Texte intégral
Q - La Syrie est au centre de lagenda diplomatique actuel, avec un problème qui sappelle la Russie. Avez-vous perçu ces derniers temps un quelconque mouvement de la part de ce pays ? Sont-ils toujours campés sur leur position initiale ? Et comment espérez-vous, vous et vos partenaires, les faire bouger ? Question subsidiaire : avez-vous des nouvelles du général Tlass ; on a vu ce matin dans le Herald Tribune que lon ne savait pas où il était.
R - Si le Herald Tribune ne sait pas où il est, comment voulez-vous que je le sache !
Sur la Syrie et la Russie, dabord on constate que les massacres se poursuivent. M. Bachar Al-Assad continue dexercer son mandat coupable. Il y a toute une série de démarches diplomatiques dans lesquelles la France est bien présente. Il y a des conséquences graves à la fois en Syrie et dans plusieurs pays circum-voisins. Ce sont donc des situations évidemment très dramatiques.
À travers les déplacements et les entretiens du président de la République, la Syrie, le Mali, lIran, lAfghanistan et les questions européennes sont les principaux sujets qui mobilisent actuellement toute notre attention.
Concernant les Russes, la question est : quest-ce qui explique la position russe ? Pour essayer de conduire une négociation, voire de faire bouger - comme cest souhaitable - les États que lon a en face de soi, il faut essayer de comprendre. Je pense quil y a, sans les hiérarchiser, quatre ou cinq raisons qui sont dites ou implicites dans la stratégie russe.
Premier élément, le précédent libyen, nos interlocuteurs russes disent « dans laffaire libyenne, il y a eu une décision internationale et, finalement, vous êtes intervenus dune façon différente de ce que vous aviez dit et nous ne voulons pas que cela se répète. Et, donc, nous sommes amenés à nous opposer à un certain nombre de résolutions. ».
Deuxième élément - et, encore une fois, sans hiérarchiser : « Nous, Russes, nous avons des intérêts partout ; nous avons des intérêts légitimes en Syrie et dans la région et il ny a pas de raison que nous les abandonnions ».
Troisième élément, et cest celui qui revient le plus souvent et qui rapproche, sur ce point, la position russe et la position chinoise : « Nous sommes opposés à toute ingérence dans les affaires intérieures. Il sagit dune affaire intérieure et, donc, nous refusons quil y ait une ingérence ».
Quatrième élément : « M. Bachar Al-Assad est là, nous voyons bien tout ce qui se passe mais si nous admettons par avance quil quitte le pouvoir, qui va prendre la succession ? Et est-ce que ceux qui vont le remplacer ne seront pas des éléments de risque de désordres et de terrorisme ? »
Voilà quelques éléments que lon entend lorsque lon discute avec les Russes.
Beaucoup de ces arguments nont pas de valeur. En particulier, il y en a un qui nous paraît dénué de toute valeur, cest lorsque les Russes comme les Chinois disent quil sagit dune affaire intérieure. Non seulement parce quà notre sens, on assiste à des actions qui, intérieures ou pas, sont inadmissibles, mais parce que, en plus, cette affaire est devenue une affaire régionale et internationale ; regardez ce qui se passe au Liban, en Irak et en Jordanie et ce qui peut se passer en Turquie. Beaucoup déléments de notre discussion portent là-dessus. Vous ne pouvez pas invoquer la non-ingérence dans les affaires intérieures puisque cest devenu une affaire régionale et internationale.
Lautre élément sur lequel portent nos discussions, cest sur cette notion de désordre. Nous disons aux Russes : « nous comprenons tout à fait votre argument : si M. Bachar Al-Assad sen va, qui est-ce qui le remplace ? Cest la raison pour laquelle nous observons avec intérêt les mouvements de rapprochement qui sopèrent au sein de lopposition, qui sont réels. Mais vous ne pouvez pas nous dire quaujourdhui cest lordre, et que demain ce sera le désordre, car il ny a pas plus grand, plus grave et plus dramatique désordre que M. Bachar Al-Assad qui, étant là et continuant à exercer une répression implacable, va aboutir à une guerre confessionnelle et à la montée du terrorisme. Donc, si on se place du point de vue des discussions sérieuses, les points de différence portent là-dessus.
Est-ce que les Russes ont bougé ou nont pas bougé ? La réponse est quand même plus nuancée que ce que lon dit dhabitude. Parce que, autant les Russes, ont refusé de voter un certain nombre de résolutions des Nations-unies, autant on na pas assez remarqué ce qui sest passé il y a une quinzaine de jours à Genève lorsquà la demande de Kofi Annan, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus quelques autres pays de la région se sont réunis et ont adopté à lunanimité un texte. Ce texte a donné ensuite lieu à des interprétations différentes mais quand on le lit avec honnêteté, il ny a pas quune interprétation possible.
Laccord de Genève qui, à la fois, endosse le plan en six points de M. Kofi Annan et définit également les principes de la transition politique prévoit que lautorité de transition (« governing body ») détiendra le pouvoir exécutif, or que je sache aujourdhui, cest M. Bachar Al-Assad qui détient le pouvoir exécutif. Donc si cest une autre autorité qui détient le pouvoir exécutif, cela veut dire que ce nest plus M. Bachar Al-Assad, et cela veut dire aussi que ce « governing body » sera constitué par consentement mutuel avec des personnalités qui favoriseront un « neutral environment », ce nest pas la définition que lon peut donner de M.Bachar Al-Assad.
Pour le moment, il est tout à fait exact que le Russes ne se sont pas encore rendus à nos arguments. Il y a des éléments qui contribuent à les faire bouger. En particulier, M. Poutine a fait une tournée récemment au Proche-Orient et je sais que, évoquant la situation à la fois avec les Israéliens et avec toute une série de dirigeants arabes, les Russes ne peuvent pas ne pas être frappés par le fait que les dirigeants de beaucoup de pays arabes sont opposés à Bachar Al-Assad et à son régime et craignent les conséquences régionales de la crise syrienne. Et puis les Russes sont aussi certainement sensibles au fait que lopposition est en train de se rassembler même sil y a encore des difficultés. Le président du Conseil national syrien était hier ou avant-hier à Moscou. Il reste encore beaucoup de chemin à faire et puis les Russes ne sont pas aveugles, ils voient bien les défections, hier celle dun dirigeant de la garde républicaine de Bachar Al-Assad, aujourdhui celle de lambassadeur de Syrie en Irak. Enfin, là on est au cur du régime.
Nous continuons à discuter avec les Russes parce que nous pensons quévidemment cest une puissance qui a une grande influence dans ce conflit. Dailleurs, les choses risquent encore dêtre relancées dans les jours qui viennent ; M. Kofi Annan sexprime devant le Conseil de sécurité ; il va y avoir probablement des résolutions qui vont être déposées. Les Russes veulent déposer une résolution en vue du prolongement de la MISNUS, mais si elle na pas de mandat supplémentaire, je ne vois pas pourquoi elle arriverait à un résultat différent de celui de la veille. Nous allons proposer vraisemblablement - cest en train dêtre discuté - une résolution qui reprend à la fois le plan Kofi Annan, qui, avait été accepté, et le plan de Genève qui a été également accepté à lunanimité. À ce moment-là, la question est de savoir si les Russes, et les autres, refuseront ou accepteront dendosser un plan quils ont par ailleurs voté.
On dira que ce sont des arguties diplomatiques, or la diplomatie cest dabord ce qui se passe sur le terrain. Cest vrai que notre immense inquiétude cest quà la fois les massacres continuent ; que lopposition confessionnelle est de plus en plus en plus forte ; quil y a des indications selon lesquelles la montée déléments terroristes est à redouter et que tout cela a un effet déstabilisateur dans une région qui na pas besoin de déstabilisation. Voilà, je serai beaucoup plus court jespère sur les autres questions.
Q - Juste pour compléter puisque vous revenez de Chine : est-ce que les Chinois sont vraiment calés sur la position russe ou est-ce que vous avez senti quil pouvait y avoir éventuellement une ligne un petit peu plus nuancée ?
R - Dans les discussions que nous avons à la fois aux Nations unies, à Genève où les Chinois étaient présents et en Chine, ce sont surtout les Russes avec lesquels nous avons à faire et qui sont sur le devant de la scène. Les Chinois ne se mettent pas particulièrement en avant sur le plan diplomatique.
Les trois arguments qui reviennent dans la bouche des nos amis chinois sont : premièrement, pas dingérence dans les affaires intérieures, cest un principe de leur diplomatie ; deuxièmement, pas de sanctions de manière générale, car ils y sont opposées ; et troisièmement, largument selon lequel il faut éviter de créer des situations de désordre.
Les autres éléments qui peuvent jouer sur les Russes, on ne les entend pas dans la bouche des représentants chinois. Sur lingérence dans les affaires intérieures, jai défendu la thèse que cela ne relevait plus des affaires strictement intérieures.
Sur lautre aspect, le refus des sanctions, il sagit là dune position de principe quont les Chinois mais que nous ne partageons pas. Notamment, les Chinois adoptent cette position dans une autre discussion, dont nous parlerons peut-être : le dossier nucléaire iranien où ils continuent dacheter du pétrole iranien en quantité importante alors que nous avons pris des sanctions. Mais cest surtout la question de la non-ingérence qui est mise en avant par les Chinois.
Vis-à-vis des Russes et des Chinois, il y a un autre argument que nous avançons et que nous avons mis sur la table, sinon nous navancerions pas, cest à propos des ventes darmes, du refus dacceptation dune intervention militaire.
Souvent, nos interlocuteurs nous disent : « admettons, mais, de toute façon, M. Bachar Al-Assad ne partira pas sil ny a pas dintervention, et nous ne voulons pas dintervention. Telle nest pas notre position ». Nous pensons que si les Russes et les Chinois se désolidarisaient explicitement de Bachar Al-Assad, le régime, très vraisemblablement, tomberait sans quil soit besoin dintervention directe, et compte tenu en plus de la force grandissante de la résistance.
Q - Sur le général Manaf Tlass, que pensez-vous des analyses qui sont faites au fond sur ce personnage qui a été au cur du régime, qui est un militaire, qui serait propre à rassurer les Russes, dont vous avez rappelé quils ont accepté à Genève le principe dune autorité de transition ?
R - Ce que je sais dans une affaire où je ne sais rien cest quil y a une proximité entre le général et une partie significative de lopposition et des contacts,- daprès des informations que je nai pas- ont été pris en ce sens. Mais dune manière générale nous favorisons tout ce qui est regroupement de lopposition, parce que jadmets tout à fait la légitimité de la question posée par les Russes : que se passe-t-il après M. Bachar Al-Assad ?
Question absolument légitime, après tout lorsquil semble- il faut rester prudent- que les choses évoluent de manière plutôt positive en Libye mais la question peut être posée et quon regarde aussi quau Mali, une partie des terroristes qui se trouve là viennent de Libye, il faut prendre des décisions mais réfléchir aussi aux conséquences des décisions. Et donc cette question est légitime. Cest Bachar Al-Assad qui représente le maximum du risque de désordre, de cruauté et quen revanche chaque fois que nous pouvons montrer que lopposition, en sunissant, représente une alternative responsable, nous travaillons dans le bon sens
Cest la raison pour laquelle, lors de la réunion des Amis du peuple syrien qui sest déroulée à Paris, le 6 juillet dernier, ce qui était intéressant ce nest pas seulement quun peu plus de la moitié des pays du monde étaient là avec une cinquantaine de ministres, mais également que nous avions pour la première fois des représentants syriens de lintérieur et de lextérieur qui ont discuté entre eux de manière positive et qui se sont adressés à nous, gouvernements officiels, et que nous avons encouragé à dialoguer avec les Russes et avec les autres. Voilà ce que je peux dire en ce sens.
Q - La France reçoit aujourdhui le président libanais, Michel Sleimane. Récemment, il y a eu une grosse répercussion de la guerre syrienne au Liban ; craignez-vous pour ce pays ? Et quel est votre message adressé au Liban ?
R - Cest un message damitié profonde, de solidarité de soutien. Vous avez à vos côtés mon directeur de Cabinet qui est notre ancien ambassadeur au Liban, M. Denis Pietton. Nous aimons le Liban. Il y a une proximité traditionnelle, renouvelée entre le Liban et la France. Il y a des Français en grand nombre au sein de la FINUL. Nous avons en effet jugé important de contribuer à assurer une force de stabilité au Liban ; en raison notamment des conséquences que pourraient avoir linstabilité à légard dIsraël. Avant les élections, jétais moi-même au Liban où je métais notamment entretenu avec le président et différents responsables. Durant cette période, jai également vu plusieurs fois le Premier ministre, M. Mikati.
Lune des raisons supplémentaires pour lesquelles il faut absolument que la paix revienne en Syrie, cest, évidemment, que ce qui se passe dans ce pays a des conséquences extrêmement négatives sur le Liban ; il y a des réfugiés par dizaines de milliers qui maintenant sont au Nord-Liban, ce qui pose toute une série de problèmes. De plus, cela relance les risques dopposition confessionnelle alors que le Liban - vous le savez mieux que moi - est bâti sur un équilibre toujours fragile.
Nous avons félicité les autorités libanaises davoir refusé, jusquà présent, que le drame syrien soit importé chez elles. Je pense vraiment que cette attitude de sagesse doit continuer à être pratiquée par celles-ci à légard desquelles, comme avec le peuple libanais, je suis extrêmement solidaire.
