Déclaration de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, sur le système public de santé, l'hôpital et la médecine de proximité, Paris le 27 juin 2012.

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Circonstance : Colloque "Droit et santé" à Paris le 27 juin 2012

Texte intégral

Monsieur le Responsable de la Chaire Santé, cher Didier,
Mesdames et Messieurs,
Je vous remercie chaleureusement de m'avoir invitée et accueillie à votre colloque, dans ce lieu si prompt aux discussions et aux débats.
C'est avec un très grand plaisir que j'ai accepté de me joindre à vous aujourd'hui, afin de participer à cette rencontre consacrée à des thèmes qui nous sont chers également parce qu'ils sont indissociablement liés : le service public et la santé.
Ces deux mots constituent pour chacun d'entre nous un patrimoine intellectuel, social et politique commun. Mais si la notion de « service public de santé » est passée dans les mœurs, sans doute ne nous interrogeons-nous pas suffisamment sur son sens profond.
Cette notion, qui fait écho aux fondements de la République, renvoie à une certaine vision de la société, de notre pays et du monde. Sans service public de santé, notre devise républicaine perdrait beaucoup du sens qui est le sien. Sans service public de santé, les valeurs de justice et de solidarité, qui fondent notre pacte social, seraient presque orphelines.
Cette conception suppose que l'Etat fasse de la promotion de la santé un objectif prioritaire de l'action qu'il conduit. L'égal accès aux soins pour tous n'est pas qu'un slogan de campagne, qui assurerait d'éphémères succès de tribune. C'est l'objectif que le président de la République a fixé. C'est l'engagement qu'il a pris devant les Français et qui oblige l'ensemble du gouvernement.
1/ Je veux d'abord réaffirmer ma totale confiance en notre système public de santé
Je place de grands espoirs dans notre système de santé. Et les Français également. La santé fait partie de leurs toutes premières préoccupations et ils savent la chance qu'ils ont de bénéficier de services d'une extraordinaire qualité.
Ils en savent gré à l'ensemble des professionnels de médecine générale et des personnels des hôpitaux publics, ainsi qu'à toutes celles et ceux qui, dans le domaine médico-social, dans l'hospitalisation privée, lucrative ou non, consacrent leur énergie à prodiguer des soins.
Nous pouvons être collectivement fiers de notre organisation.
Elle est compliquée, difficilement lisible, imparfaitement régulée, mais elle fonctionne. Les comparaisons internationales nous montrent que nous sommes sur le bon chemin.
Pourtant, ce chemin est fragilisé. Fragilisé par la crise et les difficultés financières auxquelles nous faisons face. Mais aussi fragilisé par les choix qui ont été faits ces dix dernières années. Les coûts ont dérivé. Nous dépensons plus pour un système qui est parfois moins efficace, à la fois pour les patients et pour les professionnels.
C'est pourquoi, plus que jamais nous devons aujourd'hui nous montrer imaginatifs, solidaires et constructifs.
Dans ce contexte difficile, où les vulnérabilités familiales et personnelles sont mises à rude épreuve, notre système public de santé doit être un rempart. Et pour cela, il doit sans cesse viser l'excellence du service rendu et la meilleure qualité possible.
Je souhaite engager une nouvelle étape. Une étape qui nous permette de renforcer ce service public, de le rendre plus juste, plus équitable et plus efficace.
2/ Pour être préservé et pérennisé, pour être plus juste et plus équitable, ce système doit être amélioré
J'ai fixé un triple objectif : permettre à chacun de se soigner, partout sur le territoire et à un prix accessible. C'est le respect de cette triple exigence, qui permettra à notre système de santé de conserver sa vocation première de service public.
La lutte contre les inégalités de santé demeure la priorité de mon action
La première tâche qui nous incombe est de mobiliser l'ensemble des acteurs du système de soins contre les inégalités de santé entre nos concitoyens.
La crise économique et sociale qui frappe nos pays touche en tout premier lieu les personnes les plus vulnérables et les plus isolées. Il est insupportable que les plus modestes de nos concitoyens, les personnes dépourvues d'emploi, les travailleurs précaires, les familles monoparentales, les jeunes actifs, mais également les personnes âgées, ne puissent accéder aux soins.
J'ai déjà eu l'occasion de le dire, mais je le répète : je n'accepterai jamais que la santé devienne un indicateur de la pauvreté dans mon pays.
Les inégalités de santé, qu'elles soient liées à des déterminants ou à des conditions d'accès, sont révoltantes. Elles nous renvoient l'image d'une République abîmée, qui a renoncé à ne laisser personne au bord du chemin.
