Conférence de presse de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, sur la situation politique en Syrie et sur les relations franco-espagnoles dans le cadre de l'Union européenne, à Madrid le 20 juillet 2012.

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Circonstance : Déplacement en Espagne, le 20 juillet 2012

Texte intégral

Mesdames et Messieurs, je veux vous dire d'abord le plaisir qui est le mien en tant que ministre des Affaires étrangères de me retrouver à Madrid, même pour très peu de temps, à l'invitation de mon collègue et ami M. García-Margallo que je remercie beaucoup pour son chaleureux accueil.
Nous n'aurons pas la possibilité de rester à Madrid très longtemps. Nous allons, en effet, rejoindre Palma de Majorque pour répondre à l'invitation de notre collègue allemand M. Westerwelle. Mais je souhaitais cette étape madrilène. Nous avons commencé à converser ensemble, nous allons déjeuner également et avoir ainsi l'occasion de traiter plus longuement de tous les sujets évoqués précédemment.
Je reprends exactement l'expression que tu as employée : les relations franco-espagnoles ne peuvent pas être meilleures. Elles sont excellentissimes. Nous n'allons pas inventer des problèmes là où ils n'existent pas ! Nous aurons, comme je l'ai dit, l'occasion au cours de ces prochaines heures de travailler sur plusieurs dossiers, s'agissant de notre coopération bilatérale et de l'actualité internationale.
Sur le plan de l'actualité internationale, malheureusement les dossiers ne manquent pas. La première situation dramatique est la situation en Syrie. Mon collègue espagnol était, l'autre jour, l'hôte de la France, et je t'en remercie, lors de la réunion du Groupe des Amis du Peuple syrien.
Vous connaissez la situation dramatique que connait la Syrie aujourd'hui. Vous connaissez aussi, malheureusement, l'impasse, hier encore, dans laquelle nous sommes au Conseil de sécurité des Nations unies. Pour ce qui concerne la France, notre stratégie tient en trois verbes : affaiblir, réunir et reconstruire.
Affaiblir le régime de Bachar Al-Assad qui doit maintenant céder la place, et le plus tôt sera le mieux. Nous aurons d'ailleurs l'occasion, dès lundi prochain au Conseil des Affaires étrangères, de proposer une série de sanctions supplémentaires pour affaiblir ce régime et faire en sorte que le plus vite possible, la transition politique puisse intervenir.
C'est là où intervient le deuxième verbe : réunir. Il faut, si nous voulons que la transition se passe le mieux possible, que l'opposition se réunisse et qu'il y ait des conversations entre l'opposition et un certains nombres d'éléments du régime. Il faut réunir une population qui est aujourd'hui divisée puisque c'est devenu, je ne sais pas si l'expression convient du moins elle a été utilisée, une guerre civile. Et il faut faire en sorte, si on ne veut pas que la Syrie éclate, que cette action de réunion soit menée.
Et puis il faut reconstruire la Syrie de demain qui a le droit à son intégrité. Et j'insiste sur ce point qui est extrêmement important : il faut garantir aux diverses communautés la possibilité de vivre en paix et dans le respect de leur droit. Quand je parle des différentes communautés, je pense évidemment aux communautés majoritaires mais aussi aux communautés minoritaires, notamment la communauté alaouite. Dans la Syrie de demain, qui sera décidée par les Syriens eux-mêmes, toutes les communautés auront le droit de vivre en paix. Et c'est autour de ces notions que j'espère, les jours qui viennent, nous pourrons avancer.
Nous avons parlé de la Syrie, de la Méditerranée bien sûr, du Sahel. Je me trouvais récemment en Algérie. J'aurai l'occasion en fin de semaine prochaine de parcourir quatre pays voisins du Mali. Je pense que sur ces sujets auxquels nous accordons tous les deux une grande importance, nos approches sont évidemment convergentes.
Nous avons parlé, bien sûr, des affaires de coopération en méditerranée. Comme tu l'as souligné, nous avons en commun toute une série de projets. Les uns sont déjà très bien engagés notamment dans le domaine du sport, de l'énergie... que ce soit à court, moyen ou à long terme.
Nous avons, aussi bien sûr, notre coopération en direction de l'Europe.
La France est aux côtés de l'Espagne. Nous avons préparé ensemble le sommet de la fin du mois de juin. Il est très souvent question de la relation privilégiée entre la France et l'Allemagne. C'est vrai qu'il est très important que le moteur franco-allemand fonctionne. Mais notre conception c'est que ce moteur doit être ouvert à d'autres partenaires. Et c'est ce qui a été fait avec nos amis espagnols, italiens ou allemands et tous les autres, afin de déboucher sur des décisions utiles qui maintenant doivent être appliquées et appliquées rapidement. C'est particulièrement vrai en ce qui concerne l'Espagne où les accords passés doivent être appliqués pour permettre le redressement de la situation, notamment économique. Dans cette situation nous sommes tous liés les uns aux autres.
Je voudrais également faire mention de l'excellence de la coopération policière qui se poursuit.