Q - Vous avez été le ministre de François Mitterrand, à lépoque où la France a payé comptant et très cher le fait de sêtre opposée aux intérêts syriens et iraniens au Liban. Est-ce que cette situation perdure ? Craignez-vous, si le conflit continue, si la guerre civile saggrave, si aucune solution politique nest trouvée rapidement en Syrie, quel que soit le poids du Hezbollah qui apaise les choses au Liban, que la France de nouveau ait à souffrir de sa politique ambitieuse ?
R- Cest vrai que jai eu ce passé commun et très proche avec François Mitterrand. Nous avons vécu ensemble des épisodes extrêmement douloureux, longs, durs. Cest une des raisons pour lesquelles javais émis une protestation extrêmement vigoureuse lorsque le gouvernement français de lépoque avait accueilli en héros M. Bachar Al-Assad, il y a quelques années, car la mémoire est importante en politique. Mais ce risque existe, vous avez tout à fait raison, et cest un peu la contrepartie de la position indépendante et forte de la France dans toute une série de régions du monde.
Ce risque existe au Liban, bien sûr, et ce risque peut exister ailleurs ; je pense au Mali, à lAfghanistan et à dautres régions, mais en posant cette question, vous posez indirectement la question de savoir quest-ce que la diplomatie de la France ? Quelle est sa stratégie ? Je voudrais dire quelques mots. Je suis à la tête de la diplomatie française et celle-ci est au service dun projet. Ce projet a été défini politiquement, cest le redressement de la France et la diplomatie de la France est au service du redressement.
Deuxièmement, quest-ce que la singularité de la France ? La singularité de la France, cest dêtre une puissance dinfluence. Les Anglo-saxons ont lhabitude de parler de « hard power », de « soft power », pour moi, la France cest « influential power », une puissance dinfluence. Et linfluence de la France cest quoi ? Cest un ensemble singulier qui est composé déléments divers : notre siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies ; le fait que nous soyons la cinquième puissance économique du monde ; le fait que nous détenions larme nucléaire : le fait que nous incarnions pour beaucoup de peuples un certain nombre de principes, dont les droits de la personne humaine. Notre langue qui est parlée par plusieurs centaines de millions de gens dans le monde et qui, si nous maintenons, comme je le souhaite, notre présence en Afrique, sera parlée en 2050 par 700 millions de personnes sur le continent africain ; et puis le rayonnement culturel, une certaine image dans le monde. Cest cela, linfluence de la France.
Il y a donc le redressement, la puissance dinfluence, un certain nombre de principes que vous connaissez sur les droits de lHomme, la régulation internationale, la recherche de la paix, le respect des principes du droit international. Et puis, il y a des priorités géographiques - on en parlera - et des priorités thématiques.
Compte tenu de létat très affaibli de notre appareil industriel, la diplomatie française doit se fixer en particulier comme priorité dêtre une diplomatie économique. Toute une série de décisions que je suis en train de préparer vont incarner cette diplomatie économique.
En même temps, lautre priorité, cest le rayonnement éducatif et culturel. Nous avons, à travers le monde, un appareil unique. Il ne sagit certainement pas de le démanteler. Nous avons la chance au Quai dOrsay davoir des collaborateurs de grande qualité, qui se sont sentis malheureux à un certain moment ; je veux mappuyer sur eux.
Le dernier thème, cest la cohérence et le long terme. Lhorizon de la diplomatie, cest le long terme. Bien sûr, il y a des crises à traiter mais lhorizon des diplomates et de la diplomatie, cest lhorizon de la prévisibilité. Il sagit dun thème - beaucoup de journaux lont relevé - que jai souligné auprès de mes interlocuteurs chinois qui y sont sensibles. La prévisibilité est un élément déterminant et décisif. Il faut avoir une vision longue, être cohérent dans ses choix et avoir le sens de lHistoire et de la géographie.
Q - Les troupes participant au contingent de la FINUL seront à lhonneur samedi lors du défilé du 14 juillet. Est-ce à dire que le débat qui se déroulait en coulisse sur la pérennité du mandat de la FINUL a été tranché ? Je me souviens, il y a quelques mois, davoir entendu Gérard Longuet, dire « le mandat de la FINUL ne peut pas se poursuivre indéfiniment », cela est sans doute en soi lexpression de lavis dun certain nombre de [inaudible.]Est-ce que la France va maintenir sa présence au sein de la FINUL ?
R - La réponse est oui.
Q - La diplomatie économique que vous comptez promouvoir est un thème assez récurrent et on a entendu ces dernières années, à plusieurs reprises, limpératif de rapprocher la diplomatie des entreprises, du domaine économique, de faire de lambassadeur un super VRP. Vous reprenez le dossier avec quels moyens dans les conditions où nous nous trouvons ?
R - Si ce thème a été développé dans les années précédentes, tant mieux, il sagira simplement de passer à lacte. La situation actuelle, malheureusement attestée tous les jours, avec 70 milliard deuros de déficit commercial, une industrie qui a reculé, rend cela absolument impérieux.
Ladministration ne remplace pas les entreprises mais peut et doit aider. Parmi ces administrations, celle que je dirige nest évidemment pas la seule à être concernée mais doit apporter sa contribution. Cela tombe bien, parce que ce sont des sujets que je connais très bien ; mon dernier mandat était celui de ministre de lÉconomie et des Finances. De plus, cela correspond à une demande de la part des entrepreneurs eux-mêmes.
Je ne veux pas anticiper sur un plan que je rendrai public dici peu de temps, mais je travaille sur ces questions, avec dautres collègues du gouvernement et je rendrais public un plan de diplomatie économique qui sera complexe et ambitieux.
Q - Dans quelle mesure la question iranienne et des boucliers anti-missiles peut-elle intervenir dans les négociations avec la Russie ? Par ailleurs, sur le sort de lambassadeur syrien en Irak, il a été dit quil serait en route pour Paris ; est-ce que vous le confirmez ?
R - Par rapport à la Russie, la question que vous posez cest : comment convaincre ? Dabord, il y a la conviction dans les discussions, les raisonnements, qui sont des éléments importants de la diplomatie. Les responsables que nous avons en face de nous, quil sagisse des Russes ou des Britanniques, sont comme nous des personnes qui proposent et qui écoutent.
Q - Et M. Lavrov ?
R - M. Lavrov est un homme très compétent qui, certainement, a la confiance de M. Poutine, mais je ne sais pas exactement quelles sont les mécaniques de décision. Jai limpression que M. Poutine, qui est venu dailleurs à Paris il ny a pas très longtemps et avec lequel nous avons discuté de cela, a une certaine influence sur les décisions qui sont prises. Je prends un exemple : je disais, sur un point important, que je reconnaissais comme légitime les interrogations russes sur laprès Bachar Al-Assad. Ce sont des sujets dont nous discutons, bien sûr, avec les Russes et avec les autres.
Concernant lIran, cest une question à la fois liée et différente. Nous sommes en discussions avec les Iraniens, en négociation nette à propos du nucléaire militaire. La configuration nest évidemment pas la même puisquil y a dun côté les Iraniens et, de lautre, un groupe de 5+1, cest-à-dire les cinq membres permanents du Conseil de sécurité dont les Russes et les Chinois, plus les Allemands. Ces discussions durent depuis longtemps, et les 5+1 jusquà présent - ce qui est très important - sont unis. Ce nest donc pas la même configuration que sur la Syrie.
Ces discussions ont connu une série de rebondissements. Quelles sont les positions des uns et des autres ? Dun côté, nous disons : autant lIran, qui est un grand peuple et un grand pays, a droit à un nucléaire civil, autant nous sommes totalement opposés à son accès à larme nucléaire parce que ce serait, dune part, un élément de discrimination et, dautre part, parce que le risque de contagion à dautres pays de la région serait très grand - on peut penser à lArabie Saoudite, à la Turquie et à dautres encore.
Donc, nous disons non au nom même du refus de la dissémination nucléaire. Une part de ces six a pris des sanctions en ce sens ; elles ont commencé de sappliquer de manière uniforme au 1er juillet avec, daprès nos informations, des conséquences assez lourdes.
Du côté iranien, les arguments opposés ne sont absolument pas convaincants. Les Iraniens, à plusieurs reprises, ont dit : « avant de parler du nucléaire militaire, on doit parler de la Syrie ». Nous nacceptons pas, pour les raisons que je vais vous dire dans un instant - quand je dis « nous », ce sont lensemble des membres du groupe 5+1 - dentrer dans ce schéma là. Ensuite, les Iraniens nous disent quil existerait dans les traités internationaux un droit à lenrichissement de luranium qui nexiste absolument pas. Enfin - mais cela, ce nest pas vrai -, à toutes les séances de négociation, ils nous disent : « mais de quoi nous parlez-vous ? Puisque de toutes les manières, lAyatollah « x » ou « y » a dit que ce serait un crime dutiliser larme nucléaire » ; ce qui ne nous paraît pas un élément absolument convaincant.
Dautre part, il faut avoir à lesprit que les Russes avaient fait, il y a de cela un peu plus dun an, une proposition fort intéressante dont vous vous rappelez peut-être : puisque la question était davoir un enrichissement minimum et non pas un enrichissement à 20 ou 30 % - parce que celui-là seulement permettait un accès au nucléaire militaire. Les Russes proposaient que lenrichissement ait lieu chez eux, ce qui pour nous paraissait très intéressant, intelligent, mais les Iraniens ont refusé dexaminer cette proposition.
Nous en sommes là et même sil existe certainement par ailleurs des contacts entre Iraniens et Russes et Iraniens et Chinois, ce pôle que nous constituons tient solidement - et cest très important.
Revenons un instant sur le lien entre laffaire syrienne et laffaire iranienne. Lorsque Kofi Annan nous a demandé de nous réunir à Genève - les cinq membres permanents du Conseil de sécurité -, il aurait souhaité que les Iraniens soient là. Nous-mêmes les Français, ainsi que les Américains, lavons refusé pour une double raison.
Dabord, nous considérons que les questions syrienne et iranienne sont très compliquées et on ne pourra pas résoudre plus facilement une question compliquée parce quon en ajoute une autre.
Deuxièmement, nous ne voulions absolument pas aller dans le sens de léchappatoire proposée par les Iraniens dans les négociations sur le nucléaire militaire, en acceptant de parler de la Syrie, alors que le sujet du nucléaire militaire est un sujet en soi.
Nous avons donc refusé. Kofi Annan, comme cétait normal, a rendu compte aux Iraniens ainsi quà Bachar Al-Assad des conversations et des accords que nous avions passés à Genève. Nous sommes toujours opposés au fait que lon mêle les deux questions parce quil nous semble que rien de bon ne peut en sortir.
Voilà exactement où nous en sommes.
Q - Entre la Syrie et le Mali, il y a lAlgérie où vous allez ce week-end. Comment voyez-vous le rôle de lAlgérie au Mali ? Comment imagine-t-on de pouvoir emboîter une logique ouest-africaine et une logique algérienne dans le traitement du Mali ? Les Algériens de toute évidence préfèrent travailler avec les Américains plutôt quavec les Français dans la région, est-ce que vous allez évoquer cette question ?
R - Je me rends en Algérie ce week-end avec beaucoup de plaisir. Je rencontrerai des autorités algériennes et nous examinerons lensemble des sujets à la fois bilatéraux et régionaux. Évidemment, parmi ces sujets, il y aura la question sahélienne, mais mon voyage a comme objectif une prise de contact avec les autorités algériennes. Et je pense que les choses se passeront fort bien.
Parlons des pays voisins. Cest une affaire extrêmement grave parce que cest la première fois, à ma connaissance, que des terroristes, puisquil sagit bien de cela, se greffent sur des villes importantes et sont peut-être en situation de se greffer sur un État. Et puis, vous avez cette division entre le sud et le nord du Mali.
Quest ce qui se passe ? Au sud, vous avez dabord eu une junte militaire, qui finalement a quitté le pouvoir, et un président, qui a failli être tué et qui actuellement se trouve en France. Il y a à Bamako, un Premier ministre en exercice qui est un homme de qualité, mais certains Africains lui reprochent de ne pas avoir un gouvernement assez élargi. Vous avez surtout, au sud, une crise constitutionnelle, un pays qui est déchiré, sans moyens financiers, sans moyens militaires, qui na plus dintégrité territoriale et qui est donc extrêmement affaibli.
Au nord, vous avez différents éléments mais lélément qui domine, par la force brutale, ce sont les terroristes dAQMI ; la force brutale, des armes et beaucoup dargent, qui vient de trafics en tous genres. Ils sont prêts à mourir et leur ennemi principal est la France. Vous avez aussi le risque - ils ont déjà pris le contrôle dun certain nombre de villes avec des exactions, des viols, des assassinats, des destructions dune série de monuments - et la menace que ce qui se passe au nord du Mali puisse se diffuser dans dautres territoires. Dailleurs il y a une espèce didentification de ces terroristes dans dautres territoires même sils portent dautres noms. Je pense au nord du Nigeria, etc.
Par rapport à cela, les voisins sont menacés parce que ces gens-là sont mobiles, parce que les pays voisins ont souvent des systèmes étatiques qui sont faibles, parce que leurs forces militaires souvent sont assez limitées.
Alors, que peut-on et que doit-on faire là-dedans ?
