Texte intégral
Mes chers amis,
Un grand mouvement démocratique, c'est une organisation qui se donne des rendez-vous avec elle-même, et qui les respecte. Un grand mouvement démocratique, c'est une communauté qui unit, de la base au sommet, tous ceux qui la forment, responsables, adhérents et militants, afin qu'ils se déterminent ensemble au moment des grands choix.
Le rendez-vous de Bordeaux
Ce rendez-vous de Bordeaux, nous l'avons voulu et fixé dès notre congrès de Lille. Nous sentions bien, en effet, que nous aurions, alors que se prépareraient les élections européennes, un rendez-vous avec nous-même, avec nos raisons de vivre, d'exister et de défendre nos idées. Et comme c'est de l'essentiel qu'il s'agit, nous sommes exacts au rendez-vous. Sans doute n'imaginions-nous pas que nous aurions eu, entre-temps, à traverser quelques moments révélateurs, de ce que nous sommes et de ce que nous voulons être.
La révolution tranquille de l'Euro
Il y a, en tout cas, un événement dont nous connaissions la date, dont nous attendions beaucoup et qui ne nous a pas déçus : le 1er janvier 1999, pour la première fois dans l'histoire des hommes, onze pays libres se sont librement dotés d'une monnaie unique. Il est rare de vivre en toute connaissance de cause un événement de l'histoire, dont on soit sûr qu'il est sans aucun précédent. Il est unique que cet événement se produise au vu et au su de tous, en pleine lumière. Jusqu'à ce premier jour de l'année nouvelle, une monnaie, c'était un signe de domination. Lorsqu'on changeait de monnaie, à de rarissimes et marginales exceptions, c'est que l'on était occupé et soumis. Les vaincus se voyaient imposer la monnaie du vainqueur.
Pour la première fois dans l'histoire, sans vainqueurs et sans vaincus, la libre volonté de onze peuples associés, leur a fait librement abandonner la monnaie d'un passé séparé pour adopter d'un même mouvement, et en commun, la monnaie de leur avenir. Ce qui m'a frappé, je ne sais pas si ce fut aussi votre réaction, c'est l'ambiance de joie collective. Quelque chose de nouveau arrivait, et c'était quelque chose d'heureux, qui ouvrait une porte nouvelle, quelque chose qui présentait et inaugurait le XXIe siècle, et donnait soudain aux plus sceptiques l'idée d'une chance concrète pour eux-mêmes et pour leurs enfants. Nous devons être redevables à tous ceux qui ont conçu et porté cette pacifique révolution. Vous me permettrez, à cette tribune, et devant cette salle, de nommer en premier Valéry Giscard d'Estaing. Voyez-vous j'ai retrouvé, grâce à Bernard Lehideux, une conférence de Valéry Giscard d'Estaing, à Biarritz, en 1966, qui s'intitulait " pour une monnaie unique de l'Europe ". 1966. Il y a une phrase de Teilhard de Chardin que le président Giscard d'Estaing aime à citer. Cette phrase dit à peu près ceci : " il suffit qu'un seul homme conçoive une seule idée vraie pour que la face du monde en soit changée ". Deux décennies auront suffi pour que cette idée conçue dans la solitude et l'incrédulité, souvenons-nous du premier geste d'échange d'un billet libellé en monnaie de l'Europe, devant les caméras, avec Helmut Schmidt, vingt ans auront suffi pour que cette idée, de proche en proche, convainque les uns et submerge les autres. Cette idée, à laquelle il est juste de rappeler qu'ont participé, à leur place et avec détermination, des hommes aussi différents que François Mitterrand, Jacques Delors ou Jacques Chirac, à laquelle Helmut Kohl a tant apporté de sa ténacité visionnaire, cette idée a changé la face du siècle qui vient. L'Europe et la France en sont redevables au fondateur de l'UDF. Dans cette salle, nous sommes les amis de Valéry GISCARD d'ESTAING. Mais aujourd'hui, dans les applaudissements qui vont s'adresser à l'inventeur de la monnaie unique de l'Europe, nous ne sommes pas seulement ses amis. Nous sommes les représentants du peuple de France et des peuples d'Europe. C'est en leur nom que nous lui disons merci.
Après Lyon
L'Euro, c'était la fête du 1er janvier. Le 7 janvier, à Lyon, c'était une autre fête, ou plus exactement, ce fut notre fête. Permettez-moi de vous en dire deux mots, avec un sentiment de gratitude pour ceux qui ont assumé cette épreuve de force : nos conseillers régionaux de Rhône-Alpes, au premier rang d'entre eux Thierry Cornillet ; Michel Mercier et Raymond Barre dont le courage et la solidité, l'humour et la détermination méritent notre hommage ; et celle sans la solidité de qui tout cela n'aurait pas été possible, Anne-Marie Comparini, présidente de la région Rhône-Alpes. A propos de Rhône-Alpes, il faut dire des choses simples. La région était dans une impasse dont tous les Rhônalpins souffraient. Entièrement coupée du monde de l'éducation, de l'université, de la culture, de la recherche, une grande région d'Europe se trouve lourdement pénalisée et tous ses habitants, et son image, en souffrent profondément. A partir de l'annulation de l'élection du président de région, il n'y avait que deux solutions pour sortir de l'impasse. Ou bien l'élection d'un président de gauche avec des voix de droite. Ou bien l'élection d'un président de droite avec des voix de gauche. C'est ce que tout le monde avait compris, et dit officiellement, en particulier le RPR. Nous avons choisi la deuxième solution. Une présidente de la droite républicaine est désormais en place. Elle a tous les moyens pour gouverner. Depuis la récente loi, ce n'est plus la majorité qui gouverne, c'est l'exécutif. L'exécutif est homogène. C'est une cohabitation à l'avantage de la droite républicaine et du centre. La région est sortie de l'impasse. Et on va voir ce que vaut le courage tranquille d'une femme de conviction. Tout cela, il faut bien le dire, a été pour nous un révélateur. Nous pouvions bien comprendre et accepter qu'on ait des divergences, au sein de l'opposition, sur une décision forcément difficile, dans tous les cas difficile. Que l'on change d'avis trois, quatre fois, dans la même journée, c'est déjà plus malaisé à comprendre. Mais qu'immédiatement ce soient des injures, des diffamations, un ton que l'on n'utilise pas à l'égard de ses pires ennemis, cela c'est inacceptable et nous ne l'avons pas accepté.
