Déclaration de M. Bernard Cazeneuve, ministre des affaires européennes, sur les conclusions du Conseil européen relatives à la situation économique et financière de l'Union européenne, à l'Assemblée nationale le 10 juillet 2012.

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Circonstance : Audition devant la Commission des affaires étrangères et la Commission des affaires européennes, à l'Assemblée nationale le 10 juillet 2012

Texte intégral

Je comprends que vous souhaitez cibler la discussion sur les conclusions du Conseil européen relatives à la situation économique et financière de l'Union, tout en évoquant d'autres enjeux européens. Ce sont des sujets techniquement complexes et politiquement sensibles, qui connaissent des évolutions quotidiennes, compte tenu notamment des dernières échéances : Conseil européen des 28 et 29 juin, réunion de l'Eurogroupe hier, réunion des ministres des Finances aujourd'hui.
Le président de la République a souhaité procéder à une réorientation de la politique de l'Union européenne en adoptant, au-delà du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, des mesures en faveur de la croissance. Il s'agit de promouvoir, pour notre pays et les autres États membres, une démarche équilibrée s'appuyant sur deux piliers : la stabilité budgétaire et le rétablissement des comptes publics, d'une part, et la croissance, d'autre part.
Nous estimons qu'il n'est pas possible, pour les États membres et la France, de retrouver la croissance sans maîtrise des comptes publics, dans la mesure où les déficits publics et la dette créent des tensions sur les taux d'intérêt, qui rendent difficiles les investissements porteurs de croissance. Le gouvernement a pris des engagements à cet égard : les dispositions de la loi de finances rectificative doivent permettre d'atteindre un objectif de déficit de 4,5 % du PIB en 2012, puis de 3 % en 2013, avec un retour à l'équilibre en 2017, conformément à la trajectoire des finances publiques que nous nous sommes fixée. Si nous n'y parvenons pas, la pression que feront peser les déficits et la dette sur les taux d'intérêt sera de nature à obérer la croissance. À l'inverse, le rétablissement des comptes publics n'est pas possible si des actions fortes en faveur de la croissance ne sont pas adoptées. La condamnation des peuples européens à une austérité durable créerait un contexte psychologique et économique défavorable à la croissance et aux rentrées fiscales.
Nous nous sommes mis au travail immédiatement : le président de la République s'est rendu à Berlin le jour même de son investiture pour engager avec la chancelière allemande un dialogue sur la nécessité de procéder à cette réorientation ; le ministre des Affaires étrangères et le ministre de l'Économie et des Finances ont rencontré régulièrement leurs homologues allemands, respectivement M. Westerwelle et M. Schäuble ; quelques heures après ma prise de fonctions, je me suis rendu à Berlin pour évoquer avec M. Link les conditions de réussite de cette réorientation, puis j'en ai ensuite discuté avec mes autres collègues européens.
J'en viens aux résultats du Conseil - qui ne constituent qu'une étape dans un processus qu'il convient de poursuivre - et au travail qui reste à faire.
Le Conseil européen des 28 et 29 juin n'a pas été le «sommet de la dernière chance» qui a tout réglé et dont le président de la République serait sorti vainqueur au terme d'un rapport de forces avec ses homologues. Notre objectif était, au contraire, de consolider les relations entre les membres de l'Union européenne pour franchir une étape décisive. Personne, si ce n'est l'Europe, l'Union et ses institutions, n'est sorti victorieux de ce sommet.
Nous avons obtenu, premièrement, un ensemble de mesures cohérentes en faveur de la croissance, chiffrées à 120 milliards d'euros, mais dont l'impact potentiel sur la croissance devrait être supérieur, compte tenu de leur effet de levier.
Il s'agit tout d'abord d'une augmentation du capital de la BEI de 10 milliards d'euros, qui lui permettra d'accorder des prêts pour des projets d'investissement structurants à hauteur de 60 milliards d'euros. Ces 60 milliards d'euros susciteront à leur tour 120 milliards d'investissements privés, ce qui porte le montant potentiel du plan à 240 milliards d'euros.
