Entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, avec TF1 le 1er juillet 2012, sur la position du Conseil de sécurité de l'ONU face à la situation politique en Syrie.

Prononcé le 1er juillet 2012

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Média : Site web TF1 - Le Monde - TF1

Texte intégral

Q - Vous revenez de Genève, c’était une réunion importante qui débouche sur un accord qui donne plutôt raison, en tout cas qui adopte plutôt la version atténuée de la Russie. Êtes-vous content de cet accord, ou est-ce que ce n’est pas un accord à minima ?
R - Ce qui est extrêmement choquant, c’est que, d’un côté, sur le terrain en Syrie, il y a un drame abominable - 15.000 morts depuis le début ; tous les jours des dizaines et des dizaines de morts - et de l’autre, jusqu’à présent, la communauté internationale n’avançait pas. Ce qui a été acquis hier, c’est que pour la première fois depuis longtemps, on a un accord unanime des cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité et de quelques autres ; les Russes et les Chinois ont donc signé. Et même s’ils disent le contraire, le texte dit précisément qu’il y aura un gouvernement de transition qui aura tous les pouvoirs : ce ne sera donc pas M. Bachar Al-Assad.
Q - Oui mais qui inclura des membres de l’équipe actuelle.
R - Oui, mais pas Bachar Al-Assad, puisqu’il est dit que ce seront des personnes qui feront l’objet d’un consentement mutuel. Jamais l’opposition ne va accepter Bachar Al-Assad. Cela signifie donc implicitement que Bachar Al-Assad doit partir. Bachar Al-Assad, à terme, c’est fini.
Q - C’est la position de la France ?
R - C’est ce qu’il y avait dans la discussion. La difficulté, maintenant, c’est de faire appliquer tout cela. C’est M. Kofi Annan, l’Envoyé conjoint de la Ligue arabe et des Nations unies, qui va être chargé de le faire appliquer. Mais il faudra en même temps que l’opposition s’unisse ; nous sommes en train de travailler pour cela. Il y a vendredi prochain à Paris une très grande réunion avec plus de 100 États. Nous allons exercer une pression supplémentaire contre Bachar Al-Assad - l’humanitaire - et faire en sorte que l’opposition présente un visage uni.
Q - Vous dites «faire pression sur Bachar Al-Assad». On voit bien, vous le rappeliez, cela fait 15 mois qu’il y a ces violences, que nous paraissons impuissants. Est-ce qu’il ne faut pas imaginer ou envisager un recours à la force d’une façon ou d’une autre ?
R - Si ce que nous avons décidé hier n’est pas suffisant, nous retournerons au Conseil de sécurité des Nations unies et nous demanderons l’application du chapitre VII, pour rendre obligatoire ces décisions. Et l’obligation peut recourir à toute une série d’éléments, notamment des éléments militaires.
Q - Mais le chapitre sept a été refusé explicitement, même hier encore, par la Russie…
R - Croyez-moi, pour avoir discuté toute la journée avec les Russes et les Chinois, c’était pied à pied. Là, il y a un pas supplémentaire. En même temps, c’est une lueur d’espoir mais il ne faut pas que cela se transforme en déception demain, et sur le terrain, c’est cela qui est essentiel. Il y a tous les jours des gens qui meurent, avec un risque d’extension régionale : Liban, Jordanie, Israël, Irak, Turquie et d’autres. C’est une affaire extrêmement grave, sur laquelle la France est vraiment en avant.
Q - Et une avancée de l’opposition puisqu’on voit qu’il y a beaucoup de mutinerie dans l’armée qui rejoint les rangs de l’opposition.
R - C’est vrai parce que le comportement de Bachar Al-Assad est tellement horrible que des personnes qui, au départ, n’avaient pas d’affiliation particulière, disent : «il faut que le tyran s’en aille».
Q - Donc, on attend la réunion de vendredi prochain mais pas d’initiative personnelle ou isolée ou autonome de la France ?
R - La France est un des leaders dans cette affaire. C’est son rôle, c’est normal, elle travaille partout pour la paix.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 juillet 2012