Dabord, essayer de rétablir la légalité constitutionnelle au sud du Mali. Cest dans ce sens que se déploient les efforts de la CEDEAO, dune part, de lUnion africaine dautre part, appuyés maintenant par la résolution 2056, votée par le Conseil de sécurité des Nations unies à lunanimité, sous chapitre VII le 5 juillet dernier, à la demande de la France. Elle prévoit notamment la formation dun gouvernement inclusif pour que la junte soit définitivement mise hors la loi et pour que les autorités légitimes aient les moyens de fonctionner. Cest plus facile à dire quà faire. Il y a, de plus, on ne peut pas le cacher, un certain nombre de divergences dapproche au sein du continent africain. Il est vrai quil y a peu de jours, une réunion à Ouagadougou devait se pencher sur la formation du gouvernement du Mali mais ni le président ni le Premier ministre nétaient présents.
Ensuite, à partir du moment où la légalité est rétablie - ce qui est nécessaire, ne serait-ce que pour saisir les autorités internationales -, il faut sintéresser à lintégrité territoriale du Mali, il faut sintéresser au nord du pays. Sintéresser au nord du Mali, cela veut dire quà un moment ou un autre, il est probable quil y aura une utilisation de la force, qui est permise par la résolution 2056 qui a été votée et qui sera complétée. Qui doit faire usage de la force ? Les Africains, qui sont en première ligne, avec un possible support international. Avec quelles forces ? Certains de ces pays ont des forces ; je pense au Nigeria et à dautres encore. Sil y a un support international, un soutien, de la formation, cela peut être fait par lUnion européenne qui y est disposée ; cela peut être fait au niveau international, cela peut être fait par tel ou tel pays.
Q - (Inaudible)
R - La France, pour des raisons évidentes, ne peut pas être en première ligne pour intervenir dans ce pays. Cest aux Africains eux-mêmes, dans lapplication du droit international, de le faire.
Q - Pourquoi la France ne peut-elle pas être en première ligne ?
R - Dune part, parce quil y a une règle internationale générale qui est que lorsquil y a un conflit local, cest plutôt des contingents des régions concernées qui doivent intervenir. Dautre part, parce que la France a eu une présence historique et, y compris dans le Sud, daprès ce que nous disent les observateurs, si une intervention avait lieu, elle risquerait peut-être, si elle était menée par des Français, daboutir à leffet inverse. Il risquerait dy avoir une réaction utilisée facilement contre, entre guillemets, le « colonisateur ». Nous pouvons les aider, nous les aidons, mais cest aux Africains de prendre leurs responsabilités avec un support international.
Ces affaires sont extrêmement compliquées. Jai dailleurs envoyé un ambassadeur expérimenté, M. Felix Paganon, notre ancien ambassadeur en Egypte, pour suivre toutes ces questions.
Le président de la République a reçu beaucoup de ces dirigeants africains. Moi-même jen ai vu beaucoup. Je serai dans la région dici quelques jours et il y a une darchitecture densemble à construire. Elle est résumée dans la résolution 2056 - qui est passée un peu inaperçue mais qui est très constructive - adoptée la semaine dernière par les Nations unies. LUnion européenne elle-même a son mot à dire. Jai déjà abordé la question au dernier Conseil des ministres des Affaires étrangères, il y a quelques jours à Luxembourg, et elle sera à nouveau abordée, puisque cette affaire est inscrite à lordre du jour dun prochain Conseil qui aura lieu au mois de juillet à Bruxelles.
Donc laction au Sud, les plans vers le Nord. Les plans militaires, le soutien européen, le soutien international. Cest là ce quil faut faire.
LAlgérie connaît malheureusement les ravages du terrorisme. Pendant des années, elle a souffert du terrorisme sur son territoire et dans la chair des Algériens. En même temps, lAlgérie évite dintervenir dans des conflits extérieurs. Cest une position constante de sa part.
Les Américains ont une influence bien sûr en Algérie, comme partout dans le monde. Nous sommes en discussion avec eux, très confiants. Nous avons des échanges à tous les niveaux, et nous travaillons de manière très convergente sur tous ces sujets.
Voilà où nous en sommes. Mais il ne faut pas simplement penser à lAlgérie, il faut penser à la Mauritanie, il faut penser au Niger, il faut penser au Nigeria, il faut penser au Tchad, il faut penser au Sénégal, il faut penser à la Côte dIvoire, il faut penser au Burkina Faso et quelques autres. Et il faut penser aux organisations africaines : la CEDEAO et lUnion Africaine. Il faut penser aussi à lAfrique du Sud qui, dans toutes les affaires qui concernent le continent africain, a son mot à dire.
Q - Monsieur le Ministre, si cette résolution est passée un peu inaperçue il y a quelques jours, cest quen fait les Américains ne sont pas très pressés dy aller. Finalement, ils sont un peu sur la même ligne que les Algériens, cest-à-dire « on essaie de trouver une solution politique ». Ne sont-ils pas en train de se méprendre et nêtes-vous pas finalement sur une ligne un peu différente ? Nest-ce pas plus que des nuances entre Washington et Alger dun côté, Paris et Niamey de lautre ?
R - Sagissant des Algériens, je ne peux pas vous répondre. Nous aborderons probablement ce sujet pendant mon déplacement. Jaurai une meilleure idée de leur analyse.
Sagissant des Américains, en revanche, nous avons des discussions avec eux. Dune part, les Américains ont une connaissance assez fine de la région et, dautre part, les Américains font confiance aussi à la connaissance que les Français ont traditionnellement de la région. Nous avons des discussions aux Nations unies notamment sur ce sujet. Les choses sont rarement dune clarté évidente ; sinon il serait facile de prendre des décisions. Je pense en tout cas que la raison dêtre de ce que nous appelons les terroristes - je nidentifie pas les terroristes au mouvement touareg en général mais AQMI pour lappeler par son nom - ne permet pas quil y ait daccord politique. Leur objet, cest notre destruction. Alors, bien évidemment, il faut essayer, quand on a un front un peu large autour de soi, de diversifier, de séparer ce qui peut être séparé, mais il ne faut pas non plus se faire dillusion.
Q - Vous avez dit que le principal ennemi était la France, mais vous navez pas mentionné un détail important, cest que nous avons encore quand même je crois six otages. Avez-vous des nouvelles ? Que peut-on dire à leur sujet ?
R - Jai reçu leurs familles il y a quelque temps. Nous sommes en transparence avec les familles qui sont évidemment dans une situation extrêmement difficile ; ces personnes qui sont au nombre de six sont détenues depuis 21 mois pour certaines. Nous sommes en contact permanent avec elles.
Q - Il y a des négociations, il y a des contacts ? Des éléments dinformations sur eux ?
R - Nous avons toute raison de penser quils sont en vie, oui.
Q - Ensemble ?
R - Non.
Q - Seriez-vous favorable, à loccasion du retour des troupes françaises dAfghanistan, à un redéploiement dune partie des troupes dans la zone ?
R - Non, les choses ne se présentent pas ainsi. Les troupes dAfghanistan ont commencé dêtre rapatriées puisque nous avons déjà rapatrié plusieurs centaines dhommes.
Le deuxième élément de rapatriement, comme la indiqué mon collègue et ami Jean-Yves Le Drian, aura lieu à partir du mois doctobre parce quil faut des conditions climatiques qui le permettent. Toutes ces troupes vont revenir chez nous, mais il nest pas prévu une installation, durable ou pas, dans cette zone-là. Non, il faut revenir en France.
Sil y a un conflit qui les mobilise, toujours sur une base dune résolution internationale, ces troupes seront bien sûr disponibles.
Je voudrais dire dailleurs un chiffre quil faut que vous ayez à lesprit parce quil est important : nous avons eu, à la période de notre présence la plus élevée, 4.000 hommes sur place. Mais comme ces troupes se relèvent, ce sont 60.000 militaires qui sont passés en Afghanistan, ce qui est un chiffre considérable.
Et, du même coup - Jean-Yves Le Drian disait cela et je crois quil a tout a fait raison -, au-delà du rapatriement de tous ces hommes qui se sont conduits de façon tout à fait courageuse et admirable, il y a aussi une question qui va se poser aux armées. Quand vous avez eu 60.000 hommes qui sont passés sur une zone de combats, il faut que nous répondions à cette question : comment redonner une mission précise à ces hommes qui ont été dans des situations très difficiles pour quils sachent quils continuent dêtre essentiels au service de la Nation ? Je me situe là non pas du point de vue de leur déploiement ou non, au jour le jour, mais je dirais du point de vue même de la démarche politique avec un grand P, de ce que lon attend de ces hommes qui ont eu une mission et lont accomplie avec un courage et un dévouement admirables.
Mais non, il nest pas prévu quil y ait dinstallation dans ces zones.
Q - Comment pensez-vous apporter votre touche à cette diplomatie dinfluence ? Quelles différences avec vos prédécesseurs ? Quest-ce qui ferait que lon pourrait se souvenir du passage de Laurent Fabius au Quai dOrsay ? Sur quel dossier vous espérez pouvoir marquer les événements, est-ce possible ? Quelle est votre ambition dans ce domaine ?
R - Je ne me pose pas la question : « Quallons-nous faire de différent de nos prédécesseurs ? ». La question que nous nous posons, avec le gouvernement et le président de la République, que je me pose et à laquelle jessaie de répondre, cest la suivante : que faut-il faire pour la France ? À partir de là, nous essayons dapporter des réponses, et on peut dire quil y a des éléments de ressemblance, il y a des éléments de différence avec les prédécesseurs.
Déjà tout à lheure quand je vous ai cité quelques thèmes clef, vous jugerez si oui ou non, jai fait la même chose que mes prédécesseurs. Priorité au redressement, pouvoir dinfluence, long terme et continuité ce sont des éléments essentiels. Diplomatie économique, rayonnement culturel, appui sur les professionnels, également.
Après, pour être très concret, prenons les continents.
LAfrique : à coup sûr, ma bible nest pas le discours de Dakar. Je considère que lAfrique est un continent du futur. Je considère que nous devons avoir un partenariat dégal à égal avec les Africains. Je considère, et jessaierai de traduire cela dans les faits, quun certain nombre de pratiques sont terminées.
LUnion pour la Méditerranée. Autant lidée euro-Méditerranée est une idée riche, autant lUpM appuyée sur M. Ben Ali et M. Moubarak, ce nétait pas dune clairvoyance particulière. Donc il y aura des différences.
Q - Vous disiez que cétait une idée intéressante mais qui ne débouche pas. Ça, cétait lan dernier.
R - Oui mais à lépoque jétais mesuré.
En ce qui concerne les États-Unis : allié mais pas aligné. Excellente relation avec M.Obama sagissant du président de la République, ce nest pas un handicap insurmontable dêtre sympathique et de tenir ses engagements. Jai pu être le témoin des premiers contacts entre le président de la République et à la fois M. Obama, M. Erdogan, M. Poutine. Il y a un contact qui passe mais qui est assez durable.
Concernant lAsie et le Japon, il ne faut pas oublier que cest la troisième puissance économique du monde. Jai limpression que cela avait été un peu oublié. La Chine, il faut le long terme et la stabilité. Ce nest pas la peine daller faire des proclamations pour, ensuite, passer sous la table. Donc cela fait quelques différences.
LAfghanistan, ce nest pas la même chose de dire « on va partir en 2014 » ou de le faire effectivement en 2012.
LEurope, on nen a pas encore parlé.
Q - Cela vous étonne que lon nen ait pas encore parlé ?
R - Cela dépend de vous. On a essayé, je pense que lon a commencé à faire bouger les choses, de montrer quil fallait du sérieux budgétaire.
Le sérieux budgétaire, ce nest pas une proclamation. Si vous dites « je veux être, je suis lincarnation du sérieux budgétaire » mais si vous avez 100 milliards de déficit, si vous dites « cest mal dêtre endetté » et daugmenter lendettement de 600 milliard en cinq ans, enfin on pourrait continuer
Sur la croissance, il y a des choses qui se font même si elles sont insuffisantes. La taxe sur les transactions financières va se faire.
Le rapport avec lAllemagne : oui, le rapport avec lAllemagne, lamitié franco-allemande cest fondamental, cest central, mais jajoute des adjectifs : il faut en même temps que ce soit égal et que ce soit partenarial. Cest central, lAllemagne et la France, les deux font 50 % du PIB européen, cest une tradition, tout ce qui est important en Europe est largement [incompréhensible] franco-allemand. Parfait. Mais il faut que ce soit sur une base égale et partenariale, sinon cela ne fonctionne pas. LItalie existe, LEspagne existe, la BCE existe, le Parlement européen existe. Ce qui ne semble pas toujours être la pratique.
Je ne vais donc pas me poser la question : est-ce que cest différent ou pas différent des prédécesseurs ? Je vous dis : voilà ce quil faut faire et vous qui êtes de bons observateurs, eh bien vous en tirerez les conséquences. Mon prédécesseur immédiat, je parle du ministre des Affaires étrangères, était un homme pour lequel jai beaucoup destime, même si je ne partage pas son opinion politique, mais il y a des différences évidentes entre les uns et les autres. Je mappuierai bien-sûr sur ce ministère, je ne sais pas combien de temps je le dirigerai mais je pense que, comme chaque grand ministère que jai dirigé, ce sera un moment où ceux qui le servent auront eu limpression dêtre utiles.
Q - Savez-vous où se trouve le Général Tlass ? Quel pays pourrait accueillir Bachar Al-Assad ?
R - Pour M. Tlass, ne faisons pas de politique-fiction, je nen sais rien. On verra si cela doit venir.