J'y suis d'autant plus sensible - mais j'ai peine à rappeler ce souvenir du siècle dernier - que j'étais Premier ministre lorsque pour la première fois, et de façon spectaculaire, le gouvernement français de l'époque a décidé une coopération pleine et entière s'agissant de l'ETA. À l'époque, toute la difficulté portait sur l'extradition. Le gouvernement avait été saisi de la question et considérait qu'à partir du moment où l'Espagne était une démocratie pleine et entière, il était évident que ces extraditions devaient avoir lieu.
Depuis, évidemment, la coopération s'est développée et elle est tout à fait centrale pour deux pays proches, amis, et également démocratiques comme l'Espagne et la France.
Il y aurait beaucoup de choses à dire mais je vais conclure en vous disant que nous travaillons la main dans la main, que nous avons une conception extrêmement proche de la façon dont toute une série de problèmes doivent être abordés, en particulier s'agissant du développement de l'Europe future.
Nous sommes, les uns et les autres, très attachés au développement de l'Europe, au redressement dont nous avons besoin. Nous allons essayer de le montrer dans les semaines et les mois qui viennent. Merci.
Q - Sur la situation actuelle en Syrie : avez-vous des informations s'agissant du fait que certains disent que Bachar Al-Assad est prêt à quitter le pays ? En avez-vous connaissance ? Pensez-vous que la Russie puisse à un moment changer de position ?
R - Sur les déclarations qui ont été faites, nous n'avons pas confirmation. Ce que nous savons avec certitude, c'est que les coups qui ont été portés ces derniers jours au régime de Bachar Al-Assad sont des coups extrêmement durs. Il est d'ailleurs possible que le nombre de victimes, avec ce qui s'est passé à Damas, soit plus important que ce qui a été officiellement annoncé. Parallèlement il y a des défections qui se multiplient dans les rangs du régime et, indiscutablement, une montée des forces de la résistance. Tout ceci, pour ceux qui suivent de près ce conflit grave, c'est un affaiblissement considérable du régime de Bachar Al Assad.
Dès lors, se pose toute une série de questions. Malheureusement nous n'avons pas pu convaincre les représentants russe et chinois de voter avec nous, hier, la résolution au Conseil de sécurité alors que Kofi Annan qui est l'envoyé à la fois des Nations unies et de la Ligue arabe, le demandait. C'est un échec très très sérieux.
Mais, comme je l'ai dit, dans les jours qui viennent, toute une série de sanctions vont être votées pour resserrer encore le filet autour de Bachar Al Assad.
La question qui va se poser va être à la fois : quelle va être la réaction de celui-ci ? Et en même temps, puisqu'il est évident qu'il faut aller vers une transition politique, comment cette transition va-t-elle se faire ?
En ce qui concerne les réactions de Bachar Al-Assad, nous n'avons aucune certitude. Certains disent, puisqu'il y a encore des armes, que la répression sera encore plus dure. D'autres disent que les défections peuvent se multiplier. D'autres encore évoquent un repli. D'autres, enfin, et c'est ce à quoi vous faites allusion, disent qu'il va partir. Donc la question est la suivante : où va-t-il aller ? Ce sont là des questions, je vous le confirme, qui ont été abordées, dans les couloirs comme on dit, avec toute une série de partenaires. Mais nous n'en sommes pas encore là. Malheureusement.
S'agissant des Russes, nous avons eu l'occasion de parler avec eux. Leur souci principal est, disent-ils, ce qui va se passer après, si Bachar Al-Assad tombe ? Ils invoquent souvent le risque de désordre. La réponse est tragiquement simple : il n'y a pas de plus grand désordre que ce qui se passe aujourd'hui qui est non seulement un désordre mais un drame inadmissible puisqu'il y a des dizaines et des dizaines de morts tous les jours.
Simplement, pour faire en sorte que la transition se passe le mieux possible, tout ce qui peut être fait pour encourager l'unité de l'opposition, tout ce qui peut être fait pour encourager le dialogue entre l'opposition et ceux des éléments du régime qui ne sont pas compromis dans des crimes de sang, tout cela doit être fait. Et la France y contribue. Vous avez vu que certaines défections ont eu lieu et que certains, pour les plus importants, ont été accueillis chez nous. Voilà où nous en sommes.
En tout cas, je l'ai déjà dit, il faut continuer à affaiblir le régime, réunir l'opposition, reconstruire dans l'intérêt des Syriens, et dans le respect des communautés en évitant que tout cela ne déborde sur des nations voisines. C'est évidemment l'essentiel. Car et c'est le dernier point, l'un des risques de cette situation c'est que Bachar Al-Assad essaye de reporter le conflit, directement ou indirectement, sur les pays voisins. Je pense en particulier au Liban. Ceci serait d'une gravité extrême. C'est pourquoi nous sommes en liaison avec les dirigeants du Liban pour faire en sorte que ce conflit ne s'étende pas.
