Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, en réponse à des questions sur les relations entre la France et les pays arabes et sur le nucléaire iranien, à Paris le 27 juin 2012.

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Circonstance : Clôture du coloque "La France et le nouveau monde arabe", à Paris le 27 juin 2012

Texte intégral

Q - Un geste concret comme une visite en Égypte d’un haut responsable accompagné d’hommes d’affaires ou d’agences de tourisme serait très appréciée. Un tel événement pourrait-il être à l’ordre du jour ?
La France d’aujourd’hui a-t-elle une politique différente concernant le dossier libyen ? La nature politique d’un nouveau gouvernement libyen élu peut-elle affecter, d’une manière ou d’une autre les relations et la coopération entre les deux États ?
J’aimerais revenir à ce que vous avez appelé «le rendez-vous manqué» qui peut-être, de l’autre côté de la Méditerranée n’est pas qualifié ainsi. Dans votre discours, vous avez dit : «nous serons pragmatiques et fermes.» Dans le cas tunisien, comment peut-on voir ce pragmatisme et cette fermeté ?
R - L’Égypte, depuis plusieurs années ne peut budgétairement s’en sortir qu’avec des contributions importantes qui, pour l’essentiel, dans le passé, sont venues des États-Unis d’Amérique. Comme vous l’avez fort bien souligné, ce qui s’est passé en Égypte a eu un impact négatif à court terme sur le tourisme et les investissements étrangers. Si nous voulons aider l’Égypte dans sa transition démocratique, il faut à la fois que nous accompagnions les autorités politiques - ce que nous devons faire -, que nous soyons vigilants, comme l’a d’ailleurs rappelé le président de la République. En même temps, nous devons apporter notre appui économique. Donc, cela passe par des choses aussi concrètes que la présence d’hommes d’affaires, de responsables gouvernementaux, l’utilisation de mécanismes d’aides publiques qui sont les mécanismes français. Nous sommes évidemment tout à fait disposés à agir en ce sens.
La seconde question portait sur la Libye, nous n’avons pas le temps de revenir sur l’intervention libyenne, ce serait un sujet à part entière. Je veux dire simplement que les décisions que prendra bientôt - puisque l’élection de l’Assemblée constituante devrait avoir lieu au mois de juillet - le peuple libyen, nous les accueillerons, elles s’imposent à nous. Bien évidemment, nous serons vigilants, comme à l’égard des autres pays sur les quelques principes dont j’ai parlé dans mon exposé. Notre rôle est d’accompagner- ce qui va se faire en Libye - sur les plans culturel, économique, social et politique.
Enfin, la dernière question portait sur la Tunisie. Vous avez qualifié mon propos de «pragmatique et ferme». Je reconnais que l’expression est un peu passe-partout parce que peu d’orateurs proposent une politique dogmatique et molle. Donc, j’irai un peu plus loin dans la réponse à votre question. Avec les Tunisiens, et ceci dit sans aucun paternalisme - vous le comprendrez bien, ce sont nos amis, nos cousins -, nous travaillons ensemble, nous agissons ensemble, nous élisons un président de l’Assemblée nationale qui se sent autant tunisien que français en France. Il y a sûrement eu des choses qui ont été mal faites, mal venues, il faut donc en tirer les conséquences et repartir du bon pied.
Je crois comprendre que votre Premier ministre sera ici dans les jours qui viennent et que votre président viendra à une date très proche, au mois de juillet. C’est déjà un élément positif et il y aura bien entendu des visites en sens inverse. Mais, au-delà, il faut que nous nous habituions à travailler ensemble sur un partenariat. Je pense que la Tunisie a peut-être plus d’atouts pour réussir que d’autres parce que le point de départ était quand même plus avancé, en termes d’éducation, de cohérence de la société, de taille, mais il faut des conditions pour réussir, des conditions politiques, des conditions sociales. J’ai parlé de l’emploi qui est absolument déterminant et puis il faut des conditions économiques favorables.
C’est tout cela que nous allons essayer d’appuyer avec nos amis, nos voisins et nos partenaires tunisiens. Sachant que même si le premier domaine est plus plaisant que le second - je veux parler de l’amour et de la politique -, dans les deux cas, il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour. Donc, aux uns et aux autres de les donner.
Q - Les préoccupations des États arabes du golfe vis-à-vis de l’Iran sont doubles. Il y a les attaques israéliennes sur les sites nucléaires iraniens qui auraient de graves conséquences. L’éventualité que l’Iran se dote de l’arme nucléaire est aussi une menace pour les États du golfe. Pratiquement, qu’est-ce que votre gouvernement se propose de faire ?
Vous avez abordé le dossier iranien ; compte tenu du fait que l’Iran a établi un lien entre le dossier iranien et le dossier des sanctions, quelles sont les perspectives d’évolution du dossier nucléaire iranien ? Est-ce que le régime de sanctions peut être lié aux négociations nucléaires ?
Nous avons été témoin du déclin en Égypte et peut être en Tunisie du radicalisme, et de l’augmentation du nombre de coalitions politiques ; quelles sont les défis de la transition politique au Moyen-Orient ? Quels sont les trois défis selon vous ? Par exemple lors de notre conférence nous sommes arrivés à la conclusion que les médias ont une importance cruciale dans ce processus de transition. Quelle est votre position, non seulement compte tenu de l’expérience historique européenne mais aussi de ses similitudes dans le contexte actuel ?