Quant à la question de quel pays pourrait accueillir M. Al-Assad, il y a des pays probablement dans lesquels il pourrait être accueilli. En tout cas, ce nest pas la France. Il y a des pays, sûrement. Je ne crois pas que ce soit lobstacle principal et je ne sais pas lequel de mes interlocuteurs me disait lautre jour que dailleurs ceci lui avait été déjà dit de manière directe par quelquun de responsable qui nest pas un Français.
Q - Vous avez parlé de linventaire des différences et de la continuité et vous navez pas évoqué la Turquie. Vous trouvez-vous dans la continuité ou dans la différence ? Et est-ce que ce nest pas une continuité dans la dichotomie de positions entre M. Hollande et vous-même sur la loi ?
R - Je vais vous répondre sur la Turquie. Le premier contact personnel quil y a eu entre les dirigeants turcs et les dirigeants français était très bon. Jen ai été le témoin et lacteur. Il y a eu un contact entre M. Hollande et le président turc M. Gül, et un autre contact entre François Hollande et le Premier ministre M. Erdogan. Ces contacts ont été très bons.
La Turquie est un grand pays qui joue un rôle important dans la région, on le sait. Et moi-même jai reçu mon collègue ministre des Affaires étrangères, que je vois dailleurs dans toute une série de circonstances, et les choses se sont bien passées.
À lissue du premier contact qui a eu lieu entre M. Erdogan et François Hollande, les sanctions de la Turquie à légard de la France ont été levées. Nous avons parlé avec ces responsables et mon collègue de toute une série de sujets de politique internationale, du développement des relations économiques, culturelles et autres.
Il est venu aussi dans la discussion, récemment dailleurs, cette question de la loi française puisque vous savez quune loi a été adoptée, il y a un an ou deux, qui réprime pénalement ceux qui nient - cest lexpression le génocide arménien. La loi a été déferrée par des parlementaires au Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel a estimé quelle était contraire à la Constitution. François Hollande a pris un engagement dans sa campagne présidentielle, il a répété quil tiendrait cet engagement. Simplement, le gouvernement est en train de travailler sur les questions juridiques, le « comment », puisque, évidemment, si on reprend exactement le même chemin pour aller à la même loi, les mêmes causes produiront les mêmes effets et cela ne le permettra pas. Voilà où nous en sommes.
Il ny a pas de différence dapproche entre tel et tel. Ce qui ma frappé, cest que, dans la discussion avec mon homologue turc, lorsque nous avons abordé ce sujet, il y a une volonté de trouver des solutions et en particulier - parce que cest aussi très important dans cette affaire - darriver à un rapprochement entre la Turquie et lArménie. De ce point de vue-là, je vous rappelle que la France est co-présidente du Groupe de Minsk et quil y a un travail utile à faire en ce sens. Mais bien sûr, je souhaite, comme le président de la République, que nous puissions bien travailler avec la Turquie comme avec lArménie.
Q - Je voulais revenir à lEurope. Pensez-vous, pour vraiment aboutir à des solutions, avoir une zone euro stable et redonner définitivement confiance aux marchés, quil faut prévoir des nouveaux transferts de souveraineté ? Est-ce la solution à terme, avoir une véritable architecture (incompréhensible) européenne ?
R - Cest un débat. Quand nous avons fait leuro, et jen ai été un des co-créateurs, beaucoup dentre nous avaient déjà le sentiment que si lon faisait une monnaie unique, il faudrait aller vers une politique économique unique, une harmonisation budgétaire, fiscale et donc des rapprochements politiques. Je ne parle pas dabandon de souveraineté ou de transfert, je parle plutôt de partage de souveraineté qui souvent dailleurs aboutit à une reconquête de la souveraineté par partage, cest cela la réalité.
Pour mille raisons pendant toute une période les questions nont pas été posées. Elles ont été posées mais en termes théoriques au moment de la discussion sur le Traité constitutionnel en 2005. Même si les choses sont derrières nous, cest très intéressant, je me suis reporté dailleurs à un certain nombre de choses qui avaient été dites et écrites à lépoque - y compris par moi, la position que javais prise et, au fond, on retrouve aujourdhui beaucoup des sujets qui avaient été abordés : les questions posées sur lunanimité ou pas ; les questions posées sur le rôle de la Banque centrale ; les questions posées sur la solidarité.
Il ne faut jamais se citer soi-même parce que cela prouve que lon atteint un grand âge, mais dans un petit bouquin que javais écrit à lépoque, « Une certaine idée de lEurope », javais dit, dans lintroduction, que lEurope posait trois problèmes : la question du nombre, la question de la solidarité, la question de la puissance. Pourquoi ne souhaitais-je pas à lépoque adopter ce Traité ? Parce que je pensais quil ne répondait à aucune de ces trois questions. Les choses sont derrière nous.
Depuis, il y a eu une série déléments et les socialistes, de façon bienheureuse, ceux qui étaient pro-européens, quils soient du « oui » ou du « non », se sont rapprochés.
Le problème, ce ne sont pas les socialistes français, ce sont les problèmes objectifs. On a beaucoup tardé à traiter ces questions, en particulier celle de la Grèce. On a agi, lexpression est souvent utilisée, elle est juste, « trop peu, trop tard ». Ce qui fait quun problème qui, au départ, était tout à fait circonscrit - la Grèce, cest un peu plus de 2 % du PIB européen - et qui, pour être résolu, aurait coûté entre 3 et 5 milliards, aujourdhui coûte 270 milliards deuros.
Léconomie, cest un peu comme la justice, cela fait « tic-tac tic-tac » et on croit que lon va mettre les problèmes sous la table, mais on ne met pas des problèmes sous la table, il faut les résoudre.
Finalement, on a pris un certain nombre de solutions qui étaient provisoires. Il y a eu, il y a quelques jours, le Conseil des 28 et 29 juin qui lui, je pense, a été beaucoup plus positif parce quil a pris des décisions qui, elles, sont fortes et qui, sur plusieurs sujets, sont importantes ; sur la croissance bien sûr, mais aussi sur la Banque européenne dinvestissements, sur la possibilité de ne pas passer par les États pour recapitaliser les banques. Dès lors que ces décisions sont appliquées, elles permettent de résoudre un certain nombre de questions qui concernent à la fois la Grèce, lIrlande, lItalie, lEspagne.
La difficulté, cest quil faut, lorsquon prend des décisions, quelles soient très rapidement appliquées et quon ne reprenne pas ce qui avait été décidé. Doù limportance que nos collègues ministres des Finances de la zone euro appliquent vite ces décisions. Ils ont commencé mais cela prend un peu de temps.
Il y a eu plusieurs éléments de discussion dans la réunion du 28 et 29 à laquelle je nétais pas, mais François Hollande ma rapporté que lorsque lon a discuté du rapport Van Rompuy et, donc, de ce que lon allait faire pour le futur. Est-ce que lon allait faire de la coopération renforcée ? Est-ce que lon allait faire cela à 17 ? Est-ce que lon allait faire cela à 27 ? Quest-ce que cest que le partage ? Quid des compétences ? Quid de la solidarité ? La discussion na pas été longue mais les gens nétaient pas daccord et selon des clivages qui ne sont pas ceux auxquels on est habitué.
Donc, pour répondre à votre question, que faut-il faire ?
1) Sur le plan strictement économique, et financier, appliquer rapidement les décisions qui ont été prises entre le 28 et le 29 juin.
2) sur le plan de la prévision à long terme de larchitecture européenne, M. Van Rompuy doit remettre un rapport détape au mois doctobre, puis il y a le rapport définitif au mois de décembre. La position de la France sera - comme on saura y travailler - de donner un contenu à ce que le président de la République a appelé lintégration solidaire. Nous remettrons donc un papier qui est notre façon de voir les choses.
Je me sens dautant plus à laise que cette question de lEurope à plusieurs vitesses - à plus ou moins long terme -, moi-même et dautres lavons abordée il y a pas mal dannées, quitte à nous faire rabrouer, mais qui correspond à la vérité, pas facile à construire, parce quil y a des moments où on peut dire telles choses à 9, telles choses à 17, telles choses à 27. Mais en même temps, il faut une architecture institutionnelle et démocratique qui soit quand même praticable, qui ne soit pas un casse-tête.
Vous vous rappelez la fameuse phrase de Kissinger, « lEurope, quel numéro de téléphone ? ». Aujourdhui, on peut dire, daccord, il y a un téléphone, enfin il y en a plusieurs, mais il faut aussi avoir quelque chose à répondre. Cest donc ce travail que lEurope entière va faire sur la base du rapport de M. Van Rompuy. Et nous, les Français, nous allons contribuer. Dailleurs, je relève, peut-être avons-nous mal communiqué, ou peut-être est-ce une erreur de perception, nous ne sommes pas moins pro-européens ou intégrateurs que dautres, pas du tout ; simplement nous voulons, en face de chaque partage de souveraineté, quil y ait la précision sur la compétence qui est partagée, quil y ait la solidarité à laquelle elle correspond et quil y ait le contrôle démocratique qui peut sy appliquer. Donc, cest cela quil faut construire parce que sinon, on est dans lempire céleste (?). Voilà le travail tout à fait passionnant qui est devant nous et que nous allons faire dans les trois ou quatre mois qui viennent.
Q - On vient dapprendre que la mort de Yasser Arafat est suspecte. Il était en France quand il est décédé. Quelle est la position de la diplomatie française face à cette grande émotion dans le monde arabe ? Et une question qui na rien à voir, mais que je pose aussi dans la foulée, vous avez dit, je crois, que les conditions de la sécurité dIsraël ne sont plus assurées, ( inaudible ) mais tout de même je voudrais poser cette question des conditions de la sécurité dIsraël, et donc sur ces deux aspects quelle est la position de la diplomatie française ?
R - Je crois quil y a une enquête qui va être faite, daprès ce que jai vu, enfin en tout cas, cest Mahmoud Abbas qui a dit quil y était favorable. Les autorités palestiniennes décideront ce qui peut être fait, mais je nai absolument aucun commentaire à faire.
Maintenant, pour répondre à votre autre question, non je nai pas du tout employé ce terme mais je crois comprendre ce à quoi vous faites référence. Dans linterview on ma posé une question sur le processus de paix et jai dit quil était important davancer sur la question israélo-palestinienne parce quelle est quand même la mère de beaucoup de conflits et quil en va de lintérêt à la fois de la région et du monde.
Ayant vu récemment à plusieurs reprises Mahmoud Abbas, jajoute que jai le sentiment, le connaissant depuis longtemps, que cest un homme qui peut avancer, qui nest pas partisan du tout ou rien et quil y a donc un espace pour la discussion de ce côté.
Du côté israélien, je constate que M. Netanyahu a une position politique très forte. Dailleurs, nous avons dexcellentes relations avec Israël. M. Netanyahu nous a envoyé récemment plusieurs de ses ministres et de ses collaborateurs, pour parler vraiment complètement en confiance, ce que japprécie. Mais cest quand on est en position de force que lon peut discuter, quon doit discuter.
Pour revenir à la phrase à laquelle vous faisiez allusion, jai noté que pendant tout le début des révolutions arabes, nous navons heureusement jamais vu la rue arabe prendre Israël comme son objectif. Et je disais - ce nest pas du tout une menace - que ce serait catastrophique - je ne sais pas plus que vous comment vont évoluer les révolutions arabes, probablement avec des hauts et des bas - et que cela me paraîtrait très dangereux si, à un moment donné, dans une situation économique très difficile, tel ou tel de ces pays arabes sen prenait à Israël.
Cest une des raisons supplémentaires pour lesquelles je pense que les Palestiniens étant à mon sens prêts à discuter, et M. Netanyahu étant en position de force, cest le moment où il faut avancer. Il y a des propositions qui ont été faites, qui concernent à la fois les prisonniers, les armes, etc. Il y a dautre part léchéance de lAssemblée générale des Nations unies. Il y a des élections américaines. Il faut dès maintenant avancer de façon suffisante pour que chacun comprenne quil y a de part et dautre un désir de débloquer ce problème très important. Voilà ce que javais à expliquer.
Q - Une question sur le Qatar, le lien est ancien mais il a été très fortement accentué sous Nicolas Sarkozy, êtes-vous là dans la continuité ou pas ?
R - Nous avons des relations excellentes avec le Qatar. Les dirigeants de ce pays sont fréquemment en France, ils y ont des intérêts. Dautre part, le Qatar intervient beaucoup dans les affaires régionales. Voilà où nous en sommes, donc nos relations sont bonnes.
Q - Juste une petite question sur lIran. Redoutez-vous quIsraël aille bombarder les sites dune des centrales nucléaires et que peut faire la France dans cette éventualité pour les empêcher ?
R - Jai parlé tout à lheure assez longuement de la négociation sur le nucléaire militaire iranien. Javais abordé cette question lorsque je métais rendu en Israël au moment de la campagne présidentielle pour présenter François Hollande. Nous avons dit - et je le répète - que le déclenchement dun conflit de cette sorte dans la région serait catastrophique, je pense que tout le monde le comprend.
Q - Allez-vous conseiller à François Hollande de se rendre au Sommet de la Francophonie en RDC, eu égard à ce que vous dites sur la mission diplomatique (inaudible) ?
R - Le sommet est prévu pour octobre en RDC. Les conditions évidemment sont complexes, difficiles. LÉlysée na pas encore fait connaître sa décision. Je pense que le président de la République souhaiterait pouvoir sy rendre mais il faut aussi que les conditions soient remplies.
Q - Pensez-vous comme ceux qui pensent que le dénouement de la crise syrienne ne verra le jour quaprès les élections américaines ? Vous êtes daccord avec cette analyse ?
