Entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, avec Europe 1 le 6 juillet 2012, sur la situation politique en Syrie, le retrait des troupes françaises d'Afghanistan et sur la présence du groupe islamiste AQMI au Mali.

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Circonstance : 3ème réunion du Groupe des Amis du peuple syrien, à Paris le 6 juillet 2012

Média : Europe 1

Texte intégral

Q - La France va donc accueillir le Groupe des Amis du peuple syrien. Mais il n’y a ni la Russie ni la Chine. Quelle chance avez-vous, cette fois, d’aboutir à quoi que ce soit ?
R - La semaine dernière à Genève, il y avait la Russie et la Chine, et nous avons abouti à un texte commun, pour préparer la transition politique. Cette fois-ci, c’est différent, il y a plus de cent pays, c’est-à-dire la moitié du monde, ainsi que beaucoup de Syriens, à la fois des Syriens de l’intérieur et de l’extérieur. Il y a évidemment une volonté encore plus forte anti-Bachar Al-Assad, et des sanctions précises, et des propositions humanitaires.
Q - Quand on vous dit : c’est un sommet spectacle, c’est un sommet de la bonne volonté, peut-être de la bonne conscience, mais qu’on n’aboutira à rien, parce que Bachar Al-Assad continue et que rien ne l’arrête ?
R - C’est vrai qu’il continue son œuvre de mort, mais la pression internationale est de plus en plus forte et il n’est pas exact de dire que l’on n’aboutira à rien. Nous aurons, je le répète plus de cent pays, au soutien de la résistance syrienne, avec une extension des sanctions, avec des fonds humanitaires et l’exigence que Bachar Al-Assad soit traîné devant la justice ; ce sont des choses très précises. D’ailleurs, si cela n’avait pas été précis et concret, jamais la résistance syrienne n’aurait accepté de venir.
Q - Alors justement, vont y participer des opposants syriens, souvent venus de l’extérieur. D’abord, est-ce qu’on est sûr qu’ils représentent le peuple syrien ?
R - Oui. Il y a d’abord le président du Conseil national syrien. Et puis, la plupart des organisations de résistance de toutes les générations se sont réunies récemment au Caire. Il y avait beaucoup de médecins, à la fois de l’intérieur - certains ont été exfiltrés de Syrie dans des conditions au péril de leur vie - et d’autres qui habitent à l’extérieur.
Q - Mais la solution viendra des diplomates, de pays comme la France, les Nations unies, etc. ceux que vous réunissez à Paris ?
C’est un ensemble.
Ou elle ne viendra pas plutôt des combattants, les guerriers de l’intérieur ?
R - Les deux. La résistance est en train de gagner du terrain. Ce sont toutes les indications que nous avons.
Q - Qui sont-ils ? Qui les arment ? Qui les inspirent ?
R - Il y a des armements qui viennent de pays arabes et, de l’autre côté, il y a des armes du régime Bachar Al-Assad et qui sont largement fournies par les Russes. Donc, il y a à la fois cette rébellion, cette résistance qui gagne du terrain, et puis il y a l’action diplomatique et la pression internationale.
Q - Les Russes et les Chinois veulent une solution et une transition politique, Laurent Fabius, ils l’ont dit à Genève.
R - Oui, nous aussi.
Q - Ils disent qu’il faut qu’elle soit décidée par les Syriens eux-mêmes.
R - Bien sûr !
Q - Mais comment les Syriens peuvent-ils s’exprimer?
R - Pour la première fois, nous avons prévu une transition politique. À la fin ce sont les Syriens qui vont décider, et il y aura une nouvelle Constitution avec des élections libres.
Mais toute la difficulté….
Q - Mais quand ?
R - Dès que le gouvernement de transition aura été mis en place. Toute la discussion a porté sur le gouvernement de transition. Nous avons signé un texte qui dit qu’il faut que le gouvernement de transition ne comprenne pas ceux qui ont été compromis avec le régime ; cela veut dire que Bachar Al-Assad, c’est fini !