La préparation des Européennes
Naturellement, tout cela n'aurait pas pris le même tour s'il n'y avait eu la préparation des européennes. Vous le savez bien, pour l'immense majorité d'entre nous, nous souhaitions, par principe, une liste commune. Certains d'entre vous le discutaient, c'est vrai. Mais nous étions heureux de montrer que notre vision de l'Europe était désormais largement partagée. Et nous n'aurions pas fait d'affaire de personne. Mais c'est alors que nous avons commencé à entendre, par la presse, que nos partenaires avaient décidé, sans que nous en parlions ensemble, de choisir comme candidat, de nous imposer ensuite, par intimidation, une tête de liste qui, sur ce sujet, tout le monde le comprendra ne pouvait être un rassembleur. Comment demander à ceux qui ont porté l'idée européenne, qui se sont battus pour cette Europe, à temps et à contre-temps, quand c'était facile, et plus souvent encore quand c'était difficile, de se ranger, pour les élections européennes, derrière celui qui a tout fait et tout dit pour empêcher cette Europe de se faire ? Je vais vous lire deux phrases seulement, prononcées à la tribune de l'Assemblée nationale par Philippe Séguin, lors du débat sur la révision constitutionnelle préalable à la ratification du traité de Maastricht. " L'Europe qu'on nous propose n'est ni libre, ni juste, ni efficace. Elle enterre la conception de la souveraineté nationale et les grands principes issus de la Révolution : 1992 est littéralement l'anti-1789 ! " "Tant il est vrai que la souveraineté divisée, la souveraineté partagée, la souveraineté limitée, sont autant d'expressions pour signifier qu'il n'y a plus du tout de souveraineté." Il y a moins de dix mois, le président du RPR préconisait encore un vote " non " à l'Euro ! Il a fallu la révolte d'Alain Juppé, je le dis ici à Bordeaux, pour que le RPR s'abstienne. Et qu'on me permette de dire que cette abstention, sur le passage à l'Euro, était révélatrice Qu'on me comprenne bien, je ne reproche nullement à qui que ce soit d'avoir ses opinions et de les défendre. C'est le débat démocratique et c'est un débat républicain. Je respecte par exemple Charles Pasqua de continuer à défendre cette idée. Je ne l'approuve pas, mais je le respecte. Mais nous, nous ne pouvons pas accepter sans nous renier que celui qui a combattu cette idée de l'Europe, et avec quelle force, et avec quelle outrance, devienne aujourd'hui, sur un claquement de doigts, le porte-drapeau des européens. Appelons les choses par leur nom, c'eût été de notre part un reniement. Et il faut que tout le monde l'entende, pour aujourd'hui et pour demain : qu'on ne compte pas sur nous pour nous renier ! Ou alors, il nous aurait fallu admettre que la parole politique n'a plus de sens, que la politique, c'est de l'opportunisme. C'eût été admettre que nos concitoyens ont raison lorsqu'ils pensent qu'un homme politique peut changer d'avis et de conviction, comme de chemise, au gré des courants et des opportunités.
Nous croyons au contraire que la démocratie a besoin de convictions. Elle a besoin de transparence et elle a besoin de cohérence. Elle a besoin que les politiques parlent avec leur cur, avec leurs tripes, et pas avec des sondages qui changent comme l'air du temps. S'il y a un point sur lequel il faut que la politique change, c'est qu'elle a besoin de sincérité. Elle a besoin de femmes et d'hommes qui aient le courage de leurs idées, et qui, pour leurs idées, sachent prendre des risques. Non pas assurés de la victoire, mais assurés de leur conviction. Des femmes et des hommes dont leurs concitoyens seront sûrs qu'ils ne diront pas blanc après avoir dit noir.
Nous sommes les porteurs d'un nouveau projet d'organisation de l'opposition. Nous voulons passer de la pensée unique à l'opposition plurielle, celle qui respecte le pluralisme des convictions authentiques. Cette authenticité, c'est la condition du débat. Quand le débat est interdit, on est assuré de se tromper. Nous voulons que l'opposition retrouve l'équilibre et le débat des idées. Que chacune des deux grandes sensibilités qui la forment puisse se faire entendre, à égalité de droits et de devoirs. Nous voulons une opposition républicaine plurielle où les sensibilités de droite et du centre soient les bienvenues dans leur identité, dans leur sincérité, dans leur vision. Mais ce n'est pas seulement l'opposition, c'est la France tout entière qui réclame une diversité nouvelle, une dignité nouvelle, un respect nouveau. C'est un mouvement général. Pas seulement en politique, dans la vie de tous les jours, dans la préparation des réformes, les médecins, les enseignants, les entrepreneurs, les associations, les élus locaux, toute la France, tous les Français exigent qu'on les respecte et qu'on les écoute.
La question des questions
Et encore davantage sur la question européenne. Pour la première fois, grâce à la naissance de l'Euro, l'Europe va être, nous le croyons, au centre des élections européennes. Or l'Europe, ce n'est pas une question parmi d'autres. L'Europe, c'est la question des questions. Autour de la question européenne, dépendant de la question européenne, il y a l'essentiel des questions économiques, sociales et politiques qui concernent l'avenir de la France. Et d'abord, il y a la question de la politique elle-même. Nous le voyons dans la progression des abstentions. Beaucoup de nos concitoyens ne croient plus à la politique. En apparence et en surface, ils doutent des politiques. Et souvent on serait tenté de leur donner raison. Mais en profondeur ils doutent de la politique. C'est un mouvement de réalisme. C'est un mouvement presque désespéré, qui les amène à comparer le rapport de forces entre les grandes forces qui agissent dans le monde : les marchés financiers et les milliards de dollars qu'ils échangent, la force des technologies nouvelles, le déséquilibre de la planète au bénéfice d'une seule super-puissance militaire, et ce même déséquilibre qui rend presque immaîtrisable l'immense misère du sud, et singulièrement de notre sur l'Afrique, la super-puissance des mafia et de la drogue. Et nos concitoyens se disent : en face de cela, la politique est impuissante.
Il faut envisager cette question : si l'on veut que revienne la politique, il faut définir le cadre crédible et les armes crédibles de notre action. Et la vérité oblige à dire -je ne dis pas la conviction, ou le sentiment-, la vérité oblige à dire qu'il ne reste qu'une chance d'assister et de participer au retour du politique. Cette chance, c'est l'Europe. L'Europe comme retour du politique. De partout, de l'intérieur même du monde financier, même en provenance de Davos, se fait entendre un appel : " que la politique prenne ses responsabilités ! Qu'il y ait enfin une voix pour défendre l'intérêt général ! Que tout ne soit pas abandonné au hasard, à l'humeur des salles de marché ! Qu'il y ait des défenseurs d'une économie sociale de marché ! Qu'il y ait une organisation internationale qui rende justice à la justice et pas seulement au bénéfice immédiat ! " Cette capacité du monde libre à faire entendre la voix de la justice, à défendre un projet social et non pas seulement financier, dans l'économie de marché, c'est la question du siècle qui vient. C'est la question de l'union européenne. Ceux qui veulent la justice et l'économie sociale, de gauche et de droite, et du centre, s'ils ont des yeux pour voir, ils savent que les vieux Etats nationaux ne sont plus à l'échelle. Ils savent que ce n'est plus à l'intérieur de nos frontières dérisoires que l'on peut faire bouger les choses, que l'on peut contraindre les puissants à écouter la voix des faibles. Il faut une puissance qui s'impose aux puissants ! Et l'Europe est la puissance que nous avons construite, la puissance que nous nous sommes donnée, contre bien des scepticismes, contre bien des conservatismes, contre bien des fantasmes de pouvoir national ! Sur le chemin de l'Europe beaucoup a été fait. Mais elle n'est ni achevée, ni idéale. L'Europe est à construire. L'Europe n'est pas finie ! C'est le contraire. L'Europe est à son rendez-vous. Nous ne sommes pas des euro-béats, nous sommes des euro-constructeurs. Nous n'allons pas vers l'Europe avec des airs de chiens battus. Et parce que nous sommes des euro-constructeurs, nous pourrons être des euro-exigeants, et des euro-réformateurs. Depuis le premier jour, il y a deux visions de l'Europe. L'Europe communauté ou l'Europe zone de libre-échange. Une monnaie unique, cela peut être le premier étage d'une communauté, d'une union démocratique, qui concevra un destin commun, défendra des valeurs communes, s'adressera au monde en ensemble puissant. Mais cela peut parfaitement être aussi le support d'une zone sans personnalité morale, vouée aux seuls échanges économiques, au seul culte financier, où la seule valeur dominante, ce sera la vision aveugle d'un certain capitalisme, d'un ultra-libéralisme anglo-saxon. D'autant plus que dans quatre ans, l'élargissement risque d'imposer la logique de la dissolution, au lieu de la logique de cohérence.
Ma conviction est que l'aventure européenne est ainsi gravement menacée de se voir inachevée et trahie. C'est maintenant, dès le début de l'histoire de l'Euro, que cela va se jouer.
L'Euro est fait. L'Europe est à faire.