R - Non, je nétablis pas de relation entre une chose et une autre et, en tout cas, pour les pauvres Syriens qui sont massacrés chaque jour, ce nest pas une corrélation quon a le droit détablir.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 juillet 2012
R - Si le Herald Tribune ne sait pas où il est, comment voulez-vous que je le sache !
Sur la Syrie et la Russie, dabord on constate que les massacres se poursuivent. M. Bachar Al-Assad continue dexercer son mandat coupable. Il y a toute une série de démarches diplomatiques dans lesquelles la France est bien présente. Il y a des conséquences graves à la fois en Syrie et dans plusieurs pays circum-voisins. Ce sont donc des situations évidemment très dramatiques.
À travers les déplacements et les entretiens du président de la République, la Syrie, le Mali, lIran, lAfghanistan et les questions européennes sont les principaux sujets qui mobilisent actuellement toute notre attention.
Concernant les Russes, la question est : quest-ce qui explique la position russe ? Pour essayer de conduire une négociation, voire de faire bouger - comme cest souhaitable - les États que lon a en face de soi, il faut essayer de comprendre. Je pense quil y a, sans les hiérarchiser, quatre ou cinq raisons qui sont dites ou implicites dans la stratégie russe.
Premier élément, le précédent libyen, nos interlocuteurs russes disent « dans laffaire libyenne, il y a eu une décision internationale et, finalement, vous êtes intervenus dune façon différente de ce que vous aviez dit et nous ne voulons pas que cela se répète. Et, donc, nous sommes amenés à nous opposer à un certain nombre de résolutions. ».
Deuxième élément - et, encore une fois, sans hiérarchiser : « Nous, Russes, nous avons des intérêts partout ; nous avons des intérêts légitimes en Syrie et dans la région et il ny a pas de raison que nous les abandonnions ».
Troisième élément, et cest celui qui revient le plus souvent et qui rapproche, sur ce point, la position russe et la position chinoise : « Nous sommes opposés à toute ingérence dans les affaires intérieures. Il sagit dune affaire intérieure et, donc, nous refusons quil y ait une ingérence ».
Quatrième élément : « M. Bachar Al-Assad est là, nous voyons bien tout ce qui se passe mais si nous admettons par avance quil quitte le pouvoir, qui va prendre la succession ? Et est-ce que ceux qui vont le remplacer ne seront pas des éléments de risque de désordres et de terrorisme ? »
Voilà quelques éléments que lon entend lorsque lon discute avec les Russes.
Beaucoup de ces arguments nont pas de valeur. En particulier, il y en a un qui nous paraît dénué de toute valeur, cest lorsque les Russes comme les Chinois disent quil sagit dune affaire intérieure. Non seulement parce quà notre sens, on assiste à des actions qui, intérieures ou pas, sont inadmissibles, mais parce que, en plus, cette affaire est devenue une affaire régionale et internationale ; regardez ce qui se passe au Liban, en Irak et en Jordanie et ce qui peut se passer en Turquie. Beaucoup déléments de notre discussion portent là-dessus. Vous ne pouvez pas invoquer la non-ingérence dans les affaires intérieures puisque cest devenu une affaire régionale et internationale.
Lautre élément sur lequel portent nos discussions, cest sur cette notion de désordre. Nous disons aux Russes : « nous comprenons tout à fait votre argument : si M. Bachar Al-Assad sen va, qui est-ce qui le remplace ? Cest la raison pour laquelle nous observons avec intérêt les mouvements de rapprochement qui sopèrent au sein de lopposition, qui sont réels. Mais vous ne pouvez pas nous dire quaujourdhui cest lordre, et que demain ce sera le désordre, car il ny a pas plus grand, plus grave et plus dramatique désordre que M. Bachar Al-Assad qui, étant là et continuant à exercer une répression implacable, va aboutir à une guerre confessionnelle et à la montée du terrorisme. Donc, si on se place du point de vue des discussions sérieuses, les points de différence portent là-dessus.
Est-ce que les Russes ont bougé ou nont pas bougé ? La réponse est quand même plus nuancée que ce que lon dit dhabitude. Parce que, autant les Russes, ont refusé de voter un certain nombre de résolutions des Nations-unies, autant on na pas assez remarqué ce qui sest passé il y a une quinzaine de jours à Genève lorsquà la demande de Kofi Annan, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus quelques autres pays de la région se sont réunis et ont adopté à lunanimité un texte. Ce texte a donné ensuite lieu à des interprétations différentes mais quand on le lit avec honnêteté, il ny a pas quune interprétation possible.
Laccord de Genève qui, à la fois, endosse le plan en six points de M. Kofi Annan et définit également les principes de la transition politique prévoit que lautorité de transition (« governing body ») détiendra le pouvoir exécutif, or que je sache aujourdhui, cest M. Bachar Al-Assad qui détient le pouvoir exécutif. Donc si cest une autre autorité qui détient le pouvoir exécutif, cela veut dire que ce nest plus M. Bachar Al-Assad, et cela veut dire aussi que ce « governing body » sera constitué par consentement mutuel avec des personnalités qui favoriseront un « neutral environment », ce nest pas la définition que lon peut donner de M.Bachar Al-Assad.
Pour le moment, il est tout à fait exact que le Russes ne se sont pas encore rendus à nos arguments. Il y a des éléments qui contribuent à les faire bouger. En particulier, M. Poutine a fait une tournée récemment au Proche-Orient et je sais que, évoquant la situation à la fois avec les Israéliens et avec toute une série de dirigeants arabes, les Russes ne peuvent pas ne pas être frappés par le fait que les dirigeants de beaucoup de pays arabes sont opposés à Bachar Al-Assad et à son régime et craignent les conséquences régionales de la crise syrienne. Et puis les Russes sont aussi certainement sensibles au fait que lopposition est en train de se rassembler même sil y a encore des difficultés. Le président du Conseil national syrien était hier ou avant-hier à Moscou. Il reste encore beaucoup de chemin à faire et puis les Russes ne sont pas aveugles, ils voient bien les défections, hier celle dun dirigeant de la garde républicaine de Bachar Al-Assad, aujourdhui celle de lambassadeur de Syrie en Irak. Enfin, là on est au cur du régime.
Nous continuons à discuter avec les Russes parce que nous pensons quévidemment cest une puissance qui a une grande influence dans ce conflit. Dailleurs, les choses risquent encore dêtre relancées dans les jours qui viennent ; M. Kofi Annan sexprime devant le Conseil de sécurité ; il va y avoir probablement des résolutions qui vont être déposées. Les Russes veulent déposer une résolution en vue du prolongement de la MISNUS, mais si elle na pas de mandat supplémentaire, je ne vois pas pourquoi elle arriverait à un résultat différent de celui de la veille. Nous allons proposer vraisemblablement - cest en train dêtre discuté - une résolution qui reprend à la fois le plan Kofi Annan, qui, avait été accepté, et le plan de Genève qui a été également accepté à lunanimité. À ce moment-là, la question est de savoir si les Russes, et les autres, refuseront ou accepteront dendosser un plan quils ont par ailleurs voté.
On dira que ce sont des arguties diplomatiques, or la diplomatie cest dabord ce qui se passe sur le terrain. Cest vrai que notre immense inquiétude cest quà la fois les massacres continuent ; que lopposition confessionnelle est de plus en plus en plus forte ; quil y a des indications selon lesquelles la montée déléments terroristes est à redouter et que tout cela a un effet déstabilisateur dans une région qui na pas besoin de déstabilisation. Voilà, je serai beaucoup plus court jespère sur les autres questions.
Q - Juste pour compléter puisque vous revenez de Chine : est-ce que les Chinois sont vraiment calés sur la position russe ou est-ce que vous avez senti quil pouvait y avoir éventuellement une ligne un petit peu plus nuancée ?
R - Dans les discussions que nous avons à la fois aux Nations unies, à Genève où les Chinois étaient présents et en Chine, ce sont surtout les Russes avec lesquels nous avons à faire et qui sont sur le devant de la scène. Les Chinois ne se mettent pas particulièrement en avant sur le plan diplomatique.
Les trois arguments qui reviennent dans la bouche des nos amis chinois sont : premièrement, pas dingérence dans les affaires intérieures, cest un principe de leur diplomatie ; deuxièmement, pas de sanctions de manière générale, car ils y sont opposées ; et troisièmement, largument selon lequel il faut éviter de créer des situations de désordre.
Les autres éléments qui peuvent jouer sur les Russes, on ne les entend pas dans la bouche des représentants chinois. Sur lingérence dans les affaires intérieures, jai défendu la thèse que cela ne relevait plus des affaires strictement intérieures.
Sur lautre aspect, le refus des sanctions, il sagit là dune position de principe quont les Chinois mais que nous ne partageons pas. Notamment, les Chinois adoptent cette position dans une autre discussion, dont nous parlerons peut-être : le dossier nucléaire iranien où ils continuent dacheter du pétrole iranien en quantité importante alors que nous avons pris des sanctions. Mais cest surtout la question de la non-ingérence qui est mise en avant par les Chinois.
Vis-à-vis des Russes et des Chinois, il y a un autre argument que nous avançons et que nous avons mis sur la table, sinon nous navancerions pas, cest à propos des ventes darmes, du refus dacceptation dune intervention militaire.
Souvent, nos interlocuteurs nous disent : « admettons, mais, de toute façon, M. Bachar Al-Assad ne partira pas sil ny a pas dintervention, et nous ne voulons pas dintervention. Telle nest pas notre position ». Nous pensons que si les Russes et les Chinois se désolidarisaient explicitement de Bachar Al-Assad, le régime, très vraisemblablement, tomberait sans quil soit besoin dintervention directe, et compte tenu en plus de la force grandissante de la résistance.
Q - Sur le général Manaf Tlass, que pensez-vous des analyses qui sont faites au fond sur ce personnage qui a été au cur du régime, qui est un militaire, qui serait propre à rassurer les Russes, dont vous avez rappelé quils ont accepté à Genève le principe dune autorité de transition ?
R - Ce que je sais dans une affaire où je ne sais rien cest quil y a une proximité entre le général et une partie significative de lopposition et des contacts,- daprès des informations que je nai pas- ont été pris en ce sens. Mais dune manière générale nous favorisons tout ce qui est regroupement de lopposition, parce que jadmets tout à fait la légitimité de la question posée par les Russes : que se passe-t-il après M. Bachar Al-Assad ?
Question absolument légitime, après tout lorsquil semble- il faut rester prudent- que les choses évoluent de manière plutôt positive en Libye mais la question peut être posée et quon regarde aussi quau Mali, une partie des terroristes qui se trouve là viennent de Libye, il faut prendre des décisions mais réfléchir aussi aux conséquences des décisions. Et donc cette question est légitime. Cest Bachar Al-Assad qui représente le maximum du risque de désordre, de cruauté et quen revanche chaque fois que nous pouvons montrer que lopposition, en sunissant, représente une alternative responsable, nous travaillons dans le bon sens
Cest la raison pour laquelle, lors de la réunion des Amis du peuple syrien qui sest déroulée à Paris, le 6 juillet dernier, ce qui était intéressant ce nest pas seulement quun peu plus de la moitié des pays du monde étaient là avec une cinquantaine de ministres, mais également que nous avions pour la première fois des représentants syriens de lintérieur et de lextérieur qui ont discuté entre eux de manière positive et qui se sont adressés à nous, gouvernements officiels, et que nous avons encouragé à dialoguer avec les Russes et avec les autres. Voilà ce que je peux dire en ce sens.
Q - La France reçoit aujourdhui le président libanais, Michel Sleimane. Récemment, il y a eu une grosse répercussion de la guerre syrienne au Liban ; craignez-vous pour ce pays ? Et quel est votre message adressé au Liban ?
R - Cest un message damitié profonde, de solidarité de soutien. Vous avez à vos côtés mon directeur de Cabinet qui est notre ancien ambassadeur au Liban, M. Denis Pietton. Nous aimons le Liban. Il y a une proximité traditionnelle, renouvelée entre le Liban et la France. Il y a des Français en grand nombre au sein de la FINUL. Nous avons en effet jugé important de contribuer à assurer une force de stabilité au Liban ; en raison notamment des conséquences que pourraient avoir linstabilité à légard dIsraël. Avant les élections, jétais moi-même au Liban où je métais notamment entretenu avec le président et différents responsables. Durant cette période, jai également vu plusieurs fois le Premier ministre, M. Mikati.
Lune des raisons supplémentaires pour lesquelles il faut absolument que la paix revienne en Syrie, cest, évidemment, que ce qui se passe dans ce pays a des conséquences extrêmement négatives sur le Liban ; il y a des réfugiés par dizaines de milliers qui maintenant sont au Nord-Liban, ce qui pose toute une série de problèmes. De plus, cela relance les risques dopposition confessionnelle alors que le Liban - vous le savez mieux que moi - est bâti sur un équilibre toujours fragile.
Nous avons félicité les autorités libanaises davoir refusé, jusquà présent, que le drame syrien soit importé chez elles. Je pense vraiment que cette attitude de sagesse doit continuer à être pratiquée par celles-ci à légard desquelles, comme avec le peuple libanais, je suis extrêmement solidaire.
Q - Vous avez été le ministre de François Mitterrand, à lépoque où la France a payé comptant et très cher le fait de sêtre opposée aux intérêts syriens et iraniens au Liban. Est-ce que cette situation perdure ? Craignez-vous, si le conflit continue, si la guerre civile saggrave, si aucune solution politique nest trouvée rapidement en Syrie, quel que soit le poids du Hezbollah qui apaise les choses au Liban, que la France de nouveau ait à souffrir de sa politique ambitieuse ?