Ensuite, plus de 50 milliards d'euros ont été réorientés au titre des fonds structurels pour financer des projets en faveur de la croissance.
Enfin, l'émission de project bonds, obligations adossées à une garantie de l'Union européenne, permettant à partir d'un montant de 230 millions d'euros, de mobiliser, grâce à l'effet de levier, 4,5 milliards d'euros. À noter qu'il s'agit d'une phase pilote qui pourra le cas échéant, après expertise, appeler des développements ultérieurs.
Il reste sur ce «paquet croissance» beaucoup de travail à faire. Si nous voulons que ces mesures aient une portée rapide et effective, nous devons mobiliser l'ensemble des acteurs susceptibles de les mettre en oeuvre. Il convient également que les institutions sollicitées prennent les décisions adéquates, par exemple que le Conseil des gouverneurs de la BEI, qui se réunira le 24 juillet, fasse en sorte que l'augmentation du capital de la Banque intervienne rapidement. De notre côté, nous devons prendre des dispositions avec les collectivités territoriales, le Commissariat général à l'investissement et la DATAR, pour que ces mesures soient effectives au second semestre 2012 et puissent avoir un effet sur la croissance.
La deuxième décision importante du Conseil européen concerne la taxe sur les transactions financières. Nous souhaitons la mettre en place au moyen d'une coopération renforcée ; nous ne pouvons d'ailleurs le faire autrement dans la mesure où il n'y a pas eu unanimité sur la question. Cependant, cette mise en oeuvre à plusieurs au moyen d'une coopération renforcée constitue un progrès par rapport à la situation antérieure. Peu de pays pensaient possible d'atteindre cet objectif, à tel point que la France était prête à mettre en place, seule, une taxe - en réalité, un impôt de bourse - de manière précipitée à la fin de la précédente législature. Si nous avions pu avoir une assiette plus large et un taux plus significatif, et engager une concertation avec d'autres pays de l'Union, nous aurions peut-être adopté une autre stratégie.
Nous souhaitons que la coopération renforcée soit mise en place le plus rapidement possible. Les pays concernés doivent désormais saisir la Commission pour enclencher le processus. Il serait d'ailleurs envisageable que le produit de cette taxe puisse remplacer une partie des dotations allouées par les États membres au budget de l'Union européenne, à enveloppe constante dans un premier temps. Nous substituerions ainsi une ressource dynamique à une ressource fortement contrainte qui ne l'est pas et ouvririons des perspectives budgétaires positives pour l'Union européenne.
S'agissant, troisièmement, du volet économique, monétaire et financier, notre volonté était de défaire le lien entre dette souveraine et situation bancaire, qui entraîne l'Europe dans une spirale de déclin. À cet égard, nous avons considéré avec beaucoup d'intérêt les propositions contenues dans le rapport Van Rompuy : mise en place d'une Union bancaire, d'une part, et feuille de route de l'Union européenne vers une véritable Union économique et monétaire, d'autre part, consistant à conforter et mutualiser les outils existants, en procédant en parallèle à une intégration politique renforcée.
L'Union bancaire telle qu'envisagée dans le rapport Van Rompuy renvoyait à des éléments précis auxquels nous tenions : d'une part, une supervision des banques par des dispositifs institutionnels intégrés au sein de l'Union européenne, pour réguler et contrôler un système bancaire qui avait commis des imprudences, sources de difficultés sur les marchés financiers et pour l'économie réelle ; d'autre part, un dispositif de garantie des dépôts et de résolution des crises bancaires, articulé à cette supervision.
Par-delà l'union bancaire, nous voulions que le MES puisse intervenir directement dans la recapitalisation des banques sans passer par les États, de manière à engager l'Europe sur la voie de l'Union monétaire et pour couper le lien entre dette souveraine et instabilité bancaire.
Enfin, nous souhaitions engager la réflexion sur les eurobonds, les eurobills et la mutualisation des emprunts de demain.