Q - Tous ses proches ?
R - C’est fini. L’interprétation qui a été donnée, après coup, par d’autres - vous parliez des Russes - qui est de dire «non, ça ne concerne pas Bachar Al-Assad» n’est pas exacte. Bachar Al-Assad doit partir, c’est un assassin et il doit partir.
Q - Vous le répétez, vous le dites souvent, le chef des massacreurs, doit partir. Mais il ne partira pas de son plein gré. Il a chez lui des soutiens, des complices.
R - Bien sûr ! Mais de moins en moins, il y a des défections, y compris dans son entourage. On assiste à une montée de la résistance et une levée de l’opinion publique internationale, à laquelle personne ne peut être indifférent. Les Russes et les Chinois nous disent : «pas d’ingérence dans les affaires intérieures, et il faut prévoir la suite, parce qu’on ne veut pas de désordre», mais le désordre, c’est sanglant, c’est Bachar Al-Assad.
Q - S’il quitte le pouvoir, ou quand il quittera le pouvoir, est-ce que vous croyez qu’il pourra rester en Syrie ? Qui est prêt à lui accorder aujourd’hui, l’asile politique ?
R - D’une part, il y a toute une série de faits, qui sont recueillis, pour permettre des poursuites. D’autre part, la question est posée, est-ce que tel ou tel État souhaitera l’accueillir ?
Q - Personne n’en veut ?
R - C’est plus complexe que cela. Évidemment, il ne s’agit pas, ni de la Russie, ni de la France, ni des États-Unis…
Q - Ni de la Chine, sans doute !
R - Et probablement de la Chine, mais, c’est une affaire à traiter.
Q - Cela veut dire quitter le pouvoir dans l’exil, pour Bachar Al-Assad et sa jeune épouse, c’est mourir en Syrie, comme Kadhafi en Libye, lynchés ?
R - Je ne pense pas mais, de toutes les manières, chacun doit répondre de ses actes.
Q - Tout à l’heure, le président de la République va ouvrir le rendez-vous syrien.
Vous allez le conclure, au nom de la France sur quoi votre espoir, concrètement porte-t-il ? Est-ce qu’il va y avoir un gouvernement provisoire unique et en exil de Syrie ?
R - Kofi Annan qui est l’Envoyé spécial conjoint des Nations unies de la Ligue arabe, doit aider à la constitution de ce gouvernement. Et il faut que ce soit un gouvernement constitué de personnalités de l’opposition. Bien sûr, il peut y avoir des personnalités qui évidemment n’ont pas trempé leurs mains dans le sang, mais qui étaient déjà dans certaines responsabilités. C’est à Kofi Annan de rapprocher les points de vue et de faire émerger des personnalités. Mais la réunion qui a eu lieu au Caire, la semaine dernière, avec l’ensemble de l’opposition va dans le bon sens.
Q - Est-ce que la mission de Kofi Annan doit continuer et, si oui, est-ce que vous êtes d’accord pour que ces observateurs de l’ONU soient armés cette fois-ci ?
R - Le général Mood, qui les commande est en réflexion sur ce point. D’un côté, il est évident que si on veut un cessez-le-feu, il faut qu’il y ait des gens qui assurent le cessez-le-feu. De l’autre, il ne faut pas non plus que l’on croit que c’est par quelques centaines d’hommes interposés qu’on va pouvoir obtenir la solution. L’effort doit d’abord porter pour affaiblir Bachar Al-Assad, et le faire partir.
Q - Vous allez participer dans les prochaines heures, au Japon, à une conférence de l’OTAN consacrée à l’Afghanistan. Les Français viennent de restituer à l’armée Afghane la région de Kapisa. Est-ce que cela veut dire que peu à peu l’Afghanistan redevient l’Afghanistan et que c’est une victoire de l’OTAN ?
