Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, sur la situation politique en Syrie et au Mali, à Paris le 4 juillet 2012.

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Circonstance : Conférence de presse conjointe avec M. William Hague, ministre britannique des affaires étrangères, à Paris le 4 juillet 2012

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Merci d’être venus à cette heure qui n’est pas très commode, mais il se trouve que la démocratie française a ceci en commun avec la démocratie britannique qu’il y existe un parlement. Et ce parlement nous demande souvent, ce qui est normal, de lui rendre visite. Je devrai, malheureusement, dans quelques instants, quitter notre ami William puisque je dois présenter à l’Assemblée nationale la position du gouvernement français sur le dernier sommet européen.
Je souhaitais cependant, auparavant, d’abord dire à William Hague à quel point je suis heureux de l’accueillir. Nous travaillons ensemble maintenant depuis quelques semaines et nous avons le sentiment d’être déjà de vieux amis, tant nous traitons de sujets d’intérêt commun dans les différentes réunions internationales. Mais il était bon, compte tenu des relations très proches qui sont celles de la Grande-Bretagne et de la France, que nous puissions faire le point, ce que nous avons fait, sur le Conseil européen bien sûr de la semaine dernière et notre vision de l’Europe, sur la Syrie, sur l’Iran et le nucléaire iranien, sur le Sahel et sur nos relations bilatérales qui, je tiens à le dire, sont tout à fait excellentes. Nous avons, en particulier dans le domaine du nucléaire civil, dans le domaine de l’énergie au sens large, dans beaucoup de domaines, des coopérations qui doivent être non seulement entretenues mais amplifiées. Nous n’oublions jamais, comme le disait Victor Hugo, que l’Angleterre est la sœur de la France.
Sur la Syrie, nous partageons, je crois, la même analyse, ce qui nous a amené l’un et l’autre à travailler ensemble pour aboutir au texte que nous avons adopté à Genève samedi dernier. Et nous savons qu’il faut exercer toute la pression possible sur le régime meurtrier de Bachar Al-Assad.
Le groupe d’action s’est réuni samedi dernier. Vendredi prochain, nous serons ensemble pour la réunion du Groupe des amis du peuple syrien qui aura lieu à Paris et qui, d’ores et déjà, est assuré de réunir plus de 100 États, c’est-à-dire au moins la moitié du monde.
Sur L’Iran, nos deux pays sont côte à côte devant la discussion avec la partie iranienne, et l’un comme l’autre sommes d’accord pour augmenter la pression sur l’Iran autant qu’il est possible, tant que les autorités iraniennes refuseront de négocier sérieusement, sur le fond.
Sur le Sahel, les dernières évolutions sur le terrain sont très inquiétantes. Une résolution est sur le point d’être discutée aux Nations unies qui, nous l’espérons, permettra d’une part, de stabiliser la situation au sud ; ensuite, de dégager les voies et les moyens pour, au nord, assurer l’intégralité du Mali. Il n’y a pas seulement les questions de sécurité à traiter mais également les questions de développement. Cela concerne d’ailleurs l’ensemble de l’Afrique, que ce soit dans la partie Est, ou dans la partie Ouest.
Nous avons enfin, dans ce tour d’horizon fructueux, examiné la situation européenne actuelle et les perspectives pour l’Europe. Les visions de la France et de la Grande-Bretagne ne sont pas nécessairement les mêmes, mais nous devons travailler ensemble. C’est dans cet esprit que nous avons commencé de le faire et que nous allons continuer.
Q - Sur la conférence de vendredi, est-ce que c’est l’occasion peut-être de parler d’un équipement de l’opposition et même d’armer les insurgés ?
R - Il faut que nos collègues russes comprennent que, en soutenant un régime - en reprenant l’expression de William Hague - «condamné», du point de vue à la fois du droit international, de la conscience humaine et de ce que l’on doit attendre d’un pouvoir, ils risquent de perdre l’influence qu’ils peuvent avoir dans cette partie du monde. Et ce alors que personne ne leur conteste le fait qu’ils auraient une influence s’ils peuvent aider à trouver une solution.
En ce qui concerne la conférence de vendredi avec les Amis du peuple syrien, nous sommes déjà assurés d’avoir plus de 100 délégations. Évidemment, l’un des traits particulièrement spectaculaires de cette conférence, c’est que l’opposition y sera représentée et pourra s’y exprimer.
Entre beaucoup d’autres, il y a deux aspects importants : travailler à une extension des sanctions, c’est ce que nous sommes en train de faire ; répondre aux besoins humanitaires, en médicaments et en approvisionnement de nourriture.