Quels sont les résultats obtenus au regard de ces objectifs ?
Le dispositif de supervision bancaire intégrée est mis en place. La Commission européenne doit formuler des propositions à caractère législatif à ce sujet à compter de septembre prochain. Le commissaire au marché intérieur et aux services, M. Barnier, y travaille d'ores et déjà. Lorsque le dispositif de supervision bancaire sera effectif - notre objectif est qu'il le soit le plus rapidement possible -, le MES aura la possibilité d'intervenir directement pour la recapitalisation des banques et, par ailleurs, le MES pourra intervenir sur le marché secondaire des dettes souveraines, pour faire en sorte que les spreads de taux d'intérêt soient maintenus dans un corridor et n'obèrent pas la croissance.
Le président du Conseil européen, M. Van Rompuy, continue à travailler avec les présidents de l'Eurogroupe, de la BCE et de la Commission européenne à la feuille de route sur le renforcement de l'Union économique et monétaire, y compris à l'effort d'intégration politique qu'il appellera. Cette feuille de route pourrait faire l'objet d'autres débats au sein du Conseil à la fin de l'année 2012.
Tel est l'état des travaux actuellement en cours, dont une grande partie est encore devant nous.
J'en viens à l'association du Parlement aux enjeux qui se présentent. Le Parlement est soucieux - nous le sommes également - du contrôle démocratique qu'il exerce sur les budgets qu'il vote. Il ne faudrait pas qu'il fût privé de la possibilité d'exercer sa souveraineté en raison de l'intégration européenne. C'est une question de fond qui concerne l'ensemble des parlementaires, quelle que soit leur sensibilité politique, et à laquelle nous devons apporter des réponses.
Examinons la situation actuelle, ainsi que les textes et leurs conséquences. Avant même que le traité soit ratifié par les Parlements nationaux, le Parlement européen a adopté des dispositions qui sont déjà entrées en vigueur, notamment le «Six Pack» qui renforce le «semestre européen», à savoir une coordination des politiques budgétaires dans le semestre qui précède l'élaboration des budgets nationaux. Ce dispositif conduit la Commission à formuler des avis et le Conseil à prendre des positions, qui constituent des recommandations pour les gouvernements qui élaborent leur budget et visent à rendre la coordination effective. Les gouvernements présentent des trajectoires budgétaires à la Commission, les institutions européennes contrôlant le décalage qui peut exister entre les trajectoires et la réalité, tant en loi de finances initiale qu'en exécution.
Ce dispositif sera complété par les dispositions du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, qui inscrira dans le droit français le principe de l'équilibre budgétaire. Nous verrons également ce qu'il adviendra du «Two Pack» proposé par le Parlement européen.
Notre objectif est de faire en sorte que, dans les années qui viennent, le Parlement français puisse exercer la plénitude de ses pouvoirs souverains en matière budgétaire dans le cadre de ce processus de coordination budgétaire au sein de l'Union européenne et qu'il puisse faire lui-même usage de ses prérogatives de contrôle dans le cadre du dialogue qui se noue entre les gouvernements, la Commission et les institutions européennes.
S'agissant des perspectives financières 2014-2020, nous sommes confrontés à un cruel dilemme, qui résulte de la situation contradictoire dans laquelle se trouve la Commission européenne à l'égard des États membres. D'un côté, la Commission les enjoint de se conformer aux objectifs de rééquilibrage de leurs budgets, sur lesquels elle formule des recommandations et peut exercer des missions de contrôle ; nous devons, dès lors, examiner avec attention chacun de nos postes budgétaires, y compris la contribution française au budget communautaire, qui s'élève à près de 19 milliards d'euros, ce qui est loin d'être dérisoire. De l'autre, la Commission fait part de ses besoins, de ses ambitions, et demande aux États membres d'augmenter assez considérablement leur contribution au budget de l'Union.