En partie dans le rapport qui doit s'établir, sans soupçon réciproque, entre la banque de l'Europe et la volonté politique de l'Europe, pour défendre un véritable modèle social fondé d'abord sur la valorisation du travail. Aucune de nos entités politiques traditionnelles, aucun de nos Etats-nations, n'est en mesure de faire entendre sa voix et s'il le faut d'imposer sa loi sur un tel sujet. Or nos concitoyens s'inquiètent. Ils voient la logique financière qui court à la destruction des emplois dans les grands groupes. Mais ils ne perçoivent aucune réflexion qui les défende. Et ils ne sentent pas d'effort partagé pour que, dans le domaine des technologies de l'information par exemple, dans le domaine de la création d'entreprises, dans le domaine de la recherche, se mette en place l'effort européen pour défendre et créer les emplois européens. Cela l'Euro le permet, mais c'est la politique qui l'imposera. Et c'est là que l'Europe sera jugée. En partie dans notre capacité à faire naître le pilier européen de l'Alliance atlantique et à construire, presque cinquante ans après, une véritable communauté de défense. Aucun des moyens de défense du nouveau siècle n'est à la portée de nos Etats isolés. Ni les satellites indispensables au renseignement, ni les lasers ou les missiles de la nouvelle génération. Ni les porte-avions. Nous n'aurons plus 19 milliards à investir dans un porte-avion seulement français. On voit bien qu'en matière de défense, le courage consiste à mettre en commun nos armes nouvelles, à disposer d'un corps d'intervention et de projection commun. Cela ne supprime pas les armées nationales, mais cela les recentre, les rend plus efficaces, et les allège d'une partie de leur tâche. En partie dans le domaine de la sécurité. Drogue, mafias, les frontières ne sont pas leurs ennemies, ou une menace pour elles : les frontières sont leurs alliées et leurs défenses. Contre les multi-nationales du crime et des trafics, il faut des outils fédéraux : une police fédérale, droit pénal européen. Nous avons besoin d'une Europe qui accepte d'être une puissance, et non une machine à réglementer. Une Europe qui soit une expression politique, avec une politique économique, avec un projet social, avec une politique étrangère et une défense, avec une politique de recherche, avec des représentants connus et élus, sur qui les citoyens puissent faire pression, et qui puissent relayer auprès d'une administration recentrée sur l'essentiel les attentes des citoyens. Alléger l'administration, renforcer la politique ; alléger les contraintes, renforcer la volonté : c'est la définition même du fédéralisme. Si l'on veut la démocratie en Europe, alors il faut construire l'Europe fédérale. Est-ce que c'est un super-Etat ! Non, c'est une démocratie avec le minimum d'Etat. Beaucoup de ce qui fait l'Etat doit demeurer national. C'est pour clarifier cela qu'il nous faut une constitution. Une constitution et pas un traité. Il y a une grande différence entre une constitution et un traité. Un traité, cela se passe entre pays étrangers. Une constitution, c'est la loi fondamentale d'une communauté. Nous avons besoin d'une constitution qui fixe clairement les règles de notre subsidiarité : quels sont les domaines de souveraineté déléguée, les domaines de souveraineté partagée, les domaines où l'Europe protège les nations, et s'interdit d'aller. Et nous avons besoin d'un juge qui fasse respecter scrupuleusement cette subsidiarité. L'Europe n'a pas besoin d'abord d'administration : elle a besoin de politique. D'une équipe de femmes et d'hommes, dont le pouvoir est issu des peuples européens, et qui portent face à la logique administrative, la revendication, les droits, les aspirations politiques des citoyens, dans les domaines de la puissance où les Etats nationaux ne sont plus de saison. Mais il n'y aura démocratie européenne qu'à partir du moment où la règle d'or des démocraties sera applicable. Il n'y a pas de démocratie sans visage. La démocratie commence quand les citoyens peuvent identifier les gouvernants, connaissent leur pouvoir, et peuvent intervenir dans leur désignation, directement ou par leurs représentants élus. En face du président des Etats-Unis, il faut un président de l'Union européenne. Assuré de la durée, 5 ans, élu, doté d'une autorité propre, présidant et nommant la commission, capable de se faire entendre de la banque européenne, capable de parler au nom de l'Europe dans toutes les grandes crises du monde, capable d'exprimer et de concilier les diplomaties nationales. Nous avons une administration sans visage. C'est pour cela que les citoyens, même les plus européens, ne comprennent pas : il faut un président, une politique, et moins d'administration. Car on ne peut pas administrer de loin. Et il faut nous habituer à penser en termes de grands partis européens. Nous sommes un grand parti européen. Le parti populaire européen, dont le président est parmi nous : je salue Wilfrid Martens. Nous étions ensemble, le week-end dernier à Madrid, aux côtés de José-Maria Aznar, l'homme d'Etat européen qui porte dans son pays les couleurs du centre réformateur, les couleurs du parti populaire européen. Vous le savez, mais l'opinion publique le sait moins : à Strasbourg, il y a deux grands groupes, et deux seuls. Le groupe du Parti socialiste, et le grand groupe du centre et du centre-droit, celui du Parti populaire européen. Nous sommes le parti de l'Europe, les représentants pour la France de ce grand mouvement européen. Le vote utile, au parlement européen, le vote utile dans la vie politique européenne, c'est nous ! Ma conviction, ayant assisté aux débats de toute cette journée, c'est que désormais l'Europe passionne une partie importante des Français. Tout le monde dit que les élections européennes seront des élections de politique intérieure. On se trompe. Pour la première fois, je le crois, elles se dérouleront en grande partie sur le terrain européen. Nous le disons à l'avance : nous avons l'intention dans la campagne des élections européennes de parler de l'Europe. Et de parler aussi de ce que l'Europe doit apporter à nos nations, à nos régions, à nos terroirs, comme garantie, comme respect. France nouvelle Mais nous le savons bien, cette Europe nouvelle appelle une France nouvelle. L'Europe fait apparaître au grand jour un certain nombre des faiblesses qui sont celles de la France. En réfléchissant, en écrivant ce discours, à ce grand malaise que nous ressentons en face de la situation française, je me demandais comment définir cette logique du passé, cette logique archaïque qui explique tout ce qui nous met mal à l'aise, tout ce qui forme le mal français. Nous aimons passionnément la nation française, sa culture, sa vision de l'histoire. Ce n'est pas la France qui est malade : c'est une certaine manière de la gouverner, de l'ignorer, de la maltraiter. Tout ce que nous rejetons, ce pays qu'on nous présente comme irrémédiablement coupé en deux, qui s'efforce de réinventer des guerres de religion sur tous les sujets, même quand ces guerres ont disparu depuis longtemps, l'absence de tout débat, l'idée que tout se gouverne d'en haut, même les régions, même les partis, que tout s'enrégimente, se caporalise, se statufie, tout cela, se sont des branches différentes issues du même tronc, des mêmes racines. Tout cela, si nous voulons l'appeler par son nom, c'est le jacobinisme centralisateur, de droite et de gauche. C'est la culture de la méfiance, qui confisque, qui ferme, qui refuse la légitimité du citoyen, des communautés où il vit, du terrain, des partenaires. Eh bien, disons-le simplement. Nous ne voulons pas de la France jacobine. Nous ne voulons pas de l'Europe jacobine. Nous voulons la décentralisation. Pour reprendre les mots de l'histoire, et vous comprendrez qu'ici, à Bordeaux, nous y voyions plus qu'une coïncidence : face au vieil esprit jacobin, nous sommes les girondins de la France et les girondins de l'Europe. Nous défendons le projet fédéral.