R - Nous avons respecté nos engagements. Vous vous rappelez que François Hollande avait dit, pendant sa campagne, que les troupes combattantes seraient parties avant à la fin de l’année. C’est ce que nous avons préparé et elles vont commencer à partir ces jours-ci. Tout sera échelonné, jusqu’à la fin de l’année. Le relais sera pris, en particulier par les Afghans, mais l’aide civile - et c’est l’objet de la conférence du Japon - va continuer et nous, nous allons prendre le relais sur le plan civil.
Q - Vous donnerez de l’argent ? On aidera ?
R - Sur le plan de la santé, oui, bien sûr !
Q - Et j’ai noté que les routes entre le Pakistan et l’Afghanistan…
R - Étaient réouvertes.
Q - Ont été réouvertes, après sept mois coûteux de blocage. Les troupes alliées vont donc quitter l’Afghanistan. Elles pourront être rapatriées peut-être plus facilement, avec leurs matériels…
R - Exactement !
Q - Est-ce que cela veut dire que les Français vont être rapatriés, rentrés chez eux plus vite ?
R - Oui, c’est ce que cela veut dire. Ce sera à la fois plus rapide, plus sûr et plus économique, mais il faut faire très attention aux conditions de sécurité parce que nos troupes étaient exposées quand elles étaient là-bas. Elles sont aussi exposées au moment où elles reviennent.
Q - En Afghanistan, les occidentaux font la guerre aux Taliban, aux islamistes totalitaires. Est-ce qu’aujourd’hui, le foyer le plus grave, le plus dangereux, ce n’est pas le Mali et le Sahel avec ce qui s’y passent ?
R - Oui, nous avons eu l’Afghanistan, il ne faut pas qu’il y ait de «Sahelistan.»Or….
Q - C’est davantage une menace sur les Français et les Européens ?
R - Exactement, c’est AQMI qui dit que l’ennemi principal, c’est l’Europe et les Français. Vous avez vu qu’hier, aux Nations unies, nous avons obtenu, là-aussi, le vote d’une résolution. Mais il ne s’agit pas simplement du vote, il faut que la légalité constitutionnelle se rétablisse dans le sud. Il faut que les Africains se rassemblent, pour préparer un certain nombre de forces de sécurité. Il faut que le moment venu, au nord, on dégage AQMI, d’autant que nous avons, vous le savez, des otages et que cela menace non seulement le Mali, qui va retrouver son intégrité, mais toute la région…
Q - Le Niger, le Bénin, le Sénégal, on voit bien qu’ils sont inquiets.
R - La Mauritanie, la Côte d’Ivoire et les autres.
Q - Il y a une réunion, demain samedi, au Burkina Faso, est-ce que vous demandez aux États africains de recourir peut-être à l’action militaire, protégée par l’ONU, pour protéger les civils du Mali ?
R - Bien sûr ! C’est le sens de la résolution qui, pour la première fois, a été votée hier, à l’unanimité. Il y avait aussi les Russes et les Chinois. Nous voulons assurer l’intégrité du Mali et lutter contre le terrorisme. Il n’y a pas de risque plus grave que le terrorisme.
Q - Et au Mali et au Sahel aujourd’hui ?
R - Oui, parce que c’est la destruction…
Q - À nos portes ?
R - Ils décapitent des gens, ils violent des femmes, ils détruisent, vous l’avez vu, dans des conditions inacceptables des monuments, des mausolées. Ce sont vraiment des barbares.
Q - Et il faut arrêter ces trafics de drogue, d’armes qui viennent de Tunisie, de Libye, etc.
R - Ils ont de l’argent et des armes qui viennent du trafic de drogue, des rançons. Cela ne peut pas être accepté, par aucun pays.
Q - Est-ce que vous vous attendiez à ce que la politique étrangère ait une telle place dans la politique intérieure ?
R - Oui, parce que désormais tout est international, parce qu’il faut avoir une vision de long terme - je me rends au Japon et en Chine justement ce week-end - et aussi parce qu’il y a des crises : l’Iran, la Syrie, le Mali!
Q - Et les relations que nous avons avec l’Algérie, où vous allez vous rendre dans pas longtemps.
R - La semaine prochaine.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 juillet 2012