Si nous acceptions les propositions actuelles de la Commission pour les perspectives financières 2014-2020, la contribution de la France passerait à environ 25 milliards d'euros. Pour la seule année 2013, si nous suivions la Commission, les contributions des États augmenteraient de 6,85 %, soit environ 1,4 milliard d'euros pour la France, montant ramené à 800 millions après révision à la baisse - de l'ordre de deux points - de ses demandes par la Commission.
Face à ces demandes contradictoires, nous devons adopter une démarche pragmatique. Nous avons engagé un processus interministériel pour définir très finement notre position sur les perspectives financières. Il est donc un peu tôt pour entrer dans le détail. Nous souhaitons une contribution à la fois raisonnable, pour nous permettre d'atteindre les objectifs budgétaires que nous nous sommes assignés, et suffisamment ambitieuse, pour permettre à l'Union de réaliser les politiques qui peuvent contribuer à la croissance.
Vous avez formulé, Madame la Présidente de la Commission des Affaires européennes, des interrogations sur certains piliers du budget. Si nous maintenons notre position dure sur le plan budgétaire, tout en demandant de ne toucher ni à la PAC, ni à la politique de cohésion, qui permet aux pays qui en bénéficie d'obtenir de la croissance, et tout en insistant pour consacrer le solde à la croissance de demain - ce qui constitue notre principal objectif -, la marge de manoeuvre sera très étroite et l'équation impossible.
Le processus interministériel que nous avons engagé doit nous permettre de définir le niveau de notre contribution d'ici à la fin de l'année et de déterminer notre position sur la réforme de la PAC. Nous avons été très fermes aux dernières réunions du Conseil Affaires générales pour refuser les amendements proposés au paragraphe 43 de la «boîte de négociation» présentée par la présidence danoise, qui visaient à diminuer très sensiblement le niveau des aides directes dans le cadre de la PAC. De plus, nous avons indiqué notre souhait que le Fonds d'adaptation à la mondialisation soit maintenu pour que les industries les plus en difficulté soient accompagnés, dans une période de crise très grave où les restructurations sont nombreuses.
Q -(Sur le contrôle démocratique de la construction européenne)
R - Dès lors que le traité est ratifié, la clause que vous y avez inscrite à l'issue de négociations avec l'Allemagne, à savoir la conférence budgétaire interparlementaire, est applicable. Toute disposition permettant aux parlements démocratiquement élus de débattre des mécanismes budgétaires et de coordination financière va dans le bon sens, mais cela ne saurait remettre en cause la souveraineté de ces parlements sur le vote des budgets nationaux. À cet égard, nous devons veiller à ce que le processus d'intégration solidaire, qui constitue la feuille de route de M. Van Rompuy, ne se traduise pas par des pertes de souveraineté. Cet objectif doit faire l'objet d'un dialogue nourri entre les parlementaires et les institutions européennes ; c'est à cette condition que nous parviendrons à trouver les justes équilibres.
Q -(Sur la présidence de l'Eurogroupe)
R - La présidence de l'Eurogroupe, à laquelle prétend le ministre des Finances allemand, est l'une des premières questions auxquelles j'ai été confronté lors de ma prise de fonctions. J'ai pu constater, à l'occasion de mon voyage à Berlin, qu'il s'agissait d'un point très sensible. Selon nous, la répartition des responsabilités entre les pays de l'Union doit être envisagée de façon globale : dans le contexte de crise que nous connaissons, ces questions ne doivent pas être à l'origine de tensions. Des discussions sont en cours, qui devraient aboutir à une solution optimale, même s'il ne m'appartient pas d'anticiper leur issue.
Q - (Sur la recapitalisation directe des banques par le MES)
R - S'agissant des banques, notamment espagnoles, l'Eurogroupe a avalisé hier, sur la base d'un mémorandum précisant les modalités d'intervention, le principe d'une recapitalisation directe, qui ne passe pas par les États, ainsi que la décision du Conseil européen sur une enveloppe pouvant atteindre 100 milliards d'euros pour les banques espagnoles, auxquelles une première aide de 30 milliards sera versée.
