Déclaration de M. François Fabius, ministre des affaires étrangères, notamment sur la situation politique en Syrie, à Paris le 3 juillet 2012.

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Circonstance : Conférence de presse conjointe avec M. Guido Westerwelle, ministre des affaires étrangères de la République fédérale d'Allemagne, à Paris le 3 juillet 2012

Texte intégral

Mesdames et Messieurs, merci de venir si tôt. Cet horaire est rendu nécessaire par le fait que, comme vous le savez, il y a dans quelques minutes la déclaration de politique générale du Premier ministre et, moi-même, je dois lire cette déclaration au Sénat. Nous allons, Guido et moi, vous dire quelques mots et ensuite nous répondrons à une ou deux questions.
Nous venons d’avoir des échanges approfondis sur tout une série de sujets avec le ministre des Affaires étrangères allemand. Guido m’avait accueilli avec beaucoup de gentillesse à Berlin, le 3 juin dernier, et nous nous étions dit que l’invitation en retour devait venir. Nous aurons l’occasion dans le futur de faire ces mouvements dans les deux sens à plusieurs reprises. Pour ma part, je le fais avec beaucoup de plaisir puisque nous sommes non seulement collègues mais en grande sympathie.
Nous avons notamment évoqué le Conseil européen de la fin de la semaine dernière dont le résultat positif tient notamment à la concertation étroite qui a eu lieu entre Berlin et Paris, en liaison avec tous nos autres partenaires.
Les premières réactions ont été positives. Nous devons consolider ces résultats pour une mise en œuvre rapide, mais je crois que tous les observateurs objectifs ont remarqué que c’était un sommet productif, qui va nous permettre d’envisager l’avenir avec beaucoup plus d’optimisme qu’auparavant.
Nous avons parlé longuement de la Syrie. Nous partageons la même analyse et le même sentiment d’urgence devant une situation qui est effroyable. Nous allons continuer ensemble d’exercer toute la pression possible sur le régime de Bachar Al-Assad. J’ai informé Guido des conditions dans lesquelles le Groupe d’action s’était réuni le 30 juin à Genève, et la conclusion unanime que ce groupe avait apportée à la demande de Kofi Annan, qui est l’Envoyé spécial des Nations unies et de la Ligue arabe.
Vendredi prochain se tient à Paris la réunion du Groupe des amis du peuple syrien, qui réaffirmera l’appui de la communauté internationale à la mise en œuvre effective du plan Annan. J’aurai le plaisir à cette occasion d’accueillir de nouveau Guido.
Nous avons également évoqué la situation extrêmement préoccupante au Sahel. Nous allons y revenir avec nos collègues européens lors du Conseil Affaires étrangères à Bruxelles, le 23 juillet. Cette question sera abordée aux Nations unies dans les tous prochains jours : il faut absolument qu’une mobilisation vienne renforcer l’autorité et la capacité d’action des autorités civiles de transition.
Nous avons également évoqué - mais très rapidement - et nous allons continuer à le faire, la préparation des célébrations du 50ème anniversaire du Traité de l’Élysée, et j’aurai l’occasion au mois de septembre de me rendre à Bonn dans ce cadre.
D’une façon générale, nos analyses sont évidemment extrêmement proches et même, le plus souvent, totalement identiques. Je me réjouis que nous puissions travailler comme cela, la main dans la main, avec un collègue qui est devenu en peu de temps un ami.
Q - M. Fabius, le président guinéen, Alpha Condé, a été reçu hier à l’Élysée. À l’issue de cette rencontre, il a rappelé qu’il était favorable à une intervention armée pour déloger les islamistes du nord du Mali. Il a demandé le soutien de la communauté internationale, notamment le soutien de la France, un soutien logistique a-t-il dit. Êtes-vous prêt ou est-ce que la France est prête à répondre à cette demande.
R - J’étais présent à cette rencontre avec le président guinéen. Nous avons effectivement parlé de cette question préoccupante, de ce qui se passe au Mali. L’Union africaine et la CEDEAO ont saisi les Nations unies d’une résolution qui tend à stabiliser le pouvoir politique au Sud, et à donner des moyens pour faire en sorte que le Mali puisse le plus vite possible retrouver son intégrité. Une résolution a été déjà discutée, mais elle n’a pas été jugée assez précise par certains ; une nouvelle résolution est actuellement en cours de discussion aux Nations unies. Nous avons bon espoir, nous la France, qu’elle sera adoptée. C’est à partir de l’adoption de cette résolution que nos amis africains pourront prendre des décisions sur la légalité internationale.
Voilà où nous en sommes. Il est évident que la France, dans le respect du droit international, est aux côtés de nos (mot manquant ?) Africains qui n’acceptent ni les coups d’État, ni les groupes armés qui menacent les populations, violent, tuent, détruisent des lieux considérés comme religieusement sacrés. C’est inacceptable. Nous espérons que ce qui sera décidé aux Nations unies donnera la possibilité aux Africains d’intervenir rapidement.