R- Cest vrai que jai eu ce passé commun et très proche avec François Mitterrand. Nous avons vécu ensemble des épisodes extrêmement douloureux, longs, durs. Cest une des raisons pour lesquelles javais émis une protestation extrêmement vigoureuse lorsque le gouvernement français de lépoque avait accueilli en héros M. Bachar Al-Assad, il y a quelques années, car la mémoire est importante en politique. Mais ce risque existe, vous avez tout à fait raison, et cest un peu la contrepartie de la position indépendante et forte de la France dans toute une série de régions du monde.
Ce risque existe au Liban, bien sûr, et ce risque peut exister ailleurs ; je pense au Mali, à lAfghanistan et à dautres régions, mais en posant cette question, vous posez indirectement la question de savoir quest-ce que la diplomatie de la France ? Quelle est sa stratégie ? Je voudrais dire quelques mots. Je suis à la tête de la diplomatie française et celle-ci est au service dun projet. Ce projet a été défini politiquement, cest le redressement de la France et la diplomatie de la France est au service du redressement.
Deuxièmement, quest-ce que la singularité de la France ? La singularité de la France, cest dêtre une puissance dinfluence. Les Anglo-saxons ont lhabitude de parler de « hard power », de « soft power », pour moi, la France cest « influential power », une puissance dinfluence. Et linfluence de la France cest quoi ? Cest un ensemble singulier qui est composé déléments divers : notre siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies ; le fait que nous soyons la cinquième puissance économique du monde ; le fait que nous détenions larme nucléaire : le fait que nous incarnions pour beaucoup de peuples un certain nombre de principes, dont les droits de la personne humaine. Notre langue qui est parlée par plusieurs centaines de millions de gens dans le monde et qui, si nous maintenons, comme je le souhaite, notre présence en Afrique, sera parlée en 2050 par 700 millions de personnes sur le continent africain ; et puis le rayonnement culturel, une certaine image dans le monde. Cest cela, linfluence de la France.
Il y a donc le redressement, la puissance dinfluence, un certain nombre de principes que vous connaissez sur les droits de lHomme, la régulation internationale, la recherche de la paix, le respect des principes du droit international. Et puis, il y a des priorités géographiques - on en parlera - et des priorités thématiques.
Compte tenu de létat très affaibli de notre appareil industriel, la diplomatie française doit se fixer en particulier comme priorité dêtre une diplomatie économique. Toute une série de décisions que je suis en train de préparer vont incarner cette diplomatie économique.
En même temps, lautre priorité, cest le rayonnement éducatif et culturel. Nous avons, à travers le monde, un appareil unique. Il ne sagit certainement pas de le démanteler. Nous avons la chance au Quai dOrsay davoir des collaborateurs de grande qualité, qui se sont sentis malheureux à un certain moment ; je veux mappuyer sur eux.
Le dernier thème, cest la cohérence et le long terme. Lhorizon de la diplomatie, cest le long terme. Bien sûr, il y a des crises à traiter mais lhorizon des diplomates et de la diplomatie, cest lhorizon de la prévisibilité. Il sagit dun thème - beaucoup de journaux lont relevé - que jai souligné auprès de mes interlocuteurs chinois qui y sont sensibles. La prévisibilité est un élément déterminant et décisif. Il faut avoir une vision longue, être cohérent dans ses choix et avoir le sens de lHistoire et de la géographie.
Q - Les troupes participant au contingent de la FINUL seront à lhonneur samedi lors du défilé du 14 juillet. Est-ce à dire que le débat qui se déroulait en coulisse sur la pérennité du mandat de la FINUL a été tranché ? Je me souviens, il y a quelques mois, davoir entendu Gérard Longuet, dire « le mandat de la FINUL ne peut pas se poursuivre indéfiniment », cela est sans doute en soi lexpression de lavis dun certain nombre de [inaudible.]Est-ce que la France va maintenir sa présence au sein de la FINUL ?
R - La réponse est oui.
Q - La diplomatie économique que vous comptez promouvoir est un thème assez récurrent et on a entendu ces dernières années, à plusieurs reprises, limpératif de rapprocher la diplomatie des entreprises, du domaine économique, de faire de lambassadeur un super VRP. Vous reprenez le dossier avec quels moyens dans les conditions où nous nous trouvons ?
R - Si ce thème a été développé dans les années précédentes, tant mieux, il sagira simplement de passer à lacte. La situation actuelle, malheureusement attestée tous les jours, avec 70 milliard deuros de déficit commercial, une industrie qui a reculé, rend cela absolument impérieux.
Ladministration ne remplace pas les entreprises mais peut et doit aider. Parmi ces administrations, celle que je dirige nest évidemment pas la seule à être concernée mais doit apporter sa contribution. Cela tombe bien, parce que ce sont des sujets que je connais très bien ; mon dernier mandat était celui de ministre de lÉconomie et des Finances. De plus, cela correspond à une demande de la part des entrepreneurs eux-mêmes.
Je ne veux pas anticiper sur un plan que je rendrai public dici peu de temps, mais je travaille sur ces questions, avec dautres collègues du gouvernement et je rendrais public un plan de diplomatie économique qui sera complexe et ambitieux.
Q - Dans quelle mesure la question iranienne et des boucliers anti-missiles peut-elle intervenir dans les négociations avec la Russie ? Par ailleurs, sur le sort de lambassadeur syrien en Irak, il a été dit quil serait en route pour Paris ; est-ce que vous le confirmez ?
R - Par rapport à la Russie, la question que vous posez cest : comment convaincre ? Dabord, il y a la conviction dans les discussions, les raisonnements, qui sont des éléments importants de la diplomatie. Les responsables que nous avons en face de nous, quil sagisse des Russes ou des Britanniques, sont comme nous des personnes qui proposent et qui écoutent.
Q - Et M. Lavrov ?
R - M. Lavrov est un homme très compétent qui, certainement, a la confiance de M. Poutine, mais je ne sais pas exactement quelles sont les mécaniques de décision. Jai limpression que M. Poutine, qui est venu dailleurs à Paris il ny a pas très longtemps et avec lequel nous avons discuté de cela, a une certaine influence sur les décisions qui sont prises. Je prends un exemple : je disais, sur un point important, que je reconnaissais comme légitime les interrogations russes sur laprès Bachar Al-Assad. Ce sont des sujets dont nous discutons, bien sûr, avec les Russes et avec les autres.
Concernant lIran, cest une question à la fois liée et différente. Nous sommes en discussions avec les Iraniens, en négociation nette à propos du nucléaire militaire. La configuration nest évidemment pas la même puisquil y a dun côté les Iraniens et, de lautre, un groupe de 5+1, cest-à-dire les cinq membres permanents du Conseil de sécurité dont les Russes et les Chinois, plus les Allemands. Ces discussions durent depuis longtemps, et les 5+1 jusquà présent - ce qui est très important - sont unis. Ce nest donc pas la même configuration que sur la Syrie.
Ces discussions ont connu une série de rebondissements. Quelles sont les positions des uns et des autres ? Dun côté, nous disons : autant lIran, qui est un grand peuple et un grand pays, a droit à un nucléaire civil, autant nous sommes totalement opposés à son accès à larme nucléaire parce que ce serait, dune part, un élément de discrimination et, dautre part, parce que le risque de contagion à dautres pays de la région serait très grand - on peut penser à lArabie Saoudite, à la Turquie et à dautres encore.
Donc, nous disons non au nom même du refus de la dissémination nucléaire. Une part de ces six a pris des sanctions en ce sens ; elles ont commencé de sappliquer de manière uniforme au 1er juillet avec, daprès nos informations, des conséquences assez lourdes.
Du côté iranien, les arguments opposés ne sont absolument pas convaincants. Les Iraniens, à plusieurs reprises, ont dit : « avant de parler du nucléaire militaire, on doit parler de la Syrie ». Nous nacceptons pas, pour les raisons que je vais vous dire dans un instant - quand je dis « nous », ce sont lensemble des membres du groupe 5+1 - dentrer dans ce schéma là. Ensuite, les Iraniens nous disent quil existerait dans les traités internationaux un droit à lenrichissement de luranium qui nexiste absolument pas. Enfin - mais cela, ce nest pas vrai -, à toutes les séances de négociation, ils nous disent : « mais de quoi nous parlez-vous ? Puisque de toutes les manières, lAyatollah « x » ou « y » a dit que ce serait un crime dutiliser larme nucléaire » ; ce qui ne nous paraît pas un élément absolument convaincant.
Dautre part, il faut avoir à lesprit que les Russes avaient fait, il y a de cela un peu plus dun an, une proposition fort intéressante dont vous vous rappelez peut-être : puisque la question était davoir un enrichissement minimum et non pas un enrichissement à 20 ou 30 % - parce que celui-là seulement permettait un accès au nucléaire militaire. Les Russes proposaient que lenrichissement ait lieu chez eux, ce qui pour nous paraissait très intéressant, intelligent, mais les Iraniens ont refusé dexaminer cette proposition.
Nous en sommes là et même sil existe certainement par ailleurs des contacts entre Iraniens et Russes et Iraniens et Chinois, ce pôle que nous constituons tient solidement - et cest très important.
Revenons un instant sur le lien entre laffaire syrienne et laffaire iranienne. Lorsque Kofi Annan nous a demandé de nous réunir à Genève - les cinq membres permanents du Conseil de sécurité -, il aurait souhaité que les Iraniens soient là. Nous-mêmes les Français, ainsi que les Américains, lavons refusé pour une double raison.
Dabord, nous considérons que les questions syrienne et iranienne sont très compliquées et on ne pourra pas résoudre plus facilement une question compliquée parce quon en ajoute une autre.
Deuxièmement, nous ne voulions absolument pas aller dans le sens de léchappatoire proposée par les Iraniens dans les négociations sur le nucléaire militaire, en acceptant de parler de la Syrie, alors que le sujet du nucléaire militaire est un sujet en soi.
Nous avons donc refusé. Kofi Annan, comme cétait normal, a rendu compte aux Iraniens ainsi quà Bachar Al-Assad des conversations et des accords que nous avions passés à Genève. Nous sommes toujours opposés au fait que lon mêle les deux questions parce quil nous semble que rien de bon ne peut en sortir.
Voilà exactement où nous en sommes.
Q - Entre la Syrie et le Mali, il y a lAlgérie où vous allez ce week-end. Comment voyez-vous le rôle de lAlgérie au Mali ? Comment imagine-t-on de pouvoir emboîter une logique ouest-africaine et une logique algérienne dans le traitement du Mali ? Les Algériens de toute évidence préfèrent travailler avec les Américains plutôt quavec les Français dans la région, est-ce que vous allez évoquer cette question ?
R - Je me rends en Algérie ce week-end avec beaucoup de plaisir. Je rencontrerai des autorités algériennes et nous examinerons lensemble des sujets à la fois bilatéraux et régionaux. Évidemment, parmi ces sujets, il y aura la question sahélienne, mais mon voyage a comme objectif une prise de contact avec les autorités algériennes. Et je pense que les choses se passeront fort bien.
Parlons des pays voisins. Cest une affaire extrêmement grave parce que cest la première fois, à ma connaissance, que des terroristes, puisquil sagit bien de cela, se greffent sur des villes importantes et sont peut-être en situation de se greffer sur un État. Et puis, vous avez cette division entre le sud et le nord du Mali.
Quest ce qui se passe ? Au sud, vous avez dabord eu une junte militaire, qui finalement a quitté le pouvoir, et un président, qui a failli être tué et qui actuellement se trouve en France. Il y a à Bamako, un Premier ministre en exercice qui est un homme de qualité, mais certains Africains lui reprochent de ne pas avoir un gouvernement assez élargi. Vous avez surtout, au sud, une crise constitutionnelle, un pays qui est déchiré, sans moyens financiers, sans moyens militaires, qui na plus dintégrité territoriale et qui est donc extrêmement affaibli.
Au nord, vous avez différents éléments mais lélément qui domine, par la force brutale, ce sont les terroristes dAQMI ; la force brutale, des armes et beaucoup dargent, qui vient de trafics en tous genres. Ils sont prêts à mourir et leur ennemi principal est la France. Vous avez aussi le risque - ils ont déjà pris le contrôle dun certain nombre de villes avec des exactions, des viols, des assassinats, des destructions dune série de monuments - et la menace que ce qui se passe au nord du Mali puisse se diffuser dans dautres territoires. Dailleurs il y a une espèce didentification de ces terroristes dans dautres territoires même sils portent dautres noms. Je pense au nord du Nigeria, etc.
Par rapport à cela, les voisins sont menacés parce que ces gens-là sont mobiles, parce que les pays voisins ont souvent des systèmes étatiques qui sont faibles, parce que leurs forces militaires souvent sont assez limitées.
Alors, que peut-on et que doit-on faire là-dedans ?
Dabord, essayer de rétablir la légalité constitutionnelle au sud du Mali. Cest dans ce sens que se déploient les efforts de la CEDEAO, dune part, de lUnion africaine dautre part, appuyés maintenant par la résolution 2056, votée par le Conseil de sécurité des Nations unies à lunanimité, sous chapitre VII le 5 juillet dernier, à la demande de la France. Elle prévoit notamment la formation dun gouvernement inclusif pour que la junte soit définitivement mise hors la loi et pour que les autorités légitimes aient les moyens de fonctionner. Cest plus facile à dire quà faire. Il y a, de plus, on ne peut pas le cacher, un certain nombre de divergences dapproche au sein du continent africain. Il est vrai quil y a peu de jours, une réunion à Ouagadougou devait se pencher sur la formation du gouvernement du Mali mais ni le président ni le Premier ministre nétaient présents.