Pour permettre l'égalité la plus grande dans l'accès aux soins, nous mettrons en œuvre l'ensemble des moyens à notre disposition.
D'une part, conformément aux engagements de notre président, j'ai d'ores et déjà décidé de confier à l'UNCAM un mandat de négociation avec les syndicats représentatifs des médecins pour parvenir, d'ici peu, à un encadrement des dépassements d'honoraires. Je place ma confiance dans cette négociation. Mais si elle échoue, j'en tirerai les conséquences qui s'imposent et je prendrai mes responsabilités dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2013.
Nous prendrons également très prochainement les mesures qui s'imposent, afin de favoriser le déploiement du tiers-payant et de lutter contre le processus de désertification médicale. Trop de territoires, ruraux comme urbains, sont les oubliés de la République en matière de santé.
D'autre part, je considère l'accès aux soins urgents comme prioritaire. Les engagements du président de la République sont là encore très clairs : personne ne devra se trouver à plus de trente minutes d'un service de soins permettant la prise en charge de l'urgence. J'ai d'ores et déjà pris contact avec les professionnels du secteur de l'urgence afin de cadrer ce dispositif. Je vais confier aux ARS, dans le cadre d'une concertation avec les professionnels de l'urgence, le soin de me faire les premières propositions pour une mise en œuvre dès 2013.
Enfin, j'attends de l'ensemble des outils administratifs de planification et de contrôle dont nous disposons (Projets régionaux de santé, Schémas régionaux d'organisation des soins…) qu'ils soient mobilisés afin que soient déclinés sur le terrain, sous la responsabilité des Agences régionales de santé, ces priorités.
3/ Pour permettre la réalisation de ces objectifs, nous devrons appuyer notre action sur les deux piliers de notre système que sont la médecine de proximité et l'hôpital public.
Le premier pilier, c'est le médecin de proximité, dont le rôle de chef d'orchestre doit être renforcé.
Les médecins de proximité - généralistes ou pas - sont les responsables des parcours de soins des patients. Nous devons leur donner les moyens de mieux dépister, de mieux conseiller et de mieux orienter au cœur du parcours de soins.
Le développement d'une approche territoriale de proximité, appuyée par une contractualisation avec les professionnels, en lien notamment avec les équipes pluridisciplinaires, permettra la mise en œuvre de dispositifs concertés entre élus, CPAM, rectorats, responsables de la médecine du travail, de la PMI et de la santé scolaire.
Pour accompagner les médecins de proximité dans cette mission, je souhaite que les modalités de leur formation, initiale et continue, continuent de faire l'objet de réformes visant à en augmenter l'efficacité et les apports. Je pense en particulier au fait que trop peu d'étudiants en médecine connaissent à l'issue de leur formation la réalité de la vie d'un cabinet.
Enfin, nous poursuivrons les expérimentations menées en direction des nouveaux modes de rémunération des médecins.
Le second pilier, c'est l'hôpital public dont le rôle central doit être réaffirmé.
Nous commencerons d'ailleurs par faire réinscrire dans la loi la notion de service public hospitalier.
Il est toujours utile de rappeler les valeurs qui fondent ce service public : l'égalité d'accès aux soins, la non-sélection des patients, une prise en charge personnalisée et adaptée aux besoins. Ce sont ces valeurs auxquelles nos concitoyens sont profondément attachés. Ils savent combien est grand le dévouement de celles et ceux qui contribuent au bon fonctionnement de l'hôpital.
L'hôpital a été malmené ces dernières années : soumis à des contraintes uniformes et brutales, ses personnels et ses principes ont été affaiblis. Cette époque est révolue et il est nécessaire de mieux reconnaître au service public les spécificités de ses missions.
A ce titre, les modalités de tarification des activités hospitalières seront revues : la convergence tarifaire sera supprimée.
Je ne nie pas la nécessaire prise en compte de la contrainte économique, qui s'impose à tous. Mais lorsqu'elle s'applique au domaine de la santé, elle ne peut être entendue que dans un esprit de justice et de solidarité. J'appliquerai cette double exigence à l'ensemble du champ hospitalier, public et privé, lucratif ou non.
Les hôpitaux public et privé exercent des missions de nature différente, avec des patients différents, en traitant des pathologies différentes. La prise en compte des spécificités de chaque secteur répond à l'exigence de justice que j'évoquais précédemment.
Sans doute certains feront valoir que l'hospitalisation privée, elle aussi, assure des missions de service public, qu'elle accueille, elle aussi, des personnes défavorisées.
Ils auront raison. Je le reconnais volontiers. L'hospitalisation privée est parfois, dans certains territoires, le seul recours possible. Dans ces cas là, nous veillerons donc à prendre en compte cette composante de son activité.