Q - Deux questions pour le ministre français. J'ai compris que certains investissements français dans le secteur des énergies renouvelables vont être touchés par la réforme énergétique que prépare le gouvernement puisque les conditions vont changer. Je voulais savoir si vous voyez cette réforme comme un problème de sécurité juridique qui puisse toucher les investissements français en Espagne ? Et dans un deuxième temps, j'aimerais connaître certaines de vos idées s'agissant du futur de l'UE, au sein de ce qu'on appelle le «Groupe de Berlin» qui se réunit à Palma ?
R - Sur le premier point que vous soulevez, je ne suis pas en situation de répondre. Je n'ai pas tous les éléments. Je ne vais pas répondre des choses inexactes.
Sur le deuxième point qui est une question beaucoup plus large, à propos de l'initiative qu'a pris notre collègue Westerwelle, vous le savez, il s'agit d'une discussion amicale qui n'a aucun caractère institutionnel.
Pour ma part, à la fois par tempérament et compte tenu de ce qu'est la situation européenne, je pense qu'il faut essayer de se concentrer sur les projets concrets. Je ne suis pas sûr que nos concitoyens veuillent aujourd'hui de grandes fresques institutionnelles. Bien sûr, nos institutions sont importantes mais je pense que nos concitoyens veulent que l'Europe soit plutôt une solution qu'un problème. Je pense dès lors qu'il faut leur apporter des éléments de solution. C'est ce que je dirai lors de notre petite réunion de tout à l'heure. Il y a, dans toute une série de domaines, industriel, au sein de la défense, du secteur de l'énergie... des initiatives que l'on doit pouvoir prendre et, j'en suis sûr, qui seraient utiles.
Maintenant sur la question plus large que vous avez posée, je suis sûr que mon voisin et ami complètera. Nous avons déjà eu en effet l'occasion d'en parler. Il y a des difficultés économiques en Europe évidentes et la conception française est la suivante : il faut, pour reprendre notre marche en avant, sur le plan économique, marcher sur les deux jambes. Il y a une jambe, si je puis dire, qui est une jambe de sérieux budgétaire, de discipline. On comprend bien que les États doivent, petit à petit, essayer d'équilibrer leur budget. Il faut donc ramener le sérieux budgétaire. Je pense que l'Espagne est évidemment d'accord, la France est d'accord et nous le prouvons dans nos décisions. Mais si l'on veut que le sérieux budgétaire se traduise par une efficacité et en même temps que la population soit sensible à cette initiative, il faut en même temps du sérieux budgétaire, et que des décisions en faveur de la croissance et de la solidarité, soient prises. C'est d'ailleurs ce dont nous avons parlé lors du dernier sommet de la fin juin.
Nous pouvons dire que les mesures prises en faveur de la croissance sont insuffisantes. Nous le savons bien, mais elles vont quand même dans le bon sens. Si on veut, dans des pays comme l'Espagne, l'Italie, la France comme dans tous les autres, arriver à résoudre le problème de l'emploi qui est considérable, il faut quand même qu'il y ait de la croissance.
En même temps, il faut qu'il y ait de la solidarité. En Europe, nous devons faire en sorte, si on fait preuve de sérieux budgétaire et si on prend des décisions de croissance, qu'il n'y ait pas d'autres éléments qui viennent paralyser tout ce système. Et c'est sur ce point où la situation de l'Espagne, la situation de l'Italie et d'autres pays, a évidemment été examinée.
Quand vous avez des pays qui font des efforts considérables, que des engagements sont pris sur le plan budgétaire et que, pour des raisons annexes qui sont liées à des spéculations sur les marchés, nous voyons des taux d'intérêts soit continuer à être très importants, soit continuer à grimper, nous devons prendre alors des dispositions. Et ce sont ces dispositions, proposées par l'Espagne, la France et par quelques autres, qui permettent si elles sont appliquées, de revenir à un système plus équilibré.
Et là, la Banque Centrale a son rôle à jouer. Je sais bien qu'il y a des règles, des traités, etc. et il faut bien sûr les respecter. M. Draghi comprend tout à fait tout cela. Il faut savoir jouer avec une certaine souplesse pour à la fois casser la spéculation, respecter le sérieux budgétaire et encourager la croissance. Et c'est autour de ce triangle que doit se faire le chemin, à la fois pour les pays, pour la Commission, pour le Conseil, la BCE... et là-dessus, je pense que l'approche de la France et de l'Espagne est tout à fait identique.
Q - Vous avez évoqué de nouvelles sanctions contre la Syrie tout à l'heure. Est-ce que vous pouvez aller un petit peu plus loin. On parle d'un renforcement d'embargo sur les armes, de nouvelles personnes sur la liste... et surtout ce serait apparemment dès lundi.
R - Oui, je confirme tout à fait que ce sera dès lundi. Nous avons une réunion du Conseil des Affaires étrangères lundi matin. À l'agenda, il y a différents points et notamment la question syrienne et la question du renforcement des sanctions. Et justement les points que vous avez soulignés font partie des propositions qui sont faites et j'espère qu'il y en aura d'autres. Si l'on veut aller vers la transition politique, il faut que les sanctions soit appliquées.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 juillet 2012