Ensuite, à partir du moment où la légalité est rétablie - ce qui est nécessaire, ne serait-ce que pour saisir les autorités internationales -, il faut sintéresser à lintégrité territoriale du Mali, il faut sintéresser au nord du pays. Sintéresser au nord du Mali, cela veut dire quà un moment ou un autre, il est probable quil y aura une utilisation de la force, qui est permise par la résolution 2056 qui a été votée et qui sera complétée. Qui doit faire usage de la force ? Les Africains, qui sont en première ligne, avec un possible support international. Avec quelles forces ? Certains de ces pays ont des forces ; je pense au Nigeria et à dautres encore. Sil y a un support international, un soutien, de la formation, cela peut être fait par lUnion européenne qui y est disposée ; cela peut être fait au niveau international, cela peut être fait par tel ou tel pays.
Q - (Inaudible)
R - La France, pour des raisons évidentes, ne peut pas être en première ligne pour intervenir dans ce pays. Cest aux Africains eux-mêmes, dans lapplication du droit international, de le faire.
Q - Pourquoi la France ne peut-elle pas être en première ligne ?
R - Dune part, parce quil y a une règle internationale générale qui est que lorsquil y a un conflit local, cest plutôt des contingents des régions concernées qui doivent intervenir. Dautre part, parce que la France a eu une présence historique et, y compris dans le Sud, daprès ce que nous disent les observateurs, si une intervention avait lieu, elle risquerait peut-être, si elle était menée par des Français, daboutir à leffet inverse. Il risquerait dy avoir une réaction utilisée facilement contre, entre guillemets, le « colonisateur ». Nous pouvons les aider, nous les aidons, mais cest aux Africains de prendre leurs responsabilités avec un support international.
Ces affaires sont extrêmement compliquées. Jai dailleurs envoyé un ambassadeur expérimenté, M. Felix Paganon, notre ancien ambassadeur en Egypte, pour suivre toutes ces questions.
Le président de la République a reçu beaucoup de ces dirigeants africains. Moi-même jen ai vu beaucoup. Je serai dans la région dici quelques jours et il y a une darchitecture densemble à construire. Elle est résumée dans la résolution 2056 - qui est passée un peu inaperçue mais qui est très constructive - adoptée la semaine dernière par les Nations unies. LUnion européenne elle-même a son mot à dire. Jai déjà abordé la question au dernier Conseil des ministres des Affaires étrangères, il y a quelques jours à Luxembourg, et elle sera à nouveau abordée, puisque cette affaire est inscrite à lordre du jour dun prochain Conseil qui aura lieu au mois de juillet à Bruxelles.
Donc laction au Sud, les plans vers le Nord. Les plans militaires, le soutien européen, le soutien international. Cest là ce quil faut faire.
LAlgérie connaît malheureusement les ravages du terrorisme. Pendant des années, elle a souffert du terrorisme sur son territoire et dans la chair des Algériens. En même temps, lAlgérie évite dintervenir dans des conflits extérieurs. Cest une position constante de sa part.
Les Américains ont une influence bien sûr en Algérie, comme partout dans le monde. Nous sommes en discussion avec eux, très confiants. Nous avons des échanges à tous les niveaux, et nous travaillons de manière très convergente sur tous ces sujets.
Voilà où nous en sommes. Mais il ne faut pas simplement penser à lAlgérie, il faut penser à la Mauritanie, il faut penser au Niger, il faut penser au Nigeria, il faut penser au Tchad, il faut penser au Sénégal, il faut penser à la Côte dIvoire, il faut penser au Burkina Faso et quelques autres. Et il faut penser aux organisations africaines : la CEDEAO et lUnion Africaine. Il faut penser aussi à lAfrique du Sud qui, dans toutes les affaires qui concernent le continent africain, a son mot à dire.
Q - Monsieur le Ministre, si cette résolution est passée un peu inaperçue il y a quelques jours, cest quen fait les Américains ne sont pas très pressés dy aller. Finalement, ils sont un peu sur la même ligne que les Algériens, cest-à-dire « on essaie de trouver une solution politique ». Ne sont-ils pas en train de se méprendre et nêtes-vous pas finalement sur une ligne un peu différente ? Nest-ce pas plus que des nuances entre Washington et Alger dun côté, Paris et Niamey de lautre ?
R - Sagissant des Algériens, je ne peux pas vous répondre. Nous aborderons probablement ce sujet pendant mon déplacement. Jaurai une meilleure idée de leur analyse.
Sagissant des Américains, en revanche, nous avons des discussions avec eux. Dune part, les Américains ont une connaissance assez fine de la région et, dautre part, les Américains font confiance aussi à la connaissance que les Français ont traditionnellement de la région. Nous avons des discussions aux Nations unies notamment sur ce sujet. Les choses sont rarement dune clarté évidente ; sinon il serait facile de prendre des décisions. Je pense en tout cas que la raison dêtre de ce que nous appelons les terroristes - je nidentifie pas les terroristes au mouvement touareg en général mais AQMI pour lappeler par son nom - ne permet pas quil y ait daccord politique. Leur objet, cest notre destruction. Alors, bien évidemment, il faut essayer, quand on a un front un peu large autour de soi, de diversifier, de séparer ce qui peut être séparé, mais il ne faut pas non plus se faire dillusion.
Q - Vous avez dit que le principal ennemi était la France, mais vous navez pas mentionné un détail important, cest que nous avons encore quand même je crois six otages. Avez-vous des nouvelles ? Que peut-on dire à leur sujet ?
R - Jai reçu leurs familles il y a quelque temps. Nous sommes en transparence avec les familles qui sont évidemment dans une situation extrêmement difficile ; ces personnes qui sont au nombre de six sont détenues depuis 21 mois pour certaines. Nous sommes en contact permanent avec elles.
Q - Il y a des négociations, il y a des contacts ? Des éléments dinformations sur eux ?
R - Nous avons toute raison de penser quils sont en vie, oui.
Q - Ensemble ?
R - Non.
Q - Seriez-vous favorable, à loccasion du retour des troupes françaises dAfghanistan, à un redéploiement dune partie des troupes dans la zone ?
R - Non, les choses ne se présentent pas ainsi. Les troupes dAfghanistan ont commencé dêtre rapatriées puisque nous avons déjà rapatrié plusieurs centaines dhommes.
Le deuxième élément de rapatriement, comme la indiqué mon collègue et ami Jean-Yves Le Drian, aura lieu à partir du mois doctobre parce quil faut des conditions climatiques qui le permettent. Toutes ces troupes vont revenir chez nous, mais il nest pas prévu une installation, durable ou pas, dans cette zone-là. Non, il faut revenir en France.
Sil y a un conflit qui les mobilise, toujours sur une base dune résolution internationale, ces troupes seront bien sûr disponibles.
Je voudrais dire dailleurs un chiffre quil faut que vous ayez à lesprit parce quil est important : nous avons eu, à la période de notre présence la plus élevée, 4.000 hommes sur place. Mais comme ces troupes se relèvent, ce sont 60.000 militaires qui sont passés en Afghanistan, ce qui est un chiffre considérable.
Et, du même coup - Jean-Yves Le Drian disait cela et je crois quil a tout a fait raison -, au-delà du rapatriement de tous ces hommes qui se sont conduits de façon tout à fait courageuse et admirable, il y a aussi une question qui va se poser aux armées. Quand vous avez eu 60.000 hommes qui sont passés sur une zone de combats, il faut que nous répondions à cette question : comment redonner une mission précise à ces hommes qui ont été dans des situations très difficiles pour quils sachent quils continuent dêtre essentiels au service de la Nation ? Je me situe là non pas du point de vue de leur déploiement ou non, au jour le jour, mais je dirais du point de vue même de la démarche politique avec un grand P, de ce que lon attend de ces hommes qui ont eu une mission et lont accomplie avec un courage et un dévouement admirables.
Mais non, il nest pas prévu quil y ait dinstallation dans ces zones.
Q - Comment pensez-vous apporter votre touche à cette diplomatie dinfluence ? Quelles différences avec vos prédécesseurs ? Quest-ce qui ferait que lon pourrait se souvenir du passage de Laurent Fabius au Quai dOrsay ? Sur quel dossier vous espérez pouvoir marquer les événements, est-ce possible ? Quelle est votre ambition dans ce domaine ?
R - Je ne me pose pas la question : « Quallons-nous faire de différent de nos prédécesseurs ? ». La question que nous nous posons, avec le gouvernement et le président de la République, que je me pose et à laquelle jessaie de répondre, cest la suivante : que faut-il faire pour la France ? À partir de là, nous essayons dapporter des réponses, et on peut dire quil y a des éléments de ressemblance, il y a des éléments de différence avec les prédécesseurs.
Déjà tout à lheure quand je vous ai cité quelques thèmes clef, vous jugerez si oui ou non, jai fait la même chose que mes prédécesseurs. Priorité au redressement, pouvoir dinfluence, long terme et continuité ce sont des éléments essentiels. Diplomatie économique, rayonnement culturel, appui sur les professionnels, également.
Après, pour être très concret, prenons les continents.
LAfrique : à coup sûr, ma bible nest pas le discours de Dakar. Je considère que lAfrique est un continent du futur. Je considère que nous devons avoir un partenariat dégal à égal avec les Africains. Je considère, et jessaierai de traduire cela dans les faits, quun certain nombre de pratiques sont terminées.
LUnion pour la Méditerranée. Autant lidée euro-Méditerranée est une idée riche, autant lUpM appuyée sur M. Ben Ali et M. Moubarak, ce nétait pas dune clairvoyance particulière. Donc il y aura des différences.
Q - Vous disiez que cétait une idée intéressante mais qui ne débouche pas. Ça, cétait lan dernier.
R - Oui mais à lépoque jétais mesuré.
En ce qui concerne les États-Unis : allié mais pas aligné. Excellente relation avec M.Obama sagissant du président de la République, ce nest pas un handicap insurmontable dêtre sympathique et de tenir ses engagements. Jai pu être le témoin des premiers contacts entre le président de la République et à la fois M. Obama, M. Erdogan, M. Poutine. Il y a un contact qui passe mais qui est assez durable.
Concernant lAsie et le Japon, il ne faut pas oublier que cest la troisième puissance économique du monde. Jai limpression que cela avait été un peu oublié. La Chine, il faut le long terme et la stabilité. Ce nest pas la peine daller faire des proclamations pour, ensuite, passer sous la table. Donc cela fait quelques différences.
LAfghanistan, ce nest pas la même chose de dire « on va partir en 2014 » ou de le faire effectivement en 2012.
LEurope, on nen a pas encore parlé.
Q - Cela vous étonne que lon nen ait pas encore parlé ?
R - Cela dépend de vous. On a essayé, je pense que lon a commencé à faire bouger les choses, de montrer quil fallait du sérieux budgétaire.
Le sérieux budgétaire, ce nest pas une proclamation. Si vous dites « je veux être, je suis lincarnation du sérieux budgétaire » mais si vous avez 100 milliards de déficit, si vous dites « cest mal dêtre endetté » et daugmenter lendettement de 600 milliard en cinq ans, enfin on pourrait continuer
Sur la croissance, il y a des choses qui se font même si elles sont insuffisantes. La taxe sur les transactions financières va se faire.
Le rapport avec lAllemagne : oui, le rapport avec lAllemagne, lamitié franco-allemande cest fondamental, cest central, mais jajoute des adjectifs : il faut en même temps que ce soit égal et que ce soit partenarial. Cest central, lAllemagne et la France, les deux font 50 % du PIB européen, cest une tradition, tout ce qui est important en Europe est largement [incompréhensible] franco-allemand. Parfait. Mais il faut que ce soit sur une base égale et partenariale, sinon cela ne fonctionne pas. LItalie existe, LEspagne existe, la BCE existe, le Parlement européen existe. Ce qui ne semble pas toujours être la pratique.
Je ne vais donc pas me poser la question : est-ce que cest différent ou pas différent des prédécesseurs ? Je vous dis : voilà ce quil faut faire et vous qui êtes de bons observateurs, eh bien vous en tirerez les conséquences. Mon prédécesseur immédiat, je parle du ministre des Affaires étrangères, était un homme pour lequel jai beaucoup destime, même si je ne partage pas son opinion politique, mais il y a des différences évidentes entre les uns et les autres. Je mappuierai bien-sûr sur ce ministère, je ne sais pas combien de temps je le dirigerai mais je pense que, comme chaque grand ministère que jai dirigé, ce sera un moment où ceux qui le servent auront eu limpression dêtre utiles.
Q - Savez-vous où se trouve le Général Tlass ? Quel pays pourrait accueillir Bachar Al-Assad ?
R - Pour M. Tlass, ne faisons pas de politique-fiction, je nen sais rien. On verra si cela doit venir.
Quant à la question de quel pays pourrait accueillir M. Al-Assad, il y a des pays probablement dans lesquels il pourrait être accueilli. En tout cas, ce nest pas la France. Il y a des pays, sûrement. Je ne crois pas que ce soit lobstacle principal et je ne sais pas lequel de mes interlocuteurs me disait lautre jour que dailleurs ceci lui avait été déjà dit de manière directe par quelquun de responsable qui nest pas un Français.