Q - Monsieur le Ministre, la conférence sur la Syrie a lieu à Paris. Il semble qu’il y ait un doute sur la présence des Russes. Si les Russes ne participent pas à cette conférence, pour la France, pour l’Allemagne et pour les amis de la Syrie, qu’est-ce que cela signifie ? Par ailleurs, après l’accord qui a été conclu à Genève, in extremis, l’opposition syrienne semble dire que cela permet en fait de gagner du temps pour le régime syrien et que c’est finalement un mauvais accord, puisqu’il ne mentionne pas l’interdiction au président Al-Assad ou à ceux qui sont responsables de la répression de figurer dans un gouvernement de transition. Que répondez-vous à ces arguments de l’opposition qui s’avère plutôt déçus ?
R - Il y a deux questions. Je vais y répondre successivement.
La Russie a été invitée à la réunion de vendredi mais nous a fait savoir - elle peut toujours changer d’avis - qu’elle ne souhaitait pas y participer. Ce n’est pas une surprise.
Sur la deuxième question, j’ai vu beaucoup de commentaires. D’abord, je voudrais faire une petite mise au point. Il y a eu des réactions diverses, de différents mouvements d’opposition par rapport à ce texte, dont je vais vous donner des éléments dans quelques instants, mais on ne peut pas dire que l’opposition syrienne dans sa totalité l’ait récusé. Ceux qui sont attentifs au fond auront certainement vu plusieurs choses.
Tout d’abord, c’est à la demande expresse de M. Kofi Annan, Envoyé spécial des Nations unies et de la Ligue arabe, que ce Groupe d’action s’est réuni et qu’il a adopté à l’unanimité cette décision. M. Annan est l’homme qui, appuyé sur la légalité internationale, peut permettre de trouver une solution. Il nous demandait d’aller dans ce sens. Avant de donner notre accord - pas seulement la France, les États-Unis, le Royaume-Uni, mais aussi la Russie, la Chine, la Ligue arabe, le Qatar, le Koweit, l’Irak et le secrétaire général des Nations unies -, nous avons demandé à M. Kofi Annan : «avez-vous besoin de ce texte pour pouvoir avancer vers le cessez-le-feu et un changement de gouvernement en Syrie ?» ; la réponse a été «oui». À partir de ce moment-là, je ne vois pas ce qui aurait pu nous autoriser à ne pas signer ce texte : c’est le premier point.
Deuxième point : ce texte adopté, c’est sûr, après une longue discussion, dit qu’il y aura un gouvernement de transition en Syrie qui détiendra tout le pouvoir exécutif. Cela signifie que ceux qui détiennent aujourd’hui le pouvoir exécutif, à savoir M. Bachar El-Assad, ne l’auront plus puisque c’est ce nouveau gouvernement qui l’aura. Deuxièmement, le texte dit que le choix de ceux qui devront en faire partie se fera avec comme objectif de «mutual agreement» ; qu’il devra supposer un consentement, ce qui, évidemment, exclut M. Bachar Al-Assad puisque personne ne peut imaginer que l’opposition accepte sa présence.
Alors, qu’ensuite, des interprétations diverses aient été faites, c’est tout à fait possible. Mais, ce que cela signifie, c’est que, d’une part, pour la première fois depuis très longtemps et à la demande de M. Kofi Annan, l’ensemble des membres permanents du Conseil de sécurité sont tombés d’accord sur ce texte, qui prévoit non seulement la reprise du plan en six points de M. Kofi Annan mais aussi la transition politique ; et, deuxièmement, que cette transition politique exclut bien sûr dans le gouvernement la présence de M. Bachar Al-Assad.
Le reste, comme on le dit en bon français, sont des «paroles verbales». Je ne doute pas que l’opposition qui, bien sûr, pourrait souhaiter - je le comprends très bien et je le partage - que les choses soient encore plus précises, comprenne cela comme un pas en avant.
Maintenant, évidemment, il restera à mettre en application tout cela. Ce n’est pas facile. M. Kofi Annan va s’y employer en consultant les uns et les autres. Il nous a dit que s’il n’y parvenait pas, le Conseil de sécurité des Nations unies sera saisi de ce texte, probablement pour une application au titre du chapitre 7. Chacun devra à partir de là prendre ses responsabilités, en ayant en esprit que le texte qui sera soumis pour application aura été signé par tous les membres permanents, qui devront alors dire si oui ou non ils honorent leur signature.
Voilà un éclairage que je voulais donner par rapport à un certain nombre de commentaires que je peux entendre. Je voudrais redire - et ce sera évidemment la tonalité de la réunion de vendredi prochain - qu’il n’y a pas de double langage : nous considérons que M. Bachar Al-Assad est un massacreur et que plus vite il sera parti, mieux ce sera.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 juillet 2012