En octobre prochain, la Commission européenne formulera des propositions d'ordre législatif afin de mettre en oeuvre la supervision, laquelle donnera au MES la possibilité d'intervenir directement auprès des banques. À cet égard, plusieurs questions techniques se posent encore : la supervision doit-elle porter sur toutes les banques, ou seulement sur celles de premier rang ? Comment la supervision s'articule-t-elle entre la BCE et les banques centrales nationales ? En tout état de cause, la France souhaite que l'ensemble du dispositif, à tout le moins dans ses éléments législatifs, soit prêt avant la fin de l'année.
S'agissant de la Grèce, les gouvernements prendront les décisions qui s'imposent lorsque la troïka aura remis son rapport d'inspection.
Q - (Sur les eurobonds et les project bonds)
R - Les eurobonds, qu'il ne faut pas confondre avec les project bonds, restent inscrits dans la feuille de route de M. Van Rompuy : les seconds sont destinés à financer des investissements ; les premiers consistent à mutualiser une partie des dettes. Un certain nombre de Sages, en Allemagne, ont d'ailleurs jugé qu'il pourrait être utile d'expérimenter cette solution à travers un fonds de rédemption. D'autres débats seront nécessaires : les Allemands considèrent que l'union politique et l'assainissement budgétaire sont des préalables ; nous pensons, pour notre part, que ces outils de mutualisation, en plus d'être utiles face à la crise, peuvent favoriser l'une et l'autre. Quoi qu'il en soit, la stabilité financière et monétaire étant assurée par la supervision bancaire, nous devons continuer à réfléchir à ces instruments de mutualisation, ainsi que le prévoit la feuille de route de M. Van Rompuy ; tel est en tout cas le compromis auquel nous sommes parvenus.
Q - (Sur la taxe sur les transactions financières)
R - Nous souhaitons aussi que les pays favorables à une taxe sur les transactions financières dans le cadre d'une coopération renforcée - France, Autriche, Allemagne, Espagne, Belgique, Portugal, Grèce, Italie et Slovénie - la mettent en oeuvre le plus rapidement possible.
(...)
Q - (Sur les conséquences du pacte budgétaire sur les budgets territoriaux)
R - L'accord Bâle III a en effet rendu les banques plus frileuses sur les emprunts publics, ce qui a eu des conséquences pour des collectivités dont la gestion était saine et les projets d'investissements pertinents. En tout état de cause, la loi interdit aux collectivités de voter des budgets en déficit, même si elles peuvent s'endetter sur leurs ressources propres. Globalement, elles sont donc dans une situation plus saine, et nous aurons à examiner si elles peuvent bénéficier des dispositions du pacte de croissance - via, par exemple, des partenariats public-privé ou des investissements structurants -, notamment pour ce qui concerne l'accès au crédit. Dans cette optique, nous avons engagé un travail avec le commissariat général aux investissements et l'Association des régions de France.
Le développement durable est au coeur du pacte de croissance, qu'il s'agisse de la transition énergétique ou de l'interconnexion des grands réseaux de transport et d'énergie. Nous souhaitons réfléchir avec la Commission à l'accompagnement de ces grands projets qui feront la croissance de demain.
Q - (Sur l'avenir de la politique régionale européenne)
R - La politique de cohésion est pour nous un sujet essentiel. Nous souhaitons le maintien des fonds structurels aux régions dites intermédiaires, ce qui suppose des critères d'appréciation clairs, qui permettent à des régions dont la situation est similaire de bénéficier des mêmes concours. La négociation avec nos partenaires est parfois difficile, mais nous y travaillons.
Q - (Sur l'association de l'échelon européen avec celui des États et des collectivités territoriales)
R - Je souscris à vos propos sur les enjeux démocratiques et citoyens. La crise n'est pas seulement économique et financière ; elle est aussi politique. La montée des populismes témoigne du divorce d'un certain nombre de citoyens avec le projet européen. En orientant l'Europe vers la croissance, nous avons voulu donner un contenu à l'Union en termes de projets, partant rapprocher les citoyens et les institutions.