Un gouvernement jacobin
Le gouvernement de M. Jospin est profondément marqué de ce jacobinisme que je dénonçais à l'instant. Chaque fois qu'un grand sujet se présente à lui, chaque fois il procède de la même manière, ignorant le terrain, méprisant les avertissements, jouant de ce qui nous tire en arrière, coupant le pays en deux, pour satisfaire l'instinct de son camp au lieu de l'intérêt national. Regardez la décision prise sur les 35 heures ! Au sommet, solitairement, pour des raisons qui ne tiennent qu'à l'idéologie, aux promesses électorales bâclées, le gouvernement décrète que toutes les entreprises, depuis l'artisan couvreur jusqu'au fournisseur d'internet devra appliquer aveuglément, quelle que soit la pénibilité, et quelle que soit la concurrence, la même loi décidée en haut, à la même date et quelles que soient les conséquences. Au lieu d'utiliser l'incitation et la souplesse de la loi proposée par Gilles de Robien, au lieu de se tourner vers les entreprises et les branches, pour les encourager au dialogue social, la loi vient comme un couperet, créant d'immenses et de révoltantes situations d'injustice, d'immenses et de révoltantes absurdités, où le pays s'épuise, où l'emploi se perd. Les grandes entreprises, celles dont les investissements leur permettent des gains de productivité importants, celles pour qui la main d'uvre n'entre que pour une faible part dans la valeur ajoutée, n'ont pas trop de mal. Elles compensent en flexibilité ce qu'elles donnent en diminution du temps de travail. Pour elles, ce n'est pas un mal. Mais celles, plus petites, plus dépendantes de la main d'uvre, celles qui sont soumises à une rude concurrence, ressentent cette loi comme un lourd handicap. Et parfois comme une injustice : c'est une injustice que de voir le contribuable donner 500 millions à EDF pour qu'on y travaille 32 heures, avec tous les avantages cumulés du statut et du monopole, pendant que l'artisan maçon est toujours au pied du mur, non couvert, non protégé, ses compagnons travaillant pour 6500 F. par mois. Regardez le PACS. Il n'est pas vrai qu'on a voulu trouver une solution concrète aux difficultés des couples homosexuels. On a voulu satisfaire idéologiquement une revendication idéologique. On l'a fait sans craindre de transformer ce sujet en pomme de discorde. On l'a fait, je le crois, en souhaitant que naisse un sujet de polémique. Une France d'un côté, une France de l'autre. En nourrissant l'opposition entre ceux qui ont une conception traditionnelle de la famille, qui y trouvent des valeurs de vie, et ceux qui rêvent de mettre sur le même pied toutes les unions et toutes les manières de vivre. Le respect de la différence a-t-il avancé ? Je ne le crois pas. Je ne crois pas qu'il soit bon de régresser en opposant artificiellement les homosexuels aux familles, comme au temps qu'on croyait révolu de Gide, " familles je vous hais ". Cela dessert les uns et les autres, fait naître une coupure et un affrontement là où il aurait fallu de la compréhension réciproque et de l'entr'aide. Jacobinisme encore, vous comprendrez que je n'en dise qu'un mot dans la manière dont on conduit la politique de l'éducation nationale. En quelques mois, l'Education nationale est devenue un champ clos. On a choisi d'opposer sommairement les parents aux enseignants, au risque de ruiner leur image et leur crédit, en ignorant que de cette image et de ce crédit dépendent une grande part de leur réussite devant leur classe. On a choisi les caricatures et les fantasmes. On a multiplié les promesses fallacieuses. Au bout de deux ans, qu'est ce qui a changé ? Rien. Ou plus exactement une seule chose, l'éducation nationale française s'est enfoncée dans la crise la plus profonde, la plus grave de son histoire. En deux ans, son image s'est profondément dégradée. Un jour prochain, on découvrira l'immense gâchis ainsi créé, rendant la réforme plus difficile et les enseignants, les chefs d'établissement, proprement désespérés. Immense régression, due à l'idéologie, à la brutalité, à l'auto-satisfaction, au mépris de gouvernants qui considèrent qu'ils savent mieux qu'un million de femmes et d'hommes ce qu'il convient de faire dans des écoles et des établissements scolaires où ils n'ont jamais mis les pieds. De tout cela, de ces régressions et de cette idéologie, de cette recentralisation rampante, de ce mépris des réalités, la France n'a pas besoin et l'Europe non plus.
Il nous faut une opposition nouvelle
La France nouvelle a besoin d'une proposition politique nouvelle. Il y a un grand mouvement politique à construire qui dise tout haut et avec fierté, ce que tant de gens, tant de nos compatriotes attendent et qu'ils n'osent pas exprimer : il y a une voie nouvelle à proposer à la France et qui est cette voie prépare et rencontre notre destin européen. Et cette voie nouvelle, elle ne se construira pas en dressant la moitié de la France contre l'autre. Elle se construira à partir de la reconnaissance du terrain, du débat, de l'ouverture d'esprit. La France a changé. Elle a besoin que d'autres courants s'affirment, d'autres solutions se proposent à elle, que l'aller-retour éternel entre PS et RPR Nous avons l'intention de porter cette aspiration de rénovation, cette proposition nouvelle. Il y a des millions de Français qui attendent cette opposition nouvelle. Il y a des milieux sociaux entiers, à qui l'opposition ne faisait plus de place, avec son langage stéréotypé, avec ses a priori : " la réponse est non ! Maintenant dites-moi quelle est la question ! " Les jeunes Français ne reconnaissaient pas un espoir pour eux dans l'opposition d'hier. Les salariés français. Les créateurs, les intellectuels, ceux qui essaient de comprendre la société française, tous ceux-là désespéraient de l'opposition d'hier, fermée et préoccupée non pas de proposer, mais seulement d'être toujours contre.
La rénovation de l'opposition, c'est, j'en suis certain, si nous savons la conduire, un espoir pour eux. Je veux vous parler enfin clairement du président de la République. Le président de la République et nous, nous sommes liés. Nous avons voté pour lui, dès le premier tour pour quelques-uns d'entre nous, ou au deuxième tour pour la plupart. Nous appartenons à la majorité présidentielle. Il est pour nous une référence commune. Et sa politique, nous y reconnaissons beaucoup de nous-même. Par exemple, sur le Kosovo, nous sommes heureux du rôle que sous son autorité, et sous la responsabilité du gouvernement, joue la diplomatie française. Certains voudront l'entraîner sous leur bannière. Ce n'est pas lui rendre service que de vouloir le tirer dans le jeu des partis. L'intérêt du président de la République, c'est qu'il puisse additionner les soutiens, faire des additions et non pas subir des soustractions. Cette voie nouvelle, c'est l'intérêt de la France, et c'est l'intérêt de l'Europe. Conclusion Vous venez de le décider : il y aura, dans la campagne des européennes, une liste pour les européens de l'opposition. Cette liste, elle portera l'espoir d'une opposition nouvelle, d'une France nouvelle. Puisque vous le souhaitez, et si votre bureau politique en décide ainsi dans quelques jours, je la conduirai. Je sais, on me l'a assez répété, comme une mise en garde ou une menace, je sais que c'est un risque. Mais le pire risque eût été de ne rien faire, de ne rien dire, de nous taire par confort et par conformisme et au bout du compte de disparaître. A partir d'aujourd'hui, j'en suis sûr, on ne parlera pas de risque, on parlera d'abord de chance. Il y a des moments où l'on sent qu'un espoir nouveau peut se lever et balayer tous les pronostics, toutes les prudences. La France, dans ce qu'elle a de plus généreux, dans la fidélité à ses valeurs, la France attend qu'on lui propose un chemin nouveau. Elle sait que c'est sur l'Europe que son destin va se jouer. Elle veut qu'on lui en parle clairement, sans faux-semblant. Elle a de nouveau envie d'espérer, envie d'y croire. C'est cet espoir français qui sera, dans les mois qui viennent, notre meilleur, notre plus fidèle et notre plus efficace allié.