R - Sur la dernière partie de votre question, ne m’en veuillez pas, je ne répondrai pas autant que vous le souhaiteriez parce ce serait un trop long développement. Évidemment, comme vous, je pense que les médias ont un rôle majeur à jouer. Il n’y a qu’à prendre l’exemple d’Al-Jazeera, et de tout ce qui s’est passé pendant le Printemps arabe. À chaque fois, les médias ont joué un rôle très important.
En revanche, je consacrerai mes dernières minutes à un sujet qui mériterait davantage de temps et qui est la question du nucléaire iranien. L’Iran est une grande civilisation, un grand pays, qui en matière d’énergie a parfaitement le droit de disposer du nucléaire civil. Mais nous considérons que la possession, par l’Iran, du nucléaire militaire constituerait un risque extrêmement grave, à la fois directement - parce ce que si vous possédez à la fois l’arme nucléaire et le vecteur évidemment vous pouvez vous en servir. Et également indirectement parce ce que à partir du moment où ce pays se doterait de l’arme nucléaire, des pays voisins pourraient être tentés de faire de même et, à ce moment-là, la non-dissémination est battue en brèche, avec les conséquences redoutables de tous ordres. C’est pourquoi nous sommes hostiles à cette perspective.
Nous sommes entrés dans des discussions avec l’Iran, dans un mécanisme que l’on appelle, selon les cas, «3+3» ou «5+1» ; ces discussions sont passées par plusieurs phases - elles ont été interrompues, puis reprises ; la dernière rencontre a eu lieu à Moscou, mais je ne vous cacherai pas la vérité en disant que, dans le dernier état, elles n’avancent pas.
Nous sommes partisans d’une double approche, qui est à la fois une approche de sanctions et de négociations. Nous considérons que les sanctions ont un effet sur la partie iranienne. Bien sûr il n’y a pas de sanctions efficaces qui n’ont pas aussi de conséquences, d’une certaine manière - même si c’est regrettable - sur la population, mais nous avons avant tout cherché à viser les dirigeants, à travers des sanctions qui concernent les personnes, les responsables du régime et les sociétés financières.
L’intégralité des sanctions sera appliquée au 1er juillet. Elles ont aussi des conséquences négatives pour un certain nombre de pays qui les pratiquent. Prenons un exemple, l’interruption de fourniture de pétrole iranien à des prix moindres constitue évidemment pour toute une série de pays une sanction puisqu’ils sont obligés de se fournir ailleurs et à des prix plus élevés. Mais nous considérons que si nous n’appliquions pas ces sanctions alors un élément manquerait. En même temps, nous maintenons le dialogue avec les Iraniens.
Pour le moment, la partie iranienne n’a pas bougé sur l’essentiel c’est-à-dire sur l’enrichissement de l’uranium à 20 %. Les réponses qui sont données ne sont pas satisfaisantes. Les Iraniens nous demandent que dans la discussion, la Syrie soit d’abord abordée. Personne ici ne peut penser que l’on puisse facilement se mettre d’accord sur la Syrie avant d’aborder la question du nucléaire. Il nous est aussi dit - et je ne tourne pas cela en ridicule - qu’il faut prendre en considération la fatwa du guide qui a dit que l’utilisation de l’arme nucléaire est contraire à l’Islam. Notre approche est différente. Il nous est en dernier lieu affirmé - ce qui est faux - que le Traité de non-prolifération donnerait droit à tous les pays à un enrichissement de l’uranium sans limite. Ceci est une invention pure et simple. Pour le moment, nous n’avons pas trouvé de terrain d’accord. Nous continuons à discuter parce que nous pensons que c’est une affaire extrêmement grave.
Dans votre question, vous avez cité Israël. Évidemment, cet autre paramètre doit être pris en considération. Même si la partie israélienne a ses propres éléments d’information et estime que ses décisions n’ont pas de lien avec l’avancée ou la non-avancée des discussions, nous sommes évidemment préoccupés par ce qui pourrait être un geste qui aurait des conséquences immenses et dramatiques dans la région. Mais nous voulons jouer cette double approche qui est basée à la fois sur des sanctions, pour faire pression, et sur la négociation pour permettre d’avancer. J’ai le regret de dire que, pour le moment, les négociateurs iraniens - qui sont de redoutables négociateurs - ne permettent pas, d’aboutir à une issue positive.
Je voudrais enfin dire sur cette question et ce sera le mot de la fin que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité en plus de l’Allemagne, je dis bien les cinq, y compris la Russie et la Chine ont une attitude unie dans les négociations. Ceci mérite tout de même d’être souligné, nous souhaiterions que dans d’autres discussions cette même unité puisse exister pour déboucher sur des solutions positives.
Mesdames et Messieurs, j’espère que vous ne me tiendrez pas rigueur de devoir vous quitter, je remercie Gilles Kepel. Vous avez choisi un sujet passionnant, qui n’est pas théorique, qui est un sujet pratique qui conditionne nos vies et j’aurai beaucoup d’intérêt à prendre connaissance de vos travaux. Merci.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 juin 2012