Q - Vous avez parlé de linventaire des différences et de la continuité et vous navez pas évoqué la Turquie. Vous trouvez-vous dans la continuité ou dans la différence ? Et est-ce que ce nest pas une continuité dans la dichotomie de positions entre M. Hollande et vous-même sur la loi ?
R - Je vais vous répondre sur la Turquie. Le premier contact personnel quil y a eu entre les dirigeants turcs et les dirigeants français était très bon. Jen ai été le témoin et lacteur. Il y a eu un contact entre M. Hollande et le président turc M. Gül, et un autre contact entre François Hollande et le Premier ministre M. Erdogan. Ces contacts ont été très bons.
La Turquie est un grand pays qui joue un rôle important dans la région, on le sait. Et moi-même jai reçu mon collègue ministre des Affaires étrangères, que je vois dailleurs dans toute une série de circonstances, et les choses se sont bien passées.
À lissue du premier contact qui a eu lieu entre M. Erdogan et François Hollande, les sanctions de la Turquie à légard de la France ont été levées. Nous avons parlé avec ces responsables et mon collègue de toute une série de sujets de politique internationale, du développement des relations économiques, culturelles et autres.
Il est venu aussi dans la discussion, récemment dailleurs, cette question de la loi française puisque vous savez quune loi a été adoptée, il y a un an ou deux, qui réprime pénalement ceux qui nient - cest lexpression le génocide arménien. La loi a été déferrée par des parlementaires au Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel a estimé quelle était contraire à la Constitution. François Hollande a pris un engagement dans sa campagne présidentielle, il a répété quil tiendrait cet engagement. Simplement, le gouvernement est en train de travailler sur les questions juridiques, le « comment », puisque, évidemment, si on reprend exactement le même chemin pour aller à la même loi, les mêmes causes produiront les mêmes effets et cela ne le permettra pas. Voilà où nous en sommes.
Il ny a pas de différence dapproche entre tel et tel. Ce qui ma frappé, cest que, dans la discussion avec mon homologue turc, lorsque nous avons abordé ce sujet, il y a une volonté de trouver des solutions et en particulier - parce que cest aussi très important dans cette affaire - darriver à un rapprochement entre la Turquie et lArménie. De ce point de vue-là, je vous rappelle que la France est co-présidente du Groupe de Minsk et quil y a un travail utile à faire en ce sens. Mais bien sûr, je souhaite, comme le président de la République, que nous puissions bien travailler avec la Turquie comme avec lArménie.
Q - Je voulais revenir à lEurope. Pensez-vous, pour vraiment aboutir à des solutions, avoir une zone euro stable et redonner définitivement confiance aux marchés, quil faut prévoir des nouveaux transferts de souveraineté ? Est-ce la solution à terme, avoir une véritable architecture (incompréhensible) européenne ?
R - Cest un débat. Quand nous avons fait leuro, et jen ai été un des co-créateurs, beaucoup dentre nous avaient déjà le sentiment que si lon faisait une monnaie unique, il faudrait aller vers une politique économique unique, une harmonisation budgétaire, fiscale et donc des rapprochements politiques. Je ne parle pas dabandon de souveraineté ou de transfert, je parle plutôt de partage de souveraineté qui souvent dailleurs aboutit à une reconquête de la souveraineté par partage, cest cela la réalité.
Pour mille raisons pendant toute une période les questions nont pas été posées. Elles ont été posées mais en termes théoriques au moment de la discussion sur le Traité constitutionnel en 2005. Même si les choses sont derrières nous, cest très intéressant, je me suis reporté dailleurs à un certain nombre de choses qui avaient été dites et écrites à lépoque - y compris par moi, la position que javais prise et, au fond, on retrouve aujourdhui beaucoup des sujets qui avaient été abordés : les questions posées sur lunanimité ou pas ; les questions posées sur le rôle de la Banque centrale ; les questions posées sur la solidarité.
Il ne faut jamais se citer soi-même parce que cela prouve que lon atteint un grand âge, mais dans un petit bouquin que javais écrit à lépoque, « Une certaine idée de lEurope », javais dit, dans lintroduction, que lEurope posait trois problèmes : la question du nombre, la question de la solidarité, la question de la puissance. Pourquoi ne souhaitais-je pas à lépoque adopter ce Traité ? Parce que je pensais quil ne répondait à aucune de ces trois questions. Les choses sont derrière nous.
Depuis, il y a eu une série déléments et les socialistes, de façon bienheureuse, ceux qui étaient pro-européens, quils soient du « oui » ou du « non », se sont rapprochés.
Le problème, ce ne sont pas les socialistes français, ce sont les problèmes objectifs. On a beaucoup tardé à traiter ces questions, en particulier celle de la Grèce. On a agi, lexpression est souvent utilisée, elle est juste, « trop peu, trop tard ». Ce qui fait quun problème qui, au départ, était tout à fait circonscrit - la Grèce, cest un peu plus de 2 % du PIB européen - et qui, pour être résolu, aurait coûté entre 3 et 5 milliards, aujourdhui coûte 270 milliards deuros.
Léconomie, cest un peu comme la justice, cela fait « tic-tac tic-tac » et on croit que lon va mettre les problèmes sous la table, mais on ne met pas des problèmes sous la table, il faut les résoudre.
Finalement, on a pris un certain nombre de solutions qui étaient provisoires. Il y a eu, il y a quelques jours, le Conseil des 28 et 29 juin qui lui, je pense, a été beaucoup plus positif parce quil a pris des décisions qui, elles, sont fortes et qui, sur plusieurs sujets, sont importantes ; sur la croissance bien sûr, mais aussi sur la Banque européenne dinvestissements, sur la possibilité de ne pas passer par les États pour recapitaliser les banques. Dès lors que ces décisions sont appliquées, elles permettent de résoudre un certain nombre de questions qui concernent à la fois la Grèce, lIrlande, lItalie, lEspagne.
La difficulté, cest quil faut, lorsquon prend des décisions, quelles soient très rapidement appliquées et quon ne reprenne pas ce qui avait été décidé. Doù limportance que nos collègues ministres des Finances de la zone euro appliquent vite ces décisions. Ils ont commencé mais cela prend un peu de temps.
Il y a eu plusieurs éléments de discussion dans la réunion du 28 et 29 à laquelle je nétais pas, mais François Hollande ma rapporté que lorsque lon a discuté du rapport Van Rompuy et, donc, de ce que lon allait faire pour le futur. Est-ce que lon allait faire de la coopération renforcée ? Est-ce que lon allait faire cela à 17 ? Est-ce que lon allait faire cela à 27 ? Quest-ce que cest que le partage ? Quid des compétences ? Quid de la solidarité ? La discussion na pas été longue mais les gens nétaient pas daccord et selon des clivages qui ne sont pas ceux auxquels on est habitué.
Donc, pour répondre à votre question, que faut-il faire ?
1) Sur le plan strictement économique, et financier, appliquer rapidement les décisions qui ont été prises entre le 28 et le 29 juin.
2) sur le plan de la prévision à long terme de larchitecture européenne, M. Van Rompuy doit remettre un rapport détape au mois doctobre, puis il y a le rapport définitif au mois de décembre. La position de la France sera - comme on saura y travailler - de donner un contenu à ce que le président de la République a appelé lintégration solidaire. Nous remettrons donc un papier qui est notre façon de voir les choses.
Je me sens dautant plus à laise que cette question de lEurope à plusieurs vitesses - à plus ou moins long terme -, moi-même et dautres lavons abordée il y a pas mal dannées, quitte à nous faire rabrouer, mais qui correspond à la vérité, pas facile à construire, parce quil y a des moments où on peut dire telles choses à 9, telles choses à 17, telles choses à 27. Mais en même temps, il faut une architecture institutionnelle et démocratique qui soit quand même praticable, qui ne soit pas un casse-tête.
Vous vous rappelez la fameuse phrase de Kissinger, « lEurope, quel numéro de téléphone ? ». Aujourdhui, on peut dire, daccord, il y a un téléphone, enfin il y en a plusieurs, mais il faut aussi avoir quelque chose à répondre. Cest donc ce travail que lEurope entière va faire sur la base du rapport de M. Van Rompuy. Et nous, les Français, nous allons contribuer. Dailleurs, je relève, peut-être avons-nous mal communiqué, ou peut-être est-ce une erreur de perception, nous ne sommes pas moins pro-européens ou intégrateurs que dautres, pas du tout ; simplement nous voulons, en face de chaque partage de souveraineté, quil y ait la précision sur la compétence qui est partagée, quil y ait la solidarité à laquelle elle correspond et quil y ait le contrôle démocratique qui peut sy appliquer. Donc, cest cela quil faut construire parce que sinon, on est dans lempire céleste (?). Voilà le travail tout à fait passionnant qui est devant nous et que nous allons faire dans les trois ou quatre mois qui viennent.
Q - On vient dapprendre que la mort de Yasser Arafat est suspecte. Il était en France quand il est décédé. Quelle est la position de la diplomatie française face à cette grande émotion dans le monde arabe ? Et une question qui na rien à voir, mais que je pose aussi dans la foulée, vous avez dit, je crois, que les conditions de la sécurité dIsraël ne sont plus assurées, ( inaudible ) mais tout de même je voudrais poser cette question des conditions de la sécurité dIsraël, et donc sur ces deux aspects quelle est la position de la diplomatie française ?
R - Je crois quil y a une enquête qui va être faite, daprès ce que jai vu, enfin en tout cas, cest Mahmoud Abbas qui a dit quil y était favorable. Les autorités palestiniennes décideront ce qui peut être fait, mais je nai absolument aucun commentaire à faire.
Maintenant, pour répondre à votre autre question, non je nai pas du tout employé ce terme mais je crois comprendre ce à quoi vous faites référence. Dans linterview on ma posé une question sur le processus de paix et jai dit quil était important davancer sur la question israélo-palestinienne parce quelle est quand même la mère de beaucoup de conflits et quil en va de lintérêt à la fois de la région et du monde.
Ayant vu récemment à plusieurs reprises Mahmoud Abbas, jajoute que jai le sentiment, le connaissant depuis longtemps, que cest un homme qui peut avancer, qui nest pas partisan du tout ou rien et quil y a donc un espace pour la discussion de ce côté.
Du côté israélien, je constate que M. Netanyahu a une position politique très forte. Dailleurs, nous avons dexcellentes relations avec Israël. M. Netanyahu nous a envoyé récemment plusieurs de ses ministres et de ses collaborateurs, pour parler vraiment complètement en confiance, ce que japprécie. Mais cest quand on est en position de force que lon peut discuter, quon doit discuter.
Pour revenir à la phrase à laquelle vous faisiez allusion, jai noté que pendant tout le début des révolutions arabes, nous navons heureusement jamais vu la rue arabe prendre Israël comme son objectif. Et je disais - ce nest pas du tout une menace - que ce serait catastrophique - je ne sais pas plus que vous comment vont évoluer les révolutions arabes, probablement avec des hauts et des bas - et que cela me paraîtrait très dangereux si, à un moment donné, dans une situation économique très difficile, tel ou tel de ces pays arabes sen prenait à Israël.
Cest une des raisons supplémentaires pour lesquelles je pense que les Palestiniens étant à mon sens prêts à discuter, et M. Netanyahu étant en position de force, cest le moment où il faut avancer. Il y a des propositions qui ont été faites, qui concernent à la fois les prisonniers, les armes, etc. Il y a dautre part léchéance de lAssemblée générale des Nations unies. Il y a des élections américaines. Il faut dès maintenant avancer de façon suffisante pour que chacun comprenne quil y a de part et dautre un désir de débloquer ce problème très important. Voilà ce que javais à expliquer.
Q - Une question sur le Qatar, le lien est ancien mais il a été très fortement accentué sous Nicolas Sarkozy, êtes-vous là dans la continuité ou pas ?
R - Nous avons des relations excellentes avec le Qatar. Les dirigeants de ce pays sont fréquemment en France, ils y ont des intérêts. Dautre part, le Qatar intervient beaucoup dans les affaires régionales. Voilà où nous en sommes, donc nos relations sont bonnes.
Q - Juste une petite question sur lIran. Redoutez-vous quIsraël aille bombarder les sites dune des centrales nucléaires et que peut faire la France dans cette éventualité pour les empêcher ?
R - Jai parlé tout à lheure assez longuement de la négociation sur le nucléaire militaire iranien. Javais abordé cette question lorsque je métais rendu en Israël au moment de la campagne présidentielle pour présenter François Hollande. Nous avons dit - et je le répète - que le déclenchement dun conflit de cette sorte dans la région serait catastrophique, je pense que tout le monde le comprend.
Q - Allez-vous conseiller à François Hollande de se rendre au Sommet de la Francophonie en RDC, eu égard à ce que vous dites sur la mission diplomatique (inaudible) ?
R - Le sommet est prévu pour octobre en RDC. Les conditions évidemment sont complexes, difficiles. LÉlysée na pas encore fait connaître sa décision. Je pense que le président de la République souhaiterait pouvoir sy rendre mais il faut aussi que les conditions soient remplies.
Q - Pensez-vous comme ceux qui pensent que le dénouement de la crise syrienne ne verra le jour quaprès les élections américaines ? Vous êtes daccord avec cette analyse ?
R - Non, je nétablis pas de relation entre une chose et une autre et, en tout cas, pour les pauvres Syriens qui sont massacrés chaque jour, ce nest pas une corrélation quon a le droit détablir.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 juillet 2012