(source http://www.udf.org, le 9 février 1999)
Un grand mouvement démocratique, c'est une organisation qui se donne des rendez-vous avec elle-même, et qui les respecte. Un grand mouvement démocratique, c'est une communauté qui unit, de la base au sommet, tous ceux qui la forment, responsables, adhérents et militants, afin qu'ils se déterminent ensemble au moment des grands choix.
Le rendez-vous de Bordeaux
Ce rendez-vous de Bordeaux, nous l'avons voulu et fixé dès notre congrès de Lille. Nous sentions bien, en effet, que nous aurions, alors que se prépareraient les élections européennes, un rendez-vous avec nous-même, avec nos raisons de vivre, d'exister et de défendre nos idées. Et comme c'est de l'essentiel qu'il s'agit, nous sommes exacts au rendez-vous. Sans doute n'imaginions-nous pas que nous aurions eu, entre-temps, à traverser quelques moments révélateurs, de ce que nous sommes et de ce que nous voulons être.
La révolution tranquille de l'Euro
Il y a, en tout cas, un événement dont nous connaissions la date, dont nous attendions beaucoup et qui ne nous a pas déçus : le 1er janvier 1999, pour la première fois dans l'histoire des hommes, onze pays libres se sont librement dotés d'une monnaie unique. Il est rare de vivre en toute connaissance de cause un événement de l'histoire, dont on soit sûr qu'il est sans aucun précédent. Il est unique que cet événement se produise au vu et au su de tous, en pleine lumière. Jusqu'à ce premier jour de l'année nouvelle, une monnaie, c'était un signe de domination. Lorsqu'on changeait de monnaie, à de rarissimes et marginales exceptions, c'est que l'on était occupé et soumis. Les vaincus se voyaient imposer la monnaie du vainqueur.
Pour la première fois dans l'histoire, sans vainqueurs et sans vaincus, la libre volonté de onze peuples associés, leur a fait librement abandonner la monnaie d'un passé séparé pour adopter d'un même mouvement, et en commun, la monnaie de leur avenir. Ce qui m'a frappé, je ne sais pas si ce fut aussi votre réaction, c'est l'ambiance de joie collective. Quelque chose de nouveau arrivait, et c'était quelque chose d'heureux, qui ouvrait une porte nouvelle, quelque chose qui présentait et inaugurait le XXIe siècle, et donnait soudain aux plus sceptiques l'idée d'une chance concrète pour eux-mêmes et pour leurs enfants. Nous devons être redevables à tous ceux qui ont conçu et porté cette pacifique révolution. Vous me permettrez, à cette tribune, et devant cette salle, de nommer en premier Valéry Giscard d'Estaing. Voyez-vous j'ai retrouvé, grâce à Bernard Lehideux, une conférence de Valéry Giscard d'Estaing, à Biarritz, en 1966, qui s'intitulait " pour une monnaie unique de l'Europe ". 1966. Il y a une phrase de Teilhard de Chardin que le président Giscard d'Estaing aime à citer. Cette phrase dit à peu près ceci : " il suffit qu'un seul homme conçoive une seule idée vraie pour que la face du monde en soit changée ". Deux décennies auront suffi pour que cette idée conçue dans la solitude et l'incrédulité, souvenons-nous du premier geste d'échange d'un billet libellé en monnaie de l'Europe, devant les caméras, avec Helmut Schmidt, vingt ans auront suffi pour que cette idée, de proche en proche, convainque les uns et submerge les autres. Cette idée, à laquelle il est juste de rappeler qu'ont participé, à leur place et avec détermination, des hommes aussi différents que François Mitterrand, Jacques Delors ou Jacques Chirac, à laquelle Helmut Kohl a tant apporté de sa ténacité visionnaire, cette idée a changé la face du siècle qui vient. L'Europe et la France en sont redevables au fondateur de l'UDF. Dans cette salle, nous sommes les amis de Valéry GISCARD d'ESTAING. Mais aujourd'hui, dans les applaudissements qui vont s'adresser à l'inventeur de la monnaie unique de l'Europe, nous ne sommes pas seulement ses amis. Nous sommes les représentants du peuple de France et des peuples d'Europe. C'est en leur nom que nous lui disons merci.
Après Lyon
L'Euro, c'était la fête du 1er janvier. Le 7 janvier, à Lyon, c'était une autre fête, ou plus exactement, ce fut notre fête. Permettez-moi de vous en dire deux mots, avec un sentiment de gratitude pour ceux qui ont assumé cette épreuve de force : nos conseillers régionaux de Rhône-Alpes, au premier rang d'entre eux Thierry Cornillet ; Michel Mercier et Raymond Barre dont le courage et la solidité, l'humour et la détermination méritent notre hommage ; et celle sans la solidité de qui tout cela n'aurait pas été possible, Anne-Marie Comparini, présidente de la région Rhône-Alpes. A propos de Rhône-Alpes, il faut dire des choses simples. La région était dans une impasse dont tous les Rhônalpins souffraient. Entièrement coupée du monde de l'éducation, de l'université, de la culture, de la recherche, une grande région d'Europe se trouve lourdement pénalisée et tous ses habitants, et son image, en souffrent profondément. A partir de l'annulation de l'élection du président de région, il n'y avait que deux solutions pour sortir de l'impasse. Ou bien l'élection d'un président de gauche avec des voix de droite. Ou bien l'élection d'un président de droite avec des voix de gauche. C'est ce que tout le monde avait compris, et dit officiellement, en particulier le RPR. Nous avons choisi la deuxième solution. Une présidente de la droite républicaine est désormais en place. Elle a tous les moyens pour gouverner. Depuis la récente loi, ce n'est plus la majorité qui gouverne, c'est l'exécutif. L'exécutif est homogène. C'est une cohabitation à l'avantage de la droite républicaine et du centre. La région est sortie de l'impasse. Et on va voir ce que vaut le courage tranquille d'une femme de conviction. Tout cela, il faut bien le dire, a été pour nous un révélateur. Nous pouvions bien comprendre et accepter qu'on ait des divergences, au sein de l'opposition, sur une décision forcément difficile, dans tous les cas difficile. Que l'on change d'avis trois, quatre fois, dans la même journée, c'est déjà plus malaisé à comprendre. Mais qu'immédiatement ce soient des injures, des diffamations, un ton que l'on n'utilise pas à l'égard de ses pires ennemis, cela c'est inacceptable et nous ne l'avons pas accepté.