(...)
Q - (Sur la perte de croissance et sur la régulation financière)
R - En plus de la taxe sur les transactions financières, sur laquelle je ne reviens pas, nous avons d'abord négocié un certain nombre de mesures, dont il est faux de dire qu'elles existaient déjà.
La recapitalisation de la Banque européenne d'investissement permettra de débloquer 60 milliards d'euros de prêts, et de susciter 120 milliards d'investissements privés supplémentaires. Au total, le pacte de croissance porte donc au moins sur 240 milliards. Contrairement à ce que vous affirmez, cette recapitalisation était loin d'être acquise, comme l'atteste le compte rendu du dernier Conseil «Affaires générales». Il a fallu toute l'implication personnelle du président de la République et de certains de ses partenaires pour obtenir ces avancées.
Quant aux fonds structurels non utilisés, le président Barroso avait indiqué, en janvier 2012, qu'ils se montaient à 82 milliards d'euros. En juin, lors du Conseil «Affaires générales», la Commission a indiqué qu'une partie de ces fonds avait été consommée, et que l'évaluation de M. Barroso était donc erronée.
(...)
Compte tenu de la part de la France dans le PIB global de l'Union, le pacte de croissance devrait représenter, dans notre pays, de 15 à 18 milliards d'euros d'investissements supplémentaires. Ce chiffre ne me semble en rien dérisoire.
J'ajoute qu'il y a quelque contradiction de votre part à vanter les mérites du MES - sur lequel nous nous étions abstenus, car vous n'aviez pas voulu l'inscrire dans la perspective d'une réorientation globale de l'Union -, tout en nous reprochant de soutenir une recapitalisation bancaire avant la supervision.
En premier lieu, si l'on veut dénouer le lien entre dette souveraine et instabilité bancaire, il faut donner au MES la possibilité d'intervenir directement. Faute de quoi, toute déstabilisation du système bancaire ne pourra qu'aggraver la situation financière des États.
En deuxième lieu, ce que vous préconisez est précisément ce qui est prévu. Il existe en effet deux dispositifs, techniquement très précis et étayés. Le premier, issu du Conseil européen, doit permettre la recapitalisation directe des banques par le mécanisme européen de stabilité et, éventuellement, l'intervention du FESF et du MES sur le marché secondaire de la dette souveraine pour maintenir les spreads dans un corridor qui leur évite de s'envoler au moment même où les pays réalisent d'importants efforts qui obèrent leur croissance.
Selon les conclusions du Conseil européen, la Commission européenne présentera au mois d'octobre des dispositions à caractère législatif destinées à mettre en place une supervision intégrée à l'échelle de l'Union, et, au terme de cette supervision, la recapitalisation directe des banques par le mécanisme européen de stabilité sera devenue possible. Vous affirmez donc le contraire de ce que prévoient les conclusions du Conseil européen : leur lecture devrait suffire à vous détromper.
Un deuxième dispositif mis en place pour l'Espagne par l'Eurogroupe permet des interventions à hauteur de 100 milliards d'euros. Il a été défini au titre d'un mémorandum assorti de conditionnalités qui garantissent que des précautions seront prises dans l'attente de la supervision et de la création du MES.
(...)
Le FESF, qui est un dispositif de garantie, n'a encore rien coûté. Pour le mécanisme européen de stabilité, qui n'est pas encore en vigueur, la France a budgétisé un premier versement et sa contribution totale sera de l'ordre de 16 milliards d'euros.
Q - (sur la ratification du Traité budgétaire)
R - Pour ce qui est de la ratification du texte, nous soumettrons à la discussion parlementaire quatre dispositifs : le traité budgétaire, les dispositions relatives à la taxe sur les transactions financières, le dispositif de supervision et le pacte de croissance - qui, comme certaines des dispositions issues du Conseil européen, a valeur de décision. Ensemble, ces quatre textes correspondent à l'équilibre politique que nous voulions atteindre pour la réorientation de la politique de l'Union européenne.