Mais, dans l'immense majorité des cas, c'est l'hôpital public qui assure l'accueil et la prise en charge des personnes les plus démunies. Il est donc logique que nous tenions pleinement compte de cette mission.
Je ne souhaite pas qu'une énième réforme vienne bousculer le fragile équilibre que connaît l'hôpital public aujourd'hui. J'ai compris l'aspiration à la stabilité de l'ensemble des membres de la communauté hospitalière. C'est la condition sine qua non de la mise en place d'une stratégie offrant des choix de long terme.
4/ Ces deux piliers, la médecine de proximité et l'hôpital public, doivent œuvrer de concert pour replacer le parcours de soins au cœur de nos politiques.
La juxtaposition étanche des structures hospitalières, libérales, médico-sociales, associatives, sociales ou autres va à l'encontre d'un parcours de soins de qualité. Le service public hospitalier ne peut pas être à l'écart des autres professionnels de santé, qu'ils soient privés, libéraux ou associatifs.
Notre système de santé doit offrir à tous le parcours de soins le plus adapté à sa situation. Au sein de ce parcours, j'entends d'ailleurs que chacun joue son rôle.
L'hôpital public doit trouver la place qui est la sienne. Le nombre important d'inadéquations relevées confirme qu'il ne doit pas être le premier recours systématique.
Je pense en particulier aux personnes âgées en situation de perte d'autonomie, dont le récent rapport du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM) a bien montré toute l'absurdité et l'inefficacité d'une orientation vers l'hôpital public.
Non-équipé et non-préparé pour ce type de patients, l'hôpital public doit gérer l'accueil de personnes, qui devraient logiquement trouver leur place au sein de structures médico-sociales, en hébergement, en accueil de jour ou bien à leur domicile.
Nous devons nous donner les moyens d'imaginer tout dispositif évitant les hospitalisations non pertinentes, toute démarche de prévention, de repérage et d'orientation qui, pour chaque patient, permettra de proposer la juste réponse la plus adéquate.
L'amont et l'aval de l'hôpital doivent faire l'objet de toute notre attention. Nous devons collectivement penser à ce qui entoure l'hôpital, afin de le recentrer sur son cœur de cible.
5/ Pour mener à bien ces politiques, les conditions de travail des professionnels du service public de la santé doivent être améliorées.
Il n'est pas de service public de qualité sans reconnaissance de ses agents. Et je pense ici à l'ensemble des acteurs de la chaîne de soins.
Pour que les membres de ce grand service public s'y investissent pleinement, ils doivent se sentir soutenus, accompagnés par leur autorité de tutelle. Qu'ils soient rassurés, je ne les lâcherai pas !
Plusieurs chantiers sont en cours, ou sur le point d'être lancés, afin d'améliorer la qualité du travail quotidien pour ces professionnels, de sécuriser leur parcours tant en termes de carrière que de formation.
Nous avons le devoir d'être imaginatifs pour les générations qui nous précèdent, pour nous, et surtout pour celles à venir.
Nous devons ensemble trouver les moyens de dépasser les frontières artificielles, qui dressent des murs entre l'hôpital, la médecine de proximité, le secteur médico-social et les structures sociales.
La clé de la réussite, j'en suis convaincue, réside dans la complémentarité entre acteurs et dans la motivation de chacune et chacun pour remplir ses missions, jour après jour.
C'est la source de tout système efficient qui permet, au bon moment, de réaliser le bon geste et au juste coût.
L'ampleur des changements que je souhaite conduire avec vous appelle une approche nouvelle de la relation entre le malade et celui qui le soigne. Didier Tabuteau avait grandement contribué à la loi sur les droits des malades de mars 2002 qui a marqué une avancée majeure en termes de démocratie sanitaire dans notre pays. Depuis, le mouvement engagé alors s'est d'abord essoufflé, puis il a stagné. Pourtant, le chemin ouvert en 2002 est le seul que nous puissions emprunter au regard des exigences nouvelles de transparence et d'information qui irriguent la société française. Les droits nouveaux, tant individuels que collectifs, attachés à cette forte demande du corps social seront à n'en pas douter les piliers d'un nouvel âge pour notre démocratie sanitaire et je sais que vous serez ici nombreux à apporter votre pierre à cet important édifice.
Sur l'ensemble des sujets que je viens d'évoquer brièvement devant vous, je sais pouvoir compter sur vos propositions, vos idées et vos projets.
Et vous pouvez compter sur moi pour mener à leur terme l'ensemble des engagements du président de la République.
Je vous remercie.Source http://www.sante.gouv.fr, le 29 juin 2012