La préparation des Européennes
Naturellement, tout cela n'aurait pas pris le même tour s'il n'y avait eu la préparation des européennes. Vous le savez bien, pour l'immense majorité d'entre nous, nous souhaitions, par principe, une liste commune. Certains d'entre vous le discutaient, c'est vrai. Mais nous étions heureux de montrer que notre vision de l'Europe était désormais largement partagée. Et nous n'aurions pas fait d'affaire de personne. Mais c'est alors que nous avons commencé à entendre, par la presse, que nos partenaires avaient décidé, sans que nous en parlions ensemble, de choisir comme candidat, de nous imposer ensuite, par intimidation, une tête de liste qui, sur ce sujet, tout le monde le comprendra ne pouvait être un rassembleur. Comment demander à ceux qui ont porté l'idée européenne, qui se sont battus pour cette Europe, à temps et à contre-temps, quand c'était facile, et plus souvent encore quand c'était difficile, de se ranger, pour les élections européennes, derrière celui qui a tout fait et tout dit pour empêcher cette Europe de se faire ? Je vais vous lire deux phrases seulement, prononcées à la tribune de l'Assemblée nationale par Philippe Séguin, lors du débat sur la révision constitutionnelle préalable à la ratification du traité de Maastricht. " L'Europe qu'on nous propose n'est ni libre, ni juste, ni efficace. Elle enterre la conception de la souveraineté nationale et les grands principes issus de la Révolution : 1992 est littéralement l'anti-1789 ! " "Tant il est vrai que la souveraineté divisée, la souveraineté partagée, la souveraineté limitée, sont autant d'expressions pour signifier qu'il n'y a plus du tout de souveraineté." Il y a moins de dix mois, le président du RPR préconisait encore un vote " non " à l'Euro ! Il a fallu la révolte d'Alain Juppé, je le dis ici à Bordeaux, pour que le RPR s'abstienne. Et qu'on me permette de dire que cette abstention, sur le passage à l'Euro, était révélatrice Qu'on me comprenne bien, je ne reproche nullement à qui que ce soit d'avoir ses opinions et de les défendre. C'est le débat démocratique et c'est un débat républicain. Je respecte par exemple Charles Pasqua de continuer à défendre cette idée. Je ne l'approuve pas, mais je le respecte. Mais nous, nous ne pouvons pas accepter sans nous renier que celui qui a combattu cette idée de l'Europe, et avec quelle force, et avec quelle outrance, devienne aujourd'hui, sur un claquement de doigts, le porte-drapeau des européens. Appelons les choses par leur nom, c'eût été de notre part un reniement. Et il faut que tout le monde l'entende, pour aujourd'hui et pour demain : qu'on ne compte pas sur nous pour nous renier ! Ou alors, il nous aurait fallu admettre que la parole politique n'a plus de sens, que la politique, c'est de l'opportunisme. C'eût été admettre que nos concitoyens ont raison lorsqu'ils pensent qu'un homme politique peut changer d'avis et de conviction, comme de chemise, au gré des courants et des opportunités.
Nous croyons au contraire que la démocratie a besoin de convictions. Elle a besoin de transparence et elle a besoin de cohérence. Elle a besoin que les politiques parlent avec leur cur, avec leurs tripes, et pas avec des sondages qui changent comme l'air du temps. S'il y a un point sur lequel il faut que la politique change, c'est qu'elle a besoin de sincérité. Elle a besoin de femmes et d'hommes qui aient le courage de leurs idées, et qui, pour leurs idées, sachent prendre des risques. Non pas assurés de la victoire, mais assurés de leur conviction. Des femmes et des hommes dont leurs concitoyens seront sûrs qu'ils ne diront pas blanc après avoir dit noir.
Nous sommes les porteurs d'un nouveau projet d'organisation de l'opposition. Nous voulons passer de la pensée unique à l'opposition plurielle, celle qui respecte le pluralisme des convictions authentiques. Cette authenticité, c'est la condition du débat. Quand le débat est interdit, on est assuré de se tromper. Nous voulons que l'opposition retrouve l'équilibre et le débat des idées. Que chacune des deux grandes sensibilités qui la forment puisse se faire entendre, à égalité de droits et de devoirs. Nous voulons une opposition républicaine plurielle où les sensibilités de droite et du centre soient les bienvenues dans leur identité, dans leur sincérité, dans leur vision. Mais ce n'est pas seulement l'opposition, c'est la France tout entière qui réclame une diversité nouvelle, une dignité nouvelle, un respect nouveau. C'est un mouvement général. Pas seulement en politique, dans la vie de tous les jours, dans la préparation des réformes, les médecins, les enseignants, les entrepreneurs, les associations, les élus locaux, toute la France, tous les Français exigent qu'on les respecte et qu'on les écoute.
La question des questions
Et encore davantage sur la question européenne. Pour la première fois, grâce à la naissance de l'Euro, l'Europe va être, nous le croyons, au centre des élections européennes. Or l'Europe, ce n'est pas une question parmi d'autres. L'Europe, c'est la question des questions. Autour de la question européenne, dépendant de la question européenne, il y a l'essentiel des questions économiques, sociales et politiques qui concernent l'avenir de la France. Et d'abord, il y a la question de la politique elle-même. Nous le voyons dans la progression des abstentions. Beaucoup de nos concitoyens ne croient plus à la politique. En apparence et en surface, ils doutent des politiques. Et souvent on serait tenté de leur donner raison. Mais en profondeur ils doutent de la politique. C'est un mouvement de réalisme. C'est un mouvement presque désespéré, qui les amène à comparer le rapport de forces entre les grandes forces qui agissent dans le monde : les marchés financiers et les milliards de dollars qu'ils échangent, la force des technologies nouvelles, le déséquilibre de la planète au bénéfice d'une seule super-puissance militaire, et ce même déséquilibre qui rend presque immaîtrisable l'immense misère du sud, et singulièrement de notre sur l'Afrique, la super-puissance des mafia et de la drogue. Et nos concitoyens se disent : en face de cela, la politique est impuissante.
Il faut envisager cette question : si l'on veut que revienne la politique, il faut définir le cadre crédible et les armes crédibles de notre action. Et la vérité oblige à dire -je ne dis pas la conviction, ou le sentiment-, la vérité oblige à dire qu'il ne reste qu'une chance d'assister et de participer au retour du politique. Cette chance, c'est l'Europe. L'Europe comme retour du politique. De partout, de l'intérieur même du monde financier, même en provenance de Davos, se fait entendre un appel : " que la politique prenne ses responsabilités ! Qu'il y ait enfin une voix pour défendre l'intérêt général ! Que tout ne soit pas abandonné au hasard, à l'humeur des salles de marché ! Qu'il y ait des défenseurs d'une économie sociale de marché ! Qu'il y ait une organisation internationale qui rende justice à la justice et pas seulement au bénéfice immédiat ! " Cette capacité du monde libre à faire entendre la voix de la justice, à défendre un projet social et non pas seulement financier, dans l'économie de marché, c'est la question du siècle qui vient. C'est la question de l'union européenne. Ceux qui veulent la justice et l'économie sociale, de gauche et de droite, et du centre, s'ils ont des yeux pour voir, ils savent que les vieux Etats nationaux ne sont plus à l'échelle. Ils savent que ce n'est plus à l'intérieur de nos frontières dérisoires que l'on peut faire bouger les choses, que l'on peut contraindre les puissants à écouter la voix des faibles. Il faut une puissance qui s'impose aux puissants ! Et l'Europe est la puissance que nous avons construite, la puissance que nous nous sommes donnée, contre bien des scepticismes, contre bien des conservatismes, contre bien des fantasmes de pouvoir national ! Sur le chemin de l'Europe beaucoup a été fait. Mais elle n'est ni achevée, ni idéale. L'Europe est à construire. L'Europe n'est pas finie ! C'est le contraire. L'Europe est à son rendez-vous. Nous ne sommes pas des euro-béats, nous sommes des euro-constructeurs. Nous n'allons pas vers l'Europe avec des airs de chiens battus. Et parce que nous sommes des euro-constructeurs, nous pourrons être des euro-exigeants, et des euro-réformateurs. Depuis le premier jour, il y a deux visions de l'Europe. L'Europe communauté ou l'Europe zone de libre-échange. Une monnaie unique, cela peut être le premier étage d'une communauté, d'une union démocratique, qui concevra un destin commun, défendra des valeurs communes, s'adressera au monde en ensemble puissant. Mais cela peut parfaitement être aussi le support d'une zone sans personnalité morale, vouée aux seuls échanges économiques, au seul culte financier, où la seule valeur dominante, ce sera la vision aveugle d'un certain capitalisme, d'un ultra-libéralisme anglo-saxon. D'autant plus que dans quatre ans, l'élargissement risque d'imposer la logique de la dissolution, au lieu de la logique de cohérence.
Ma conviction est que l'aventure européenne est ainsi gravement menacée de se voir inachevée et trahie. C'est maintenant, dès le début de l'histoire de l'Euro, que cela va se jouer.
L'Euro est fait. L'Europe est à faire.
