepte que l’industrie allemande se forge un petit avantage compétitif par rapport à des engagements européens de diminuer l’effet de serre. Je suis étonnée.
 
Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 22 juin 2012