La question des armes n’est pas abordée directement mais on sait, d’ores et déjà, qu’en réalité il y a des pays qui fournissent des armes, quelles que soient les décisions qui ont été prises. On peut le regretter ; nous avons, nous-mêmes dit, dans la déclaration de samedi à Genève, que nous étions contre la militarisation du conflit.
Cette réunion va être l’occasion d’affirmer à la face du monde à quel point nous soutenons le départ de Bachar Al-Assad. Nous pensons à la Syrie du futur que nous voulons voir préservée dans son intégrité et dans le respect des ses différentes communautés. Et nous allons avancer sur les moyens pratiques d’aider cette transition.
Kofi Annan a maintenant des outils juridiques. C’est lui qui nous a d’ailleurs demandé d’adopter la résolution de samedi à Genève et qui va se rendre auprès des différentes parties pour la faire appliquer. Si cela n’était pas le cas ou si la mise en œuvre n’est pas assez rapide, nous reviendrions devant les Nations unies, cette fois-ci dans le cadre du Chapitre VII pour que cette résolution puisse être appliquée.
Q - Est-ce qu’il y a un délai ?
R - Il n’y a pas de délai fixé dans le texte mais, à coup sûr, compte tenu de la gravité des faits, le plus tôt est le mieux.
Q - Monsieur le Ministre, à propos du Sahel, avez-vous évoqué l’éventuelle concertation avec l’Algérie pour lutter contre l’expansionnisme islamiste dans le nord du Mali ? Deuxième question : sur les relations entre la France et l’Algérie. Au moment où ce pays fête son cinquantième anniversaire de l’indépendance, on a un peu l’impression que les relations entre les deux pays sont au point mort. Est-ce que c’est une réalité ?
R - Sur le deuxième point, non, les relations ne sont certainement pas au point mort. J’aurai l’occasion de me rendre en Algérie, de voir les autorités algériennes dimanche et lundi en huit. Que le ministre des Affaires étrangères français se rende là-bas - et je suis très heureux d’être accueilli par les autorités algériennes - nous permettra de faire un tour d’horizon sur nos relations ainsi que, bien sûr, sur la situation dans la région, compte tenu de l’importance de ce pays sur un certain nombre de problèmes internationaux.
Ce qui se passe au Sahel, au nord du Mali est d’une grande gravité. Il y a une accumulation d’horreurs : des femmes violées, des hommes décapités, des enfants dans des situations atroces, des gestes abominables, qui traduisent une conception totalement intégriste de l’être humain et de la religion, vis-à-vis des mausolées.
Nous avons sensibilisé - en même temps que nous étions sensibilisés par eux - l’ensemble des pays de la région. Bien sûr, l’Algérie est parfaitement au courant de la gravité du problème mais on peut aussi penser, outre le Mali, au Niger, au Tchad, à la Mauritanie, au Sénégal, à la Côte d’Ivoire, au Nigeria et à d’autres pays encore.
Nous avons reçu à Paris, le président de la République et moi-même, le président de l’Union africaine. J’ai nommé un représentant spécial pour cette partie du monde, l’ambassadeur Jean Félix-Paganon, qui se trouve actuellement en déplacement dans cette région. Toute une série de contacts sont pris : Alpha Condé était là ces jours-ci ; le président du Sénégal vient dans peu de temps. Nous faisons ce que nous devons faire en liaison avec nos partenaires africains. L’objectif est de rétablir, dans le sud, l’ordre constitutionnel, d’assurer et d’affirmer l’intégrité du Mali ; et ensuite, à mesure que les forces africaines pourront être réunies, de regagner le terrain qui a été perdu.
Tout cela demande évidemment un support international ; c’est la raison pour laquelle se discute dans quelques heures une résolution, mise au point aux Nations unies, qui est sous chapitre VII - même si elle n’est pas sous chapitre VII militaire - et qui englobe l’ensemble des demandes qui sont faites par la communauté internationale. J’espère que cette résolution pourra être adoptée ; elle donnera un cadre juridique à toute une série d’actions qu’il faut mener, d’abord par nos amis africains.
J’ajoute enfin qu’il ne faut pas seulement se préoccuper de la question de la sécurité, même si elle est essentielle, mais aussi de la question du développement et de l’humanitaire. Il y a des dizaines de milliers de personnes qui, compte tenu de la gravité de la situation, sont réfugiées dans des zones voisines. Il y a des menaces de famine, à la fois dans ce pays et aussi dans les zones voisines.
Là aussi, un appel a été lancé à l’Europe. Nous allons reprendre les discussions dans les jours qui viennent avec les collectivités locales et les différents pays européens pour faire en sorte qu’au caractère abominable de ce qui se passe sur le plan de la sécurité et des droits ne s’ajoute pas une catastrophe humanitaire.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 juillet 2012