En partie dans le rapport qui doit s'établir, sans soupçon réciproque, entre la banque de l'Europe et la volonté politique de l'Europe, pour défendre un véritable modèle social fondé d'abord sur la valorisation du travail. Aucune de nos entités politiques traditionnelles, aucun de nos Etats-nations, n'est en mesure de faire entendre sa voix et s'il le faut d'imposer sa loi sur un tel sujet. Or nos concitoyens s'inquiètent. Ils voient la logique financière qui court à la destruction des emplois dans les grands groupes. Mais ils ne perçoivent aucune réflexion qui les défende. Et ils ne sentent pas d'effort partagé pour que, dans le domaine des technologies de l'information par exemple, dans le domaine de la création d'entreprises, dans le domaine de la recherche, se mette en place l'effort européen pour défendre et créer les emplois européens. Cela l'Euro le permet, mais c'est la politique qui l'imposera. Et c'est là que l'Europe sera jugée. En partie dans notre capacité à faire naître le pilier européen de l'Alliance atlantique et à construire, presque cinquante ans après, une véritable communauté de défense. Aucun des moyens de défense du nouveau siècle n'est à la portée de nos Etats isolés. Ni les satellites indispensables au renseignement, ni les lasers ou les missiles de la nouvelle génération. Ni les porte-avions. Nous n'aurons plus 19 milliards à investir dans un porte-avion seulement français. On voit bien qu'en matière de défense, le courage consiste à mettre en commun nos armes nouvelles, à disposer d'un corps d'intervention et de projection commun. Cela ne supprime pas les armées nationales, mais cela les recentre, les rend plus efficaces, et les allège d'une partie de leur tâche. En partie dans le domaine de la sécurité. Drogue, mafias, les frontières ne sont pas leurs ennemies, ou une menace pour elles : les frontières sont leurs alliées et leurs défenses. Contre les multi-nationales du crime et des trafics, il faut des outils fédéraux : une police fédérale, droit pénal européen. Nous avons besoin d'une Europe qui accepte d'être une puissance, et non une machine à réglementer. Une Europe qui soit une expression politique, avec une politique économique, avec un projet social, avec une politique étrangère et une défense, avec une politique de recherche, avec des représentants connus et élus, sur qui les citoyens puissent faire pression, et qui puissent relayer auprès d'une administration recentrée sur l'essentiel les attentes des citoyens. Alléger l'administration, renforcer la politique ; alléger les contraintes, renforcer la volonté : c'est la définition même du fédéralisme. Si l'on veut la démocratie en Europe, alors il faut construire l'Europe fédérale. Est-ce que c'est un super-Etat ! Non, c'est une démocratie avec le minimum d'Etat. Beaucoup de ce qui fait l'Etat doit demeurer national. C'est pour clarifier cela qu'il nous faut une constitution. Une constitution et pas un traité. Il y a une grande différence entre une constitution et un traité. Un traité, cela se passe entre pays étrangers. Une constitution, c'est la loi fondamentale d'une communauté. Nous avons besoin d'une constitution qui fixe clairement les règles de notre subsidiarité : quels sont les domaines de souveraineté déléguée, les domaines de souveraineté partagée, les domaines où l'Europe protège les nations, et s'interdit d'aller. Et nous avons besoin d'un juge qui fasse respecter scrupuleusement cette subsidiarité. L'Europe n'a pas besoin d'abord d'administration : elle a besoin de politique. D'une équipe de femmes et d'hommes, dont le pouvoir est issu des peuples européens, et qui portent face à la logique administrative, la revendication, les droits, les aspirations politiques des citoyens, dans les domaines de la puissance où les Etats nationaux ne sont plus de saison. Mais il n'y aura démocratie européenne qu'à partir du moment où la règle d'or des démocraties sera applicable. Il n'y a pas de démocratie sans visage. La démocratie commence quand les citoyens peuvent identifier les gouvernants, connaissent leur pouvoir, et peuvent intervenir dans leur désignation, directement ou par leurs représentants élus. En face du président des Etats-Unis, il faut un président de l'Union européenne. Assuré de la durée, 5 ans, élu, doté d'une autorité propre, présidant et nommant la commission, capable de se faire entendre de la banque européenne, capable de parler au nom de l'Europe dans toutes les grandes crises du monde, capable d'exprimer et de concilier les diplomaties nationales. Nous avons une administration sans visage. C'est pour cela que les citoyens, même les plus européens, ne comprennent pas : il faut un président, une politique, et moins d'administration. Car on ne peut pas administrer de loin. Et il faut nous habituer à penser en termes de grands partis européens. Nous sommes un grand parti européen. Le parti populaire européen, dont le président est parmi nous : je salue Wilfrid Martens. Nous étions ensemble, le week-end dernier à Madrid, aux côtés de José-Maria Aznar, l'homme d'Etat européen qui porte dans son pays les couleurs du centre réformateur, les couleurs du parti populaire européen. Vous le savez, mais l'opinion publique le sait moins : à Strasbourg, il y a deux grands groupes, et deux seuls. Le groupe du Parti socialiste, et le grand groupe du centre et du centre-droit, celui du Parti populaire européen. Nous sommes le parti de l'Europe, les représentants pour la France de ce grand mouvement européen. Le vote utile, au parlement européen, le vote utile dans la vie politique européenne, c'est nous ! Ma conviction, ayant assisté aux débats de toute cette journée, c'est que désormais l'Europe passionne une partie importante des Français. Tout le monde dit que les élections européennes seront des élections de politique intérieure. On se trompe. Pour la première fois, je le crois, elles se dérouleront en grande partie sur le terrain européen. Nous le disons à l'avance : nous avons l'intention dans la campagne des élections européennes de parler de l'Europe. Et de parler aussi de ce que l'Europe doit apporter à nos nations, à nos régions, à nos terroirs, comme garantie, comme respect. France nouvelle Mais nous le savons bien, cette Europe nouvelle appelle une France nouvelle. L'Europe fait apparaître au grand jour un certain nombre des faiblesses qui sont celles de la France. En réfléchissant, en écrivant ce discours, à ce grand malaise que nous ressentons en face de la situation française, je me demandais comment définir cette logique du passé, cette logique archaïque qui explique tout ce qui nous met mal à l'aise, tout ce qui forme le mal français. Nous aimons passionnément la nation française, sa culture, sa vision de l'histoire. Ce n'est pas la France qui est malade : c'est une certaine manière de la gouverner, de l'ignorer, de la maltraiter. Tout ce que nous rejetons, ce pays qu'on nous présente comme irrémédiablement coupé en deux, qui s'efforce de réinventer des guerres de religion sur tous les sujets, même quand ces guerres ont disparu depuis longtemps, l'absence de tout débat, l'idée que tout se gouverne d'en haut, même les régions, même les partis, que tout s'enrégimente, se caporalise, se statufie, tout cela, se sont des branches différentes issues du même tronc, des mêmes racines. Tout cela, si nous voulons l'appeler par son nom, c'est le jacobinisme centralisateur, de droite et de gauche. C'est la culture de la méfiance, qui confisque, qui ferme, qui refuse la légitimité du citoyen, des communautés où il vit, du terrain, des partenaires. Eh bien, disons-le simplement. Nous ne voulons pas de la France jacobine. Nous ne voulons pas de l'Europe jacobine. Nous voulons la décentralisation. Pour reprendre les mots de l'histoire, et vous comprendrez qu'ici, à Bordeaux, nous y voyions plus qu'une coïncidence : face au vieil esprit jacobin, nous sommes les girondins de la France et les girondins de l'Europe. Nous défendons le projet fédéral.