Sur le plan constitutionnel, je rappelle que la ratification est régie par des procédures établies. Conformément à l'article 54 de la Constitution, le président de la République, le Premier ministre, le président de l'une ou l'autre assemblée ou les parlementaires peuvent en effet saisir préalablement le Conseil constitutionnel. Le Conseil d'État sera également saisi. Le président de la République a déjà fait connaître son intention de recourir à cette procédure pour assurer la sécurité juridique de la ratification. Toutes les précautions sont donc prises et vous n'avez aucune inquiétude à avoir.
Q - (Sur les objectifs de la taxe sur les transactions financières)
R - Le président de la République a précisé que la taxe sur les transactions financières pourrait servir à trois objectifs : contribuer à la diminution des déficits à la maîtrise des comptes publics, participer à la croissance et aux objectifs de développement. La contribution de la France représente près de 10 % du montant des crédits affectés à l'aide publique au développement à l'échelle mondiale, soit bien plus que la part de notre pays dans le PIB mondial.
Q - (Sur l'emploi des jeunes)
R - L'emploi des jeunes figure bien dans les conclusions du Conseil européen, aux côtés de l'emploi des seniors. Le contrat de génération, qui doit toucher les deux publics, comme l'a rappelé le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, montre à cet égard toute sa pertinence. Le ministre chargé de l'Emploi est très mobilisé sur cette question, et je ne doute pas qu'il aura à ce propos des propositions concrètes.
Q - (Sur la séparation des activités bancaires)
R - La Commission européenne a engagé des travaux sur la séparation des activités bancaires, et le commissaire Barnier continue de travailler sur ces sujets à partir des rapports réalisés sur les banques anglaises et de ses propres travaux dans ce domaine. Il m'a confirmé hier son intérêt pour ces questions. Par ailleurs, il a été indiqué à l'occasion de la déclaration de politique générale du Premier ministre que la France procéderait à la séparation des activités de dépôt et des activités spéculatives des banques.
Q - (Sur le calendrier de mise en oeuvre des mesures issues du Conseil européen)
R - J'ai évoqué le calendrier tout au long de notre échange. Nous souhaitons que les délais soit aussi courts que possibles afin de garantir l'efficacité et l'impact des mesures que nous avons arrêtées en faveur de la croissance. J'adresserai à Mme la présidente de la Commission des Affaires étrangères et à Mme la Présidente de la Commission des Affaires européennes un courrier, qui pourra vous être communiqué, rendant compte des dispositions concrètes que nous prenons pour faciliter la mise en oeuvre des mesures issues du Conseil européen.
Q - (Sur le dossier des brevets)
R - Les brevets sont un dossier sur lequel, depuis près de dix-huit ans, il avait été impossible d'aboutir. Une bonne décision, prise sous la présidence polonaise, établissait à Paris la juridiction compétente, mais elle a été contrée par l'Allemagne, qui demandait que toutes les structures compétentes en matière de brevets soient installées à Munich, sous prétexte que les concessions que nous avions déjà faites sur ce dossier assuraient déjà dans cette ville la masse critique nécessaire. Nous avons finalement trouvé un accord, aux termes duquel la division centrale de la juridiction sera installée comme prévu à Paris, tandis que quelques éléments de juridiction traitant un volume d'affaires très résiduel iront à Londres et à Munich.
Nous avons beaucoup regretté la proposition britannique de supprimer les articles 6 à 8 de la proposition de règlement, qui «décommunautarise» une partie de l'action dans ce domaine et remet en cause les prérogatives du Parlement, nous obligeant aujourd'hui à rechercher dans le cadre du trilogue un accord permettant de revenir à l'esprit de l'accord initial. La commission des Affaires juridiques (JURI) du Parlement européen, qui se réunissait ce matin, a d'ailleurs demandé une analyse juridique plus approfondie de la suppression des articles 6 à 8, afin de pouvoir parvenir à un accord à l'occasion de la réunion qui se tiendra sur ce thème au Parlement le 18 septembre.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 juillet 2012