Un gouvernement jacobin
Le gouvernement de M. Jospin est profondément marqué de ce jacobinisme que je dénonçais à l'instant. Chaque fois qu'un grand sujet se présente à lui, chaque fois il procède de la même manière, ignorant le terrain, méprisant les avertissements, jouant de ce qui nous tire en arrière, coupant le pays en deux, pour satisfaire l'instinct de son camp au lieu de l'intérêt national. Regardez la décision prise sur les 35 heures ! Au sommet, solitairement, pour des raisons qui ne tiennent qu'à l'idéologie, aux promesses électorales bâclées, le gouvernement décrète que toutes les entreprises, depuis l'artisan couvreur jusqu'au fournisseur d'internet devra appliquer aveuglément, quelle que soit la pénibilité, et quelle que soit la concurrence, la même loi décidée en haut, à la même date et quelles que soient les conséquences. Au lieu d'utiliser l'incitation et la souplesse de la loi proposée par Gilles de Robien, au lieu de se tourner vers les entreprises et les branches, pour les encourager au dialogue social, la loi vient comme un couperet, créant d'immenses et de révoltantes situations d'injustice, d'immenses et de révoltantes absurdités, où le pays s'épuise, où l'emploi se perd. Les grandes entreprises, celles dont les investissements leur permettent des gains de productivité importants, celles pour qui la main d'uvre n'entre que pour une faible part dans la valeur ajoutée, n'ont pas trop de mal. Elles compensent en flexibilité ce qu'elles donnent en diminution du temps de travail. Pour elles, ce n'est pas un mal. Mais celles, plus petites, plus dépendantes de la main d'uvre, celles qui sont soumises à une rude concurrence, ressentent cette loi comme un lourd handicap. Et parfois comme une injustice : c'est une injustice que de voir le contribuable donner 500 millions à EDF pour qu'on y travaille 32 heures, avec tous les avantages cumulés du statut et du monopole, pendant que l'artisan maçon est toujours au pied du mur, non couvert, non protégé, ses compagnons travaillant pour 6500 F. par mois. Regardez le PACS. Il n'est pas vrai qu'on a voulu trouver une solution concrète aux difficultés des couples homosexuels. On a voulu satisfaire idéologiquement une revendication idéologique. On l'a fait sans craindre de transformer ce sujet en pomme de discorde. On l'a fait, je le crois, en souhaitant que naisse un sujet de polémique. Une France d'un côté, une France de l'autre. En nourrissant l'opposition entre ceux qui ont une conception traditionnelle de la famille, qui y trouvent des valeurs de vie, et ceux qui rêvent de mettre sur le même pied toutes les unions et toutes les manières de vivre. Le respect de la différence a-t-il avancé ? Je ne le crois pas. Je ne crois pas qu'il soit bon de régresser en opposant artificiellement les homosexuels aux familles, comme au temps qu'on croyait révolu de Gide, " familles je vous hais ". Cela dessert les uns et les autres, fait naître une coupure et un affrontement là où il aurait fallu de la compréhension réciproque et de l'entr'aide. Jacobinisme encore, vous comprendrez que je n'en dise qu'un mot dans la manière dont on conduit la politique de l'éducation nationale. En quelques mois, l'Education nationale est devenue un champ clos. On a choisi d'opposer sommairement les parents aux enseignants, au risque de ruiner leur image et leur crédit, en ignorant que de cette image et de ce crédit dépendent une grande part de leur réussite devant leur classe. On a choisi les caricatures et les fantasmes. On a multiplié les promesses fallacieuses. Au bout de deux ans, qu'est ce qui a changé ? Rien. Ou plus exactement une seule chose, l'éducation nationale française s'est enfoncée dans la crise la plus profonde, la plus grave de son histoire. En deux ans, son image s'est profondément dégradée. Un jour prochain, on découvrira l'immense gâchis ainsi créé, rendant la réforme plus difficile et les enseignants, les chefs d'établissement, proprement désespérés. Immense régression, due à l'idéologie, à la brutalité, à l'auto-satisfaction, au mépris de gouvernants qui considèrent qu'ils savent mieux qu'un million de femmes et d'hommes ce qu'il convient de faire dans des écoles et des établissements scolaires où ils n'ont jamais mis les pieds. De tout cela, de ces régressions et de cette idéologie, de cette recentralisation rampante, de ce mépris des réalités, la France n'a pas besoin et l'Europe non plus.
Il nous faut une opposition nouvelle
La France nouvelle a besoin d'une proposition politique nouvelle. Il y a un grand mouvement politique à construire qui dise tout haut et avec fierté, ce que tant de gens, tant de nos compatriotes attendent et qu'ils n'osent pas exprimer : il y a une voie nouvelle à proposer à la France et qui est cette voie prépare et rencontre notre destin européen. Et cette voie nouvelle, elle ne se construira pas en dressant la moitié de la France contre l'autre. Elle se construira à partir de la reconnaissance du terrain, du débat, de l'ouverture d'esprit. La France a changé. Elle a besoin que d'autres courants s'affirment, d'autres solutions se proposent à elle, que l'aller-retour éternel entre PS et RPR Nous avons l'intention de porter cette aspiration de rénovation, cette proposition nouvelle. Il y a des millions de Français qui attendent cette opposition nouvelle. Il y a des milieux sociaux entiers, à qui l'opposition ne faisait plus de place, avec son langage stéréotypé, avec ses a priori : " la réponse est non ! Maintenant dites-moi quelle est la question ! " Les jeunes Français ne reconnaissaient pas un espoir pour eux dans l'opposition d'hier. Les salariés français. Les créateurs, les intellectuels, ceux qui essaient de comprendre la société française, tous ceux-là désespéraient de l'opposition d'hier, fermée et préoccupée non pas de proposer, mais seulement d'être toujours contre.
La rénovation de l'opposition, c'est, j'en suis certain, si nous savons la conduire, un espoir pour eux. Je veux vous parler enfin clairement du président de la République. Le président de la République et nous, nous sommes liés. Nous avons voté pour lui, dès le premier tour pour quelques-uns d'entre nous, ou au deuxième tour pour la plupart. Nous appartenons à la majorité présidentielle. Il est pour nous une référence commune. Et sa politique, nous y reconnaissons beaucoup de nous-même. Par exemple, sur le Kosovo, nous sommes heureux du rôle que sous son autorité, et sous la responsabilité du gouvernement, joue la diplomatie française. Certains voudront l'entraîner sous leur bannière. Ce n'est pas lui rendre service que de vouloir le tirer dans le jeu des partis. L'intérêt du président de la République, c'est qu'il puisse additionner les soutiens, faire des additions et non pas subir des soustractions. Cette voie nouvelle, c'est l'intérêt de la France, et c'est l'intérêt de l'Europe. Conclusion Vous venez de le décider : il y aura, dans la campagne des européennes, une liste pour les européens de l'opposition. Cette liste, elle portera l'espoir d'une opposition nouvelle, d'une France nouvelle. Puisque vous le souhaitez, et si votre bureau politique en décide ainsi dans quelques jours, je la conduirai. Je sais, on me l'a assez répété, comme une mise en garde ou une menace, je sais que c'est un risque. Mais le pire risque eût été de ne rien faire, de ne rien dire, de nous taire par confort et par conformisme et au bout du compte de disparaître. A partir d'aujourd'hui, j'en suis sûr, on ne parlera pas de risque, on parlera d'abord de chance. Il y a des moments où l'on sent qu'un espoir nouveau peut se lever et balayer tous les pronostics, toutes les prudences. La France, dans ce qu'elle a de plus généreux, dans la fidélité à ses valeurs, la France attend qu'on lui propose un chemin nouveau. Elle sait que c'est sur l'Europe que son destin va se jouer. Elle veut qu'on lui en parle clairement, sans faux-semblant. Elle a de nouveau envie d'espérer, envie d'y croire. C'est cet espoir français qui sera, dans les mois qui viennent, notre meilleur, notre plus fidèle et notre plus efficace allié.
(source http://www.udf.org, le 9 février 1999)